Le foot, Retailleau et la reconnaissance faciale

Dans une récente interview donnée à Thomas Sotto, que vous pouvez consulter ici, le ministre de l’Intérieur s’est positionné en faveur de la mise en place d’un système généralisé de reconnaissance faciale.

Alors, est-ce une bonne idée ? Est-ce que la fin justifie les moyens ? Je vais tenter de vous partager mon avis.

Premièrement, la reconnaissance faciale, c’est quoi ?

A celles et ceux qui seraient tentés de répondre : « ce n’est pas grave, on en déjà partout dans nos téléphones, dans les aéroports », apprenez ceci : il existe plusieurs systèmes de reconnaissance faciale, dans deux domaines : l’authentification et l’identification

L’authentification, qu’est-ce ?

C’est le fait de confirmer que vous êtes bien la personne que vous prétendez être. C’est par exemple votre téléphone qui calcule votre empreinte faciale par rapport à des séries de photos prises, ces dernières ayant donné des résultats. C’est aussi un contrôle à l’aéroport en comparant votre tête à celle de votre photo sur votre CNI ou votre passeport. Elle n’est pas sans poser de problèmes mais elle se base sur une chose importante : elle ne dispose pas nécessairement de base d’identification. On lui dit de comparer un objet A à un objet B, elle s’exécute, elle valide ou non votre identité, point. Elle ne vous connait pas et surtout, elle ne vous identifie pas.

L’identification, c’est un procédé autrement plus intrusif

Identifier via la reconnaissance faciale suppose un point important en amont : le système doit pouvoir vous comparer à des identités préalablement enregistrées. Il doit donc disposer d’une base de données biométriques et plus elle concerne de personnes, plus la base aura une probabilité d’identifier correctement une personne. C’est un peu comme une IA : plus le datamodel de l’IA est évolué, riche, plus l’IA a été nourrie avec un jeu de données énorme et plus elle sera probablement pertinente.

Nous tirons donc un premier constat problématique : pour mettre en place une reconnaissance faciale efficiente, il faut pouvoir enregistrer la totalité de la population, ou au moins le plus de personnes, sinon elle n’a aucun intérêt et … enregistrer la totalité de la population, c’est sans doute un moyen qu’on pourrait qualifier d’assez disproportionné face à la finalité visée, à savoir pouvoir identifier les personnes responsables de délits, de dégradations ou pire encore. Ces personnes sont des délinquants, des criminels, certes, mais ils ne représentent qu’une minorité de personnes. Dès lors, mettre sous surveillance 70 millions de personnes pour moins de 500 arrestations liées aux débordements du match, n’est-ce pas un peu trop gros ?

L’efficacité de la reconnaissance faciale

Le second point c’est la question de l’efficacité de la reconnaissance faciale : est-ce que c’est un système fiable et efficace.

En ce qui concerne son efficacité, elle semble questionnable. Je n’ai trouvé que trop peu de chiffres, mais dans ceux trouvés, deux sont sourcés et intéressants. Le premier explique qu’à peine 2% des enquêtes ont été résolues grâce à des preuves vidéo, ce qui pourrait laisser penser qu’elle ne serait que très peu nécessaire et utile

Un schéma tiré de l’étude commandée par la gendarmerie en 2021 pour évaluer l’apport de la vidéoprotection aux efforts des enquêteurs et de la justice. Une… contribution portion congrue.
Document Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale. Source : https://www.blast-info.fr/articles/2024/videosurveillance-boostee-par-les-jo-un-pognon-de-dingue-une-efficacite-contestable-9TDn7FUTQy60KT_MpoD39Q

Le second chiffre, des 98% de faux positifs, chiffre qu’on peut découvrir dans un article du journal britannique « Independant » : Metropolitan Police’s facial recognition technology 98% inaccurate, figures show

Partant de là, 2% des cas, 98% de faux positifs en dehors de ces enquêtes…. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’un tel système face à de tels résultats d’identification.

Si la reconnaissance faciale sur votre téléphone fonctionne ou si celle de l’aéroport fonctionne, c’est parce qu’elle a un point de comparaison unique, elle n’est pas en train d’identifier 10, 100 ou 1000 personnes, voire plus, en simultané. Elle n’authentifie que vous, à un instant T, selon des paramètres précis.

Rajoutons à cela, la mode n’épargnant personne, que ce système de reconnaissance faciale serait sans doute couplé à un système d’IA qui peut se tromper, encore créer d’autres faux positif, souffrir de biais (les IA sont d’abord des outils codés par les humains, donc souffrent des mêmes biais ciblant les personnes racisées, les minorités et les personnes que la société devrait protéger et non détruire.

Si nous faisons un résumé ici : nous aurions donc un système utilisé pour produire des effets juridiques alors que ce dernier est imparfait, biaisé et n’a, jusqu’alors, que démontré son inefficacité.

Est-ce vraiment ce que nous voulons pour notre société ? Je me permets d’émettre un doute à ce sujet.

Qu’en dit la loi ?

Allons directement au point essentiel : le RGPD. La reconnaissance faciale est extrêmement intrusive, elle est attentatoire aux libertés des individus dans leurs libertés de mouvement, dans leurs capacités à être eux-mêmes. Nous touchons ici à l’essence même des personnes, à leur intimité, aux visages et aux corps. Tout usage détourné ou toute violation de données de ces informations ferait peser de lourdes conséquences pour les personnes concernées. Dès lors, il convient de trouver des moyens moins intrusifs pour satisfaire les mêmes finalités, à savoir le renforcement de la sécurité publique. La CNIL en parlait d’ailleurs déjà en 2019 lorsqu’elle appelait à un réel débat autour de la reconnaissance faciale.

