[A froid, n°2] Le Conseil constitutionnel a parlé. #PJLRenseignement

Dans le précédent billet, j’ai tenté de faire une analyse des décisions prises par le Conseil constitutionnel, je vais maintenant les commenter. J’ai choisi de scinder mon analyse en deux parties, en trois même, pour être exact :

La première chose qui me frappe, c’est la très faible censure du Conseil constitutionnel :

  • le fonctionnement du budget de la CNCTR (L. 832-4),
  • la surveillance internationale (L. 854-1),
  • la surveillance en situation d’urgence liée à une menace imminente (L. 821-7).

Bien sûr, le Conseil émet quelques réserves d’interprétation mais, dans sa vaste majorité, la loi sur le renseignement est validée, les éléments permettant de la faire fonctionner sont déclarés conformes à la constitution.

Vient ensuite mon interrogation quant à la surveillance internationale.

Le Conseil a déclaré que l’article L. 854-1 du Code de la Sécurité Intérieure ne respectait pas la constitution. Cela signifie, en d’autres termes plus compréhensibles, que la loi sur le renseignement n’offre pas un cadre légal à la surveillance internationale. On peut légitimement s’interroger quant aux implications de cette décision.

Soit aucun cadre légal ne sera créé et on sera dans une situation dite « alégale », une situation où il n’existe pas de cadre légal défini si vous préférez, soit les services du renseignement ne mettront aucune surveillance internationale en place mais, sincèrement, permettez-moi d’en douter.

Doit-on considérer que les « services » n’iront pas fouiller dans des serveurs ailleurs que sur le sol français ?

D’ailleurs, dans son commentaire, le Conseil constitutionnel se « contente » de déclarer : « des mesures de surveillance internationales, codifiées au nouvel article L. 854-1 du CSI, en raison d’une méconnaissance de l’étendue de sa compétence par le législateur. » C’est donc une censure certes, mais pas un désaccord sur le fond.

Le même doute m’envahit quant à la conformité des finalités de la loi relative au renseignement (L. 811-3), mais ces doutes ne sont pas partagés par le Conseil constitutionnel.

De nombreuses personnes, des organisations, des experts, des avocats et, plus récemment, un organe au sein de l’ONU s’accordent à considérer ces finalités comme trop vastes, vagues, floues.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, considère que ces finalités apparaissent suffisamment précises et restrictives pour « respecter le caractère exceptionnel des raisons qui peuvent justifier le recours à des techniques de renseignement ».

Bien, message noté, la centaine d’avis d’experts et l’avis d’un organe de l’ONU n’aura rien changé, ces finalités sont assez précises et restrictives, « il n’y a rien à voir, circulez ! ».

Le Conseil a également déclaré conforme l’article L. 821-7, qui concerne les « professions protégées », parlementaires, magistrats, avocats ou encore journalistes.

Pour lui, il existe assez de garanties quant à la protection de ces professions : la procédure d’urgence absolue ne peut être invoquée, un avis de la CNCTR doit être rendu en séance plénière, l’encadrement strict de l’invocation de l’urgence, la descente d’informations à la CNCTR sont autant de points qui mènent le Conseil à considérer qu’il n’y a pas d’inconstitutionnalité.

Dans son considérant 35, enfin, le Conseil rappelle que la révélation d’une information à caractère secret est punie par le code pénal, donc tout est bon, il y a assez de garanties…

Ce point est difficile à accepter, il revient à considérer que ces professions n’auront pas de problèmes alors que mon côté « expert » hurle que si, justement.

Si je comprends les arguments du Conseil, j’aurais aimé qu’il prenne le temps de réfléchir sur l’impact des « boites noires » pour un journaliste. Si ces professionnel(le)s sont mis sous surveillance, même sans récupérer le contenu des échanges, il sera possible de savoir qui communique avec qui, quand, où, de quelle façon et j’estime que ces éléments mettent en danger la source ou les échanges entre le journaliste et ladite source d’information, ils vont à l’encontre du secret professionnel.

