#PJLRenseignement : 4.74 degrés

Non, ce n’est pas le taux d’alcoolémie des créateurs du projet de loi sur le renseignement, même si on peut se poser la question.

4.74, c’est le « degré de séparation » entre vous et n’importe quel individu qui utilise Internet.

Si vous préférez : vous connaissez quelqu’un, qui connait quelqu’un, qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un.

Cette théorie date de 1929 et s’appelait à l’époque la théorie des six poignées de main.

4.74, c’est en prenant Internet et les réseaux sociaux en compte, Internet ayant le pouvoir de rapprocher des gens sans qu’eux-mêmes le sachent.

Si cette théorie vous semble folle, elle est pourtant bien réelle, Facebook ou LinkedIn en sont de parfaits exemples.

Le projet de loi sur le renseignement indique que des écoutes – au sens large, il ne s’agit pas uniquement d’écoutes téléphoniques – pourront concerner les personnes « susceptibles de jouer un rôle d’intermédiaire, volontaire ou non, pour le compte de cette dernière ou de fournir des informations au titre de la finalité faisant l’objet de l’autorisation. »

Vous êtes médecin et un de vos patients est une cible ? Vous entrez, aux yeux du projet de loi, dans ce rôle d’intermédiaire.

Chauffeur de taxi ? Vous aussi, un de vos passagers est peut-être une cible.

Vous connaissez quelqu’un qui est médecin et qui a un patient ciblé par le renseignement français ? Vous entrez, aux yeux du projet de loi, dans ce rôle d’intermédiaire.

Vous connaissez quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un qui est médecin et un des patients est ciblé par le renseignement français ? Vous entrez, aux yeux de la loi, dans ce rôle d’intermédiaire.

Le projet de loi sur le renseignement ainsi que ses défenseurs s’évertuent à déclarer que seuls les « méchants », les « bad guys » pour reprendre une expression d’un membre du cabinet de Manuel Valls, seront traqués…

… et les personnes pouvant jouer le rôle d’« intermédiaire, volontaire ou non », puisque le projet de loi le stipule.

Selon-vous, qu’est-ce qui arrive lorsqu’on mêle la théorie des 4.74 degrés de séparation au projet de loi sur le renseignement ?

La réponse, qui n’engage que moi, est relativement simple : un risque de surveillance massive, surveillance opérée par des algorithmes et rapidement contrôlée par des humains en nombre insuffisants.

Lettre ouverte à vous, mes représentants.

Chers représentants, représentantes, députés,

D’ici quelques jours, vous serez amenés à vous prononcer sur le projet de loi sur le renseignement et je souhaite, avant l’ouverture des débats, que vous preniez la mesure de ce que vous allez voter.

Pour commencer, j’ai conscience de n’être qu’un « simple citoyen », de ne pas disposer de la science infuse, d’être peut-être « à côté de la plaque ».

Eux en revanche, ils ne le sont pas :

  1. Amnesty International
  2. La Quadrature du Net
  3. Alain Marsaud, ancien juge du terrorisme
  4. Le Conseil National du Numérique
  5. La CGT Police
  6. Reporters Sans Frontières
  7. Le Syndicat de la Magistrature, qui estime que ce projet de loi « « installe un dispositif pérenne de contrôle occulte des citoyens dont il confie au pouvoir exécutif un usage quasi illimité. Il est à ce titre inacceptable. Seul un véritable contrôle a priori de techniques de renseignement proportionnées et visant un objectif strictement défini relevant de la sécurité nationale, restera respectueux des droits fondamentaux. »
  8. Marc Trevidic, l’actuel juge antiterrorisme
  9. Le président de la CNCIS lui-même
  10. La CNCDH (Commission consultative en charge des droits de l’Homme)
  11. La Ligue des Droits de l’Homme
  12. L’Union des Syndicats de la Magistrature
  13. La Fédération Syntec
  14. Le commissaire des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe
  15. La CNIL
  16. Human Rights Watch

Que faites-vous de ces avis ? Considérez-vous ces gens comme des « paranos » ?

