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La peur institutionnelle du multilinguisme en France : entretien avec le militant linguistique Michel Feltin-Palas

Tue, 25 Jul 2023 13:23:59 +0000 - (source)

L’éducation immersive est le seul moyen de produire de nouveaux locuteurs de langues minoritaires

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Capture d’écran de la chaîne YouTube de France 3 Occitanie montrant une école bilingue occitan-français.

La France, avec plus de 20 langues régionales, a toujours été un pays multilingue, mais son gouvernement centralisé reste réticent à reconnaître et à accepter pleinement une telle diversité. Dans un entretien accordé à Global Voices, le linguiste et militant Michel Feltin-Palas explique les raisons de cette réticence.

Michel Feltin-Palas est journaliste pour l’hebdomadaire français L’Express, dans lequel il publie une newsletter consacrée à la diversité linguistique en France. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont son dernier livre, Sauvons les langues régionales, paru en 2022, dans lequel il analyse les raisons historiques et politiques avancées par le gouvernement français pour avoir limité la reconnaissance de ce qu’on appelle officiellement les « langues régionales ». Le livre fait référence à 20 langues qui ont été historiquement parlées dans ce qui est aujourd’hui la France métropolitaine.

Michel Feltin-Palas explique les origines de cette peur de la diversité linguistique de la part des institutions publiques françaises, notamment dans le domaine de la législation et de l’éducation :

La France est un pays qui pourrait ne pas exister. A priori, il n’y avait aucune raison pour qu’un Alsacien se retrouve un jour dans le même État qu’un Basque, un Corse et un Auvergnat. Le pouvoir central a donc toujours craint que ces cultures diverses ne débouchent sur des revendications séparatistes. En conséquence, il a cherché à imposer une langue unique, le français. Quant aux cultures locales, elles sont réduites à de simples folklores et bannies de l’école. « Uniformiser constitue un excellent moyen pour mieux diriger un pays aussi vaste et divers que la France », souligne l’historien Olivier Grenouilleau (Nos petites patries, Gallimard).

Pendant longtemps, la diffusion de la langue française dans des territoires où elle n’était pas parlée a été perçue comme une manière d’apporter la « civilisation ». De ce point de vue, en effet, un parallèle peut être établi avec la colonisation. Jules Ferry [premier Ministre français, puis plus tard, ministre de l’Éducation] déclarait ainsi le 28 juillet 1885 devant les députés : « Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures. » Il n’est pas abusif de considérer que la même vision a eu cours pour l’Hexagone, où Paris, incarnation de la « civilisation », s’est fixé pour « devoir » d’arracher le bas peuple à la médiocrité de ses « patois » à travers l’école publique.

Bon nombre de ces 20 langues ont une riche tradition littéraire, à la fois orale et écrite, mais ce patrimoine reste largement absent du paysage éducatif et même culturel. Michel Feltin-Palas affirme que :

L’explication est la même. L’État français, à travers l’école, a tenté d’imposer une vision simple : il y aurait en France une seule culture, la culture française, les autres n’étant que de simples folklores sans intérêt. Apprendre aux élèves qu’il existe d’autres littératures n’est pas compatible avec cette vision. Un éditeur scolaire a ainsi osé écrire dans un livre scolaire que Bernat de Ventadour, l’un des plus grands troubadours [poètes écrivant en occitan], écrivait en… « français du Sud » ! Et pourtant… Frédéric Mistral a reçu le prix Nobel de littérature [en 1904] pour une œuvre en provençal [l’une des variantes de la langue occitane]. Mais il n’est pas enseigné.

De nombreuses « langues régionales » contiennent différents dialectes et, dans certains cas, une orthographe différente, comme c’est le cas de l’occitan. Michel Feltin-Palas donne son avis sur ce débat souvent houleux :

