[MAJ] Conseil au ministère de l’Intérieur.

Cher ministère de l’Intérieur, je viens de lire ton petit guide « Conseils aux femmes » et il me dérange. Tant dans la tournure choisie que dans le fait qu’il représente une double peine plus qu’un guide.

Edit : le ministère de l’Intérieur à modifié la page, et redirige l’URL ci-dessus vers autre chose, donc, merci le cache de google et un petit effet Streisand : https://pixellibre.net/streisand-data/conseilministereinterieur.htm

NB : je suis un homme. Ma condition fait que j’ai moins d’ennuis et je vais passer le long descriptif des privilèges que j’ai, sans les avoir demandés, du fait d’être un homme. Je sais juste que j’en suis conscient et que je fais avec, c’est dit.

Parlons donc de ton petit « guide » maintenant. Pour commencer et faire la liaison avec ce que je viens de dire plus haut, ton message tout le long dudit guide c’est « vous êtes une femme, donc vous êtes faible, donc vous devez vous cacher ». C’est particulièrement dérangeant.

Le premier point « Lorsque vous êtes chez vous », part du principe qu’une femme doit vivre cloitrée, enfermée, qu’elle ne doit pas parler d’elle :

« Ne laissez pas apparaître sur votre boîte à lettres, votre porte ou la liste des occupants de l’immeuble votre condition de femme seule. Evitez d’indiquer : Mademoiselle, Madame, Veuve ou votre prénom »

L’idée c’est donc de dire aux femmes : pour vivre heureuses, vivez cachées et accompagnées. Je suis certain, j’espère du moins, que ça partait d’une bonne intention, mais le message laissé ici culpabilise les femmes victimes d’agressions.

Si si, vraiment. Prenons donc ta réflexion dans l’autre sens : si une femme indique son nom, prénom, sa condition de femme seule ou autre chose et qu’elle a des problèmes, c’est de sa faute. Bah oui, puisqu’elle n’a pas suivi ces conseils, si elle a des ennuis, c’est de sa faute.

Première double peine, double sanction.

« Lorsque vous sortez »

« Evitez les lieux déserts, les voies mal éclairées …», encore cette même idée assez malsaine. Les femmes ne sont donc pas libres d’aller où elles veulent ? Elles ne sont pas libres tout court en fait ? Puis elles sont faibles.

Tu demandes aux femmes d’éviter de faire ceci ou cela, c’est donc la même approche que le début : il faut que les femmes s’adaptent à cette condition. Dire ce que tu dis c’est, à demi-mots, légitimer cette culture, c’est dire aux femmes « adaptez-vous parce que c’est comme ça ». J’imagine que ce n’était sans doute pas le but escompté mais là, c’est difficile de comprendre ça autrement.

Je ne vais pas continuer plus que ça, le reste cite des points évidents, cite la loi et les définitions des agressions/délits/le reste.

L’idée rampante dans ces écrits sent mauvais, pour rester courtois. Elle consiste à dire aux femmes : « voilà ce qu’il faut faire pour avoir un peu la paix » ou, pour être plus explicite « vous devez vous cacher pour être tranquilles » et, encore plus explicite, « si vous ne faites pas ça et que vous êtes victime d’agression ou de viol, c’est votre faute, fallait suivre les conseils. »

Cette chose-là porte un nom, c’est la culture du viol. C’est condamner la victime en lui disant « fait pas ci fait pas ça » plutôt que de lutter efficacement contre les personnes, hommes ou femmes, coupables de ces actes.

Je passe sur l’état d’esprit d’une personne victime d’un viol et qui tombe sur ceci. Elle va peut-être se dire « j’étais seule dans cette ruelle sombre pour rentrer, je l’ai bien cherché. », c’est clairement l’idée de ces conseils.

Nous voilà donc dans un modèle archaïque et très patriarcal de la pensée : les femmes sont faibles, les hommes forts. Les femmes ne peuvent pas se débrouiller seules, les hommes si, alors nous allons donner des conseils aux femmes.

J’ai compris, avec ma maigre expérience, que vouloir donner des conseils aux femmes quand on aborde un sujet comme ça, c’est pas la solution parce que les hommes n’ont pas à donner des conseils comme ça.

