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Maroc : les Amazighs à la recherche d'une présence civique par le biais des droits linguistiques

Wed, 13 Dec 2023 16:18:09 +0000 - (source)

Le parcours des Amazighs après la reconnaissance de leurs droits linguistiques

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

« Amazigh » illustré en langue amazighe, avec pour toile de fond le Parlement marocain. Créé par Noran Morsi pour Global Voices.

Cet article a été écrit par Mohammed Udern. Il fait partie d’un projet de recherche sur la liberté d’expression et l’accès à l’information dans des espaces civiques à travers six communautés linguistiques dans la région de MENA.

Enfant, Mohammed Ait Amghar, un commerçant de la région d’Azilal au Maroc, ne parlait que sa langue maternelle, l’amazighe. En 1982, à l’âge de huit ans, alors qu’il se sentait mal en classe, son professeur lui a demandé avec sarcasme dans un arabe marocain familier (Darjah) : « As-tu mangé du bran de son ? », faisant référence à l’alimentation du bétail. Mohammed, dont les connaissances étaient limitées en arabe, ne comprit pas bien la question ainsi que le sarcasme qu’elle contenait, et répondit naïvement « oui ». Cet incident lui valut des persécutions de la part de ses camarades de classe à l’école, et impacta profondément sa vie, comme il l’a raconté à Global Voices :

“ⴰⵔ ⴱⴰⵀⵔⴰ ⵜⵜⵎⵏⴰⵍⴰⵏ ⵉⵎⵙⵍⵎⴰⵣⵉⵖⵏ ⴽⵔⴰ ⵏ ⵡⴰⴷⴷⴰⴷ ⴳ ⵉⴳⴳⵓⵜ ⵓⵣⵓⵅⵓ, ⵙ ⵍⴰⵡⴰⵏⵏ ⴰⴽⴽⵯ ⴰⴷⴷⴰⵢ ⵜⵜⵎⵉⵇⵇⵉⵔⵏ ⴰⴽⴷ ⵉⴳⴷⵓⴷⵏ ⵙⴰⵡⴰⵍⵏⵉⵏ ⵙ ⵜⵓⵜⵍⴰⵢⵜ ⵜⴰⵄⵕⴰⴱⵜ, ⴰⵢⵏⵏⴰ ⴰⵙⵏ ⵉⵜⵜⵙⵔⴰⴳⵏ ⴳ ⵓⵖⵓⵏⴼⵓ ⵙⴳ ⵜⵓⵜⵍⴰⵢⵜ ⵜⴰⵢⵎⵎⴰⵜ ⵏⵏⵙⵏ ⴷ ⵜⵔⵡⵍⴰ ⵙⴳ ⵓⵙⵙⵎⵔⵙ ⵏⵏⵙ.”

Les locuteurs de l’amazighe font souvent face à des situations difficiles, particulièrement dans leurs interactions avec les communautés arabophones. Ceci peut provoquer chez eux un sentiment d’intimidation et de découragement à utiliser leur langue maternelle. Par conséquent, ils développent une aversion à la parler publiquement.

Au fil du temps, de nombreux Amazighen d’Afrique du Nord ont perdu leur maîtrise de la langue amazighe en raison de facteurs historiques et socioculturels à l’instar de la domination phénicienne, l’occupation romaine, la conquête islamique et, plus tard, la colonisation française.

L’officialisation des langues étrangères telles que le français et l’arabe, en plus des facteurs socio-économiques modernes, a conduit plus tard à la marginalisation de la langue et de la culture amazighes, limitant de ce fait leur présence dans la vie publique et, par ricochet, leur accès à l’information et aux services. En conséquence, l’amazighe est passée d’un outil de communication pratique à un symbole d’identité pour le peuple amazigh.

L'amazighe en bref

  • Nombre de variantes amazighes : 40
  • Nombre de dialectes : 5
  • Les dialectes sont entre autres : à l’est (Ghadames-Nafusi), au nord (Kabyle-Rif-Tashlhhiyt), à l’ouest (Azennag et Tetserret), Tuareg (Tamahaq-Tamajeq-Tawellemet), et Guanches.
  • Nombre de pays où l’amazighe est parlé : 13
  • Ces pays sont : Maroc, Algérie, Libye, Mali, Niger, et bien d’autres. Elle est également présente dans les pays étrangers tels que la France, le Canada et d’autres.

