[Humeur] Propagande et loi renseignement.

Hourra ! Encore un énième attentat terroriste déjoué pas plus tard que le 13 juillet 2015. Le cinquième depuis le début de l’année nous dit-on.

Le hasard fait bien les choses tout de même, un attentat déjoué le 13 juillet, à la veille d’une fête nationale, moins d’une semaine avant la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi renseignement, quel superbe coup médiatique.

Attention, chers lecteurs, je ne remets pas en question la véracité des actes déjoués, je n’ai d’ailleurs pas assez d’éléments pour savoir s’ils sont réels ou non.

Non. Ce qui me dérange, c’est une série de coïncidences assez étranges pour que j’arrête de les considérer comme de simples coïncidences.

La loi sur le terrorisme, d’abord. A l’époque, lors de la présentation du projet de loi sur le terrorisme, on apprenait qu’un présumé terroriste avait été arrêté. Quoi de mieux qu’un évènement de ce type pour justifier l’impérieuse nécessité de la loi sur le terrorisme ?

« La loi n’est pas parfaite ? Elle ne respecte potentiellement pas la constitution ? Que nenni, citoyen ! Regardez, nous venons d’arrêter un vilain méchant, cela démontre que cette loi est nécessaire. »

A cette époque, j’ai trouvé la coïncidence étrange, mais je n’ai rien dit, me pensant trop parano.

Puis est arrivé le projet de loi sur le renseignement qui, n’en déplaise à certains, a déclenché de vifs et nombreux échanges moins fermés que d’habitude, où seul notre petit monde d’(h)ac(k)tiviste s’agite.

L’arrivée du projet de loi était accompagnée de l’attaque du site TV5 Monde, à l’époque revendiquée par un groupe se revendiquant proche de l’Etat Islamique. La représentation nationale et la scène politique dans son ensemble n’a pas raté l’occasion, offerte sur un plateau d’argent. Manuel Valls déclarant que la loi sur le renseignement est nécessaire, Bernard Cazeneuve lui emboitant le pas, Eric Ciotti pas loin derrière…

Etrangement, après les débats de la loi sur le renseignement, d’autres pistes que celles initialement annoncées sont apparues, certains parlant d’une attaque russe, d’autres d’une attaque venant d’Asie. Si les points de vue divergeaient sur la source de l’attaque, tous s’accordaient sur un point : le mot terroriste n’était plus dans les bouches.

A cette étape, j’ai déjà eu plus de mal. Deux fois en moins de deux ans qu’un projet de loi est accompagné d’une bien étrange coïncidence, ça commence à faire beaucoup.

Mais ce n’était pas tout. Dans la suite des débats sur ladite « loi renseignement », nous avons eu d’autres « attentats déjoués », toujours au bon moment, toujours à la veille d’un sujet sensible, toujours de la même manière :

  1. Bernard Cazeneuve, Manuel Valls ou le Président Hollande lâchent une petite phrase qui fait mouche,
  2. s’en suit un communiqué ou une réunion de presse officielle qui donne beaucoup d’informations et, évidemment,
  3. viennent les « cela démontre, s’il le faut encore, la nécessité de la loi sur le renseignement. »,
  4. fin.

Mon esprit, à cette étape, sent que quelque chose cloche :

Un attentat déjoué sous-entend un travail de recherches, de collectes d’informations, l’ouverture d’une information judiciaire et pourtant, la justice n’a jamais entendu parler des présumés terroristes avant les attentats déjoués.

Bernard Cazeneuve est assez intelligent pour savoir que tout ce qui touche au terrorisme est protégé par le secret défense, il l’a lui-même dit de nombreuses fois, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, lors des débats sur la loi renseignement. Cela ne l’a pourtant pas empêché de tenir des conférences de presse sur le sujet de de donner de très nombreuses informations, normalement protégées par ce secret.

Pourquoi procéder de la sorte, si ce n’est pas pour tenter de justifier un projet de loi injustifiable ?

Et vient enfin le très récent attentat déjoué, énième « coup de pub » géré avec la finesse d’un 38 tonnes. Même façon de procéder, outils et vecteurs de communication identiques, organisation similaire : une petite phrase lâchée, une conférence de presse qui donne à « manger » aux journalistes, un communiqué officiel et une mécanique bien huilée sur les réseaux sociaux, comme Marc Coatanea, du PS :

Menaces terroristes élevées #france justifie s’il en était besoin #pjlrenseignement que le Gouvernement a fait adopter. Fermeté sans faille.

Et là, ce n’est plus possible, autant de coïncidences ? Non. Je n’y crois pas.

