On pourrait penser que c’est sous l’énervement, ou que je ne pèse pas mes mots mais hélas non. Je suis étrangement calme et trouve que le mot «traîtres » est juste, adéquat.
« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »
Ces traîtres, ce sont celles et ceux qui ont voté le projet de loi à l’Assemblée Nationale, censée faire office de « représentation nationale ».
Comme indiqué plus haut, jusqu’à il y a quelques heures, j’attribuais à la stupidité les actes et réponses de nos élus, ce n’était pas grave, la stupidité ce n’est pas une maladie, du moins, l’éducation et la pédagogie sont de bonnes réponses à ce problème.
Alors c’est ce que j’ai fait, par des billets de blog, par de nombreux mails à un très grand nombre de députés, des échanges avec certains, des heures et des heures de travail à mon tout petit niveau.
Beaucoup plus pour d’autres, comme la Quadrature du Net ou Next Inpact que je remercie infiniement. Je remercie d’ailleurs Marc Rees, le rédacteur en chef, pour les jours (et les nuits) à analyser le texte afin de le mettre à la portée de plus de monde.
De pédagogie, je ne manque pas, mon métier consiste à former des gens à longueur de journée. De courage non plus et de motivation à faire que « tout aille dans l’intérêt général » encore moins.
Depuis déjà des années, via ce blog, puis celui d’avant, via des journaux, interviews, rencontres, conférences, j’ai pris le temps de vulgariser des concepts qui ne sont pas forcément simples. Comme beaucoup d’autres, n’allez pas croire que je suis une exception, j’en fais même très peu, mais là n’est pas la question.
« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »
Au total, cela fait presque 10 ans que je traite du numérique au quotidien, de par mon métier et avec mes convictions. En 10 ans, j’ai vu l’évolution sécuritaire au travers des différentes lois proposées.
Mais, naïvement peut-être, j’ai continué à informer, tenter d’aider, j’ai dis et redis des centaines de fois les mêmes choses sur le DPI, la surveillance généralisée…
Puis est arrivé le projet de loi sur le renseignement. De loi, je n’ai jamais lu un texte aussi compliqué que ce dernier, mal rédigé, mal pensé à la base.
Mais soit, j’ai fait avec. J’ai repris mon bâton de pèlerin, mes mails, mes appels, mes échanges avec la « classe politique », peu importe la couleur ou le parti, tout le monde peut apprendre en s’en donnant les moyens, afin de sortir de cette « stupidité » numérique dans laquelle sont nos députés.
Mais ça n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, à l’Assemblée Nationale, 438 députés ont voté pour le projet de loi sur le Renseignement. 86 contre, 42 abstentions.
438 députés. 438 traîtres.
Des traîtres, d’abord parce qu’ils « savaient », les débats sur le projet de loi ont été nombreux et un peu partout sur Internet, dans les échanges avec les députés, hors d’Internet également avec au moins 2 manifestations d’ampleur à Paris.
Des traîtres ensuite parce que de nombreuses voix sont sont élevées contre le projet de loi ou ont émis de fortes réserves :
- L’ARCEP
- Le Conseil National du Numérique
- La Commission nationale consultative des droits de l’homme
- Le Conseil de l’Europe
- La CNIL
- Le Défenseur des droits, Jacques Toubon
- Aides
- Act Up
- Access France
- Acrimed
- AFDEL
- Amnesty International
- ASIC
- L’Association Française des Victimes du Terrorisme
- la CGT Police du 75
- La FIDH
- La Fédération des Unions de Jeunes Avocats
- le Genepi
- l’INRIA
- La Quadrature du Net
- Human Rights Watch
- la Ligue des Droits de l’Homme
- L’observatoire des Libertés et du Numérique
- Mozilla, célèbre pour son navigateur Firefox
- L’ordre des Avocats de Paris
- L’ordre des médecins
- Reporters Sans Frontière
- Le Syndicat des avocats de France
- l’Union syndicale des magistrats
- Le Président de la CNCIS, le « garde fou » actuel des services de renseignement
- Marc Trévidic, le juge du pôle antiterrorisme de Paris
- Le Commissaire honoraire de la Police Nationale
- Des membres du Front de Gauche, du Parti Communiste français, du parti « Nouvelle Donne » et du Parti de gauche
- Le Syntec numérique
Je ne vous cite pas tout le monde mais les principaux, recensés sur le site de la Quadrature du Net et ailleurs.
Le gouvernement ainsi que les députés ne pouvaient pas l’ignorer, à titre informatif, de nombreux députés se servent des arguments qu’ils peuvent récupérer ça et là, d’autres se servent des arguments d’experts, comme Isabelle Attard, qui consciente « qu’Internet ce n’est pas vraiment son truc », préfère demander l’avis des « sachants », des experts du réseau, de ceux qui travaillent avec Internet, de ceux qui « fabriquent » Internet, du moins qui viennent connecter des gens comme vous et moi à Internet.
Les députés ne pouvaient pas ignorer ces avis, cette contestation. Mais certains, dont Jean Jacques Urvoas, député, président de la commission des lois à l’Assemblée Nationale, ont préféré reléguer ces avis d’associations, d’experts, de citoyens à de simple « affabulations qui n’ont aucun rapport avec la réalité ».
Dire à des gens qui « font » Internet qu’ils ne le comprennent pas, vous avouerez, il faut avoir un sacré culot.
Mais, tous ensemble, nous avons continué d’avancer, tous avec le souhait de faire avancer les choses, convaincus que l’intelligence collective que nous représentons pouvait faire bouger un peu les lignes.
Puis est arrivé le vote, 438 pour. Malgré les critiques, malgré les dangers. Malgré l’avis des associations, malgré les manifestations. Malgré des doutes au sein même des instances du gouvernement.
« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »
Le problème que j’ai, c’est que je crois que ce n’est plus de la stupidité, les députés ont voté ce texte « en leur âme et conscience »
Alors si ce n’est pas de la stupidité, c’est quoi ? Si ce n’est pas de l’ignorance, c’est quoi ?
Je vous laisse répondre à cette question, en ce qui me concerne, je ne peux pas travailler avec des gens qui n’ont pas envie d’écouter… et manifestement ils sont au moins 438, que vous pouvez retrouver ici.