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Understones : le Portugal et le mythe du bon colonisateur

Tue, 19 Dec 2023 15:48:27 +0000 - (source)

Les récits du passé pourraient encore étayer le sentiment d'identité au Portugal

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Illustration de Global Voices montrant le Monument des Découvertes. Wikimedia Commons (CC BY 4.0)

Cet article fait partie de Undertones, bulletin de l'Observatoire des médias civiques de Global Voices. S'abonner à Undertones.

Si on se promène à Lisbonne, il est fréquent de tomber sur des images de barques et des références au passé maritime du Portugal. Les caravelles, embarcations emblématiques utilisées lors des premiers voyages en Afrique Occidentale et au Brésil, elles sont présentes sur le drapeau de Lisbonne, sur de nombreux restaurants et des rues pavées, elles sont également présentes sous forme d'autobus touristiques, et de façon plus élaborée, sur le monument des découvertes construit par le dictateur António de Oliveira Salazar en 1958. Cet énorme monolithe, qui met en scène des explorateurs de renom, des cartographes, des navigateurs et des missionnaires. Ceci est un exemple de comment l'histoire de la colonisation portugaise se réécrit.

Pour les académiciens et les activistes, le discours qui a surgi pendant la dictature de Salazar perdure dans la société portugaise, et dans cette narration on y mélange l'orgueil d'un passé colonialiste et expansionniste avec le déni d'un racisme internalisé.

Certains incidents récents ont réveillé les débats sur le racisme dans le pays. La première exposition artistique qui commémore la vie des esclaves africains au Portugal fait face au rejet des autorités locales : en juillet, des critiques ont surgi contre le maire de Lisbonne pour « boycotter » l'exposition. En septembre, pendant une visite du Canada, le président Marcelo Rebelo de Sousa a décrit l'identité portugaise avec des phrases qui, pour certains; ont évoqué le slogan du dictateur Salazar : Football, Fado et Fatima (les trois F qui, selon le régime, ont défini le pays : le sport, la musique (fado) et la vénération de la vierge Fatima). Après, en octobre, une activiste noire et anti-racisme, a reçu une amende pour diffamation contre un néo-nazi autoproclamé.

« De nombreuses personnes ont une vision positive de l'époque coloniale », affirme Leon Ingelse, enquêteur de l'Observatoire des médias civiques. « Les récits de l'époque de Salazar semblent être normalisés dans l'ensemble du spectre politique ».

Pour les activistes antiracistes, « Portugal is not dealing with its colonial past » (Le Portugal ne fait pas face à son passé colonial)

Comment ce récit se propage dans les réseaux sociaux

Joacine Katar Moreira, politicienne portugaise née en Guinée Bissau, exprime sur le réseau X (ex Twitter) son désaccord avec la fierté de ses compatriotes concernant le passé colonial du Portugal.

Elle critique la façon dont « chaque référence nationale fait allusion au passé colonial du Portugal ». Par exemple le mot « navigatrices » (surnom de la sélection féminine de football). Elle demande si les Portugais sont également fiers d'autre chose.

La majorité des réponses qu'elle a reçues sont composées de haine et de racisme, observe Ingelse. Les commentaires disent que l'auteure est raciste pour dire ceci, qu'ils devraient l'expulser du pays et qu'elle est ingrate envers une nation qui l'accueille. Certains commentaires laissent noter la fierté du passé colonial.

Sa publication a reçu un score positif de +2 ou +3 dans le comptoir média de notre observatoire, parce que le message est antiraciste et en plus c'est important de discuter du racisme au Portugal. Cependant, elle devrait inclure plus d'information et de contexte.

L'article cité fait mention du lusotropicalisme, concept adopté par le dictateur Salaear pour revendiquer la fierté de l'identité historique du Portugal et maintenir les colonies africaines. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays a reçu une grande pression pour changer son discours impérial et pour libérer les territoires de l'outremer.

Le Portugal a joué un jeu prépondérant dans l'histoire européenne de la colonisation et le trafique humain. Pendant le 15e siècle, le Portugal a lancé et ensuite dominé le marché transatlantique des esclaves, avec la capture et la relocalisation de pas moins de 6 millions d'Africains au Brésil,  un nombre plus important que pour tout autre pays européen. Le Brésil est devenu indépendant en 1822, alors que la Guinée Bissau, le Cap Vert, Sao Tomé-et-Principe, l'Angola et le Mozambique ont obtenu leur liberté en 1974 et 1975 après de violentes guerres.

Après deux décennies au pouvoir, Salazar a commencé à adopter le concept de lusotropicalisme, développé apr le sociologue brésilien Gilberto Freyre. Jusqu'à ce moment, les politiciens portugais et les administrateurs des colonies pensaient que le colonialisme était une mission des blancs pour civiliser les « races inférieures ». Une révision historique a eu lieu.