La communication du gouvernement et du corps politique s’articule sur des évènements sans lien de causalité (la loi renseignement et des attaques terroriste déjouées), elle donne un sens à ceux qui s’expriment ou à ceux à qui l’information est destinée, nous.

Pour faire plus clair et un peu plus « cliché », on tente de vous vendre de la magie : « des attentats arriveront ? Ah bah ça alors tenez, voici le remède : la loi sur le renseignement. »

Lorsqu’un ennemi de l’état qui communique ainsi, arrange la vérité à sa guise, on dit de lui qu’il fait de la propagande.

Lorsque c’est le gouvernement qui utilise cette technique, on parle de « communication », appelons un chat un chat.

Notre gouvernement est dans une vaste campagne de propagande avec la loi sur le renseignement – et pas que et pas que ce gouvernement d’ailleurs – et , sans aller verser dans les théories complotistes, je ne peux que vous recommander de faire extrêmement attention à la communication du gouvernement.

Ne vous laissez pas avoir par des techniques qui jouent sur l’inconscient collectif ou la notion d’archétype.

Le fait que ces « attentats déjoués » arrivent au bon moment est une stratégie de communication, ils arrivent sans doute, il se passe sans doute quelque chose, mais on attend le bon moment pour donner l’information, la crier haut et fort, pour appuyer une envie, une idée, un projet.

Actuellement, ceux qui doutent du projet de loi sur le renseignement, qui s’élèvent contre les révélations de certains éléments placés sous le sceau du secret, sont catégorisés comme douteux, suspects, exégètes amateurs pour reprendre Bernard Cazeneuve. Cette communication « binaire » où être contre le projet de loi sur le renseignement revient à être pour le terrorisme est néfaste et dangereuse et j’espère sincèrement que nous réussirons à sortir de ce jeu malsain.

Retour de #PSES2015 : ma conférence « 2.0 »

Le festival Pas Sage En Seine s’est déroulé du jeudi 18 juin au dimanche 21 juin 2015.

Lors de l’évènement, j’ai tenu une conférence intitulée «La vie privée et la loi sur renseignement », initialement intitulée « Vie privée est loi sur le renseignement, pourquoi cela ne fonctionne pas ? »

S’il vous vient l’envie de regarder cette conférence, sachez que c’est par ici que ça se passe, ou par ici si vous ne disposez pas de Flash Player, sinon, c’est juste en dessous pour récupérer ça chez Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=jzWkw4GtayA

Le but de ce billet est de revenir un peu sur ma conférence et de rajouter des éléments que je n’ai soit pas eu le temps de présenter, soit que j’ai simplement oublié lors de ladite conférence.

Premièrement : le « buzz » sur le projet de loi.

Mon premier objectif était de « briser notre bulle », sortir de notre zone de confort où beaucoup pensent que tout le monde a déjà entendu parler de la loi sur le renseignement, ce qui est malheureusement faux.

Dans les faits, une grande majorité de la population n’en a pas entendu parler du tout. Si nous avons l’impression que c’est plutôt l’inverse, c’est parce que la quasi totalité de notre petit monde en parle, que des journaux en parlent, que quelques gus sont invités dans des émissions pour en parler mais, au final, cela ne touche que notre monde et peut-être une infime partie des quelques personnes plus ou moins sensibles aux questions que nous nous posons déjà sur cette loi, votée depuis peu à l’Assemblée nationale.

On me dira que pour ACTA, il y avait du monde, beaucoup de monde : c’est vrai. Mais c’était un « concours de circonstances » : Megapuload venait de tomber, les Anonymous étaient de la partie et ACTA arrivait en même temps. Pour la majorité des personnes à l’époque, les manifestations n’étaient pas contre ACTA mais pour Megaupload, au moins en partie. Je ne remets pas en cause la très belle victoire hein, mais je garde quand-même la tête froide.

Second temps : changer d’approche.

Le texte de loi est clairement mal rédigé. Ce constat n’est pas de moi, il est, à l’origine, d’un juriste que je connais et qui m’a déclaré « il va me falloir plus de paracétamol que d’habitude ». Le texte est donc mal rédigé, du moins, encore plus mal rédigé que d’habitude quoi.

NDLR : au premier ou à la première juriste qui viendra me déclarer : « oui mais s’il y a le métier de juriste ce n’est pas pour les chiens, laisse la loi à ceux qui comprennent », je vous conseille de venir avec des protections parce que ça va faire très mal et cela commencera par : « Laisse l’informatique à ceux qui comprennent et ferme-là alors . » et je déteste profondément cette vision.

Je pense que c’est assez clair, cet argument est complètement con.

