Le premier billet que j’ai rédigé, il y a de cela bientôt 10 ans, parlait de l’art de la langue de bois dans le monde politique. Tout débutant que j’étais, perdu au fin fond d’un tout petit blog hébergé chez Google (soyez indulgents), je m’étonnais que si peu de monde analyse la parole politique.
Attention, je ne parle pas de l’interprétation hein, mais de l’analyse « de fond », de la construction des paroles, phrases, du choix des mots, des figures de style… alors j’avais rédigé un petit trois fois rien, sur l’art de la langue de bois. Je partais, alors, dans une analyse, un constat, une étude d’une véritable pratique généralisée à l’ensemble des acteurs du monde politique.
Ces acteurs, députés, maires, sénateurs, ministre et bien entendu président, en rupture totale avec les citoyens, cette rupture aggravée depuis, tant le lien social qui les relie à ce monde est mort et enterré.
Tu vois (on va se tutoyer un peu), dans le passage précédent j’ai utilisé quoi… deux, peut-être trois idées fortes, citoyens, rupture, lien social… et à mon avis, tu as pensé « ouais c’est pas faux ! »… alors qu’en soi, ce que j’ai déclaré, c’est du vent. Ce sont des banalités qui sont quasi systématiquement vraies. La langue de bois, c’est un peu ça.
C’est un texte que tu ne comprends pas forcément parce qu’il y a plein d’idées qui vont t’empêcher de penser réellement, plein de notions qui se bousculent… et tu finis par dire « oui, c’est plutôt vrai, ses paroles sont pleines de bon sens. ».
Dis-toi que c’est le jeu préféré de la politique. C’est tellement utilisé que c’est devenu naturel, qu’ils ne sont pas, en soi, capables de réellement sortir de cette chose, pourtant mauvaise et néfaste.
Bref, sans plus attendre, petite analyse du discours de candidature de Manuel Valls au poste de Président de la république française.
Dans son introduction, on pourra relever quelques éléments qui ne veulent absolument rien dire :
« Cette ville où on se parle toujours, directement, avec franchise »
« Cette ville qui est un école, une école de la vie. »
Dans l’ensemble des villes, les gens se parlent toujours, parfois directement, parfois pas, parfois avec franchise, parfois non. La ville de Manuel Valls, comme il a aimé la présenter ainsi, n’échappe pas à cette règle, elle est comme n’importe quelle autre ville de France.
Bref, c’est une ville quoi. Et toutes les villes sont des écoles de la vie, chaque expérience est une école de la vie.
Bref, c’est une vie dans une ville, une vie comme plein d’autres vies, dans une ville comme plein d’autres villes. C’est sûr, c’est moins beau comme texte, mais bon…
Je note ensuite, mais c’est sur l’aspect mise en scène, le…disons… l’extrême spontanéité du public :
Manuel Valls est là, devant un pupitre, avec un slogan et un hashtag #Valls2017. Manifestement, tout le monde sait donc pourquoi il est là, enfin normalement… Mais lorsque M. Valls déclare « alors oui, je suis candidat à la présidence de la république », les applaudissements éclatent, la joie déborde et tous crient en cœur « oh oui, Manuel notre sauveur »… bon, peut-être pas pour le dernier point, d’accord. Bref, une belle mise en scène, un beau spectacle sur lequel je reviendrai ultérieurement, tu vas voir, c’est important.
« L’Homo Politicus » aime certaines figures de style plus que d’autres, en tête on retrouve l’oxymore et le pléonasme, d’ailleurs, aux alentours de 1’25, M. Valls en fait un joli : « c’est une conviction totale ».
Dis-moi, simple question : est-ce que tu as déjà vu une conviction partielle ?
« Alors, oui, j’ai une conviction, aux alentours de, roh je sais pas, 60-70 % », ça n’existe pas.
« Une conviction totale », c’est fait pour marquer inconsciemment ton esprit. Parce que lorsqu’on souligne des choses, qu’on insiste bien lourdement dessus, elles rentrent plus facilement en mémoire, que tu sois d’accord ou non avec les propos.
D’ailleurs, M. Valls utilisera plus ou moins une approche similaire quelques secondes après en disant « je veux tout donner, tout donner pour la France ». Ces passages sont faits pour marquer l’esprit, retenir l’attention et potentiellement faire qu’on parle plus de ça que des autres points. Donc, même si ces propos sont totalement creux, « conviction totale » et « tout donner, tout donner » vont rester dans ton esprit plus longtemps que le reste.
Il continuera un peu avant les 2′, en enchaînant « en parfaite loyauté » et « le soucis constant ».