Pour continuer, je ne suis ni votre ennemi ni celui de la protection de la nation, de ses intérêts, du peuple, de ses enjeux et j’en passe. S’il vous plaît, ne tombez pas dans la logique binaire actuelle : ce n’est pas parce que je m’oppose au projet de loi du renseignement que je suis pour le terrorisme, ce sont deux choses différentes, la vie n’est pas blanche ou noire. Vous le savez j’imagine…

Vous êtes des représentants de la nation et, à ce titre, vous avez choisi de représenter le peuple français, quelles que soient vos convictions, vos couleurs et votre appartenance politique, je ne vous demande qu’une chose : représenter le peuple français. J’ai aussi conscience qu’ici, je ne m’exprime qu’en mon nom, rassurez-vous, j’ai les pieds sur terre.

Nous sommes tous d’accord : ce qui s’est passé au mois de janvier est horrible, immonde, inhumain… faut-il pour autant céder à la dérive sécuritaire actuelle ?

Mesdames et messieurs les députés, notre pays repose sur deux piliers : la séparation des pouvoirs et une devise, inscrite partout : Liberté, Egalité, Fraternité.

Le projet de loi sur le renseignement est diamétralement opposé à cette liberté, c’est une menace pour nos libertés individuelles. Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi sur le renseignement est une boite de Pandore que je vous invite à ne pas activer, à ne surtout pas ouvrir.

Ce projet de loi s’oppose à la séparation des pouvoirs, véritable socle de nos démocraties occidentales. Cette séparation des pouvoirs, vous savez, cette chose théorisée par Montesquieu, ce qui est devenu par la suite le socle absolu de notre démocratie. Montesquieu a simplement déclaré qu’il n’était pas possible de laisser tous les pouvoirs entre les mêmes mains.

En choisissant de se passer totalement de l’autorité judiciaire, le projet de loi sur le renseignement détruit le fragile équilibre entre ces pouvoirs. Vous pourrez rétorquer qu’un juge est prévu, mais c’est un juge administratif et non un juge judiciaire, seul garant des libertés individuelles.

Mesdames et messieurs les députés, généraliser le recours administratif, c’est tuer les fondements de notre démocratie. De la même manière, l’instauration de « boites noires », vous le savez, vous l’avez forcément lu, vu, entendu quelque part, c’est se doter d’un système de surveillance généralisée, ce qui va à l’encontre de la démocratie et, d’un point de vue légal, des dispositions européennes.

Vous déclarerez ne pas vouloir l’utiliser ainsi. Vous déclarerez vouloir nous protéger, comme la NSA l’a fait aux Etats-Unis d’Amérique.

Je pense que vous connaissez la suite…

Mesdames et messieurs les députés, je pense que, quoi que je dise dans cette lettre, cela ne changera pas votre décision.

Souvenez-vous seulement que, lorsque vous voterez ce texte, ce sera en votre âme et conscience.

Malgré l’avis des ONG.

Malgré les nombreux avis d’experts.

Malgré les avis de deux juges de l’antiterrorisme.

Malgré l’avis de la CNCIS.

Malgré l’avis de la Ligue des Droits de l’Homme

Malgré les avis de nombreux citoyens.

Malgré l’avis de tant d’autres….

Mesdames et messieurs les députés, n’ouvrez pas cette boite de Pandore.

Il y a pire que la censure. #PJLRenseigment

Le projet de loi sur le renseignement sera examiné dans le courant du mois d’avril. Jusque à cette date, il ne sera que générateur de questions et d’inquiétudes, parfaitement soulignées par de nombreux acteurs.

Pour rappel, voici une liste à jour des personnes, ONG ou associations et autres qui se posent des questions sur le projet de loi.

