« Encourageons les deux équipes », plaisantent certains utilisateurs.
Publié à l'origine sur Global Voices en Français
Les 23 et 24 juin, de nombreux Ukrainiens ont assisté à un drame digne d'une émission de télé-réalité : Wagner, le fameux groupe de mercenaires, s'est rapidement mobilisé. Cependant, ils ne se dirigeaient pas vers l'Ukraine, la Syrie ou un quelconque endroit du continent africain, où ils avaient attiré l'attention de la communauté internationale en 2017, mais bien vers leur nation d'origine, la Russie.
Après avoir été bloqué pendant environ huit mois à Bakhmout, une petite ukrainienne, le groupe semble avoir inversé le scénario. En quelques heures, ce dernier, connu pour ses exactions, s'est emparé de Rostov-sur-le-Don, un centre régional de l'ouest de la Russie. Il s'est ensuite dirigé vers Moscou, obligeant les gouverneurs à bloquer les routes menant à d'autres capitales régionales russes. Pour les Ukrainiens, la rébellion de Wagner devait contraindre le président russe Vladimir Poutine à de retirer ses forces du territoire ukrainien. Des médias russes indépendants suggérant une panique au Kremlin : Poutine n'a été vu nulle part et son avion a quitté Moscou. S'agit-il d'un coup d'État ? Le début d'une nouvelle guerre civile russe ? En Ukraine, le ton est à l'humour pour certains : « Encourageons les deux équipes ».
Les réseaux sociaux ukrainiens ont été inondés d’images et de vidéos de ballerines, faisant référence à la tentative de coup d'État des conservateurs soviétiques à Moscou en 1991, qui a pratiquement mis fin à l'Union soviétique. À l'époque, alors que les putschistes entreprenaient de renverser Mikhail Gorbachev, premier et dernier président de l'URSS, le peuple soviétique, avide d'informations, s'est tourné vers les médias pour savoir ce qui se passait. La diffusion d'une production du Lac des Cygnes sur des chaînes de télévision démontrait leur incapacité de déterminer le camp que ces dernières devaient soutenir et ce qui devait être relaté. En Ukraine, les démocrates nationaux du premier parlement démocratiquement élu (l'un des résultats des réformes réfléchies de Gorbatchev) ont profité de cette occasion pour proclamer l'indépendance de l'Ukraine vis-à-vis de l'URSS.
Certains se sont inspirés d'événements plus récents en publiant des blagues sur Victor Ianoukovitch, l'ancien président ukrainien qui a été contraint de se réfugier à Rostov après avoir été destitué lors de la Révolution de Maïdan en 2014. Des utilisateurs ukrainiens se sont moqués de la déclaration de Ianoukovitch faite à la population ukrainienne depuis Rostov, peu après sa retraite précipitée de Kiev en février 2014. Une déclaration qu'il a conclue par un dramatique « Ostanovites ! » ou « Stop ! » en russe, et faisant référence à la récente occupation de Rostov par Wagner. Ces mêmes utilisateurs ont publié une photo de lui avec les mots « Ostanovites ! » (déjà un mème) et « Je ne peux pas fuir de Rostov » ou une version de la même photo, mais avec Ianoukovitch mangeant du pop-corn et disant : « Je ne peux pas fuir de Rostov ». (déjà un mème) et « Je ne peux pas fuir de Rostov », ou la version de la même image mais avec Ianoukovitch mangeant du pop-corn et disant : « Ne vous arrêtez pas ».
D'autres critiquent Evgeny Prigojine, le chef du groupe Wagner, qui a passé les derniers mois à réclamer des munitions au gouvernement russe pour son combat contre Bakhmout. Dans les mèmes ukrainiens, Prigojine s'adresse au commandant en chef ukrainien « Zaluzhny, donnez-nous des munitions ! ». De nombreux Ukrainiens ont fait référence à des échanges entre Prigojine et Kyrylo Budanov, le chef charismatique des services de renseignements militaires ukrainiens, et ont supposé que la marche de Wagner vers Moscou avait été quelque peu coordonnée depuis Kiev, car peu d'Ukrainiens croyaient que les citoyens russes pouvaient apporter des changements en Russie en toute indépendance.
Il existe une plaisanterie populaire qui consistait en une chronologie de l'évolution de l'armée russe, allant de la « deuxième meilleure au monde » en 2021, à la « deuxième meilleure en Ukraine » en 2022, et à la « deuxième meilleure en Russie » en 2023. « Je dois saluer le mérite de l'état-major » écrit un utilisateur dans un autre message devenu populaire sur Facebook. « La contre-offensive a commencé, certes, dans un endroit inattendu ». Un autre mème populaire est celui de Serhiy Prytula, un ancien comédien devenu homme politique, qui fut le plus grand collecteur de fonds pour l'armée ukrainienne, lui fournissant des véhicules, des équipements, et même un satellite. « Ukrainiens, le moment est venu » pouvait-on lire sur la photo de Prytula, tout sourire. « Nous avons acheté Wagner ».
En Ukraine, et ce malgré toute l'attention accordée aux avancées de Wagner, il n'y a pas eu d'euphorie généralisée ni d'espoir de voir l'engagement militaire russe diminuer suite au conflit interne. Certains ont perçu la marche de Wagner et la réaction du Kremlin comme un test important capacité et de l'état de préparation de la Russie à faire face à une rébellion interne ou a des incidents militaires sur son propre territoire. De nombreux Ukrainiens ont pris un malin plaisir à les avancées de Wagner accompagné d'un désir de vengeance alors que les Russes (dont la plupart soutiennent Poutine dans le conflit ukrainien) assistaient à l'arrivée de milliers de violents criminels de guerre sur leur territoire.
Certains ont même exprimé leur indifférence. « Prigojine, y en a-t-il 25 000 comme vous ? » a tweeté un Ukrainien. « Signez la pétition concernant Tkachenko s'il vous plaît ». Plusieurs jours avant les événements, une nouvelle pétition est apparue sur le site Internet de la présidence, dans la rubrique réservée aux pétitions demandant le licenciement d'Olexandr Tkachenko, le peu apprécié ministre ukrainien de la Culture. Une pétition doit recueillir au moins 25 000 signatures pour que le président Ukrainien l'étudie.