Les bases d’une dictature ?

Avec l’arrivée de la loi sur le renseignement qui, ne vous y trompez pas, passera à l’assemblée nationale et au sénat, je m’interroge…

L’arrivée de ces futurs outils – présentés par beaucoup comme disproportionnés – ne constitue-t-elle pas l’instauration des premières fondations d’une dictature ?

J’ai conscience de la portée de ce mot et souhaite, avant de commencer, clarifier certains points :

  • Non, nous ne sommes pas en Iran ou en Chine, où il faut vous annoncer à la police locale lorsque vous arrivez dans un nouveau quartier, sous peine d’avoir des ennuis.
  • Non, nous ne sommes pas à nouveau en Chine, où votre professeur d’histoire, à la fin d’un cours, vient vous dire « fais attention à ce que tu fais sur Internet et à où tu vas, comme par hasard le lendemain d’une visite sur un site que le gouvernement chinois n’apprécie pas.
  • Non, nous ne sommes pas dans un pays qui emploie deux millions de personnes pour censurer Internet (chiffre de 2013, communiqué du gouvernement chinois).
  • Si 5000 personnes visitent mon blog, qui est manifestement un blog opposé à l’Etat, je n’irai pas en prison, en Chine, je peux.
  • Non, je ne vis pas dans la peur de dire quelque chose à la mauvaise personne, qui travaille pour un des géants de la censure chinoise, je peux parler librement, sans trop de craintes.

On se calme tout de suite, je mesure mes propos, mesurez les vôtres. Ne comparez pas ce qui n’est pas comparable, dire que nous sommes pire qu’en Chine, ou même juste en Chine, c’est une insulte envers les activistes et autres qui risquent leur vie, chaque jour, pour dénoncer la censure de leur pays.

Cependant, comme expliqué, je m’interroge… n’y a-t-il pas un risque qu’un jour, nous soyons dans ce système ? Est-ce moi qui m’inquiète pour rien ou alors assistons-nous à la lente mise en place de tout ce qu’il faut pour instaurer une dictature ?

Côté politique : qu’est-ce qui différencie une république démocratique d’une dictature ?

La suite du billet est inspirée de « Qu’est-ce que la démocratie ? », article rédigé par « Rubin », un juriste, sur un blog de l’Express.

Revenons-en à la question : qu’est-ce qui différencie une république d’un régime totalitaire ou d’une dictature ?

Les élections ?

Non. L’Iran vote pour son président et pourtant, je doute que l’Iran soit une démocratie.

Les partis opposés au gouvernement ?

Non, en Chine par exemple, il existe des partis opposés au gouvernement. Beaucoup même, certes ils sont observés de très près, certes ils sont minuscules et ont des problèmes s’ils commencent à faire trop de bruit, mais ils existent.

La liberté de s’exprimer ?

Non. Des quotidiens chinois se montrent parfois très critiques avec leur gouvernement. Ils sont retirés des kiosques un temps, mais ils existent encore et reviennent après.

Le droit ?

Non. Une dictature ou un régime totalitaire ne signifie pas une absence totale de droit, même en Corée du Nord ils ont des droits et je défie quiconque de dire que la Corée du Nord est une démocratie.

Dans les faits, ce qui différencie une démocratie d’une dictature ou d’un état totalitaire, ce n’est qu’une seule chose : la séparation des pouvoirs et l’application du droit d’une manière très factuelle et très froide, les deux allant généralement ensemble.

Malheureusement…

Malheureusement, j’ai l’impression que cette séparation des pouvoirs est en train de s’effondrer, lentement certes, mais surement.

Prenons par exemple le recours de plus en plus important à l’autorité administrative…

« L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle« , comme le disait la constitution, dans son article 66 il me semble…

Les récentes lois ont introduit l’autorité administrative bien plus loin que là où elle était avant, la faisant rentrer dans ce qui peut s’apparenter à, justement, des libertés individuelles. Mais, au gouvernement, personne ne semble s’en soucier, puisque dans le prochain projet de loi sur le renseignement, il sera encore question de l’autorité administrative, comme il en était question dans la loi sur le terrorisme, dont les premiers effets commencent à peine à se faire sentir.

Si, dans les faits, nous nous rappelons que la justice n’est pas forcément synonyme de garantie des libertés, l’impossibilité d’en appeler à un juge en cas de besoin constitue une grave menace pour nos liberté individuelles.