Ce matin, une conférence commune à nombre de ces entités avait lieu dans les locaux de la Quadrature du Net et ces dernières se sont inquiéteés, sans doute à juste titre, de la très dangereuse orientation que prend le gouvernement : la surveillance massive et la capacité que s’octroie l’Etat à pouvoir surveiller quasiment n’importe qui.

Si le projet de loi est nécessaire afin de permettre aux agences de renseignement d’être plus rapides et efficaces pour lutter contre « le mal » – expression volontairement mise en avant pour caricaturer la vision très binaire de l’Etat sur le sujet – qui ronge notre pays, il n’en reste pas moins qu’il ne prend pas en compte les effets de bord de tout ceci, les « dommages collatéraux » comme on dit.

Il s’avère qu’un de ces effets de bord, non pris en compte par notre gouvernement, est bien pire que les risques de détournement de la loi et de censure qui vienent menacer nos libertés individuelles. La France glisse vers quelque chose de bien pire que la simple censure.

La censure est subie, elle n’est pas le fait de notre volonté, mais de celle des censeurs.

La censure est une limitation arbitraire, par un gouvernement, de notre capacité à nous exprimer.

En l’état, notre gouvernement va aller au-delà de la simple censure : en instaurant un régime de « sur-surveillance », en étant en capacité de faire de l’interception massive de l’ensemble des données des citoyens – même s’il ne le fait pas, il sera en capacité de le faire – et en prenant le parti parfaitement volontaire de se passer du pouvoir judiciaire, nous basculerons irrémédiablement dans un régime qui favorisera l’autocensure.

Le gouvernement fait le choix de se passer du pouvoir judiciaire. Ce n’est pas une erreur ou un oubli, c’est un acte conscient, longuement réfléchi, le projet de loi sur le renseignement ne s’est pas écrit en trois heures sur un coin de table.

Ce choix vient déséquilibrer la balance entre les trois pouvoirs, comme j’en ai déjà parlé récemment lorsque j’ai commencé à m’interroger sur les bases d’une dictature, que j’ai l’impression de voir arriver.

Le gouvernement va favoriser l’autocensure…

et c’est bien pire que la censure, cette dernière fonctionnant à postériori.

L’autocensure vient de nous, elle représente une manifestation du changement de comportement, face à un régime déséquilibré, totalitaire.

Elle est plus dangereuse car elle est invisible et majoritairement inconsciente.

Saviez-vous, par exemple, que plus il y a de caméras de surveillance qui vous suivent, plus votre comportement change ?

La surveillance modifie notre capacité d’autorégulation : lorsque quelqu’un vous observe – un agent de police par exemple – vous le savez, vous le voyez.

La vidéosurveillance entraine l’autocensure parce qu’elle crée l’incertitude : la caméra est là mais on ne sait pas si l’on est observé ou non, on ne peut que supposer qu’on l’est et inconsciemment, notre comportement s’en trouve modifié.

La vidéosurveillance est « là sans être là »

Nous ne la remarquons pas toujours, on oublie qu’elle est là car elle n’est pas en face de nous et, de plus en plus, elles est invisible car « intégrée de la meilleure manière à l’espace urbain », comprenez par-là qu’il faut rendre les caméras invisibles pour donner l’illusion qu’elles ne sont pas là, libre à vous de croire que c’est pour votre bien ou pour pouvoir vous surveiller sans en être conscient, cela dépend de la sensibilité de chacun.

Avec le projet de loi sur le renseignement, ce risque d’autocensure grandit un peu plus : tout système de surveillance massif, tout système qui est en capacité de capter vos données numérique, entraine le doute.

Vous pouvez supposer que par défaut, vous n’êtes pas sous surveillance, mais vous ne pouvez pas réellement le confirmer. Vous ne pouvez que supposer que vous ne l’êtes pas. Ou que vous l’êtes. Comme le système de vidéo surveillance, ce dispositif est invisible, nous l’oublions donc assez rapidement mais inconsciemment, nous savons qu’il est là.

