La DLPAJ (Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques) vient de faire sa liste au père noël et autant dire qu’elle est chargée. Très chargée. Et qu’elle présage des jours encore plus sombres si le père noël débarque avec de tels cadeaux.
Un article publié sur Le Monde (édition abonnés) présente une liste de courses d’un document interne du ministère de l’Intérieur que le journal a pu consulter, on y découvre une série de souhaits exprimés par la police et la gendarmerie pour 2016, souhaits qui pourraient se retrouver dans différents projets de loi qui devraient être présentés début 2016.
Voici quelques éléments de cette liste.
Interdiction de TOR… sur le papier.
Paf ! Terminé TOR ! La DLPAJ souhaite interdire l’utilisation de ce réseau d’anonymisation, au motif, sans doute, qu’il permet aux terroristes d’être très difficilement traçables lorsqu’ils utilisent ce réseau.
A ce titre-là, autant interdire les voitures également, puisqu’elles permettent aux terroristes de s’enfuir. Puis autant interdire les téléphones portables également, puisque nous savons qu’au moins un terroriste des attentats de Paris a envoyé un SMS non chiffré, depuis un smartphone jetable.
Si le réseau TOR permet effectivement à des terroristes de se planquer, il permet aussi à des journalistes de travailler, il permet de protéger certaines sources aux informations particulièrement sensibles, il permet à des activistes de pouvoir en aider d’autres. TOR n’est, en soi, ni bien ni mal, comme Internet. TOR est un réseau, un outil, par définition il est neutre. L’attaquer ou l’interdire ne supprime pas le mal, il le déporte ailleurs, sur d’autres réseaux encore plus profonds, plus masqués.
Si la DLPAJ pense qu’interdire TOR va compliquer la préparation d’actes terroristes, ils se trompent. Comme lorsqu’on souhaite interdire TOR pour lutter contre la pédophilie, les efforts sont louables mais ne visent pas la bonne cible.
D’un point de vue plus « technique », interdire complètement TOR relève de l’impossible, il y aura toujours quelqu’un pour contourner le blocage, les mesures instaurées, la France devrait s’inspirer de la panoplie d’outils de contournement disponible en Chine pour comprendre en quoi cette mesure est absurde.
Plus de Wi-Fi public
Alors, oui, on dit Wi-Fi et pas Wifi, pour commencer. La DLPAJ souhaite interdire ces réseaux publics pendant toute la durée de l’état d’urgence… partant du principe que certains souhaitent rendre cet état permanent, ça promet…
Résumons-donc : pour lutter contre des gens qui savent parfaitement s’adapter à de très nombreuses situations, qui savent protéger leurs communications, qui sont entrainés pour passer sous les radars, cette mesure sera, autant le dire, sans doute inefficace.
Cette mesure va profondément déranger de nombreuses personnes qui ne disposent pas d’un accès Internet fixe et qui se servent de ces points d’accès publics pour rester connectés, ça c’est certain. Mais rien n’est moins sûr quant au fait que ladite mesure soit d’une efficacité quelconque contre le terrorisme.
Fournir les clefs de chiffrement
La DLPAJ souhaite également obtenir les clefs de chiffrement des services et applications de VoIP (Voice over Internet Protocol, la voix sur Internet si vous préférez).
Il est assez étrange de croiser une telle demande ici, lorsqu’on sait que la loi relative au renseignement le permet déjà. Ladite loi impose aux fournisseurs d’outils de chiffrement de remettre les clefs de chiffrement dans un délai de 72 heures.
Autre point, peut-être évident pour moi mais pas pour la DLPAJ : l’utilisation de solutions « perso ». J’ai les compétences de monter un serveur de VoIP et d’y connecter des personnes où qu’elles soient sur la planète. Si j’ai cette capacité, d’autres l’ont et il serait absurde de croire que des terroristes ne l’ont pas.