Donc, constat : un texte très mal rédigé, assez flou alors que la loi, en France, est généralement très précise et… pour ne rien arranger, nos explications peinent à convaincre celles et ceux étrangers à notre monde de geek, bidouilleurs et hacktivistes.

Nous avons donc un double problème initial : un texte mal rédigé et de mauvaises explications, dans le sens où elles ne sont pas du tout adaptées au public que nous visons. Elles sont trop lointaines, floues, ne concernent pas directement le public à qui nous tentons de nous adresser et, de facto, semblent tellement lointaines qu’elles ne représentent pas, dans l’esprit des gens, une réelle menace.

Ce problème se retrouve dans les crises humanitaires ou vis à vis de la famine par exemple : c’est loin, donc cela ne nous regarde pas. De récentes campagnes de communication visuelles jouent d’ailleurs sur ces aspect là pour éveiller les consciences.

Troisième temps…

Tenter de trouver des éléments plus percutants pour faire prendre conscience aux gens qu’au final, ils sont bel et bien concernés par la loi sur le renseignement.

Là, je vous invite , à nouveau, à visionner ma conférence.

Les rajouts :

Je profite de mon billet pour rajouter le plus d’éléments possibles, ainsi que les sources dont je me suis servi :

La déclaration de Jean Jacques Urvoas : « Toutes les conversations seront écoutées mais toutes ne seront pas enregistrées » a eu lieu à la radio, sur RMC, vous pouvez retrouver un résumé de cette interview ici (RMC est lié à BFMTV, désolé).

Les éléments qui me poussent à dire qu’il sera bien question d’analyse de réseaux sociaux, ou ARS.

  1. INRIA sur Le Monde
  2. La déclaration de Jean-Yves le Drian qui souhaite retrouver les auteurs et lecteurs de vidéos de décapitation, pour croiser les données il faudra forcément faire de l’ARS.
  3. La façon dont cela va fonctionner, comme l’explique l’INRIA,les experts de l’ARS, ainsi que les experts dans le secteur informatique.

Les éléments qui me poussent à dire que le « boites noires » vont travailler sur de l’analyse de profils.

La déclaration de Bernard Cazeneuve lors des séances à l’Assemblée nationale :

« Mes services de renseignement ont pu, par des échanges d’informations, savoir que des terroristes procédaient, sur le darknet, à des communications cryptées donnant des éléments précis sur leur intention de commettre des actes terroristes. […][Les terroristes utilisent] une multitude d’adresses IP qui se masquent les unes les autres, à partir de messages postés depuis différentes boîtes situées partout sur la planète. » – source

Les éléments qui me poussent à dire que le gouvernement est inspiré du Patriot Act.

http://web.archive.org/save/http://www.senat.fr/rap/r14-388/r14-3886.html
http://web.archive.org/save/http://www.senat.fr/rap/r14-388/r14-3886.html

Dans le lien précédent, on découvre une source d’inspiration de la loi sur le renseignement, j’ai nommé le Patriot Act. Le morceau de texte choisi dit, en résumé, que le Patriot Act c’est mal… mais qu’en même temps cela a crée beaucoup de choses positives donc il serait bon de s’inspirer pour la prochaine loi sur le renseignement. J’ai mis le lien du rapport du Sénat sur archive.org pour être certain de le retrouver sans mal.

Les divers échanges lors des débats à l’Assemblée Nationale et au Sénat n’ont fait que confirmer mes impressions, malgré les déclarations des ministres et du rapporteur Jean-Jacques Urvoas, combinées aux liens précédents et à l’analyse de certains juristes. Il me semble cohérent de déclarer que la loi sur le renseignement est directement inspirée du Patriot Act, pourtant fortement critiqué par les défenseurs du texte de loi français.

Enfin, pour clôturer

La loi sur le renseignement n’instaure pas une surveillance généralisée mais une surveillance de masse, la différence est importante.

La surveillance généralisée surveille absolument tout le monde, la totalité de la population française par exemple. Ce n’est actuellement pas possible, tant pour des raisons matérielles que financières, sans oublier que la surveillance de toute une population est strictement interdite par l’Europe et que je vois mal la France déclarer « oui, nous allons surveiller tout le monde ».

La surveillance de masse, c’est une surveillance dont le fonctionnement ne repose pas sur un individu mais sur « un profil ». Je vous invite, à ce sujet, à lire un autre article publié sur Le Monde, par un Directeur de recherches à l’INRIA.