Ce point est renforcé par l’absence du pouvoir judiciaire : je n’ai pas la possibilité de saisir le garant de mes libertés individuelles si j’ai un doute, je ne peux que saisir une autorité administrative – la CNCTR, qui ressemble plus à un justificatif – reliée au pouvoir exécutif. Mon potentiel surveillant est aussi mon potentiel protecteur, situation très ambiguë vous en conviendrez.

L’autocensure a de pis qu’elle s’inscrit dans le très long terme. Nous sommes conscients de cette autocensure mais vivons dedans donc l’oublions un peu, la génération d’après encore plus car ils ne sont pas nés dedans, c’est donc naturel pour eux et ce qui est naturel ne représente pas de danger. Il suffit de voir les réactions des générations les plus récentes, qui ne voient pas, pour beaucoup, de problèmes dans la vidéo surveillance.

Je m’interroge à nouveau… est-ce que le gouvernement a réalisé une étude – sérieuse, cela va sans dire – sur l’impact de la surveillance sur les comportements de la population ?

Je ne suis pas le seul à m’interroger, la Quadrature du Net, tout comme Amnesty, se posaient la même question ce matin, lors de la « conférence commune ».

Avec …

  • les experts et associations dont la Ligue des Droits de l’Homme qui parlent de surveillance généralisée,
  • les similitudes inquiétantes entre le projet de loi sur le renseignement et la loi FISA, au cœur des scandales liés à la NSA, qui a par ailleurs très largement outrepassé ses droits.
  • Reporter Sans Frontières qui s’inquiète des débordements des services de renseignement,
  • le Syndicat de la Magistrature, qui maîtrise bien mieux un texte de loi que moi et qui s’inquiète quand-même du texte
  • Un gouvernement qui ne sait pas ce que va devenir ce projet de loi sur le plan pratique
  • Des parlementaires qui reconnaissent ne pas maîtriser les aspects techniques de la loi sur le renseignement,
  • l’absence d’étude et de statistiques sérieuses sur l’intérêt de la surveillance,
  • l’absence de garde-fous pour relever les dérives des agences de renseignement,
  • le fait que le juge soit exclu du projet de loi, de manière volontaire,
  • le fait que nous soyons plus ou moins tous suspects, donc pas innocents par défaut,
  • le fait que protéger sa vie privée pourra être interprété comme un acte suspect,

je vous avoue que je suis perplexe pour la suite des évènements, il faudra être très présent lors de l’ouverture des débats et faire très attention à tout ce qui va se passer, se dire et être pris en compte.

Sans quoi, nous arriverons à cette autocensure qui m’inquiète tant.

Les bases d’une dictature ?

Avec l’arrivée de la loi sur le renseignement qui, ne vous y trompez pas, passera à l’assemblée nationale et au sénat, je m’interroge…

L’arrivée de ces futurs outils – présentés par beaucoup comme disproportionnés – ne constitue-t-elle pas l’instauration des premières fondations d’une dictature ?

J’ai conscience de la portée de ce mot et souhaite, avant de commencer, clarifier certains points :

  • Non, nous ne sommes pas en Iran ou en Chine, où il faut vous annoncer à la police locale lorsque vous arrivez dans un nouveau quartier, sous peine d’avoir des ennuis.
  • Non, nous ne sommes pas à nouveau en Chine, où votre professeur d’histoire, à la fin d’un cours, vient vous dire « fais attention à ce que tu fais sur Internet et à où tu vas, comme par hasard le lendemain d’une visite sur un site que le gouvernement chinois n’apprécie pas.
  • Non, nous ne sommes pas dans un pays qui emploie deux millions de personnes pour censurer Internet (chiffre de 2013, communiqué du gouvernement chinois).
  • Si 5000 personnes visitent mon blog, qui est manifestement un blog opposé à l’Etat, je n’irai pas en prison, en Chine, je peux.
  • Non, je ne vis pas dans la peur de dire quelque chose à la mauvaise personne, qui travaille pour un des géants de la censure chinoise, je peux parler librement, sans trop de craintes.

