Observatoire du nucléaire - Communiqué du 3 mars 2011
Pétrole et nucléaire, Kadhafi et Nazarbayev : même combat
Par Stéphane Lhomme, président de lObservatoire du nucléaire
Dans léditorial de son édition datée du 3 mars 2011, Le Monde appelle à prendre acte de la volatilité du prix du pétrole et à y répondre en investissant dans les énergies alternatives. Jusque là, cest la sagesse même. Hélas, il est ajouté "nucléaire compris". Cest une erreur majeure dappréciation.
Attention, nous ne faisons pas ici référence à la dangerosité extrême de lénergie nucléaire, au problème insoluble des déchets radioactifs, ou à la menace de la prolifération à des fins militaires.
En effet, même sans évoquer ces questions pourtant fondamentales, le fait est que loption de lénergie nucléaire est indéfendable sur le plan géostratégique et sur le plan de la morale politique, et ce à la lumière même des évènements actuels au Moyen-Orient.
Il suffit pour sen convaincre de comprendre que Nazarbayev, le dictateur kazakh, est pour le nucléaire lexacte réplique de Kadhafi pour le pétrole.
Ce parallèle a dailleurs été illustré de façon saisissante par M. Sarkozy lui-même : le Président français sest rendu à Tripoli en juillet 2007 et à Astana en octobre 2009. En retour, le tapis rouge a été déroulé à Paris pour Kadhafi en décembre 2007 et pour Nazarbayev en octobre 2010.
Si M. Sarkozy a subitement oublié ses belles déclarations sur la "République irréprochable", cest parce que la Libye regorge dhydrocarbures et le Kazakhstan duranium, le combustible des réacteurs nucléaires.
Aujourdhui, les évènements du Moyen-Orient font monter le prix du pétrole ce qui, nous dit-on, justifierait le recours au nucléaire. Or, quarante ans de publicités dEDF et dAreva ont fait perdre de vue le fait que, de même que la France achète pétrole et gaz, elle importe aussi tout "son" uranium.
De fait, contrairement à une croyance généralisée, le nucléaire ne garantit aucune indépendance énergétique : pour alimenter les centrales françaises, Areva exploite luranium dans divers pays.
Il peut sagir de démocraties comme lAustralie ou la Canada, mais il nempêche que les Aborigènes et les Indiens, et leurs environnements respectifs, sont déplacés et contaminés pour alimenter en uranium les réacteurs nucléaires français.
Il sagit aussi de pays où la démocratie est bafouée, comme le Niger. Quatre français qui travaillaient sur les mines duranium dAreva restent à ce jour otages. Il est indéniable quils sont autant victimes de la politique nucléaire française que des preneurs dotages (quil ne sagit bien sûr pas dexonérer, mais le fait est quils ne sont pas venus en France enlever des salariés dAreva).
Tout comme celles de pétrole, les réserves duranium samenuisement et la demande chinoise vient aggraver les risques de pénurie. La survie de lindustrie nucléaire français passe désormais par les gigantesques gisements duranium du Kazakhstan dont le dictateur Nazarbayev est choyé comme Kadhafi létait il y a peu de temps encore.
Si par bonheur une révolution kazakhe vient reverser Nazarbayez, faisant senvoler le prix de luranium comme aujourdhui celui des hydrocarbures, nous dira-t-on quil faut développer les énergies alternatives au nucléaire "pétrole compris" ?
Il serait temps de prendre acte de ce que luranium nest pas en France et donc de ce que, au-delà même des questions de risque nucléaire et de déchets radioactifs, lénergie atomique ne se justifie pas chez nous, à moins de saccommoder de politiques néocoloniales ou de collaborations avec des dictateurs.
Quant aux réacteurs dits de "4ème génération", capables de fonctionner avec les montagnes duranium appauvri que nous accumulons, cela fait 50 ans quils ont annoncés "pour bientôt". Cest dailleurs bien parce quils savent quil ny à rien à attendre de ce côté là que les industriels du nucléaire sont à la recherche de nouveaux gisements duranium. CQFD.
Alors oui, Le Monde a raison, il faut développer les énergies alternatives aux hydrocarbures. Mais non, lénergie nucléaire ne peut faire partie de la solution. Tôt ou tard, seules resteront les énergies renouvelables, secteur dans lequel la France est dores et déjà très en retard.
Une ère nouvelle souvre peut-être, sûrement, avec les révolutions du Moyen-Orient. Kadhafi est déjà rejeté dans le passé, mais Nazarbayev ne saurait représenter lavenir. Laveuglement pronucléaire de nos "élites" va-t-il nous faire manquer le train de lHistoire ?