L’histoire de l’amazighe est très variée et s’étend sur des milliers d’années, avec de nombreux dialectes.

En raison de la sensibilité politique, il n’existe pas d’études précises sur le nombre exact de locuteurs amazighs. Toutefois, la revue Ethnologue estime que le Maroc compte le plus grand groupe de locuteurs amazighs, avec environ 13,8 millions (en 2017), suivi de l’Algérie avec 8,8 millions (2020), puis de la France avec environ 11,5 millions de locuteurs (2022). La langue amazighe avait été officiellement reconnue en Algérie en 2016 et au Maroc en 2011, ce qui a marqué ainsi une étape importante dans la préservation de sa langue et de son patrimoine culturel.

L’impact de l’insécurité de la lingue amazighe sur la participation civique au Maroc

La langue est un outil de communication puissant qui reflète l’identité culturelle et l’appartenance sociale. Elle joue un rôle crucial dans l’accès et l’échange des informations, en favorisant le partage des connaissances. Dans un entretien accordé à Global Voices, le Dr Abdullah Bouzndag, un expert en sociolinguistique et didactique de l’amazighe à l’Institut Royal de la Culture Amazighe, a relevé l’intégration inadéquate de l’amazighe dans la société marocaine :

L’accès à l’information est un droit fondamental pour tous les amazighophone du pays, reconnu par toutes les conventions internationales sur les droits de l’Homme. Malheureusement, il est souvent inadéquatement assuré dans l'administration et les services publics, même si son inclusion ne nécessite pas d’importantes ressources financières.

Les locuteurs amazighs monolingues sont confrontés à des difficultés lorsqu’ils tentent de s’intégrer dans la société et de participer à des activités civiques. Ces difficultés découlent de leur accès limité au savoir et aux services publics en raison de l’absence de leur langue maternelle dans la vie publique. Selon le Dr Bouzndag :

Il est naturel que la privation des droits culturels d’un groupe humain ait un impact négatif sur le comportement de ses membres. L’insécurité linguistique peut directement conduire au boycott des institutions, comme en témoigne le boycott des élections par le mouvement amazigh avant 2011. En outre, elle peut entraîner une réticence générale à participer à la vie politique, servant ainsi d’expression au mécontentement.

Un grand nombre d’associations amazighes, le Réseau de citoyenneté amazighe et le Parti démocrate amazigh marocain ont boycotté les élections législatives de 2007 en raison de « l’absence de reconnaissance de l’identité amazighe et de la langue amazighe dans la constitution, ainsi que de la marginalisation continue des préoccupations amazighes par l’État ».

Le débat sur les droits des Amazighs au Maroc a commencé dans les années 1960 par le biais de diverses associations. Cependant, la réponse officielle de l’État est venue au 21e siècle, prenant de l’ampleur après le discours historique du roi Mohammed VI à Agadir le 17 octobre 2001. Il a souligné que l’amazighe appartient à tous les Marocains et constitue un élément fondamental de la culture marocaine. La reconnaissance officielle de la langue amazighe a eu lieu en juillet 2011, dans le sillage des manifestations du printemps arabe au Maroc, où les gens demandaient des réformes démocratiques.

Les obstacles à l’accès à l’information et aux services 

Le Maroc a fait des progrès significatifs dans la reconnaissance et la promotion de la langue amazighe en établissant un cadre juridique pour soutenir son développement. Cependant, les engagements incohérents du gouvernement entravent sa croissance. Par conséquent, l’amazighe se heurte encore à des obstacles, notamment un soutien officiel et une intégration limités dans des secteurs clés tels que l’éducation, les soins de santé, le système judiciaire et les administrations publiques.

Au niveau individuel, les Amazighs ont des difficultés à communiquer avec les institutions gouvernementales en raison de l’absence d’informations et de services en amazighe. Cela entrave leur participation aux affaires publiques, car ils ont du mal à comprendre les lois et les procédures gouvernementales, ce qui entraîne leur marginalisation et leur intégration limitée dans les communautés urbaines. Pour surmonter ces obstacles, il faut maîtriser l’arabe ou le français.