On se calme tout de suite, je mesure mes propos, mesurez les vôtres. Ne comparez pas ce qui n’est pas comparable, dire que nous sommes pire qu’en Chine, ou même juste en Chine, c’est une insulte envers les activistes et autres qui risquent leur vie, chaque jour, pour dénoncer la censure de leur pays.

Cependant, comme expliqué, je m’interroge… n’y a-t-il pas un risque qu’un jour, nous soyons dans ce système ? Est-ce moi qui m’inquiète pour rien ou alors assistons-nous à la lente mise en place de tout ce qu’il faut pour instaurer une dictature ?

Côté politique : qu’est-ce qui différencie une république démocratique d’une dictature ?

La suite du billet est inspirée de « Qu’est-ce que la démocratie ? », article rédigé par « Rubin », un juriste, sur un blog de l’Express.

Revenons-en à la question : qu’est-ce qui différencie une république d’un régime totalitaire ou d’une dictature ?

Les élections ?

Non. L’Iran vote pour son président et pourtant, je doute que l’Iran soit une démocratie.

Les partis opposés au gouvernement ?

Non, en Chine par exemple, il existe des partis opposés au gouvernement. Beaucoup même, certes ils sont observés de très près, certes ils sont minuscules et ont des problèmes s’ils commencent à faire trop de bruit, mais ils existent.

La liberté de s’exprimer ?

Non. Des quotidiens chinois se montrent parfois très critiques avec leur gouvernement. Ils sont retirés des kiosques un temps, mais ils existent encore et reviennent après.

Le droit ?

Non. Une dictature ou un régime totalitaire ne signifie pas une absence totale de droit, même en Corée du Nord ils ont des droits et je défie quiconque de dire que la Corée du Nord est une démocratie.

Dans les faits, ce qui différencie une démocratie d’une dictature ou d’un état totalitaire, ce n’est qu’une seule chose : la séparation des pouvoirs et l’application du droit d’une manière très factuelle et très froide, les deux allant généralement ensemble.

Malheureusement…

Malheureusement, j’ai l’impression que cette séparation des pouvoirs est en train de s’effondrer, lentement certes, mais surement.

Prenons par exemple le recours de plus en plus important à l’autorité administrative…

« L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle« , comme le disait la constitution, dans son article 66 il me semble…

Les récentes lois ont introduit l’autorité administrative bien plus loin que là où elle était avant, la faisant rentrer dans ce qui peut s’apparenter à, justement, des libertés individuelles. Mais, au gouvernement, personne ne semble s’en soucier, puisque dans le prochain projet de loi sur le renseignement, il sera encore question de l’autorité administrative, comme il en était question dans la loi sur le terrorisme, dont les premiers effets commencent à peine à se faire sentir.

Si, dans les faits, nous nous rappelons que la justice n’est pas forcément synonyme de garantie des libertés, l’impossibilité d’en appeler à un juge en cas de besoin constitue une grave menace pour nos liberté individuelles.

Et les membres de notre gouvernement, nos députés, nos représentants, loin d’être des ignares, le savent parfaitement. C’est peut-être ça, qui m’inquiète le plus.

Est-ce que, malgré toutes ses bonnes intentions, l’État peut-il se dispenser de la justice ainsi ?

Ne vous y méprenez pas, notre gouvernement n’est pas secrètement en train de comploter pour tous nous asservir ou pour dominer le monde, non, ils pensent sérieusement que ce qu’ils font, c’est la bonne solution, ou au moins « la moins pire », parce que « merde le terrorisme quoi, il faut faire quelque chose ».

Si bien que même au niveau des représentants de l’État, le débat tombe bas, bien bas même.