Pour faire plus simple : on ne surveille pas Mohamed Merah car c’est Mohamed Merah, on le surveille car les outils et moyens qu’il utilise correspondent au profil recherché. Le problème c’est que les outils de Merah sont potentiellement utilisés par d’autres. Partant de ce postulat, on comprend facilement le danger : j’utilise les mêmes outils, des activistes aussi, des journalistes également…

Basculer d’une surveillance qui surveille des personnes à de la surveillance de profils, c’est extrêmement dangereux.

Si vous avez vu ma conférence et que vous souhaiter en parler, n’hésitez surtout pas, ici ou ailleurs.

L’histoire et la loi sur le renseignement.

1782. Dans le canton suisse de Galris, Anna Göldin est accusée de sorcellerie. Elle sera exécutée le 18 juin de la même année.

Son crime ?

Avoir toutes les caractéristiques d’une sorcière. Anna s’occupait à cette époque des filles de son employeur, le médecin Tschudi. La légende raconte qu’une petite dudit médecin fut ensorcelée par Anna, un puissant sort de magie noire.

Les faits sont formels quant à ce puissant sort : la petite crachait du sang et ont affirmé à l’époque qu’elle crachait également des aiguilles. Fait accablant pour les juges de l’époque, la preuve de la sorcellerie : Anna aurait donné à la petite une sucrerie. Le jugement d’Anna fut rapide puisqu’à son procès, elle fut incapable d’expliquer la présence de corps étrangers dans le corps de la petite.

C’est ainsi que, le 18 juin 1782, Anna Göldin fut exécutée sur la place publique de Galris, ses restes furent enfouis au pied de l’échafaud.

Il faudra attendre le 27 août 2008, soit 226 ans après, pour voir Anna Göldin réhabilitée, non sans mal d’ailleurs.


Ad Sinistra en latin, qui donne senestre en vieux français, qui a donné le mot sinistre au passage, désigne la gauche.

On dit d’une personne qui ne sait pas se servir de ses mains qu’elle est maladroite : mal adroite, qu’elle n’est pas « à droite », donc à gauche. D’ailleurs, quelqu’un de maladroit est une personne gauche, ou qui a deux mains gauche.

90 % des gens sont droitiers, les 10 % restants sont donc hors norme et s’ils sont hors norme, ils sont suspects.

On retrouve des stéréotypes de la gauche et de la droite jusqu’à dans le nouveau testament, ou les brebis sont installées à la droite de Jésus, allant vers le Paradis.

L’acceptation des gauchers n’est pas ancienne, les personnes qui approchent la cinquantaine et qui me lisent le savent, il était très mal vu d’être gaucher à l’école, car c’était « la mauvaise main ». Il fut un temps où les gauchers étaient persécutés, responsables de nombreux maux de la population, on leur imputant toutes les tares, vices, méchanceté et lâcheté, crimes.

On part donc d’une caractéristique – l’utilisation de la main gauche – pour arriver à une réaction : s’ils sont gauchers, alors ils sont suspects.

Si ce temps est révolu, il n’en reste pas moins qu’il a quand même existé très longtemps.

J’aurais pu choisir de parler de ceux qu’on présente souvent comment ayant un grand nez crochu, une tête identifiable et tout le reste, mais nous allons vite arriver sur une période très sombre de l’histoire.

Quel est le point commun entre Anna Göldin, les gauchers et les juifs ?

La réponse est simple : l’exécution d’une décision subjective, arbitraire, liée à un profil et non à des faits établis.

C’est parce qu’Anna Göldin présentait les « caractéristiques » d’une sorcière qu’elle était considérée comme telle.

C’est parce que l’histoire, les cultures et les religions disent que l’utilisation de la main gauche est une « caractéristique » suspecte que cette partie de la population était malmenée il y a encore 50 ans, même moins.

Vos cours d’histoire devraient suffire pour le peuple juif.

Et le rapport avec la loi sur le renseignement ?

Le profil, la caractéristique.

Le projet de loi sur le renseignement, adopté aujourd’hui par le Sénat, rapproche la France de son passé, au moins en partie.

Afin de lutter contre un certain nombre de menaces dont les limites sont plus ou moins bien définies (terroriste, menaces économiques…), on autorise les services du renseignement à analyser « Internet », à analyser la population et comme à l’époque d’Anna Göldin ou de la traque aux gauchers, à analyser des caractéristiques ou des profils au lieu d’analyser des personnes.

Ainsi, l’utilisateur du réseau TOR actuel n’est ni plus ni moins que la personnes présentant les caractéristiques de la sorcière d’autrefois et celui chiffrant ses communications, l’exception.

Comme les gauchers, en somme.