En outre, les barrières linguistiques affectent considérablement les perspectives d’emploi de ceux qui parlent principalement l’amazighe. Les exigences en matière de maîtrise du français dans les secteurs public et privé entravent les possibilités d’emploi formel, poussant de nombreuses personnes vers des emplois informels et mal rémunérés tels que l’agriculture et la construction. L’absence d’un cadre officiel pour les services, l’information et les opportunités d’emploi exacerbe les taux de chômage élevés et les difficultés économiques au sein de la communauté amazighe.

Lutte pour l’égalité des chances

Le Maroc a fait des progrès significatifs dans la reconnaissance et la promotion de la langue amazighe en établissant un cadre juridique pour soutenir son développement. Cependant, les engagements incohérents du gouvernement entravent sa croissance. Par conséquent, l’amazighe se heurte encore à des obstacles, notamment un soutien officiel et une intégration limités dans des secteurs clés tels que l’éducation, les soins de santé, le système judiciaire et les administrations publiques.

Au niveau individuel, les Amazighs ont des difficultés à communiquer avec les institutions gouvernementales en raison de l’absence d’informations et de services en amazighe. Cela entrave leur participation aux affaires publiques, car ils ont du mal à comprendre les lois et les procédures gouvernementales, ce qui entraîne leur marginalisation et leur intégration limitée dans les communautés urbaines. Pour surmonter ces obstacles, il faut maîtriser l’arabe ou le français.

En outre, les barrières linguistiques affectent considérablement les perspectives d’emploi de ceux qui parlent principalement l’amazighe. Les exigences en matière de maîtrise du français dans les secteurs public et privé entravent les possibilités d’emploi formel, poussant de nombreuses personnes vers des emplois informels et mal rémunérés tels que l’agriculture et la construction. L’absence d’un cadre officiel pour les services, l’information et les opportunités d’emploi exacerbe les taux de chômage élevés et les difficultés économiques au sein de la communauté amazighe.

L’une de ces histoires a été communiquée à Global Voices. Le grand-père d’Othman, Si Hassayen d’Azilal a été condamné par contumace à la fin des années 1990 dans une affaire de litige foncier, alors qu’il était présent dans la salle d’audience. Son incapacité à comprendre le marocain familier utilisé au cours de la procédure a conduit à ce résultat malheureux. Il a déclaré :

ⵎⵇⵇⴰⵕ ⵜⴰⴹⵚⴰ ⵏⵏⴰⵖ ⴼ ⵡⴰⴷⴷⴰⴷ ⴰⴷ ⴳ ⵜⴰⵡⵊⴰ, ⵎⴰⵛ ⴷⴰⵔ ⵊⴷⴷⵉ ⵓⵔ ⵉⴳⵉ ⴰⵣⵔⴼⴰⵏ. ⵉⵣⵓⵅⵅⴰ ⵢⴰⵏ ⵙⴳ ⵉⵎⵙⵡⵡⵔⵉⵏ ⵏ ⵜⵙⵏⴱⴹⴰⵢⵜ ⵙ ⵢⴰⵏ ⵓⵙⵇⵇⵙⵉ ⵓⴹⵏⵉⵥ “ⵉⵙ ⴰⵛⵍⵃⵉ ⴰⴷ ⵜⴳⵉⵜ, ⵉⵙ ⵓⵔ ⵜⵙⵙⵉⵏⴷ ⵜⴰⵄⵕⴰⴱⵜ !” 

Bien que nous ayons ri de cet incident au sein de la famille, il était vraiment injuste pour mon grand-père. Il a été malmené par l'un des employés du tribunal qui lui a demandé d'un ton moqueur : « Êtes-vous analphabète ? Vous ne connaissez pas l'arabe ? »

Les rapports des Nations unies font état d’un déclin significatif du nombre de locuteurs amazighs au Maroc. Certains dialectes ont déjà disparu ces dernières années, comme la langue amazighe d’Ait Rowadi dans la région d’Azilal. D’autres dialectes, comme la langue des Oasis dans la région orientale, sont également en voie d’extinction, avec seulement quelques milliers de locuteurs restants.

