« Plus d’autorisation de manifester », vraiment ?

Petit passage éclair, pour rebondir sur un déclaration du Président Hollande.

En conseil des ministres, monsieur a déclaré la chose suivante :

« A un moment où la France accueille l’Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garantis. »

140 caractères étant parfois trop court, je profite d’un bref instant pour vous expliquer en quoi cette déclaration est une énorme bêtise qui, malheureusement, risque de prendre dans l’esprit de bien des gens.

Que dit la loi ?

Le code de la sécurité est très précis sur le sujet. Les articles L211-1 et L211-2 en particulier nous disent la chose suivante :

L211-1
Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.
Toutefois, sont dispensées de cette déclaration les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux.
Les réunions publiques sont régies par les dispositions de l’article 6 de la loi du 30 juin 1881.

L211-2
La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. A Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l’Etat dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d’Etat.
La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté.
L’autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé.

Donc ?

On récapitule : l’Etat ne délivre pas d’autorisations de manifester. Une manifestation se déclare, on ne dépose pas une demande d’autorisation de manifester mais une déclaration de manifestation.

Cette déclaration doit comprendre de nombreux éléments, certes. De la même façon, s’il est question d’occuper l’espace public lors de ladite manifestation, il faut, cette fois-ci, une autorisation.

Donc si vous marchez dans les rues, sur un trajet défini et annoncé dans la déclaration, si vous n’avez pas prévu d’occuper un espace public, il n’y a pas besoin d’autorisation.

Attention cependant, je vous conseille vivement de déclarer votre manifestation, ne pas le faire vous expose à quelques risques, genre payer des gros sous et une potentielle peine de prison… même si les manifestations sauvages, c’est sympa aussi.

L’autorité peut aussi, car c’est la loi, interdire votre manifestation une fois votre déclaration de manifestation déposée auprès des personnes compétentes.

Cependant, dire « il n’y aura plus d’autorisations de manifester » et « cette manifestation est déclarée interdite », ce n’est pas la même chose, clairement pas d’ailleurs. Fichtre.

Dans un premier cas, on fait croire que, par défaut, toutes les manifestations seront interdites « à priori » car on ne donnera plus « d’autorisations » pour manifester, ce qui est impossible. Diantre.

Dans un second cas, on décide de déclarer cette manifestation interdite parce qu’on constate un certain nombre de manquements ou de potentiels troubles à l’ordre public.

Conclusion de ce rapide passage : lisez la loi. Et ne vous laissez pas faire. Bordel.

Edit : un commentaire de Tris, qui gère le Projet Arcadie, rajoute des informations importantes, que voici, si vous n’avez pas l’habitude de lire les commentaires :

Précision utile et pour répondre à une question qui est revenue à plusieurs reprises : quid de l’état d’urgence ?

Ainsi que l’exprime liberté, libertés chéries => http://libertescheries.blogspot.fr/2016/02/etat-durgence-premiere-declaration.html il appartient au juge administratif de veiller à la conciliation entre les libertés fondamentales et la sauvegarde de l’ordre public et procède à une analyse au cas par cas, de façon concrète.

Il n’est donc pas possible de restreindre globalement la liberté de manifester même si des restrictions peuvent être apportées mais elles doivent motivées, limitées dans le temps et dans l’espace.

On arrête la désobéissance civile.

C’est dans une ambiance plus que tendue qui me file la gerbe que je me permets un petit quelque chose sur le blog.

Cette même ambiance qui devient de plus en plus compliquée à supporter, depuis un mois. J’ai préféré couper les informations pour ne pas m’emporter à chaque nouvelle information, mais rien n’y fait.

Jusque là, j’étais partisan de la désobéissance civile, cet acte qui consiste à résister, à se révolter, mais de façon pacifique. Ne pas répondre à la violence par la violence, ne pas utiliser les mêmes méthodes que ceux qui sont combattus, ne pas se mettre à leur niveau, après tout, on vaut mieux que ça.

Mais là, et croyez-moi, ça me désole de le penser, hormis la violence, je ne vois pas ce qui pourrait faire changer les choses.

Est-ce normal qu’on ignore des milliers, puis ensuite des millions de personnes ?

Est-ce normal qu’on balaye d’un revers de la main, d’une pathétique déclaration, des manifestations citoyennes ?

Est-ce normal que des gens qui se regroupent en assemblée soient chassés par les forces de l’ordre, d’une manière de plus en plus violente ?

Est-ce normal que chaque jour depuis quelques temps, nous voyons des abus de pouvoir ça et là, des actes violents, le tout sans qu’il ne se passe rien ?