Je ne détaillerai pas l’ensemble des décisions du Conseil, simplement quelques-unes que j’estime « étranges », la prochaine remporte haut la main le titre de bizarrerie en chef.

La validation des « boites noires » (L. 851-3) est confirmée et, je dois l’avouer, j’ai pris une très, très très grosse claque sur ce point.

Dans son considérant 51 puis le 60 par la suite, le Conseil estime que les boites noires ne portent pas atteinte au droit au respect de la vie privée, pour les mêmes raisons que celles citées précédemment : le contrôle est suffisant pour garantir le droit au respect à la vie privée, l’utilisation des boites noires n’a lieu que dans une finalité du projet de loi, la lutte contre le terrorisme.

Ce qui me parait être évident n’est pourtant pas accepté par le Conseil constitutionnel. Pour moi, les métadonnées collectées par ces boites noires, dans, me dit-on, l’unique lutte contre le terrorisme, est un réel danger.

Il me parait aberrant de croire qu’il existe assez de garanties, assez d’éléments, pour garantir le bon fonctionnement du système. Je ne peux me résoudre à accepter la décision du Conseil quant aux boites noires, ils font preuve d’une méconnaissance totale du fonctionnement d’Internet et des données qui y circulent.

En même temps, est-ce bien leur rôle que de connaître ce fonctionnement ? Non. Ils auraient pu, en revanche, se servir intelligemment des données transmises par les nombreux « Amicus curiae » envoyés au Conseil, pour l’éclairer dans sa prise de décision.

Je ne comprends pas une telle décision, je la comprends encore moins lorsque j’observe le commentaire du Conseil Constitutionnel qui, tout au plus, se contente de parler de ce qui est écrit, sans ajouts, sans explications, sans son commentaire.

Quels sont les fondements d’une telle décision ? Pourquoi le Conseil ne s’explique pas sur ce point, pourtant si important ?

Je cherche encore à comprendre, sans succès.

Point positif, le Conseil a donc censuré les dispositions de surveillance internationale et son avis est assez éclairé ici.

Le Conseil considère que la surveillance internationale s’applique également à des échanges du national vers l’international ou de l’international vers le national et, raison de la censure du Conseil, que la législateur n’a pas « déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. »

Par manque de temps, je ne détaille pas plus pour l’instant. C’est un peu prétentieux mais n’hésitez pas à commenter ce billet si vous souhaitez que je détaille un point du billet précédent.

Quelles sont les suites à donner ?

Pour l’instant, accuser le coup et réfléchir me semble être un bon départ. Ensuite, il faut aller plus que l’autorité la plus élevée du droit français, à savoir le Conseil constitutionnel. S’il y a des suites, cela sera plus tourné vers la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) ou la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), cela demande du temps, des moyens et surtout beaucoup de motivation et de patience.

Je reste quand même confiant, de nombreux éléments me permettent de penser que tout n’est pas encore perdu, principalement dans les instances européennes.

La suite plus tard…

4 réflexions au sujet de « [A froid, n°2] Le Conseil constitutionnel a parlé. #PJLRenseignement »

  1. « Je cherche encore à comprendre, sans succès. »

    Tu n’es pas le seul, loin de là …

    Cette loi vise à légaliser les pratiques illégales pré existantes …

    « Bonjour Messieurs du Conseil, voilà toutes les infos collectées par nos boite noires vous concernant, vous, vos familles et vos proches, etc, etc.
    Vous ne voulez quand même pas qu’on les égares « par hasard » …
    Alors gââârde-à-vous, petit doigt sur la couture et faisez pas chier !!

  2. Bonjour,

    Comprendre est assez facile. Tout les membres du Conseil ont leurs page Wikipédia.

    Pour résumer la chose, on constate une fois de plus que ces gens font parti du même cercle que ceux qui ont pondus cette loi.

    On peut donc penser, sans trop risquer le ridicule, qu’ils auraient tout aussi bien pu voter ou proposer la même loi, cela n’aurait surpris personne.

    Finalement rien d’étonnant à ce que Hollande saisisse ce Conseil. Le risque était quasi nul.

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