Une évolution positive du statut de l'amazighe

Le web 2.0 a déclenché une révolution dans la mise à disposition d’informations en langue amazighe, en particulier chez les jeunes. Ils peuvent désormais communiquer facilement dans leur langue maternelle grâce aux plateformes de médias sociaux et aux canaux numériques tels que YouTube. En conséquence, la sensibilisation à l’identité amazighe s’est considérablement accrue à tous les niveaux au Maroc, y compris au sein des institutions officielles et des mouvements politiques amazighs, ce qui a conduit à des progrès et à des réalisations significatifs.

Néanmoins, il existe une disparité notable entre la société civile amazighe et le secteur officiel en ligne. La représentation de la langue amazighe sur les sites web du secteur public reflète cette réalité. Les sites officiels amazighs ont un contenu limité, une qualité médiocre et de nombreuses fautes d’orthographe, ce qui les rend impopulaires au sein de la communauté amazighe. Par exemple, bien que le site officiel du Premier ministre soit disponible en arabe, en français et en amazigh, le contenu amazigh n’a pas été mis à jour depuis des années, malgré l’importance de l’engagement avec les citoyens.

Le site officiel de l’Institut Royal de la Culture Amazighe reste le seul avec des contenus de qualité.

De nombreuses initiatives, individuelles ou collectives, renforcent la présence de la langue et de la culture amazighes en ligne. Nombre d’entre elles offrent des ressources de grande qualité et jouissent d’une grande popularité. Citons par exemple le lancement en 2021 de Wikipédia Amazigh, fruit des efforts de 800 bénévoles, des sites web de dictionnaires régionaux, des portails d’information privés, des bibliothèques numériques et des plateformes de divertissement, qui comptent tous des milliers de followers.

Le Maroc a progressé en matière de réconciliation interne en modifiant les lois pour répondre aux demandes des locuteurs amazighs. Toutefois, la mise en œuvre effective de ces lois reste un défi. Le respect des droits de la langue amazighe et la promotion de l’égalité linguistique favoriseront l’intégration sociale et donneront aux locuteurs amazighs la liberté d’exprimer ouvertement leur culture et leur identité, et leur permettront de participer plus activement à la vie civique.

Ait Amghar estime que les droits des Amazighs au Maroc ont beaucoup progressé depuis l’incident qui s’est produit lorsqu’il avait huit ans :

ⴰⴷⴷⴰⴷ ⵏ ⵜⵎⴰⵣⵉⵖⵜ ⴳ ⵍⵎⵖⵔⵉⴱ ⵉⵏⵏⴼⵍ ⵙ ⴽⵉⴳⴰⵏ. ⵜⴰⵖⵓⵍ ⵜⵎⴰⵣⵉⵖⵜ ⵜⴳⴰ ⵜⵓⵜⵍⴰⵢⵜ ⵜⴰⵎⴰⴷⴷⵓⴷⵜ ⴳ ⵍⵎⵖⵔⵉⴱ, ⴰⵔ ⵜⴻⵜⵜⵓⵖⵔⴰ ⴳ ⵜⵉⵏⵎⵍ ⴷ ⴰⵔ ⵜⴻⵜⵜⵉⴳⵓⵜ ⵜⵉⵍⵉⵜ ⵏⵏⵙ ⴳ ⵜⵓⴷⵔⵜ ⵜⴰⴽⵓⵢⴰⵙⵜ ⵉⵎⵉⴽⴽ ⵙ ⵉⵎⵉⴽⴽ ⵎⵇⵇⴰⵔ ⵍⵍⴰⵏⵜ ⵜⵏⵎⴰⵔⵉⵏ ⴳ ⵓⵎⵏⵉⴷ ⵏ ⵓⵣⵣⵓⴳⵣ ⵏⵏⵙ ⴳ ⵜⵉⵍⴰⵡⵜ.

Le statut de la langue amazighe au Maroc a beaucoup évolué. Les choses se sont vraiment améliorées depuis ! Aujourd'hui, elle est officiellement reconnue et enseignée dans les écoles. Même s'il y a encore des défis à relever en termes de mise en œuvre.


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