Je me souviens avoir été surpris la première fois que j’ai traqué des pédophiles, parce qu’ils utilisaient les mêmes outils de chiffrement que moi, qu’ils disposaient de FAQ et de notices extrêmement claires et précises, parfois plus que les nôtres, parce qu’en résumé, ils maîtrisaient des outils de protection et d’anonymisation depuis déjà très longtemps, bien avant nous, petits libristes naïfs que nous sommes.
Pourquoi cela serait différent avec des terroristes ?
Prendre ces dispositions ne va rien arranger et ne va clairement pas déranger les personnes que l’Etat traque. Ces derniers doivent d’ailleurs bien se marrer en lisant tout ça.
En revanche…
Prendre de telles dispositions nous fait un peu plus avancer vers un état numérique totalitaire. Si je comprends parfaitement ce qui pousse les forces de l’ordre à demander de telles mesures, je doute sincèrement de leur utilité et de leur efficacité.
En revanche, je ne doute pas des abus qui arriveront avec tout ceci, des abus qui arrivent déjà, d’ailleurs, depuis la mise en place de l’Etat d’urgence, des personnes interpelées pour des motifs étranges, des perquisitions douteuses dans des milieux activistes ou hacktivistes, des justifications plus que douteuses qui seront fournies par les forces de l’ordre ou par l’Intérieur.
J’en viens même à me demander si je ne vais pas finir par avoir des soucis avec les outils que j’utilise, avec les propos que je tiens, avec les écrits de ce blog qui contient quelques liens vers des outils de chiffrement. J’en viens à me demander si je vais pouvoir continuer à écrire ainsi et à m’opposer à toutes ces mesures prises…
Bref, continuons d’écrire et de lutter pour le Juste, tant que nous pouvons le faire.
C’est une très bonne chose que de vouloir éveiller les consciences, et je ne peux que féliciter tous ceux qui participent à cela. Mais pousser une gueulante est une chose, proposer des moyens d’actions/des alternatives, en est une autre.
Absolument, je me permets donc de te répondre et de te proposer mes idées de citoyen comme tout le monde, elles ne sont peut-être pas révolutionnaires, peut-être trop idéalistes… mais je pense qu’il nous faut au moins ça pour atteindre un cap de non retour vers un réel changement.
Que penses-tu qu’un lecteur qui débarque ici puisse se dire en fin de lecture ? Il peut très bien se dire « ok, il a raison, je suis en colère moi aussi, et il met des mots sur des choses que je ne parvenais pas à exprimer. Mais qu’est-ce que je peux faire, moi, pour faire évoluer les choses ? »
Très sérieusement, rien que se poser des questions est déjà un acte, le premier que je tente, à chaque fois, de créer : la remise en question, ou le fait de s’en poser. Ce n’est évidemment pas suffisant, qu’une première étape… mais elle est fondamentalement la plus importante.
Ce paragraphe en particulier, sonne un peu comme une accusation : « Il serait bon que toi, oui toi là, l’internaute en pleine lecture de ce billet, tu te dises la même chose : si ton gouvernement existe et fait ce qu’il veut, c’est parce que tu le laisses faire. Je sais que tu as ton quotidien à gérer, tes galères, ton travail, les fins de mois difficiles… comme nous tous. Tu n’en as pas ras le bol, à un moment ? Je sais, ça demande énormément d’efforts de s’opposer à tout ceci, puis tu te dis que tout seul, bah, ça ne sert à rien. »
Tu as raison sur le fond, nous sommes tous responsables de l’état actuel des choses. Mais que proposes-tu ? Que pouvons-nous encore faire ?
Ce paragraphe sonne effectivement comme une accusation, puisque c’était le principe dudit paragraphe. C’est un point de vue très personnel, comme tout ce que je peux écrire, mais je suis triste et parfois fatigué de voir des gens, chaque jour, se plaindre de la situation x ou y, sans essayer ne serait-ce que de changer un petit quelque chose, pour plein de raisons, parfois justes, parfois non.
Une fois de plus, je suis d’accord avec tes propos, et je ne poste pas ce commentaire dans un but de dénigrement. Mon interrogation est sincère : que proposes-tu ? Que fais-tu/que comptes-tu faire toi, personnellement, pour modifier cet état de choses ? Signer la pétition contre la loi El Khomri ?