Le seul hic dans tout ceci, c’est que ces périodes ne sont pas les plus glorieuses de notre histoire…

Je vous laisse tirer vos potentielles conclusions.

Traîtres

On pourrait penser que c’est sous l’énervement, ou que je ne pèse pas mes mots mais hélas non. Je suis étrangement calme et trouve que le mot «traîtres » est juste, adéquat.

« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Ces traîtres, ce sont celles et ceux qui ont voté le projet de loi à l’Assemblée Nationale, censée faire office de « représentation nationale ».

Comme indiqué plus haut, jusqu’à il y a quelques heures, j’attribuais à la stupidité les actes et réponses de nos élus, ce n’était pas grave, la stupidité ce n’est pas une maladie, du moins, l’éducation et la pédagogie sont de bonnes réponses à ce problème.

Alors c’est ce que j’ai fait, par des billets de blog, par de nombreux mails à un très grand nombre de députés, des échanges avec certains, des heures et des heures de travail à mon tout petit niveau.

Beaucoup plus pour d’autres, comme la Quadrature du Net ou Next Inpact que je remercie infiniement. Je remercie d’ailleurs Marc Rees, le rédacteur en chef, pour les jours (et les nuits) à analyser le texte afin de le mettre à la portée de plus de monde.

De pédagogie, je ne manque pas, mon métier consiste à former des gens à longueur de journée. De courage non plus et de motivation à faire que « tout aille dans l’intérêt général » encore moins.

Depuis déjà des années, via ce blog, puis celui d’avant, via des journaux, interviews, rencontres, conférences, j’ai pris le temps de vulgariser des concepts qui ne sont pas forcément simples. Comme beaucoup d’autres, n’allez pas croire que je suis une exception, j’en fais même très peu, mais là n’est pas la question.

« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Au total, cela fait presque 10 ans que je traite du numérique au quotidien, de par mon métier et avec mes convictions. En 10 ans, j’ai vu l’évolution sécuritaire au travers des différentes lois proposées.

Mais, naïvement peut-être, j’ai continué à informer, tenter d’aider, j’ai dis et redis des centaines de fois les mêmes choses sur le DPI, la surveillance généralisée…

Puis est arrivé le projet de loi sur le renseignement. De loi, je n’ai jamais lu un texte aussi compliqué que ce dernier, mal rédigé, mal pensé à la base.

Mais soit, j’ai fait avec. J’ai repris mon bâton de pèlerin, mes mails, mes appels, mes échanges avec la « classe politique », peu importe la couleur ou le parti, tout le monde peut apprendre en s’en donnant les moyens, afin de sortir de cette « stupidité » numérique dans laquelle sont nos députés.

Mais ça n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, à l’Assemblée Nationale, 438 députés ont voté pour le projet de loi sur le Renseignement. 86 contre, 42 abstentions.

438 députés. 438 traîtres.

Des traîtres, d’abord parce qu’ils « savaient », les débats sur le projet de loi ont été nombreux et un peu partout sur Internet, dans les échanges avec les députés, hors d’Internet également avec au moins 2 manifestations d’ampleur à Paris.

Des traîtres ensuite parce que de nombreuses voix sont sont élevées contre le projet de loi ou ont émis de fortes réserves :

  • L’ARCEP
  • Le Conseil National du Numérique
  • La Commission nationale consultative des droits de l’homme
  • Le Conseil de l’Europe
  • La CNIL
  • Le Défenseur des droits, Jacques Toubon
  • Aides
  • Act Up
  • Access France
  • Acrimed
  • AFDEL
  • Amnesty International
  • ASIC
  • L’Association Française des Victimes du Terrorisme
  • la CGT Police du 75
  • La FIDH
  • La Fédération des Unions de Jeunes Avocats
  • le Genepi
  • l’INRIA
  • La Quadrature du Net
  • Human Rights Watch
  • la Ligue des Droits de l’Homme
  • L’observatoire des Libertés et du Numérique
  • Mozilla, célèbre pour son navigateur Firefox
  • L’ordre des Avocats de Paris
  • L’ordre des médecins
  • Reporters Sans Frontière
  • Le Syndicat des avocats de France
  • l’Union syndicale des magistrats
  • Le Président de la CNCIS, le « garde fou » actuel des services de renseignement
  • Marc Trévidic, le juge du pôle antiterrorisme de Paris
  • Le Commissaire honoraire de la Police Nationale
  • Des membres du Front de Gauche, du Parti Communiste français, du parti « Nouvelle Donne » et du Parti de gauche
  • Le Syntec numérique

Je ne vous cite pas tout le monde mais les principaux, recensés sur le site de la Quadrature du Net et ailleurs.

