Avant toute chose, je vous invite à lire le très bon billet d’Andréa Fradin, ex journaliste pour OWNI (une petite pensée pour eux au passage), maintenant chez Slate.fr
Pour celles et ceux qui ont la flemme (honte sur vous), Andréa observe les différentes réactions sur l’affaire PRISM et le constat est quasi sans appel : tout le monde ou presque s’en moque.
Alors oui, le monde la politique se saisi enfin du dossier et fait les gros yeux aux Etats-Unis, même si c’est trop tard… mais dans le fond, tout le monde ou presque ne se sent pas concerné par PRISM ni par le danger que ça représente.
Andréa observe donc PRISM avec un œil très lucide et avec une approche très pertinente, je considère l’article comme triste et déprimant parce qu’il explique parfaitement bien la situation.
Un autre constat établi est le manque de solutions viables pour être à l’épreuve de PRISM, c’est la raison de ce billet.
Je vais essayer de pousser jusqu’au bout les différentes pistes qui pourraient nous permettre de se prémunir un peu de PRISM et des autres programmes encore secrets, à cette étape du billet, je n’ai pas encore de constat clair à tirer…mais je sans qu’il ne va pas être très joyeux.
La première des pistes, c’est via la politique.
Si moi, toi derrière l’écran, les autres, voulons garantir au peuple la bonne application des dispositions déjà existantes en matière de protection de la vie privée, alors la politique devient un enjeu majeur. Elle l’est car, officiellement, elle couvre l’ensemble des personnes d’un pays. C’est donc un moyen de garantir que l’intimité des individus qui composent un peuple sera préservée.
Problème : des lois existent déjà, dans différents textes de la législation française ainsi que dans celle européenne et comme vous pouvez le constater, cela n’a pas protégé les personnes au sein de l’UE. Ainsi, peu importe le nombre de lois qui arriveront ou n’arriveront pas, ces dernières ne seront pas en mesure de garantir le respect de la vie privée et de l’intimité des individus.
Cette idée est donc obsolète puisqu’elle présente des garanties théoriques.
Seconde piste : le chiffrement, de tout, partout, tout le temps.
La Crypto anarchie, c’est le nom que certains donnent au fait de tout chiffrer, même pour dire bonjour à quelqu’un d’autre. Le principe est relativement simple : si tout est chiffré, cela augmente le temps de traitement d’une donnée jusqu’à saturation totale du système. L’idée est d’utiliser un chiffrement assez fort pour qu’il ne puisse pas être cassé.
Ce premier point sous-entend qu’il va falloir sortir du cadre de la loi, qui n’autorise pas un chiffrement des plus robustes, il ne sera donc pas suivi par celles et ceux qui ne veulent pas sortir du cadre de la loi.
Chiffrer tout, c’est aussi une chose extrêmement compliquée car il faut penser à tout sans exceptions. Le passage suivant est un tout petit peu plus technique, je vais tenter d’être clair, si ce n’est pas le cas prévenez-moi.
Sur un ordinateur, tout chiffrer revient à chiffrer sa navigation, ses données, sa connexion et tout ce qui va avec, ce qui donne quelque chose comme ça :
- être en https partout et encore, ce n’est pas une garantie contre un système d’espionnage
- chiffrer le contenu de son disque dur et dans l’idéal disposer d’une partition sécurisée (avec TrueCrypt par exemple)
- chiffrer sa connexion Internet en passant par un VPN et pas n’importe quel VPN, un système de confiance sinon passer par un VPN devient totalement inutile, il est également possible de passer par le réseau Tor
- chiffrer ses requêtes DNS : hmm, là ça mérite une petite explication.
Internet, ça marche avec des adresses (comme 173.194.40.120 par exemple), ces adresses-là sont des adresses IP. Pour plein de raisons et parce que ce n’est pas facile de retenir une adresse IP, le DNS a été créé. Le rôle du DNS est de donner l’adresse IP correspondante à l’adresse demandée.