Sois rassuré, je ne prends jamais un commentaire aussi bien construit comme un dénigrement, tu as pris le temps de construire ta réponse, de participer, de donner ton point de vue, il serait très triste de prendre le moindre commentaire comme un quelconque dénigrement. C’est tout l’inverse.
Qu’est-ce que je compte faire, pour modifier les choses ?
La première chose me semble évidente, déformation d’activiste peut-être : ne rien laisser passer. Strictement rien. Pas un seul écart de conduite. Pas une seule parole déplacée. Pas une seule dépense publique qui ne soit pas équilibrée et justifiée. Et le faire savoir.
Le corps politique donne un nom à ces gens qui, comme moi, ne laissent rien passer : des menaces.
Ça demande du temps et des efforts, très clairement. Je comprends que tout le monde ne puisse pas le faire, que tout le monde n’ait pas envie de le faire, la vie est déjà bien assez compliquée comme ça.
En pratique, ça passe par la diffusion de l’information et la demande de justifications. Donc des coups de téléphones, des courriers, des mails, que la personne soit député, ministre ou tout autre fonction du corps politique. Certains lisent et me répondent, d’autres non, d’autres ne lisent sans doute même jamais ce que je peux envoyer. Mais ils savent que quelque part, quelqu’un regarde ce qu’ils font.
Et c’est ça, déjà, qu’il nous faudrait : re « politiser » les gens, leur faire prendre conscience qu’il est de notre devoir de veiller au bon fonctionnement de la politique dans notre pays, tout partis politiques confondus. Leur faire prendre conscience qu’être citoyen, ce n’est pas simplement avec un petit bout de papier pour aller voter à des élections où nous avons le choix entre la peste et le choléra.
Dans certains pays de notre Europe, les dépenses publiques sont très strictes et très observées… par le peuple, la Norvège est un bon exemple qui n’hésite pas à crier au scandale si un denier de l’argent public est dépensé d’une façon… bien française. Certains rapports financiers sont publics, les députés et ministres et autres doivent se rendre compte qu’ils sont des gens normaux et… ils sont manifestement incapables de s’en rendre compte seuls, alors on devrait les aider un peu. Cela ne sera ni agréable, ni facile, ni rapide, mais c’est nécessaire. Et ça existe, certains font figure d’exemple dans le paysage politique, j’ai au moins un nom en tête. C’est pour ainsi dire rien, mais c’est une preuve que ce n’est pas impossible.
Inutile, on a bien vu ce que ça donnait avec les referendums avant, et on a, je pense, tous lu la réponse de la « ministre ». Descendre dans la rue ? On est en état d’urgence, et de toute façon, qui tient encore compte des manifestations ? Participer au mouvement #OnVautMieuxQueCa ? Ça me paraît tellement inutile que c’en est risible (même si l’intention de départ, bien sûr, est honorable ; un tel mouvement n’aurait de chance de succès que dans un démocratie) ; on s’adresse quand même à des gens qui oppriment la population qu’ils sont sensés protéger, les populations chez qui ils font couler le sang en vendant des armes aux « terroristes » (leurs amis) dont ils nous rebattent les oreilles – ces mêmes gens qu’ils refusent d’accueillir sur un territoire qui ne leur appartient pas. Et il y en a pour penser que leur opposer un # va faire bouger les choses ? Je voudrais pouvoir y croire, mais j’ai bien peur que le monde des Bisounours ne reste à jamais une utopie. Je pense par contre que tous ces pourris doivent bien se marrer en discutant de ça à la cantine Fouquet’s, entre deux parties de golf ; si tant est qu’ils soient même au courant.
Je t’avoue que je n’ai, personnellement, aucune fichue idée de ce que nous pouvons bien faire contre ces gens, notre gouvernement et le monstre union européenne. J’ai clairement la sensation que nous ne pouvons rien. Que la seule solution qu’il nous reste, c’est une insurrection, mais que ce sera seulement un sacrifice, un beau geste, qui ne nous tirera pas d’affaire. Une autre idée ?