Est-ce normal que des manifestants pacifistes se prennent des salves de lacrymogènes alors que leur seul acte de résistance était celui de parler ?

Est-ce normal que des CRS se « lâchent » en frappant une femme qui n’a rien demandé en plein torse ?

Est-ce normal que des CRS envoient des grenades de désencerclement à bout portant et à hauteur d’homme, alors que ces grenades sont plus que dangereuses et doivent normalement être utilisées dans des conditions très strictes ?

Est-ce normal que ceux qui se permettent de faire ces choses là n’aient rien à craindre ?

Est-ce normal que notre gouvernement contourne toute l’assemblée nationale, en leur faisant un énorme bras d’honneur avec l’article 49, alinéa 3, de la constitution du 4 Octobre 1958 ?

Est-il normal de lire une telle connerie :

« Nous le faisons car nous avons la conviction que ce projet agit pour l’emploi durable, pour faire entrer sur le marché du travail celles et ceux qui en sont exclus et pour que, notamment, nos petites entreprises puissent embaucher. » – Manuel Valls –

Alors que la quasi totalité des syndicats sont contre, que le peuple français est contre, que des experts reconnus sont contre, que des députés sont contre… enfin, les députés on s’en fiche, ils n’ont plus leur mot à dire avec l’article 49.3 de toutes façons.

Est-ce normal ?

Est-ce normal que des manifestants qui n’étaient pas violents se retrouvent à sortir en foulard, sérum phy dans la poche, de peur se prendre des grenades ?

Est-ce normal ?

Est-ce normal ça ?

Est-ce que tout ceci a une putain de logique ?

Si tout ceci était arrivé dans un autre pays, hors Europe, disons, dans un pays d’Afrique du Nord, le France aurait hurlé au scandale et aurait envoyé des militaires pour « rétablir la démocratie », à grand coup de bottes dans la gueule. Pour la démocratie, hein.

Chaque jour, j’ai l’impression que nous ne pourrons pas connaître pire, que ça va s’apaiser, que le gouvernement va reprendre ses esprits et prendre conscience qu’il est en train de créer un climat plus que malsain et plus que violent. Chaque jour je me rends compte que je me suis trompé, on peut faire pire.

Est-ce qu’il va falloir qu’un manifestant se fasse tuer pour que ça se calme ?

Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard, vu le climat, pour arrêter la machine qui s’emporte ?

Est-ce que le gouvernement à perdu la raison ?

Est-ce normal que certains députés n’aient pas signés une motion de censure du 49.3 car c’était une motion de droite ? J’ai honte, ces pantins sont des cons, je n’ai pas de mot plus gentil que ça. Ils ont préféré ne pas signer parce que c’est « l’autre » qui a déposé la motion de censure, j’ai honte. Honte car ils ne méritent pas ce mandat de député qui, surtout dans cette période critique, devraient oublier un peu le « Gauche / Droite », ne serait-ce que pour rester dignes.

Parler ? Nous ne sommes pas entendus.

Manifester ? Nous ne sommes pas vus.

Les sondages ? Ils disent que nous sommes contre mais le gouvernement s’en moque.

L’Assemblée Nationale ? Tout simplement ignorée.

Que reste-t-il pour se faire entendre ? La violence. C’est triste à dire, mais il ne reste que ça, et c’est parti pour durer puisque nos élus ne nous écoutent même plus.

Dans un autre pays, les journaux auraient parlé d’une crise politique majeure, d’une armée ou d’une police dangereuse, certains journaux à scandale auraient peut-être même parlé d’un climat propice à la dictature, d’un gouvernement qui a perdu la tête, d’actions contre le peuple et la démocratie.

Mais pas en France, « patrie des droits de l’Homme ».

Alors, une fois n’est pas coutume, arrêtez la désobéissance civile et défendez-vous. Embarquez foulards, sérum physiologique, lunettes de piscine contre les lacrymogènes, et défendez-vous.

Les CRS n’en peuvent plus, il n’y aurait pas autant de dérapages sinon. J’ai de la compassion pour eux, mine de rien. Ce sont des humains, comme nous, je n’aimerais pas être à leur place, entre nous et la hiérarchie, elle même pressée par « plus haut » pour briser le mouvement, maintenir la pression, utiliser tout moyen possible pour gérer la crise.