Et les membres de notre gouvernement, nos députés, nos représentants, loin d’être des ignares, le savent parfaitement. C’est peut-être ça, qui m’inquiète le plus.

Est-ce que, malgré toutes ses bonnes intentions, l’État peut-il se dispenser de la justice ainsi ?

Ne vous y méprenez pas, notre gouvernement n’est pas secrètement en train de comploter pour tous nous asservir ou pour dominer le monde, non, ils pensent sérieusement que ce qu’ils font, c’est la bonne solution, ou au moins « la moins pire », parce que « merde le terrorisme quoi, il faut faire quelque chose ».

Si bien que même au niveau des représentants de l’État, le débat tombe bas, bien bas même.

Je ne doute pas un instant de la bonne volonté de Patrick Trannoy, conseiller régional du limousin, mais en arriver aussi rapidement à ce non argument est assez significatif de l’opposition entre citoyen et élu, ça ne sert rien, ni personne.

M. Trannoy, si vous lisez ce billet et que vous souhaitez échanger, je suis ouvert au débat mais pas sur Twitter, il n’est pas possible débattre en 140 caractères.

La séparation des pouvoirs. Derrière ces quelques mots, c’est toute la démocratie, c’est toute la république, dont il est question, ne vous y trompez pas.

Avec la prochaine loi sur le renseignement qui, je vous parie une bière (et j’espère vraiment me tromper), passera, cette séparation deviendra encore plus floue qu’actuellement : l’Etat sera en capacité de pouvoir tout savoir, tout voir, tout entendre de sa population.

« en capacité » ne signifie pas pour autant qu’il le fera, ni même qu’il compte le faire, mais simplement qu’il dispose des capacités techniques pour le faire. Cela représente une très lourde menace pour la protection de la vie privée de chaque citoyen.

Et le droit à la vie privée, c’est une liberté individuelle, c’est donc au pouvoir judiciaire de décider de nous priver de cette liberté, pas au pouvoir exécutif, indirectement représenté par l’autorité administrative et rien ne justifie ce recours de plus en plus fréquent à cette autorité.

Le projet de loi sur le renseignement va confier à un seul pouvoir les missions de contrôle et d’application des règles dudit projet. Dans des mains différentes, mais toutes deux liées au pouvoir exécutif, comment ne pas considérer cela comme une vaste blague ?

Comment garantir l’application des bonnes règles lorsque celui qui la contrôle et l’applique sont la même personne ? Ce n’est pas possible.

J’étais déjà inquiet il y a quelques mois, lorsque j’expliquais que le principe de séparation des pouvoirs n’était plus franchement respecté. Je le redis encore ici, aujourd’hui : je suis de plus en plus inquiet et ce projet de loi sur le renseignement n’arrange rien, puisque, comme je le disais, il remet en question le principe de séparation des pouvoirs en excluant le pouvoir judiciaire, au profit de l’autorité administrative, née de l’exécutif.

Mais… rassurez-vous mes amis, l’État fait tout ceci pour votre bien, je l’ai senti dans le dossier de presse de la loi sur le renseignement, ils sont presque en train de nous écrire « regardez, nous sommes gentils, nous voulons juste bien faire les choses »

« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Ce gouvernement, cet État, ne vous veut pas de mal.

Mais le prochain ?

Qu’arrivera-t-il si, un jour, c’est un parti avec des idées très extrêmes ou un dictateur qui prend le pouvoir ? Est-ce qu’il sera aussi gentil et sage que l’est notre gouvernement actuel ?

D’ailleurs, l’est-il vraiment ? Je m’interroge à nouveau. Les faits ont tendance à nous montrer que nos gouvernements abusent de leurs pouvoirs…

Comment ne pas penser aux différents scandales liés à la NSA, du côté des États-Unis d’Amérique ? Comment ne pas faire de rapprochements entre les deux situations ? Le juge pourrait peut-être me rassurer, s’il était ne serait-ce qu’inclus dans ces procédures, mais il ne l’est pas.

Je m’interroge donc réellement… ne sommes-nous pas en train de poser les premières pierres des outils d’une bonne dictature et, peut-être, d’en prendre le chemin avec cette séparation des pouvoirs qui s’effrite ?

 

11 réflexions au sujet de « Les bases d’une dictature ? »

  1. Excellent billet et super intéressant !

    Quelque part tout ça me fait peur ; je doute des personnes se justifiant par de simple « j’ai de bonnes raisons de le faire ». Tout le monde a de bonnes raisons de faire certaines choses… même les pires choses.
    Je doute de l’honnêteté d’une bonne partie de notre gouvernement quand ce ne sont pas leurs conseillers ou leurs incompétences qui m’effraient.