En parfaite loyauté. Même construction que la conviction totale. Être loyal, c’est assez binaire. Soit une personne est loyale, soit elle ne l’est pas, elle ne peut pas être plus loyale que … bien, loyale. Donc être en parfaite loyauté, c’est simplement être loyal.
Seulement, il essaye de te faire croire que c’est au-delà de la simple loyauté et, pire, ça marche avec beaucoup de gens. C’est d’ailleurs le but de ce passage.
Quant au soucis constant… même chose. Je ne l’explique pas car je pense que c’est clair.
Manuel Valls fait attention aux mots qu’il prononce. Dans la suite de son discours où il est en parfaite loyauté avec le pré…le… François Hollande, Manuel Valls prendra bien soin de ne pas prononcer « président », tantôt à parler du « chef de l’état », tantôt à parler de « François Hollande » mais jamais de la fonction qu’il occupe actuellement. N’allez pas croire que c’est insignifiant, au contraire, c’est assez révélateur même.
M. Valls déclare donc son « émotion », son « affection » à François Hollande, sans parler du président et après avoir déclaré, selon des journalistes, qu’il ne supportait plus ce dernier. Délicieux… mais j’ai quand-même l’impression qu’il se moque un peu de nous.
On continue, sur la « très grande fierté », vers 2’41… bon, je te laisse deviner ce que c’est, tu as tout ce qu’il te faut pour.
M. Valls déclare juste après « et d’avoir engagé des réformes essentielles ». Ah… la réforme. La réforme c’est un mot prononcé très souvent par l’Homo Politicus. Généralement, il cherche à nous faire croire que c’est une bonne chose. Sauf que dans les faits, à chaque…réforme, nous avons perdu quelque chose. Mais c’était nécessaire, essentiel, c’est Manuel qui le dit.
A qui ? A quoi ? A quel prix ? Je ne sais pas, mais c’était nécessaire. Le fait de rajouter nécessaire derrière réforme est là pour ne pas pouvoir critiquer. C’était une réforme… mais une réforme nécessaire. Faire croire à la nécessité d’une réforme, c’est tuer une partie de la contestation avant même qu’elle arrive car… bah… c’est nécessaire.
Oui, généralement, quand tu entends « le truc nécessaire », c’est que la … réforme… est vraiment vraiment mauvaise.
J’avance un peu dans le temps, n’ayant pas prévu d’écrire plus de 3500 pages aujourd’hui.
Vers les 4’28, M. Valls explique qu’il veut une France « indépendante, indépendante » (la répétition, oui, encore) et… c’est tout. Indépendante de ? Qui ? Quoi ? Sur quels aspects ? Comment ? Bonne question. Il parlera, plus tard, de l’Europe qui n’est pas assez présente et pas à la hauteur de ses espérances pour aider les pays de l’UE.
Pendant ce temps là, dans mon cerveau.
– « Du coup, je suis un peu perdu… il veut une France indépendante ou il veut que l’Europe intervienne davantage ?
– Il veut les deux en même temps.
– Mais il peut pas, si nous sommes indépendants, l’Europe doit moins être là et si elle est là nous sommes moins indépendants. Il peut pas, c’est pas possible !
– Oui, mais il veut les deux. Tu peux pas comprendre c’est de la politique. »
Aux alentours de 6’29, M. Valls déclare « ma candidature, c’est aussi une révolte. » J’ai recraché mon café à ce moment là et je me suis jeté sur mon dictionnaire, est-ce qu’on m’aurait menti sur la définition de ce mot ?
Révolte :
Action menée par un groupe de personnes qui s’opposent ouvertement à l’autorité établie et tentent de la renverser. – Attitude de quelqu’un qui refuse d’obéir, de se soumettre à une autorité, à une contrainte.
Bizarre, il ne s’oppose pas à l’autorité établie puisqu’il fait partie du « système » et il ne refuse pas d’obéir puisqu’il a dit, précédemment, qu’il avait toujours été exemplaire. Il ne refuse pas de se soumettre à une autorité non plus, ni à une contrainte.
Peut-être qu’il se moque juste de nous et qu’il a soigneusement choisi ce terme pour nous faire penser qu’il était passionné, animé par un désir profond de… de je ne sais pas trop quoi, mais profond quoi. Étrange, les révoltés que je connais ne se présentent quand-même pas à la présidence de la république.
Disons, pour lui faire plaisir, que c’est un « révolté mais pas trop », allez.
M. Valls vient, ensuite, opposer certains thème ou certaines images, comme la liberté qu’il va opposer au fait de DEVOIR voter. Il utilisera également les mots bouclier et protéger, un registre qui fait penser au combat, pour parler de tolérance.