Si des CRS me lisent, posez votre casque et rejoignez les manifestants, vous savez, quelque part, que ce qui arrive n’est pas normal. Et ne m’en veuillez pas si j’ai quand-même envie de vous envoyer un pavé en pleine tête, ce n’est qu’une envie, il y a trop de colère dans ce pays et plus aucun moyen de l’exprimer.

On fait quoi, maintenant ? Doit-on sérieusement devenir de plus en plus durs, quand est-ce que cette radicalisation va cesser ?

On fait quoi, maintenant ?

Cher père noël, je voudrais un état totalitaire

La DLPAJ (Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques) vient de faire sa liste au père noël et autant dire qu’elle est chargée. Très chargée. Et qu’elle présage des jours encore plus sombres si le père noël débarque avec de tels cadeaux.

Un article publié sur Le Monde (édition abonnés) présente une liste de courses d’un document interne du ministère de l’Intérieur que le journal a pu consulter, on y découvre une série de souhaits exprimés par la police et la gendarmerie pour 2016, souhaits qui pourraient se retrouver dans différents projets de loi qui devraient être présentés début 2016.

Voici quelques éléments de cette liste.

Interdiction de TOR… sur le papier.

Paf ! Terminé TOR ! La DLPAJ souhaite interdire l’utilisation de ce réseau d’anonymisation, au motif, sans doute, qu’il permet aux terroristes d’être très difficilement traçables lorsqu’ils utilisent ce réseau.

A ce titre-là, autant interdire les voitures également, puisqu’elles permettent aux terroristes de s’enfuir. Puis autant interdire les téléphones portables également, puisque nous savons qu’au moins un terroriste des attentats de Paris a envoyé un SMS non chiffré, depuis un smartphone jetable.

Si le réseau TOR permet effectivement à des terroristes de se planquer, il permet aussi à des journalistes de travailler, il permet de protéger certaines sources aux informations particulièrement sensibles, il permet à des activistes de pouvoir en aider d’autres. TOR n’est, en soi, ni bien ni mal, comme Internet. TOR est un réseau, un outil, par définition il est neutre. L’attaquer ou l’interdire ne supprime pas le mal, il le déporte ailleurs, sur d’autres réseaux encore plus profonds, plus masqués.

Si la DLPAJ pense qu’interdire TOR va compliquer la préparation d’actes terroristes, ils se trompent. Comme lorsqu’on souhaite interdire TOR pour lutter contre la pédophilie, les efforts sont louables mais ne visent pas la bonne cible.

D’un point de vue plus « technique », interdire complètement TOR relève de l’impossible, il y aura toujours quelqu’un pour contourner le blocage, les mesures instaurées, la France devrait s’inspirer de la panoplie d’outils de contournement disponible en Chine pour comprendre en quoi cette mesure est absurde.

Plus de Wi-Fi public

Alors, oui, on dit Wi-Fi et pas Wifi, pour commencer. La DLPAJ souhaite interdire ces réseaux publics pendant toute la durée de l’état d’urgence… partant du principe que certains souhaitent rendre cet état permanent, ça promet…

Résumons-donc : pour lutter contre des gens qui savent parfaitement s’adapter à de très nombreuses situations, qui savent protéger leurs communications, qui sont entrainés pour passer sous les radars, cette mesure sera, autant le dire, sans doute inefficace.

Cette mesure va profondément déranger de nombreuses personnes qui ne disposent pas d’un accès Internet fixe et qui se servent de ces points d’accès publics pour rester connectés, ça c’est certain. Mais rien n’est moins sûr quant au fait que ladite mesure soit d’une efficacité quelconque contre le terrorisme.

Fournir les clefs de chiffrement

La DLPAJ souhaite également obtenir les clefs de chiffrement des services et applications de VoIP (Voice over Internet Protocol, la voix sur Internet si vous préférez).

Il est assez étrange de croiser une telle demande ici, lorsqu’on sait que la loi relative au renseignement le permet déjà. Ladite loi impose aux fournisseurs d’outils de chiffrement de remettre les clefs de chiffrement dans un délai de 72 heures.

Autre point, peut-être évident pour moi mais pas pour la DLPAJ : l’utilisation de solutions « perso ». J’ai les compétences de monter un serveur de VoIP et d’y connecter des personnes où qu’elles soient sur la planète. Si j’ai cette capacité, d’autres l’ont et il serait absurde de croire que des terroristes ne l’ont pas.

Je me souviens avoir été surpris la première fois que j’ai traqué des pédophiles, parce qu’ils utilisaient les mêmes outils de chiffrement que moi, qu’ils disposaient de FAQ et de notices extrêmement claires et précises, parfois plus que les nôtres, parce qu’en résumé, ils maîtrisaient des outils de protection et d’anonymisation depuis déjà très longtemps, bien avant nous, petits libristes naïfs que nous sommes.