Exemple : lorsque vous tapez google.fr dans votre barre d’adresse, votre ordinateur va frapper à la porte du DNS et lui demande « dis, je vais par où pour aller sur ce machin-là ? » et le DNS lui donne alors l’adresse IP correspondante. Ça fonctionne avec tout le reste aussi, ce n’est pas que le Web.
Ce DNS fonctionne et communique d’une façon spécifique, sur un canal qui lui est réservé. Ce canal c’est un port : pour résumer, lorsque vous allez sur http://bidule, c’est le port 80 qui est utilisé, https://bidule sera sur un autre port, vos mails, des mises à jour, logiciels et tout le reste communiquent aussi sur d’autres ports et le DNS lui, communique sur le port 53.
Ces requêtes ne sont pas chiffrées par défaut, ainsi, si le but est de totalement chiffrer sa connexion, il faudra chiffrer ces requêtes-là.
J’oublie sans doute tout un tas de choses qui entrent dans cette logique du chiffrement de tout.
Sur un téléphone, c’est la même chose : chiffrer tout, sa connexion avec Tor, ses données en chiffrant le stockage du téléphone, ses requêtes DNS et, cadeau bonus : chiffrer ses SMS stockés et l’envoi et la réception de ces SMS puis chiffrer ses appels.
Bref vous l’aurez compris, ces solutions demandent du temps, des efforts et un peu de connaissances que l’on acquiert lorsqu’on s’intéresse à tout ceci.
Dans les faits, tout le monde n’a pas le temps, la curiosité et l’envie (ni même ne ressent le besoin) de ça. C’est parfois complexe, il faut parfois mettre ses mains dans le code ou dans l’outil qui ne fonctionne pas comme on veut, puis ce n’est pas très « user-friendly », comparé à ce qui existe déjà.
Donc ça ne concerne que celles et ceux qui savent et comprennent, ce n’est pas le but de ce billet, essayons d’élargir le champ des personnes concernées. Idée suivante.
Troisième piste : Facebook, Apple, tout ça… C’EST LE MAL.
L’idée serait donc de migrer de Facebook vers autre chose, d’Apple vers autre chose (et ne me répondez pas android, c’est Google derrière)… oui, mais vers quoi ?
Parce que c’est bien mignon mais quel site est capable d’offrir autant d’interactions que Facebook ?
Des projets ou d’autres réseaux sociaux existent et l’article d’Andréa en parle d’ailleurs dans son article, comme elle parle du non succès rencontré par ces mêmes réseaux.
J’aime le libre, j’aime crier que tel service c’est mal parce que c’est irrespectueux de votre vie privée où dangereux et j’aime encore plus expliquer pourquoi mais il faut se rendre à l’évidence : les utilisateurs aiment ce qui est simple, rapide, interactif et ils veulent pouvoir retrouver leurs amis sur les différents réseaux sociaux.
Les projets concurrents à Facebook ne sont pas aussi faciles d’accès, pas aussi rapides, pas aussi interactifs et ils ne sont donc pas attractifs.
Paradoxalement, je suis en train de vous dire ça mais ce blog dispose d’une connexion Facebook, d’une fanpage et forcément, d’un compte Facebook. Je suis parfaitement conscient de ce que Facebook fait mais je suis, dans le même temps, conscient que c’est un outil de communication non négligeable.
Je suis donc mal placé pour vous demander de ne pas faire ce que je fais. Pour toutes ces raisons, espérer que les utilisateurs Facebook le quittent pour protéger leur intimité, c’est une utopie. Une belle utopie, mais une utopie quand même.
Quatrième piste : l’auto-hébergement de vos données et de vos services.
L’auto-hébergement, c’est le fait d’avoir ses propres services qui tournent, chez vous, pour faire ce que vous faites d’habitude.