La réponse est complexe. Il existe des points communs entre le provençal, le gascon, l’auvergnat, le languedocien, le limousin, le vivaro-alpin [noms donnés par les locuteurs aux six principales variantes de l’occitan]. Il existe aussi entre eux des différences. Dès lors, certains préfèrent insister sur ce qui les rassemble, d’autres sur ce qui les sépare. Concernant la graphie, il en existe deux grandes familles. La première, dite graphie « classique », se réfère à une période glorieuse de la langue occitane, celle des troubadours, et s’inspire de leurs habitudes d’écriture. Elle a l’avantage du prestige, elle a le défaut de la complexité, car depuis, la prononciation a beaucoup changé. Les locuteurs qui ne la connaissent pas ont donc du mal à retrouver leur langue en la lisant. Les non-locuteurs la prononcent très mal. La seconde, dite « mistralienne » ou « fébusienne », a été définie plus récemment. Elle a l’avantage d’être plus facile à maîtriser par un lecteur francophone. Elle a l’inconvénient d’être plus proche du français. Pour ma part, je préfère ne pas entrer dans ces deux querelles, aussi légitimes soient-elles. De mon point de vue, tous ceux qui défendent ces langues appartiennent au même camp, quel que soit le nom qu’ils leur donnent, et doivent rester unis face à ceux qui veulent les voir disparaître.

Compte tenu de l’importance de la dénomination, quels sont, selon vous, les termes les plus respectueux et adaptés pour parler de ce que l’État français appelle les « langues régionales » ?

Si je suivais mes convictions, je parlerais de langues « historiques », « autochtones », « minoritaires » ou « minorisées ». Mais tous les spécialistes d’Internet que j’ai interrogés sont formels : dans les moteurs de recherche, ces termes ne sont quasiment pas usités. Dès lors, je ne toucherais par mes articles que les personnes déjà convaincues, pour lesquelles j’ai évidemment le plus grand respect, mais tel n’est pas mon but. Ce que je tente de faire, à ma modeste mesure, c’est de sensibiliser un public plus large. Dès lors, j’ai dû faire un choix : rester sur ces appellations, plus justes linguistiquement, et être peu lu ; ou utiliser « langues régionales » et diffuser plus largement ces idées. À partir du moment où je cherche l’efficacité, j’ai opté pour la seconde option. Je ne prétends pas avoir raison, mais tel est l’état de mes réflexions.

Comment expliquez-vous le succès de l’euskara, ou langue basque, par rapport aux autres langues régionales de France ?

Le basque constitue une exception. Il s’agit en effet de la seule langue régionale de métropole à gagner des locuteurs, et ce grâce au développement massif de l’enseignement en langue basque, qui permet de « produire » des locuteurs suffisamment nombreux pour remplacer les plus anciens. Ce succès s’explique lui-même par la mobilisation de la société civile basque. Le développement d’une langue dépend en effet de trois facteurs principaux : la densité de locuteurs dont on dispose autour de soi, le sentiment de compétence linguistique et la motivation de chacun. Ce dernier élément, décisif, comprend lui-même deux dimensions. Un aspect utilitaire : une personne sera plus encline à apprendre une langue si celle-ci permet la réussite dans les études et l’obtention d’un emploi (ce pour quoi de nombreux Français cherchent à maîtriser l’anglais) ; et un aspect identitaire, lié au sentiment d’appartenance, à l’amour de son territoire, à l’attachement que l’on porte à sa culture. Côté espagnol [de la région bascophone], ces deux dimensions se cumulent. Côté français, c’est surtout l’aspect identitaire qui joue, même si l’aspect utilitaire est en progression.

Pensez-vous que « l’éducation immersive », dans laquelle les enfants apprennent toutes les matières dans leur langue régionale durant les premières années de leur éducation, est enfin reconnue par l’État comme le seul moyen de promouvoir efficacement ces langues ?

La réponse est complexe. D’un point de vue pédagogique, on sait qu’il s’agit de la meilleure méthode pour « produire » de bons locuteurs dans une société désormais francophone. On sait aussi que les élèves qui suivent ce cursus ne sont aucunement handicapés en français, au contraire : un rapport officiel du ministère de l’Éducation nationale à propos du réseau Diwan [écoles immersives en brezhoneg ou breton, une langue celtique] reconnaît que ses élèves obtiennent de meilleurs résultats en français que le reste du système scolaire !

L’enseignement immersif constitue donc le moyen idéal de combiner réussite scolaire et respect de la diversité culturelle. Hélas, il faut aussi compter avec l’idéologie… À Paris, de puissantes institutions – le ministère de l’Éducation nationale, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État – continuent de considérer que les langues dites régionales menacent l’unité de la nation et l’apprentissage du français. Espérons que les faits finissent par apaiser les esprits…


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