Le gouvernement ainsi que les députés ne pouvaient pas l’ignorer, à titre informatif, de nombreux députés se servent des arguments qu’ils peuvent récupérer ça et là, d’autres se servent des arguments d’experts, comme Isabelle Attard, qui consciente « qu’Internet ce n’est pas vraiment son truc », préfère demander l’avis des « sachants », des experts du réseau, de ceux qui travaillent avec Internet, de ceux qui « fabriquent » Internet, du moins qui viennent connecter des gens comme vous et moi à Internet.

Les députés ne pouvaient pas ignorer ces avis, cette contestation. Mais certains, dont Jean Jacques Urvoas, député, président de la commission des lois à l’Assemblée Nationale, ont préféré reléguer ces avis d’associations, d’experts, de citoyens à de simple « affabulations qui n’ont aucun rapport avec la réalité ».

Dire à des gens qui « font » Internet qu’ils ne le comprennent pas, vous avouerez, il faut avoir un sacré culot.

Mais, tous ensemble, nous avons continué d’avancer, tous avec le souhait de faire avancer les choses, convaincus que l’intelligence collective que nous représentons pouvait faire bouger un peu les lignes.

Puis est arrivé le vote, 438 pour. Malgré les critiques, malgré les dangers. Malgré l’avis des associations, malgré les manifestations. Malgré des doutes au sein même des instances du gouvernement.

« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Le problème que j’ai, c’est que je crois que ce n’est plus de la stupidité, les députés ont voté ce texte « en leur âme et conscience »

Alors si ce n’est pas de la stupidité, c’est quoi ? Si ce n’est pas de l’ignorance, c’est quoi ?

Je vous laisse répondre à cette question, en ce qui me concerne, je ne peux pas travailler avec des gens qui n’ont pas envie d’écouter… et manifestement ils sont au moins 438, que vous pouvez retrouver ici.

Les bases d’une dictature ?

Avec l’arrivée de la loi sur le renseignement qui, ne vous y trompez pas, passera à l’assemblée nationale et au sénat, je m’interroge…

L’arrivée de ces futurs outils – présentés par beaucoup comme disproportionnés – ne constitue-t-elle pas l’instauration des premières fondations d’une dictature ?

J’ai conscience de la portée de ce mot et souhaite, avant de commencer, clarifier certains points :

  • Non, nous ne sommes pas en Iran ou en Chine, où il faut vous annoncer à la police locale lorsque vous arrivez dans un nouveau quartier, sous peine d’avoir des ennuis.
  • Non, nous ne sommes pas à nouveau en Chine, où votre professeur d’histoire, à la fin d’un cours, vient vous dire « fais attention à ce que tu fais sur Internet et à où tu vas, comme par hasard le lendemain d’une visite sur un site que le gouvernement chinois n’apprécie pas.
  • Non, nous ne sommes pas dans un pays qui emploie deux millions de personnes pour censurer Internet (chiffre de 2013, communiqué du gouvernement chinois).
  • Si 5000 personnes visitent mon blog, qui est manifestement un blog opposé à l’Etat, je n’irai pas en prison, en Chine, je peux.
  • Non, je ne vis pas dans la peur de dire quelque chose à la mauvaise personne, qui travaille pour un des géants de la censure chinoise, je peux parler librement, sans trop de craintes.

On se calme tout de suite, je mesure mes propos, mesurez les vôtres. Ne comparez pas ce qui n’est pas comparable, dire que nous sommes pire qu’en Chine, ou même juste en Chine, c’est une insulte envers les activistes et autres qui risquent leur vie, chaque jour, pour dénoncer la censure de leur pays.

Cependant, comme expliqué, je m’interroge… n’y a-t-il pas un risque qu’un jour, nous soyons dans ce système ? Est-ce moi qui m’inquiète pour rien ou alors assistons-nous à la lente mise en place de tout ce qu’il faut pour instaurer une dictature ?

Côté politique : qu’est-ce qui différencie une république démocratique d’une dictature ?

La suite du billet est inspirée de « Qu’est-ce que la démocratie ? », article rédigé par « Rubin », un juriste, sur un blog de l’Express.

Revenons-en à la question : qu’est-ce qui différencie une république d’un régime totalitaire ou d’une dictature ?

Les élections ?

Non. L’Iran vote pour son président et pourtant, je doute que l’Iran soit une démocratie.

Les partis opposés au gouvernement ?

Non, en Chine par exemple, il existe des partis opposés au gouvernement. Beaucoup même, certes ils sont observés de très près, certes ils sont minuscules et ont des problèmes s’ils commencent à faire trop de bruit, mais ils existent.