Je ne doute pas un instant de la bonne volonté de Patrick Trannoy, conseiller régional du limousin, mais en arriver aussi rapidement à ce non argument est assez significatif de l’opposition entre citoyen et élu, ça ne sert rien, ni personne.

M. Trannoy, si vous lisez ce billet et que vous souhaitez échanger, je suis ouvert au débat mais pas sur Twitter, il n’est pas possible débattre en 140 caractères.

La séparation des pouvoirs. Derrière ces quelques mots, c’est toute la démocratie, c’est toute la république, dont il est question, ne vous y trompez pas.

Avec la prochaine loi sur le renseignement qui, je vous parie une bière (et j’espère vraiment me tromper), passera, cette séparation deviendra encore plus floue qu’actuellement : l’Etat sera en capacité de pouvoir tout savoir, tout voir, tout entendre de sa population.

« en capacité » ne signifie pas pour autant qu’il le fera, ni même qu’il compte le faire, mais simplement qu’il dispose des capacités techniques pour le faire. Cela représente une très lourde menace pour la protection de la vie privée de chaque citoyen.

Et le droit à la vie privée, c’est une liberté individuelle, c’est donc au pouvoir judiciaire de décider de nous priver de cette liberté, pas au pouvoir exécutif, indirectement représenté par l’autorité administrative et rien ne justifie ce recours de plus en plus fréquent à cette autorité.

Le projet de loi sur le renseignement va confier à un seul pouvoir les missions de contrôle et d’application des règles dudit projet. Dans des mains différentes, mais toutes deux liées au pouvoir exécutif, comment ne pas considérer cela comme une vaste blague ?

Comment garantir l’application des bonnes règles lorsque celui qui la contrôle et l’applique sont la même personne ? Ce n’est pas possible.

J’étais déjà inquiet il y a quelques mois, lorsque j’expliquais que le principe de séparation des pouvoirs n’était plus franchement respecté. Je le redis encore ici, aujourd’hui : je suis de plus en plus inquiet et ce projet de loi sur le renseignement n’arrange rien, puisque, comme je le disais, il remet en question le principe de séparation des pouvoirs en excluant le pouvoir judiciaire, au profit de l’autorité administrative, née de l’exécutif.

Mais… rassurez-vous mes amis, l’État fait tout ceci pour votre bien, je l’ai senti dans le dossier de presse de la loi sur le renseignement, ils sont presque en train de nous écrire « regardez, nous sommes gentils, nous voulons juste bien faire les choses »

« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Ce gouvernement, cet État, ne vous veut pas de mal.

Mais le prochain ?

Qu’arrivera-t-il si, un jour, c’est un parti avec des idées très extrêmes ou un dictateur qui prend le pouvoir ? Est-ce qu’il sera aussi gentil et sage que l’est notre gouvernement actuel ?

D’ailleurs, l’est-il vraiment ? Je m’interroge à nouveau. Les faits ont tendance à nous montrer que nos gouvernements abusent de leurs pouvoirs…

Comment ne pas penser aux différents scandales liés à la NSA, du côté des États-Unis d’Amérique ? Comment ne pas faire de rapprochements entre les deux situations ? Le juge pourrait peut-être me rassurer, s’il était ne serait-ce qu’inclus dans ces procédures, mais il ne l’est pas.

Je m’interroge donc réellement… ne sommes-nous pas en train de poser les premières pierres des outils d’une bonne dictature et, peut-être, d’en prendre le chemin avec cette séparation des pouvoirs qui s’effrite ?

 

[Nouvelle] 2084, une vie normale, #PJLRenseignement.

Jeudi 23 Mars 2084,

Cher journal,

Aujourd’hui, j’ai passé une bonne journée. Comme les autres mais un peu plus libre : j’ai enfin trouvé un coin, loin de la ville, pour être tranquille.

