Il y a quelques jours, une nouvelle venait assombrir le paysage de la « liberté d’expression » sur Facebook, comprenez par-là, la liberté d’expression selon Facebook qui est une lointaine cousine de la véritable liberté d’expression. Retour sur cette affaire.
Facebook et les faits ?
Au début du mois de Septembre 2016, Le quotidien Afternposten, plus gros quotidien de Norvège, publie une série de photos qui « ont changé le cours de l’histoire ». Dans cette série de photos, on retrouve un cliché en particulier, que vous avez forcément déjà vu : une photo prise le 8 juin 1972, à Trang Bang, pendant le conflit armé au Vietnam. Trang Bang était bombardé ce jour, par l’aviation sud-vietnamienne, contrairement à ce que l’on pourrait penser ce n’était donc pas un bombardement américain.
Cette photo, c’est celle d’une petite fille brulée au napalm, Phan Thị Kim Phúc, agée de 9 ans. Elle court sur une route, nue, en hurlant de douleur. Vous connaissez forcément cette photo, elle a fait le tour de la planète, obtenu un Pullitzer et le World Press Photo, elle a fait le tour de toutes les rédactions à l’époque et encore aujourd’hui elle est considérée comme « une des plus célèbres » photos du XXe siècle.
C’était le point culture générale, revenons au présent : Les robots de Facebook ont censuré le journal norvégien, pour cette photo, contraire aux règles sur le réseau. Ladite photo a été identifiée comme pornographie infantile. En cadeau bonus, l’article est censuré et disparaît des réseaux.
Episode 1 :
S’en suit un communiqué du journal, qui déplore et critique la censure du réseau, puis un communiqué de Facebook expliquant, en version courte « oui d’accord elle a marqué l’histoire mais bon c’est quand-même une gamine à poil et on assume d’avoir censuré cette photo, rien à faire de l’aspect historique qu’elle représente, faites pas chier. »
Episode 2 :
Erna Solberg, la première ministre norvégienne, publie sur Facebook un communiqué pour critiquer ladite censure du réseau, communiqué accompagné de la même photo censurée et … paf. Page censurée, commentaire supprimé.
Forcément, lorsqu’une ministre se fait censurer, cela fait un peu plus de bruit et cela dérange plus Facebook, qui censure une personne politique. Avouez que ça fait tâche quand-même.
Depuis, Facebook semble avoir corrigé sa version et a décidé, en grand saigneur (non, pas de faute d’orthographe), de laisser passer la photo, tout en manifestant leur désaccord sur ledit cliché.
La loi et Facebook ?
Mon approche est relativement simple : à quel régime obéit Facebook et que dit la loi sur ce régime en question ?
Facebook met à disposition du public un moyen de communiquer, pour être exact il « assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » (Article 6-1-2 de la loi LCEN).
Son statut semble donc être celui d’un hébergeur. Un hébergeur, aux yeux de la LCEN, dispose d’un régime de responsabilité aménagé, en gros il ne peut être tenu responsable de ce qui circule dans ses tuyaux, jusqu’à ce qu’il soit prévenu d’un contenu contentieux ou illégal, qu’il devra alors faire sauter.
Certaines jurisprudences viennent tempérer le statut d’hébergeur, sans responsabilité éditoriale, pour le définir plus clairement : un hébergeur est l’intermédiaire informatique qui effectue des prestations purement techniques en vue de faciliter l’usage du site Internet par le public. (arrêts Dailymotion et Fuzz).
La plupart des réseaux sociaux se « cachent » derrière ce statut d’hébergeur, ce qui présente de nombreux avantages : pas d’obligation de surveiller tout le trafic tout le temps, d’observer chaque post, billet, tweet ou que sais-je encore. Ces réseaux peuvent-être notifiés d’un contenu illégal et agissent alors, toujours dans le cadre des obligations crées par la Loi de Confiance en l’Economie Numérique, la LCEN, via une notification précise (article 6-1-5 de la LCEN).
La version courte : pour pouvoir bénéficier du statut d’hébergeur, il ne faut pas toucher à priori au contenu, il ne faut pas automatiquement le censurer, et il faut pouvoir être notifié d’une infraction puis la traiter dans les plus brefs délais.
Donc ?
Donc c’est assez simple, en se comportant ainsi, Facebook fait n’importe quoi selon moi. Il sort allègrement de son rôle d’hébergeur, puisqu’il décide ou non de laisser passer du contenu. Il décide de ce qui peut être écrit ou de ce qui ne peut pas l’être, bref, Facebook se prend pour l’autorité suprême sur son réseau.
Logique vous me direz, ils font un peu comme ils veulent, après tout Facebook eux, c’est à eux.
Sauf que dans les faits, à force d’accumuler les sorties de pistes comme ça, Facebook n’est plus vraiment un hébergeur, mais un éditeur de contenu, qui lui, n’a clairement pas le même statut au sens de la LCEN.
L’éditeur a un rôle actif, est supposé avoir connaissance du contenu publié et doit contrôler le contenu diffusé sur son site et il est responsable de tout le contenu diffusé sur son site.
Tout, c’est tout. Les propos racistes, xénophobes, antisémites, les injures, insultes, la diffamation, les photos publiées sans le consentement des personnes présentes, la gestion du droit à l’image, tout, c’est tout. C’est absolument chaque contenu publié en public sur le réseau.
Tout, c’est beaucoup. Et sur un réseau social comme Facebook, fort de ses millions de publications par jour, contrôler tout ce n’est pas possible.
Pourtant, en se permettant d’appliquer une politique d’éditeur de contenu et non d’hébergeur, Facebook prend de gros risques. Je ne suis pas avocat, mais il serait assez plaisant (et drôle) que Facebook soit attaqué en frontal pour débattre de son statut d’hébergeur ou d’éditeur de contenus.
Bref, Facebook joue à un jeu assez dangereux car être reconnu comme un éditeur de contenu et plus comme un « simple » hébergeur aurait des répercutions conséquentes sur le réseau. Et m’est d’avis que s’il vient à être considéré comme un éditeur et non plus comme un hébergeur, il vont avoir du boulot. Beaucoup de boulot.
Sans compter qu’un éditeur digne de ce nom se doit de rémunérer ses auteurs, non ?