La théorie du lusotropicalisme soutient que l'empire portugais était plus « humain » que les autres colons européens, par exemple les britanniques. Freyre et certains de ses contemporains ont affirmé que les portugais étaient intrinsèquement gentils, moins violents et plus ouverts à se mélanger avec les populations locales.

Rui Braga, chercheur au Tamera Peace Research & Education Center au Portugal, a écrit en 2020 que pendant les années 50 quand les empires coloniaux étaient étaient en pleine chute dans le monde, le régime a fait face à la nécessite de justifier sa présence coloniale en Afrique. Pour cela le récit sur le lusotropicalisme s'est intensifié, l'idéalisation du Portugal en tant que pays multiracial et pluricontinental  avec une capacité innée de coloniser de façon agréable et non violente, et avec une attitude libérale face aux mariages et relations sexuelles interraciales.

Salazar a « supprimé la réalité du racisme et du colonialisme, et cette propagande de l'État se reflète sur les statues, les monuments et les livres historiques ». Toute voix opposée à cette nouvelle identité nationale était censurée.

 Le lusotropicalisme à Eurovision

Pendant l'Eurovision de 1989, le groupe portugais de pop-rock Da Vinci a présenté le morceau « Conquistador ». Les paroles de la chanson sont un exemple concret du lusootropicalisme,

Braga et d'autres académiciens comme l'anthropologue Cristiana Bastos nous assurent que ce récit est toujours d'actualité.  Elle écrit, « On pourrait dire que le lusotropicalisme est une curiosité du passé, mais qui continue de réapparaître ». En 2021, le conseil d'Europe a demandé au Portugal de faire face à son passé colonial et de commerçant d'esclaves pour aider à combattre le racisme actuel.

Aujourd'hui, les plus de 68 ans étaient déjà adultes à l'époque des guerres sanglantes avec les colonies africaines. Cette histoire récente pour expliquer un récit fréquent, qui peut même être implicite, qui soutient que le « Portugal a été un bon colonisateur ». Mais ce discours oublie la cruauté du génocide, la torture, l’esclavagisme, le génocide et l'exploitation, qui ont eu lieu pendant l'époque coloniale.

« Le lusotropicalisme a masqué la réalité crue et amère, passée et présente, et il continue d'apporter un langage, un refuge attractif qui permet à l'interlocuteur de se sentir bien, se sentir et croire spécial », écrit l'anthropologue Basto.

Comment ce récit continue d'être actif sur les réseaux sociaux

Cela fait 5 mois, un ré-éditeur anonyme a publié un même dans un fil de discussion appelé « shitposting » (avec plus de 2.6 millions de followers) qui compare le style de colonisation réalisé par les Portugais avec la colonisation réalisée par les Britanniques.

L'image de gauche montre une célèbre caricature brésilienne qui représente une femme indigène, « Kuruminha » amoureuse d'un colon portugais, avec un fond tropical. L'image de droite nous rappelle la chanson de Iron Maiden « The Trooper », et montre un colon britannique déshumanisé en train de commettre un génocide.

La publication a eu 11 000 répercussions positives, et on ne peut s'assurer que la popularité était seulement au Portugal ou aussi en dehors du pays. Les commentaires contiennent un mélange de racisme, des accusations de laver l'image des blancs et des discussions étendues sur « qui a été le meilleur colon ».

Ce sujet a obtenu un score de -3 (le plus bas possible) sur le dans le comptoir média de notre observatoire, déjà que le même divulgue de fausses informations à une grande audience, il montre des aborigènes et des esclaves qui « apprécient » la colonisation portugaise.

Ce récit nous amène à deux conclusions : « Le Portugal a été un bon colonisateur, donc les Portugais ne sont pas racistes », et le « racisme est un sujet politique installé par la gauche ». Ce dernier concept gagne du terrain, impulsé par les partis d'extrême droite comme Chega! et le parti Ergue-te. En 2020, Chega a organisé une manifestation pour déclarer que le Portugal n'est pas raciste.

Mais les autres partis politiques pensent le contraire. En juin 2023, le parti de la gauche PAN (Personnes, Animaux et Nature) a introduit un projet de loi pour étudier  « les causes et conséquences du racisme institutionnel » au Portugal. Avec 5 partis pour et 2 contre (Chega et le parti socialiste, parti qui domine dans le pays) et une abstention, la proposition fut un échec. Chega a publié sur X que cette initiative est en ligne avec l'idée selon laquelle le racisme est un thème politisée par la gauche.

En 2024 on a célébré les 50 ans de la révolution des Œillets, qui a mis fin à la dictature au Portugal avec les guerres de colonies. Cependant, pour de nombreuses personnes, les discours du parti sont toujours là.


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