La liberté de s’exprimer ?

Non. Des quotidiens chinois se montrent parfois très critiques avec leur gouvernement. Ils sont retirés des kiosques un temps, mais ils existent encore et reviennent après.

Le droit ?

Non. Une dictature ou un régime totalitaire ne signifie pas une absence totale de droit, même en Corée du Nord ils ont des droits et je défie quiconque de dire que la Corée du Nord est une démocratie.

Dans les faits, ce qui différencie une démocratie d’une dictature ou d’un état totalitaire, ce n’est qu’une seule chose : la séparation des pouvoirs et l’application du droit d’une manière très factuelle et très froide, les deux allant généralement ensemble.

Malheureusement…

Malheureusement, j’ai l’impression que cette séparation des pouvoirs est en train de s’effondrer, lentement certes, mais surement.

Prenons par exemple le recours de plus en plus important à l’autorité administrative…

« L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle« , comme le disait la constitution, dans son article 66 il me semble…

Les récentes lois ont introduit l’autorité administrative bien plus loin que là où elle était avant, la faisant rentrer dans ce qui peut s’apparenter à, justement, des libertés individuelles. Mais, au gouvernement, personne ne semble s’en soucier, puisque dans le prochain projet de loi sur le renseignement, il sera encore question de l’autorité administrative, comme il en était question dans la loi sur le terrorisme, dont les premiers effets commencent à peine à se faire sentir.

Si, dans les faits, nous nous rappelons que la justice n’est pas forcément synonyme de garantie des libertés, l’impossibilité d’en appeler à un juge en cas de besoin constitue une grave menace pour nos liberté individuelles.

Et les membres de notre gouvernement, nos députés, nos représentants, loin d’être des ignares, le savent parfaitement. C’est peut-être ça, qui m’inquiète le plus.

Est-ce que, malgré toutes ses bonnes intentions, l’État peut-il se dispenser de la justice ainsi ?

Ne vous y méprenez pas, notre gouvernement n’est pas secrètement en train de comploter pour tous nous asservir ou pour dominer le monde, non, ils pensent sérieusement que ce qu’ils font, c’est la bonne solution, ou au moins « la moins pire », parce que « merde le terrorisme quoi, il faut faire quelque chose ».

Si bien que même au niveau des représentants de l’État, le débat tombe bas, bien bas même.

Je ne doute pas un instant de la bonne volonté de Patrick Trannoy, conseiller régional du limousin, mais en arriver aussi rapidement à ce non argument est assez significatif de l’opposition entre citoyen et élu, ça ne sert rien, ni personne.

M. Trannoy, si vous lisez ce billet et que vous souhaitez échanger, je suis ouvert au débat mais pas sur Twitter, il n’est pas possible débattre en 140 caractères.

La séparation des pouvoirs. Derrière ces quelques mots, c’est toute la démocratie, c’est toute la république, dont il est question, ne vous y trompez pas.

Avec la prochaine loi sur le renseignement qui, je vous parie une bière (et j’espère vraiment me tromper), passera, cette séparation deviendra encore plus floue qu’actuellement : l’Etat sera en capacité de pouvoir tout savoir, tout voir, tout entendre de sa population.

« en capacité » ne signifie pas pour autant qu’il le fera, ni même qu’il compte le faire, mais simplement qu’il dispose des capacités techniques pour le faire. Cela représente une très lourde menace pour la protection de la vie privée de chaque citoyen.

Et le droit à la vie privée, c’est une liberté individuelle, c’est donc au pouvoir judiciaire de décider de nous priver de cette liberté, pas au pouvoir exécutif, indirectement représenté par l’autorité administrative et rien ne justifie ce recours de plus en plus fréquent à cette autorité.

Le projet de loi sur le renseignement va confier à un seul pouvoir les missions de contrôle et d’application des règles dudit projet. Dans des mains différentes, mais toutes deux liées au pouvoir exécutif, comment ne pas considérer cela comme une vaste blague ?

Comment garantir l’application des bonnes règles lorsque celui qui la contrôle et l’applique sont la même personne ? Ce n’est pas possible.

J’étais déjà inquiet il y a quelques mois, lorsque j’expliquais que le principe de séparation des pouvoirs n’était plus franchement respecté. Je le redis encore ici, aujourd’hui : je suis de plus en plus inquiet et ce projet de loi sur le renseignement n’arrange rien, puisque, comme je le disais, il remet en question le principe de séparation des pouvoirs en excluant le pouvoir judiciaire, au profit de l’autorité administrative, née de l’exécutif.