En gros, vous disposez d’un serveur de mail avec une adresse que vous avez créé, vous disposez d’un serveur DNS, d’un IRC si vous l’utilisez, d’un serveur comme mumble pour parler, d’un serveur pour faire de la vidéo, d’un serveur qui remplace Twitter si vous êtes client Twitter… puis pour Facebook et le reste, ce n’est tout simplement pas possible.
Je me dirige peu à peu vers cette solution, je suis encore très loin d’avoir les compétences techniques pour tout faire mais ça viendra, j’échoue d’ailleurs sur quelques aspect de paramétrage de mon serveur DNS. Bref, comme tout le monde, je suis humain, je n’ai pas la science infuse et je fais des erreurs. Pour autant, je persiste et ça finira par fonctionner.
Demander aux gens de s’auto-héberger n’est absolument pas une solution envisageable pour l’instant. Il faut du temps, parfois un tout petit peu d’argent et surtout, il faut les connaissances nécessaires pour le faire et ça c’est un problème.
Un problème dans la mesure où beaucoup de gens n’ont tout simplement pas envie de comprendre, ils veulent que ça marche, point. L’idéal c’est d’appuyer sur un bouton et tout fonctionne, comme par magie.
Cette magie n’existe pas et on se rend compte que tout est logique une fois dedans, c’est un ensemble de choses, d’instructions, de lignes de code, qui produisent une chose et une autre, et au final ça fait un service x ou y.
Donc, demander à monsieur et madame « tout le monde » de basculer vers ce système, c’est tout simplement impossible. Ils ne veulent pas, ne comprennent pas l’intérêt puisque ce qui existe fonctionne déjà.
Dernière piste : l’éducation.
La seule solution viable semble être, selon moi, l’éducation. Je ne parle pas de chiffrement, mais d’éducation au numérique, d’explications sur les enjeux de cet outil qu’est Internet, de la protection des données personnelles afin de conserver un peu d’intimité.
Pour les « anciennes » générations, tout comme pour la nôtre, c’est déjà trop tard. Ce n’est pas à 30 ans, à 40 ou plus qu’il faut reposer des bases qui n’existaient pas car l’outil n’existait pas.
Cette solution peut fonctionner, elle peut rendre les gens responsables et conscients de ce qu’ils font sur Internet, elle peut sans doute leur faire prendre conscience qu’Internet est public et que si on veut que quelque chose reste privé, la meilleure solution, c’est peut-être de ne pas le publier tout court.
Derrière ce simple passage, il y a beaucoup de variables et tout ne se fera pas en un jour, ni en un an ni même en 10, c’est une transformation qui prendra une génération, si donné que cette transformation se concrétisait dans le futur…
Et maintenant, pour maintenant ?
Bien maintenant, je ne sais pas, j’ai envie de hausser les épaules et de répondre « à quoi bon, ça ne changera rien ».
Cette tentation de tout abandonner est de plus en plus tentante et j’imagine que d’autres ressentent la même chose que moi en ce moment même, à quoi bon lutter, autant se résigner.
Andréa le disait même dans le titre de son article, autant se résigner.
Sur ce point, j’ai une réponse claire, nette et précise à apporter : si nous nous résignons, c’est perdu.
Si nous n’essayons pas de faire changer les choses, c’est perdu, c’est accepter PRISM et la surveillance de tout, partout.
Si nous essayons, ce n’est peut-être pas gagné, mais nous avons bien plus de chances que ça fonctionne. C’est logique me direz-vous, si nous essayons, ça ne peut que fonctionner plus que si nous n’essayons pas. Vous avez raison.
C’est ce point qui ne me fait pas abandonner ce combat-là, ce point qui me remotive lorsque j’ai envie de tout fermer et d’arrêter d’essayer.
Les retombées de nos efforts ne seront peut-être pas visibles mais elles existeront. Peut-être pour une personne, peut-être pour mille, personne n’a cette réponse… mais tout le monde le sait.
Alors essayons.