Ne bougez pas, je m’en vais protéger la paix avec mes armes nucléaires.
Exactement, il dira « la laïcité, qui est notre bouclier pour assurer la tolérance, pour protéger ». La laïcité est devenue une arme dans la bouche de l’Homo Politicus, détournée de son sens premier, elle permet, maintenant, de « se protéger » pour « assurer la tolérance ». Mais se protéger de qui ? De quoi ? Quel est le message que M. Valls tente de faire passer ici ?
J’ai écouté ce passage encore et encore et je n’ai pas la réponse, mais je n’aime pas spécialement tout ce que cela peut laisser entendre, faites-vous votre propre avis sur le sujet.
M. Valls parlera ensuite de l’égalité hommes/femmes. C’est un point important, c’est vrai, les femmes sont sous représentées dans de très nombreux secteurs, y compris dans les institutions publiques.
Certes les choses changent car le pourcentage de femmes dans les institutions augmente… mais elles sont généralement en bas de l’échelle, ont des postes précaires et restent, dans de trop nombreux cas, sous payées en comparaison aux hommes qui jouissent encore et toujours de…
Attendez, est-ce que quelqu’un a dit à Manuel Valls que derrière lui, il n’y avait que 5 femmes et plus de 10 hommes ? Et que même sur les plans larges les femmes étaient nettement sous représentées ? Et qu’on ne me parle pas de spontanéité de l’événement, tout est orchestré.
Bref, un homme qui parle d’égalité sans l’appliquer. Un homme quoi. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup…
M. Valls enchaînera sur « Ce fameux modèle social français qu’il faut moderniser mais aussi préserver… »
On oppose à nouveau deux idées. Conserver et moderniser. On conserve ou on modernise ? Les deux sont, par définition, difficilement compatibles. C’est un paradoxe et votre cerveau n’aime pas du tout les paradoxes, donc il « zappe » ce passage. C’est une technique redoutable qui, à nouveau, vous empêche de vous concentrer réellement sur le message.
M. Valls continuera en disant qu’il faut « mettre la France à la hauteur d’un monde nouveau », ce qui laisse entendre que la France est en dessous. Par la suite, il expliquera donc que l’Europe n’est pas au niveau, que certains pays du monde non plus… comment est-il possible de mettre la France à la hauteur d’un monde qui est en dessous de cette dernière ?
A nouveau, et sans doute inconsciemment tant c’est un réflexe, le discours est paradoxal, votre cerveau « zappe » ou ne retiendra qu’une seule chose, ce qui vous empêchera de comprendre le propos dans sa globalité.
Un autre « What the fuck » fera son apparition avec « l’économie verte ». L’économie verte, c’est un oxymore. L’économie est un moteur de la croissance, hors la croissance est conditionnée aux limites du monde. Lorsque Manuel Valls parle d’économie verte, il parle de « croissance verte », mais cette dernière n’est ni verte, ni indéfinie dans le temps. Lorsqu’il n’y aura plus de ressources, il y aura forcément une décroissance, et plus il y aura de croissance, plus la décroissance arrivera rapidement. Nous sommes en présence, ici, d’un élément de vocabulaire très « langue de bois » ou « bullshit » si vous préférez.
Comprenez par là qu’une société qui fonctionne est une société qui connaît la croissance, vous savez, ces trucs quand on parle du PIB par exemple. Mais plus ce PIB est important, plus on consomme les ressources de notre planète qui ne sont pas infinies. Bref, parler d’économie verte ou de croissance verte, c’est grosso modo de la communication… et ça marche.
Bref. Un dernier point.
« La démocratie sociale », expression prononcée par M. Valls. C’est quoi, une démocratie pas sociale ? Une démocratie, c’est le pouvoir du peuple, par le peuple, enfin, au moins étymologiquement parlant. Donc, une démocratie sociale, c’est … une démocratie, tout court. Non ?
N’étant pas spécialiste et n’ayant pas pris le temps de tout décortiquer, je m’arrête ici et je vous laisse vous faire votre propre avis sur le billet. N’hésitez surtout pas à me dire si vous avez aimé l’exercice, auquel cas, si c’est le cas il y aura peut-être d’autres « analyses ».
PS : si tu veux te faire mal toi, aussi, c’est par là : https://www.youtube.com/watch?v=UwqA3sQh7zg
Super article, continue comme ça !
Merci beaucoup, c’est très gentil et vu les retours que j’ai pu avoir sur ce billet, je vais effectivement continuer
Merci de t’être sacrifié pour nous en re-regardant et en analysant cette déclaration, personnellement c’est au dessus de mes forces…
Et tu sais quoi, je vais même le refaire, encore, parce que j’aime souffrir 😀
Présenté comme ça, effectivement… Le pire, c’est qu’il n’est pas le seul homme politique à parler pour ne rien dire !