Mais… rassurez-vous mes amis, l’État fait tout ceci pour votre bien, je l’ai senti dans le dossier de presse de la loi sur le renseignement, ils sont presque en train de nous écrire « regardez, nous sommes gentils, nous voulons juste bien faire les choses »

« Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Ce gouvernement, cet État, ne vous veut pas de mal.

Mais le prochain ?

Qu’arrivera-t-il si, un jour, c’est un parti avec des idées très extrêmes ou un dictateur qui prend le pouvoir ? Est-ce qu’il sera aussi gentil et sage que l’est notre gouvernement actuel ?

D’ailleurs, l’est-il vraiment ? Je m’interroge à nouveau. Les faits ont tendance à nous montrer que nos gouvernements abusent de leurs pouvoirs…

Comment ne pas penser aux différents scandales liés à la NSA, du côté des États-Unis d’Amérique ? Comment ne pas faire de rapprochements entre les deux situations ? Le juge pourrait peut-être me rassurer, s’il était ne serait-ce qu’inclus dans ces procédures, mais il ne l’est pas.

Je m’interroge donc réellement… ne sommes-nous pas en train de poser les premières pierres des outils d’une bonne dictature et, peut-être, d’en prendre le chemin avec cette séparation des pouvoirs qui s’effrite ?

 

[Nouvelle] 2084, une vie normale, #PJLRenseignement.

Jeudi 23 Mars 2084,

Cher journal,

Aujourd’hui, j’ai passé une bonne journée. Comme les autres mais un peu plus libre : j’ai enfin trouvé un coin, loin de la ville, pour être tranquille.

Il faut dire que la vie n’est pas forcément simple depuis l’arrivée de Martin Le Guen, notre nouveau président, lors des élections de 2060. Le pire c’est qu’il a été élu « démocratiquement », comme ils disent… enfin depuis, il y a eu un coup d’Etat, tout ça… et il est là pour encore très longtemps…

Moi, je ne voulais pas voter pour lui mais, mon ami, faut bien avouer que la déception était tellement grande à l’époque… nous étions tous perdus, certains plus que d’autres. Ils pensaient que ça allait changer des choses, que ça allait bien avancer, enfin…

On a effectivement avancé, mais pas forcément dans le bon sens.

Toi, mon journal, mon ami, mon seul confident, la seule chose où je peux encore écrire sans que quelqu’un vienne me lire, si seulement tu savais…

Mon père m’en parlait la dernière fois… au début, il y avait un réseau Internet « normal », comme y dit : neutre, pas trop censuré et tout… Bon j’avoue, ça semble fou, mais quand il m’en parle, il a vraiment l’air de penser que c’est vrai.

Ça semblait sympa, il parlait de « blogs », c’est abstrait pour moi mais je crois que c’est un truc ou des citoyens pouvaient parler, quelque chose comme ça.

J’ai jamais su s’il me racontait des bêtises ou si c’était vrai, mais quand il m’en parle, j’ai des étoiles dans les yeux tellement ça semble beau.

Enfin, quand il m’en parlait, en fait.

Mon père m’avait prévenu, il utilisait un nom de code pour m’en parler : la Volte. Je sais que ça vient d’un livre mais la dernière fois que j’ai fait des recherches dessus, la police était là une heure plus tard.

C’est flou, mais à son époque, ils ont voté un truc sur le renseignement, je crois que tout est parti de là. Ils voulaient lutter contre le terrorisme et tout, mon père me disait qu’ils étaient plein de bonnes intentions mais que ce qu’ils allaient faire c’était dangereux.

Il disait que ce truc-là allait créer un outil qui, entre de mauvaises mains, pouvait être dangereux. Que l’orientation du gouvernement de l’époque était très stricte et se tournait vers la sécurité sans se soucier du reste.

Déjà à l’époque, comme il disait « c’était pas glorieux, on était un peu comme en Chine, mais en France ».

Mais avec l’arrivée de Le Guen, tout a changé. Il a fait avancer ce truc de surveillance pour l’étendre encore plus, et maintenant, chaque acte, parole, qu’elle soit privée ou publique, est captée.

C’est pour ça que mon père n’est plus là. C’est pour ça que tu es mon ami, mon seul ami… caché, en sécurité.

Tu sais, ça m’arrive de rêver que nous visons dans un pays libre, un pays où je peux dire ce que je veux, aller voir qui je veux, manger ce que je veux ou regarder ce dont j’ai envie sans craindre qu’on vienne frapper à ma porte..

Je dois te laisser, mon cher ami, on frappe à la porte, je pense que c’est pour l’accès à Wikipedia, hier.