    Et surtout je doute de nous. Pourquoi dans mon entourage, je suis seul à m’inquiéter de nos libertés ?
    Pourquoi quand je lance cette discussion,  » nos parents » tentent de m’apprendre les choses -je suis à l’écoute normalement- alors qu’ils ne comprennent ni en quoi la séparation des pouvoirs est un garde de fou primordial de la démocratie, ni les problématiques lies au terrorisme, à sa définition, ni que nous perdons des libertés mais aussi le peu d’intimité qu’on peut encore sauvegarder.

    Pourquoi je n’ai qu’Internet pour avoir enfin accès à ce genre de discussion ?

    Ça fait très pleurnichard… Mais c’est fatiguant. Je lutte pour comprendre, n’ayant pas toutes les connaissances nécessaires pour ingérer ces informations nouvelles intuitivement. Mais je lutte aussi avec mon entourage, qui sont obnubilés par des faits divers et qui ne souhaitent même pas débattre finalement tout en voulant m’imposer leur point de vue.

    En tout cas merci pour ce billet. J’ai par ailleurs découverts pixellibre pour la première grâce à lui. Et bonne continuation.

    1. Salutations,

      Si tu as l’impression qu’il te faut Internet pour avoir ce genre de débat, c’est parce qu’il est plus facile de trouver quelqu’un qui partage des idées avec toi, sur Internet, que dans la rue ou chez soi (parce qu’il y a plus de mondes, parce que le physique n’étant pas là on se parle plus facilement, …)

      S’ils ne s’inquiètent pas, c’est potentiellement pour trois choses :
      – ils comparent à quelque chose d’horrible (genre guerre), donc pour eux ce n’est pas la mort
      – ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent et / ou entendent et ne comprennent pas tes explications (ce qui arrive, rassure-toi)
      – ils s’en moquent complètement et sont pour cette loi car, de leur point de vue, sacrifier nos libertés individuelles ainsi, pour plus de sécurité, bah… bah c’est bien.

      Dans tous les cas, je te souhaite bien du courage, ce n’est jamais très motivant quand tu te sens un peu « seul contre tous », la vérité c’est que tu ne l’es pas :).

  2. « Quelle est votre position sur le terrorisme ? »
    Je préfère le terrorisme à la dictature, ne serait-ce que parce qu’un état a plus de moyen qu’un groupe terroriste pour faire des dégâts.

  3. Pourquoi: « assez significatif de l’opposition entre citoyen et élu » après la réponse de Trannoy ?
    Je pense au contraire que l’augmentation des actions « efficaces » pour combattre les mouvements radicaux là où le grand public croit qu’ils sont les plus actifs, c’est justement une volonté de la majorité du peuple.

    C’est un peu dommage: autant, de temps en temps, il est vrai que les élus sont « éloignés du peuple », autant sortir cet argument à la moindre occasion ne fait que souligner que la personne qui y a recours est partialle et que son interlocuteur « aura de toutes façons tort ».

    Finalement, le concept classique de séparation des pouvoirs est lui-même controversé: une autre définition de ce que sont les pouvoirs permettent de conserver la « séparation » saine (elle est saine tant qu’il existe des contre-pouvoirs) même quand des éléments de l’executif et judiciaire se mélangent. Au final, je me méfie des conceps « si simple qu’ils sont enseignés à des enfants ». Quand ce concept a été accepté comme « bien » lorsqu’on est enfant/ado, on a souvent ensuite du mal à le remettre en question.

    1. Ce que je cherchais à dire en disant « assez significatif de l’opposition entre citoyen et élu », c’est que nous sommes sur une réponse quand-même très, très, très binaire.

      Je suis assez heureux de voir certains de nos représentants répondre, heureux parce que c’est une forme de démocratie directe et que c’est vraiment agréable. Seulement, j’aurais aimé qu’il élève le débat plus haut que la réponse qu’il a donné, sur Internet, un lieu où les trolls sont légion, d’autant plus que ladite réponse va, je pense, le suivre…. beaucoup plus que toutes les autres réponses argumentées et bien construites qu’il a pu fournir après, mais après, c’est trop tard hélas.

      C’est un point de vue très froid que j’offre mais : la présente de contre-pouvoirs ne représente pas pour moi un signe de bon équilibre desdits pouvoirs.