Non, effectivement, et cela ne sera pas le seul billet sur l’analyse d’un discours politique 🙂
Merci pour ce billet ça fait du bien je me sens moins seule
Est-ce que nos journalistes pourraient en prendre de la graine ? Car tu parles (tutoyons nous !) des politiques .. mais la presse ? Elle a aussi (pas toujours heureusement) sa part de responsabilité dans le « parler pour ne rien dire », non ?
Bonsoir et merci d’avoir posé la question. La réponse, en vrai, est un peu plus compliquée qu’il n’y parait.
Premièrement parce que la « langue de bois » n’est pas uniquement liée au milieu politique, mais à l’ensemble des métiers. Comprends par là que chaque secteur à ses mots pour en remplacer d’autres, le tourisme parle de partenaires, l’éducation d’autre chose et ainsi de suite… et c’est tellement utilisé, martelé, que c’est naturel pour ces personnes et donc, pas choquant.
La second point est que la presse politique est très souvent au contact… du corps politique forcément. De facto, elle est aussi contaminée par ces mots, expressions, ces figures de style et tout le reste, dont elle n’a même plus conscience puisque c’est son quotidien. Comme moi j’utilise mes mots et mes références naturellement car je vis avec, ils font de même.
Dès lors, comment dénoncer ou décrire quelque chose qui semble naturel à toutes ces personnes là ?
Après, et selon moi, elle a effectivement sa part de responsabilité, mais d’ici à ce qu’elle en prenne conscience…
Bel exercice de style. Perso, j’ai trouvé – une impression in vivo, pas une décortication à froid – le discours de Valls très convenu, banal et creux. Comme ils disent aujourd’hui : ça n’a pas imprimé… Il va nous surjouer l' »expérience » (on nous a vendu du Hollande… malgré son inexpérience). L’expérience de Valls, c’est d’abord un « passif », beaucoup vont lui rappeler.
Une restriction par rapport à votre développement : les politiques sont tous déconnectés des réalités, de la vraie vie des gens. Tous, non, pas les maires, en tout cas pas ceux des villages et petites villes. Et puis, il faut le reconnaître, parmi les « grands » certains mouillent la chemise, vont au contact de la base, font des efforts réels. Ils n’ont pas tous que des défauts. En plus, on en a besoin. Sinon, on y va…
Merci beaucoup. Je l’ai trouvé assez « neutre » oui, assez banal en soi, sans fond, bref je suis d’accord avec vous, en effet.
Son approche, à mon sens, va s’axer autour du story telling, puisque cela semble marcher. Wait & See, je pense, j’espère du moins, ne pas trop me tromper.
Pour le fait que les politiques ne soient pas tous déconnectés de la réalité, c’est complètement vrai, vous avez raison de le souligner. J’ai en tête quelques maires, des représentants de l’état et des députés qui ont, fort heureusement, les pieds sur terre.
Ils n’ont pas tous que des défauts, c’est également vrai, c’est simplement dommage (même si cela s’explique facilement, ils travaillent) que ces derniers ne soient pas plus visibles.
Heureux de savoir que nous en sommes en phase.
La politique est intrinsèquement une noble activité, et même une des plus nobles : après tout, c’est gérer la cité pour le bienfait de tous, donc des autres (forcément les plus nombreux). Comment nier qu’on assiste à trop de dérapages ? C’est un mal inévitable, qui a dû exister à toutes époques. Je suis persuadé que les grands hommes de notre Histoire (les Sully, Colbert, Richelieu, Mazarin…, grands serviteurs de la Nation) n’ont pas tous été des enfants-de-chœur. Mais, à l’époque, pas de micros et caméras cachés, le fait du prince, c’est tout. Aujourd’hui il existe plein de règles pour moraliser la profession. Pas facile la perfection ? Pour eux. Pour tous. Pour moi…
J’apprécie et je vais même adresser des morceaux de lecture à Valls.
Je ne suis pas d’accord avec « Endeavour » trop moraliste.
Merci pour cette analyse.
Je partage, au moins en partie, son point de vue. Je n’y vois pas quelqu’un de moraliste mais quelqu’un d’attaché à la fonction politique, ce que je peux comprendre. Mais passons, je répondrai peut-être à son dernier commentaire, cela sera plus direct 🙂
Merci pour ce commentaire, je ne suis pas sur que M. Valls apprécié la lecture de quelque chose comme ça (ni même qu’il le lise en passant ;))