Bref, cher ministère de l’Intérieur, je voulais te le dire : tes « conseils aux femmes », je ne suis pas certain que les femmes apprécient, manière polie de te dire « c’est de la merde. »

Bien cordialement.

Ah, dernier détail : cette culture du viol là, elle part aussi du principe que nous sommes tous des violeurs. Bien oui, puisque les conseils s’appliquent aux femmes et qu’on parle au masculin ailleurs :

« éventuel agresseur », « Si le conducteur », « par le conducteur ou le passager », « par votre conjoint ou vos enfants ».

Si ces actes existent bien, la manière dont ils sont présentés me dérange, mais ce n’était pas le but de ce billet, je ne m’éternise donc pas sur ce point, je n’apprécie pas spécialement être considéré comme un danger/agresseur/violeur.

5 réflexions au sujet de « [MAJ] Conseil au ministère de l’Intérieur. »

  1. À propos de la dernière phrase sur le masculin, là le ministre a raison. Le masculin en français est souvent à considérer comme un neutre (genre qui n’existe pas explicitement en français).

    L’académie condamne l’utilisation de formes comme «chers concitoyens, cher concitoyennes» parce que les femmes sont comprises dans «chers concitoyens».
    On utilise le masculin lorsqu’on ne peut pas ou lorsqu’on ne veut pas préciser le genre. C’est typiquement le cas d’un pluriel.
    Par exemple « un témoin anonyme » ne suppose pas que le témoin soit masculin. Là l’usage du masculin comme un neutre est flagrant.

    «
    On se gardera également de dire les électeurs et les électrices, les informaticiennes et les informaticiens, expressions qui sont non seulement lourdes mais aussi redondantes, les informaticiennes étant comprises dans les informaticiens. De la même manière, l’usage du symbole « / » ou des parenthèses pour indiquer les formes masculine et féminine (Les électeurs/électrices du boulevard Voltaire sont appelé(e)s à voter dans le bureau 14) doit être proscrit dans la mesure où il contrevient à la règle traditionnelle de l’accord au pluriel.
    »
    http://www.academie-francaise.fr/la-langue-francaise/questions-de-langue#38_strong-em-fminisation-des-noms-de-mtier-de-titres-etc-em-strong

    Bref, si on dit « un agresseur » sans donner d’informations complémentaires, le français ne permet pas de dire si on parle d’un homme ou d’une femme.

    1. Merci pour ces règles de français, j’en découvre chaque jour. Il n’en reste pas moins que ce billet, ces conseils, me dérangent énormément. Cependant, je note l’usage du masculin comme genre neutre, c’est toujours bon à savoir.

  2. En plus de ça ils ne sont même pas capables d’écrire correctement français quoi… Ils oublient les accents aux majuscules, mettent des majuscules après les deux-point et points-virgule, et dans la page remplaçante c’est encore pire : ils capitalisent les premières lettres de chaque mot comme en anglais xÞ

    @LaurentClaessens : en effet, je suis tout à fait d’accord. Néanmoins on ne pourra s’empêcher de dire qu’il est problématique qu’il n’y ai pas de genre 100% masculin permettant d’affirmer explicitement que l’on parle d’un homme au pluriel, et qu’au singulier on est obligé de spécifier le genre, tout comme le fait qu’en français on garde du latin le fait que les mots ont un genre, et que souvent ce genre dérive d’une culture sexiste et patriarcale…
    La question devient ensuite : faut-il nier l’influence de cette culture fortement patriarcale dans la langue et modifier la langue pour modifier le concept de genre, ou peut-on s’y faire et l’ignorer ?

    Après évidemment je ne peux qu’être tout à fait d’accord avec cet article ^^

    1. C’est une très bonne question : est-ce que la culture et le modèle patriarcal que nous connaissons depuis des années, siècles même, a influencé l’évolution de la langue. Certains répondront que non, sans doute. Je suis de ceux qui répondront oui sans hésiter.

  3. L’étape d’après c’est que les femmes restent chez elles (et donc ne travaillent pas et ne conduisent pas de voitures), rencontrent le moins possible les hommes étrangers à leur famille et se dissimulent lorsqu’elles le font, etc…

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