      Autant la présence d’un contre-pouvoir est nécessaire, autant il est surtout « la norme » : une démonstration de la liberté d’expression et d’opinion. Des contre-pouvoirs existent dans des dictatures, mais ils n’existent que pour faire joli.

      Je ne sais pas si j’ai accepté ce concept et que je le considère comme bien (je suis plutôt loin de toute idée de politique et de contrôle), mais je sais qu’au final, je n’ai trouvé que ça pour faire la différence entre une démocratie et « le reste ».

  4. « Qu’arrivera-t-il si, un jour, c’est un parti avec des idées très extrêmes ou un dictateur qui prend le pouvoir ? Est-ce qu’il sera aussi gentil et sage que l’est notre gouvernement actuel ? »

    Je pense qu’un régime extrémiste n’a absolument aucun avantage à arriver dans un système où des outils pour lui faciliter la vie existent déjà.
    Historiquement, chaque régime extrémiste à son arrivé a mis en place très simplement tout ce qu’il souhaitait. Le fait que ça existe déjà ou pas ne change rien, le fait que ça existe déjà n’est donc pas une facilité pour l’arrivée d’un régime extrémiste. Jamais un élément « de base d’une dictature » n’a provoqué ou facilité l’arrivée au pouvoir d’une dictature (au pire des cas, elle était déjà au pouvoir).

    1. J’ai du mal formuler mes propos, je reprends ton commentaire pour clarifier : je ne parle pas d’un outil qui facilite l’arrivée de l’extrémisme, mais de l’arrivée de l’extrémisme, qui facilitera le travail de ces derniers, la différence est de taille.

      Ce n’est pas cet outil ou n’importe quel autre outil qui va faire qu’un jour un parti extrême débarquera, évidemment non et si j’ai réellement dit ça dans le billet (que je viens de relire trois quatre fois quand-même pour être certain), ce n’était pas du tout mon intention.

      Je souligne simplement le fait qu’un jour, ce gouvernement ne sera plus au pouvoir et qu’il est possible que le prochain gouvernement fasse pire.

  5. Hello,

    Merci pour ton article intéressant. Il m’éclaire.

    Juste un détail : en quoi l’Iran n’est pas une démocratie ? Ça n’est pas une démocratie occidentale, mais c’est un régime où l’on élit ses représentants et où lesdits représentants légifèrent.

    Ça n’est pas une démocratie laïque mais c’est bel et bien un système démocratique, où l’on choisit ses représentants parmi un panel offert, l’éligibilité étant en Iran soumise à la désignation par une des différentes chapelles islamiques du pays. Quelle est la différence essentielle au niveau du système de choix des représentants ?

    Un schéma sur les institutions iraniennes : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2d/Schema_gvt_iran.png

  6. Dans ce genre d’article il est important d’être le plus clair possible pour prendre le problème à sa racine.

    Si il y a peu de différences entre les institutions de deux pays radicalement opposés, comme la France et la Chine, c’est parce-que le pouvoir politique est au même niveau : un groupe d’oligarques ploutocratique.

    Comme tout groupe de petite taille, nos gouvernements sont grandement manipulables et corruptibles. Et il là le problème.

    Donc pour voir plus clair, il faudrait arrêter de parler de démocratie. Car aujourd’hui aucun pays au monde n’a une politique démocratique, mais oligarchique. Et le problème de ce régime politique c’est que ce sont les pouvoir en place qui écrivent les règles qu’ils devraient craindre : la constitution.

    Les lois récentes montre bien qu’un État oligarchique tant à pencher vers une tendance totalitaire. Encore plus quand un outil tel qu’Internet permet de réfléchir et s’organiser collectivement pour essayer de patcher les défauts de leurs lois.

    On peut toujours essayer de résister, mais sans changer le conflit d’intérêt qu’ont nos représentant, cela ne fera que reculer l’inévitable. Le seul moyen de résister à long terme serait mettre en place une vraie démocratie, et pour ça il faut dans un premier temps informer le plus de personne sur ce qu’est une démocratie. Pour en débattre et pouvoir l’imposer le plus pacifiquement possible face au pouvoir en place.

    J’espère n’avoir pas écrit tout ça pour rien ^^ Pour plus d’infos, voici quelques liens :

    http://www.le-message.org/
    http://gentilsvirus.org/
    http://chouard.org/blog/

    « Parce que ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir »

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