Pourquoi cela serait différent avec des terroristes ?

Prendre ces dispositions ne va rien arranger et ne va clairement pas déranger les personnes que l’Etat traque. Ces derniers doivent d’ailleurs bien se marrer en lisant tout ça.

En revanche…

Prendre de telles dispositions nous fait un peu plus avancer vers un état numérique totalitaire. Si je comprends parfaitement ce qui pousse les forces de l’ordre à demander de telles mesures, je doute sincèrement de leur utilité et de leur efficacité.

En revanche, je ne doute pas des abus qui arriveront avec tout ceci, des abus qui arrivent déjà, d’ailleurs, depuis la mise en place de l’Etat d’urgence, des personnes interpelées pour des motifs étranges, des perquisitions douteuses dans des milieux activistes ou hacktivistes, des justifications plus que douteuses qui seront fournies par les forces de l’ordre ou par l’Intérieur.

J’en viens même à me demander si je ne vais pas finir par avoir des soucis avec les outils que j’utilise, avec les propos que je tiens, avec les écrits de ce blog qui contient quelques liens vers des outils de chiffrement. J’en viens à me demander si je vais pouvoir continuer à écrire ainsi et à m’opposer à toutes ces mesures prises…

Bref, continuons d’écrire et de lutter pour le Juste, tant que nous pouvons le faire.

[PERSO] Pourquoi Internet est fondamental pour chaque être humain ?

En cette période sombre de notre histoire, je vous propose un point de vue un peu différent, sur lequel je vous invite à réfléchir, que vous soyez citoyen, militant, élu du peuple, élite de la nation.

Les attentats du vendredi 13 novembre sont les plus meurtriers de notre histoire depuis la seconde guerre, ils laisseront une trace indélébile dans nos esprits, nos consciences et sans doute dans nos modes de vie, bien que tout le monde ait décidé de « résister » en allant picoler. Je ne vous jette pas la pierre, même moi j’ai besoin de prendre une cuite pour oublier la vie en ce moment.

Mais dans cet océan de ténèbres, j’ai cru déceler quelque chose de positif : vous, Internet.

Internet, que je vais donc considérer comme une entité vivante par la suite, était informé avant les médias officiels de ce qu’il se passait, il était parfois très précis dans les évènements en cours et c’était un outil qu’il fallait avoir pour être connecté à l’information, enfermé au fond d’une cave de cinéma, coupé du reste du monde.

Bien évidemment, de nombreuses informations étaient fausses ou partiellement inexactes, il a créé une psychose générale pour de nombreuses personnes, soyons honnêtes, Internet ce n’est pas « Bisounours-land »… mais parfois ça y ressemble.

Grâce à lui, des personnes dans Paris ont eu le bon réflexe et se sont abritées à l’intérieur. Est-ce qu’il leur serait arrivé quelque chose sans ? Probablement pas, mais « il vaut mieux prévenir que guérir » me semble être une expression parfaitement adaptée dans les circonstances actuelles.

Grâce à lui donc, des personnes ont pu se protéger, informer sur le danger imminent, prendre des nouvelles d’autres personnes pendant les attentats, renseigner les journalistes, ces personnes ont pu rassurer, partager leur peine, leur force, leur courage ou leur incompréhension.

Grâce à lui, des personnes ont pu ouvrir leurs portes à d’autres pour qu’elles se mettent en sécurité, faire des rencontres, se soutenir les uns les autres.

Grâce à lui, des personnes ont pu faire circuler des avis de recherche, retrouver des personnes perdues dans le chaos des attentats, s’organiser pour offrir des fleurs à une dame âgée pleine d’amour et de sagesse.

Grâce à lui, j’ai repris confiance dans le peuple français, capable, parfois, du meilleur. Bien entendu, Internet n’est pas seul responsable de cette solidarité, nous sommes concernés, nous nous sentons touchés, nous nous unissons dans la douleur pour la combattre, relever la tête et montrer que non, la terreur ne gagnera pas.

Mais est-ce que cela serait aussi puissant, si intense, sans Internet ? Sans ces milliers de personnes sur les réseaux sociaux en train de relever la tête et de nous donner de l’espoir ? Sans ces centaines d’articles pour essayer de comprendre l’horreur ? Sans ce réconfort absolument gratuit, envoyé par des gens que nous ne connaissons pas mais qui, parce qu’ils sont simplement humains, s’unissent à nous pour que la peine soit moins lourde à porter ?