Il faut dire que la vie n’est pas forcément simple depuis l’arrivée de Martin Le Guen, notre nouveau président, lors des élections de 2060. Le pire c’est qu’il a été élu « démocratiquement », comme ils disent… enfin depuis, il y a eu un coup d’Etat, tout ça… et il est là pour encore très longtemps…

Moi, je ne voulais pas voter pour lui mais, mon ami, faut bien avouer que la déception était tellement grande à l’époque… nous étions tous perdus, certains plus que d’autres. Ils pensaient que ça allait changer des choses, que ça allait bien avancer, enfin…

On a effectivement avancé, mais pas forcément dans le bon sens.

Toi, mon journal, mon ami, mon seul confident, la seule chose où je peux encore écrire sans que quelqu’un vienne me lire, si seulement tu savais…

Mon père m’en parlait la dernière fois… au début, il y avait un réseau Internet « normal », comme y dit : neutre, pas trop censuré et tout… Bon j’avoue, ça semble fou, mais quand il m’en parle, il a vraiment l’air de penser que c’est vrai.

Ça semblait sympa, il parlait de « blogs », c’est abstrait pour moi mais je crois que c’est un truc ou des citoyens pouvaient parler, quelque chose comme ça.

J’ai jamais su s’il me racontait des bêtises ou si c’était vrai, mais quand il m’en parle, j’ai des étoiles dans les yeux tellement ça semble beau.

Enfin, quand il m’en parlait, en fait.

Mon père m’avait prévenu, il utilisait un nom de code pour m’en parler : la Volte. Je sais que ça vient d’un livre mais la dernière fois que j’ai fait des recherches dessus, la police était là une heure plus tard.

C’est flou, mais à son époque, ils ont voté un truc sur le renseignement, je crois que tout est parti de là. Ils voulaient lutter contre le terrorisme et tout, mon père me disait qu’ils étaient plein de bonnes intentions mais que ce qu’ils allaient faire c’était dangereux.

Il disait que ce truc-là allait créer un outil qui, entre de mauvaises mains, pouvait être dangereux. Que l’orientation du gouvernement de l’époque était très stricte et se tournait vers la sécurité sans se soucier du reste.

Déjà à l’époque, comme il disait « c’était pas glorieux, on était un peu comme en Chine, mais en France ».

Mais avec l’arrivée de Le Guen, tout a changé. Il a fait avancer ce truc de surveillance pour l’étendre encore plus, et maintenant, chaque acte, parole, qu’elle soit privée ou publique, est captée.

C’est pour ça que mon père n’est plus là. C’est pour ça que tu es mon ami, mon seul ami… caché, en sécurité.

Tu sais, ça m’arrive de rêver que nous visons dans un pays libre, un pays où je peux dire ce que je veux, aller voir qui je veux, manger ce que je veux ou regarder ce dont j’ai envie sans craindre qu’on vienne frapper à ma porte..

Je dois te laisser, mon cher ami, on frappe à la porte, je pense que c’est pour l’accès à Wikipedia, hier.

Quelques observations sur La CNCTR…

Attention : je ne suis pas expert du droit, ce qui suit est potentielle une lecture erronée du projet de loi sur le renseignement.

Je remercie par avance les juristes qui passeront sur ce billet de corriger, si besoin est.

Le projet de loi sur le renseignement tuera la CNCIS pour créer la CNCTR, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Qu’est-ce que ça sera ?

La CNCTR sera composée de 9 membres :

  1. Deux députés et deux sénateurs
  2. Deux membres ou anciens membres du Conseil d’Etat
  3. Deux magistrats ou anciens magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, nommés sur proposition conjointe du Premier président et du Procureur générale de la Cour de cassation.
  4. Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques, nommés sur proposition du président de l’ARCEP.

Point positif : la CNCTR dispose de plus de membres que la CNCIS actuelle, composée de trois membres.