Et vous, quel est votre avis ?

Pour le procureur général de Paris, connaitre vos droits, c’est dangereux.

Note importante : cette nouvelle n’est pas récente, elle date de l’an dernier, quasi un an jour pour jour. Seulement, je la trouve d’actualité encore aujourd’hui, encore plus d’actualité, en réalité, j’ai donc décidé de vous en parler là.

Dans le contexte de l’état d’urgence, dans celui d’un Etat qui souhaite inscrire des mesure d’exception dans le droit commun et à l’aube de nouvelles manifestations contre la réforme du code du travail, je trouve cet article d’actualité.

L’avocate Laure Heinich s’est exprimée dans un article, consultable ici, à propos d’une décision bien étrange. Un manifestant avait en sa possession un tract d’un syndicat d’avocats, celui des Avocats de France (SaF) et, manifestement, cela dérange. Continuer la lecture de Pour le procureur général de Paris, connaitre vos droits, c’est dangereux.

Mastodon, qu’est-ce que c’est ?

Un énorme buzz a vu le jour récemment, autour d’un potentiel « concurrent » sérieux au service Twitter : Mastodon. Ayant vu beaucoup de papiers et surtout d’énormes erreurs, voire d’abjectes conneries, j’ai décidé d’en parler ici pour vous expliquer, en détail, ce que c’est. Continuer la lecture de Mastodon, qu’est-ce que c’est ?

Yahoo réfléchit à des panneaux d’affichage intelligents qui vous regardent et vous écoutent

Je ne crois pas l’avoir vu jusque-là, donc : le brevet US20160292713, déposé par Yahoo, décrit un panneau publicitaire « intelligent » : équipé de capteurs, de microphones, de caméras et de scanners rétiniens. Oui oui, les mêmes que dans Minority Report. Continuer la lecture de Yahoo réfléchit à des panneaux d’affichage intelligents qui vous regardent et vous écoutent

Fichage : une dangereuse amnésie derrière un écran de fumée.

Décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité. Tel est le joli nom de la nouvelle base de données, souhaitée par le gouvernement. Et cette base est destinée à tous nous ficher. Analyse d’un monstre de fichage. Continuer la lecture de Fichage : une dangereuse amnésie derrière un écran de fumée.

« Plus d’autorisation de manifester », vraiment ?

Petit passage éclair, pour rebondir sur un déclaration du Président Hollande.

En conseil des ministres, monsieur a déclaré la chose suivante :

« A un moment où la France accueille l’Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garantis. »

140 caractères étant parfois trop court, je profite d’un bref instant pour vous expliquer en quoi cette déclaration est une énorme bêtise qui, malheureusement, risque de prendre dans l’esprit de bien des gens.

Que dit la loi ?

Le code de la sécurité est très précis sur le sujet. Les articles L211-1 et L211-2 en particulier nous disent la chose suivante :

L211-1
Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.
Toutefois, sont dispensées de cette déclaration les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux.
Les réunions publiques sont régies par les dispositions de l’article 6 de la loi du 30 juin 1881.

L211-2
La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. A Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l’Etat dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d’Etat.
La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté.
L’autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé.

Donc ?

On récapitule : l’Etat ne délivre pas d’autorisations de manifester. Une manifestation se déclare, on ne dépose pas une demande d’autorisation de manifester mais une déclaration de manifestation.

Cette déclaration doit comprendre de nombreux éléments, certes. De la même façon, s’il est question d’occuper l’espace public lors de ladite manifestation, il faut, cette fois-ci, une autorisation.

Donc si vous marchez dans les rues, sur un trajet défini et annoncé dans la déclaration, si vous n’avez pas prévu d’occuper un espace public, il n’y a pas besoin d’autorisation.

Attention cependant, je vous conseille vivement de déclarer votre manifestation, ne pas le faire vous expose à quelques risques, genre payer des gros sous et une potentielle peine de prison… même si les manifestations sauvages, c’est sympa aussi.

L’autorité peut aussi, car c’est la loi, interdire votre manifestation une fois votre déclaration de manifestation déposée auprès des personnes compétentes.

Cependant, dire « il n’y aura plus d’autorisations de manifester » et « cette manifestation est déclarée interdite », ce n’est pas la même chose, clairement pas d’ailleurs. Fichtre.

Dans un premier cas, on fait croire que, par défaut, toutes les manifestations seront interdites « à priori » car on ne donnera plus « d’autorisations » pour manifester, ce qui est impossible. Diantre.

Dans un second cas, on décide de déclarer cette manifestation interdite parce qu’on constate un certain nombre de manquements ou de potentiels troubles à l’ordre public.

Conclusion de ce rapide passage : lisez la loi. Et ne vous laissez pas faire. Bordel.

Edit : un commentaire de Tris, qui gère le Projet Arcadie, rajoute des informations importantes, que voici, si vous n’avez pas l’habitude de lire les commentaires :

Précision utile et pour répondre à une question qui est revenue à plusieurs reprises : quid de l’état d’urgence ?

Ainsi que l’exprime liberté, libertés chéries => http://libertescheries.blogspot.fr/2016/02/etat-durgence-premiere-declaration.html il appartient au juge administratif de veiller à la conciliation entre les libertés fondamentales et la sauvegarde de l’ordre public et procède à une analyse au cas par cas, de façon concrète.

Il n’est donc pas possible de restreindre globalement la liberté de manifester même si des restrictions peuvent être apportées mais elles doivent motivées, limitées dans le temps et dans l’espace.