Alors oui, Internet est un bien que je considère comme fondamental. Oui, je suis sans doute naïf, mais je crois que nous avons tous besoin d’un peu de naïveté et d’innocence en ce moment.

Royaume-Uni : le rapporteur spécial des Nations unies sur la vie privée s’inquiète

« Pire qu’effrayant ». Tels sont les mots prononcés par Joseph Cannataci, le rapporteur spécial des Nations unies sur la vie privée, lors d’une keynote au forum de la gouvernance d’Internet, au Brésil.

Ces propos visent la nouvelle proposition de loi sur la surveillance britannique, l’Investigatory Powers Bill, qu’il attaque de plein fouet en expliquant d’entrée qu’il n’a jamais été démontré que la surveillance de masse fonctionnait.

Il accuse également le premier ministre britannique, David Cameron, de fausser le débat afin de faire passer le projet de loi, en menant une campagne de communication « offensive, absolue et orchestrée ».

Autant être clair tout de suite, il a bien raison d’avoir peur, tant l’IPB représente une menace plus que concrète pour la protection des données personnelles des citoyens britanniques. Plus poussée que ce qu’il est possible de faire avec la loi sur le renseignement française, plus poussée que ce qu’était déjà capable de faire le GCHQ…

Cannataci s’était déjà exprimé sur les lois de surveillance britannique, n’hésitant pas à les qualifier de « surveillance similaire à celle décrite dans 1984, de George Orwell ».

Il critique sèchement les propos tenus au sein du parlement britannique, propos qui se voulaient rassurants et déclaraient que « les gens ne devraient pas s’inquiéter de cette loi ».

Personnellement, une loi qui va forcer les opérateurs à retenir tout ce qu’ils peuvent retenir sur vous, y compris votre historique de navigation, pendant 12 mois, je ne trouve pas cela spécialement rassurant.

Pour rappel ou présentation, cet IPB va permettre aux forces de l’ordre et aux agences du renseignement d’accéder aux métadonnées – le qui, quoi, quand, comment et où d’un contenu, sans s’intéresser au contenu en lui-même – des sites internets visités par des potentiels criminels, sans aucune forme de contrôle dessus.

Des potentiels criminels, pas des criminels, c’est « potentiels » qui est important : surveiller des individus au motif qu’ils sont de potentiels criminels est dangereux, c’est une bascule vers un futur à la Minority Report assez effrayant.

Le rapporteur des Nations Unies estime quant à lui que les métadonnées sont importantes et que la capacité d’interception des communications n’a plus rien en commun avec celle datant de l’époque des premières lois qui permettaient lesdites interceptions.

La ligne de défense ne bouge pas d’un poil, de l’autre côté : « les autorités n’auront accès qu’au cas par cas à ces données. Seulement lorsque cela sera nécessaire. Et de façon proportionnée. »

Le gouvernement britannique va jusqu’à déclarer « qu’il n’y a absolument rien de nouveau introduit par cette loi ».

C’est évidemment faux, du moins officiellement faux, rien ne garantissant que les services du renseignement ne s’adonnaient pas déjà à cette collecte massive de données. Après cette loi, cela sera juste complètement légal. D’ailleurs, Cannataci le sous-entend plus ou moins explicitement.

[quote]« Je ne vais pas mâcher mes mots mais actuellement, de nombreux gouvernements font passer de nouvelles lois pour légitimer ce qu’ils faisaient déjà ou faire passer ce qu’ils ont à faire. »[/quote]

Plus que jamais, il devient nécessaire de comprendre que la surveillance de masse n’est d’aucune utilité, qu’elle n’a jamais fait ses preuves, qu’elle est couteuse et surtout, qu’elle fait peser de lourdes menaces sur la vie privée de bien trop de citoyens.

Il est nécessaire d’avoir une surveillance très ciblée et proportionnée, plutôt que de partir « à la pêche au gros » pour trouver un poisson dans un océan, quitte à en attraper des centaines d’autres innocents.

Si l’arrivée des déclarations Snowden a réveillé, çà et là, quelques consciences, cela a surtout réveillé nos gouvernements, qui font passer dans la douleur tout ce dont ils ont besoin pour continuer à nous espionner.

Et nous, nous les regardons sans agir et sans prendre enfin conscience de la gravité de la situation, pour nous et pour les générations futures qui n’auront qu’une vague idée de ce qu’est la liberté.