Le rôle de la CNCTR sera identique à celui de la CNCIS : vérifier que les différents services de renseignement ne dépassent pas le cadre de la (future) loi, ni n’utilisent des moyens inappropriés à la situation. La CNCTR peut se voir saisie par « toute personne ayant un intérêt direct et personnel » dans une affaire.

Elle peut aussi s’autosaisir de dossiers afin de procéder elle-même à un contrôle des moyens mis en œuvre pour arriver à une certaine finalité, définie elle aussi par la loi sur le renseignement.

Point positif à nouveau : la CNCTR peut être saisie et peut s’autosaisir d’un dossier.

Pour pouvoir prendre une décision, il faudra au moins quatre membres présents sur les neufs prévus, Article L. 832-3. Première fausse note pour moi : quatre, sur neuf, ce n’est pas la majorité absolue. La CNCTR pourra donc prendre un avis et ce même si plus de la moitié de ses membres sont absents.

Si ce choix s’explique facilement (il faut que la CNCTR puisse avancer et ce même si elle n’est pas complète), je regrette qu’il ne faille que quatre membres sur les neuf pour pouvoir prendre une décision.

En cas de réclamation formulée à la CNCTR, et après analyse de la réclamation par cette dernière, si elle constate une irrégularité elle « procède conformément aux dispositions de l’article L. 821-6. »

Que dit cet article ?

Actuellement, voici la proposition faite pour cet article :

« Si la commission estime qu’une autorisation a été accordée en méconnaissance des dispositions du présent livre ou qu’une technique de renseignement a été mise en œuvre en méconnaissance des mêmes dispositions, elle adresse au service concerné ainsi qu’au Premier ministre une recommandation tendant à ce que la mise en œuvre de la technique concernée soit interrompue et les renseignements collectés détruits.

« Le Premier ministre informe sans délai la commission des suites données à ses recommandations.

« Lorsque le Premier ministre ne donne pas suite à ses recommandations ou lorsqu’elle estime que les suites qui y sont données sont insuffisantes, la commission peut, à la majorité absolue de ses membres, décider de saisir le Conseil d’Etat.

Pour traduire : si la CNCTR est saisie afin de vérifier la bonne application de la loi et que cette CNCTR se rend compte que la loi n’est pas respectée, elle n’adresse qu’une recommandation pour que cela cesse. Par la suite, si les réponses ne sont pas satisfaisantes, elle sera en capacité de saisir le Conseil d’Etat, reconnu comme compétent pour la suite… mais ça prend du temps, beaucoup de temps.

Une recommandation n’a « aucun poids », la personne à qui la recommandation est faite n’est pas tenue de la suivre.

Si la CNCTR constate une irrégularité dans les techniques de renseignement, pourquoi ne pas faire une obligation d’arrêt des techniques utilisées ?

Ce trouve ce passage assez léger, une simple recommandation ne me semble pas appropriée. N’étant pas spécialiste du droit je me trompe peut-être, mais je trouve que c’est assez important comme point : les moyens mis en œuvre pour faire un recours ne me semblent pas adaptés, face aux moyens disproportionnés de la surveillance.

La problématique est d’autant plus importante que le projet de loi fait référence à cet article L. 821-6 à chaque réclamation ou chaque observation de la CNCTR.

La surveillance face à une petite recommandation.

Pour finir, bien que la CNCTR soit composée de neuf membres, soit six de plus que la CNCIS, les moyens mis en œuvre pour qu’elle puisse faire son travail ne me semblent pas appropriés également.

Est-ce que ces personnes seront compétences pour remplir leurs missions ?

Est-ce que les moyens mis à la disposition de la CNCTR seront suffisants ?

N’y-a-t-il pas un risque de débordement de la CNCTR ? Qu’elle ne soit qu’une excuse pour se défausser, un « cache sexe », un peu comme avec la CNCIS ?

Si des députés me lisent (et je sais que certains me lisent…), je suis ouvert à toute forme d’échange et de débat constructif autour du sujet, ici, par mail ou au téléphone en cas de besoin.