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Le Conseil d’État enterre de manière illégitime le débat sur la loi sur la censure d’internet

Wed, 18 Jun 2025 12:52:29 +0000 - (source)

En novembre 2023, La Quadrature du Net, Access Now, ARTICLE 19, European Center for Not-for-Profit Law (ECNL), European Digital Rights (EDRi) et Wikimedia France lançaient une action en justice contre le décret français d’application du Règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne (TCO, ou « TERREG »). L’objectif était d’obtenir l’invalidation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de ce règlement dangereux en raison de son incompatibilité avec la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Malheureusement, dans sa décision rendue lundi, la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’État, a rejeté les arguments des organisations et leur demande de renvoi de l’affaire devant la CJUE.

Ce résultat est extrêmement décevant pour deux raisons principales. Premièrement, le Conseil d’État s'est illégitimement approprié le débat juridique sur la compatibilité du règlement TCO avec le droit primaire de l'UE. Cette question devrait pourtant être traitée au niveau de l’UE. Selon les Traités, la CJUE est la juridiction principale compétente pour statuer sur la légalité des actes de l’UE – c’est pour cela que les organisations demandaient le renvoi de l’affaire devant celle-ci. En menant son propre contrôle de légalité, le Conseil d’État empêche de facto la CJUE d’exercer ses compétences exclusives.

Deuxièmement, cette décision signifie également que les polices de l’ensemble de l’UE peuvent continuer à exercer leurs pouvoirs de censure excessive en vertu du règlement TCO pour encore un certain temps. Depuis la publication initiale de la proposition en 2018, les organisations qui ont contesté le règlement TCO ont régulièrement fait part de leurs préoccupations quant aux violations potentielles des droits fondamentaux en raison de l’insuffisance des garanties prévues. Au vu des données disponibles sur la mise en œuvre du règlement, certains éléments indiquent que certains États membres pourraient utiliser le TERREG comme un outil politique pour réprimer certains types d’expressions en ligne.

Par exemple, sur les 349 injonctions de retrait émises dans l’UE entre juin 2022 et avril 2024, 249 l’ont été par les autorités allemandes à la suite des événements du 7-Octobre en Israël. Cette situation est très préoccupante compte tenu de la répression croissante en Allemagne à l’encontre de la liberté d’expression, de réunion et d’association qui vise celles et ceux qui défendent les droits des Palestiniens et Palestiniennes (notamment par des interdictions de manifester, annulations d'événements, répression d’initiatives étudiantes, etc.).

Les organisations insistent sur la nécessité urgente de mettre fin aux pouvoirs de censure disproportionnés que confère le TERREG à la police et de protéger la liberté d'expression en ligne, en particulier dans un contexte de rétrécissement de l’espace démocratique à travers tout le continent. Elles s’engagent à rechercher d’autres voies de recours afin d’obtenir le renvoi devant la CJUE de la question de la légalité du règlement TCO.


La Quadrature du Net (LQDN) promeut et défend les libertés fondamentales dans le monde numérique. Par ses activités de plaidoyer et de contentieux, elle lutte contre la censure et la surveillance, s’interroge sur la manière dont le monde numérique et la société s’influencent mutuellement et œuvre en faveur d’un internet libre, décentralisé et émancipateur.

Le European Center for Not-for-Profit Law (ECNL) est une organisation non-gouvernementale qui œuvre à la création d’environnements juridiques et politiques permettant aux individus, aux mouvements et aux organisations d’exercer et de protéger leurs libertés civiques.

Access Now défend et améliore les droits numériques des personnes et des communautés à risque. L’organisation défend une vision de la technologie compatible avec les droits fondamentaux, y compris la liberté d’expression en ligne.

European Digital Rights (EDRi) est le plus grand réseau européen d’ONG, d’expert·es, de militant·es et d’universitaires travaillant à la défense et à la progression des droits humains à l’ère du numérique sur l’ensemble du continent.

ARTICLE 19 œuvre pour un monde où tous les individus, où qu’ils soient, peuvent s’exprimer librement et s’engager activement dans la vie publique sans crainte de discrimination, en travaillant sur deux libertés étroitement liées : la liberté de s’exprimer et la liberté de savoir.

Wikimédia France est la branche française du mouvement Wikimédia. Elle promeut le libre partage de la connaissance, notamment à travers les projets Wikimédia, comme l’encyclopédie en ligne Wikipédia, et contribue à la défense de la liberté d’expression, notamment en ligne.


QSPTAG #321 — 13 juin 2025

Fri, 13 Jun 2025 15:23:59 +0000 - (source)

Salut les marmottes !

Au Garage cette semaine, on revient sur les mesures du projet de loi « simplification » qui facilitera la prolifération d’immenses data centers, sur les robots de contrôle utilisés par la CAF, et sur le passage de la loi narcotrafic devant le Conseil constitutionnel (avec le retour de la reconnaissance faciale en embuscade).

Bonne lecture à vous !

Alex, Bastien, Eda, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi

Loi simplification : vers des data center gros comme 70 terrains de foot !

La promesse faite cet hiver par Emmanuel Macron aux investisseurs de la tech est en passe d’être gravée dans le marbre de la loi « simplification » : parmi d’autres mesures de dérégulation poussées par les milieux patronaux et industriels, l’article 15 de ce projet de loi prévoit en effet des procédures accélérées pour faciliter le déploiement de monstrueux data centers censés permettre à la France et à l’Europe de rester dans la course à l’IA. Dans le cadre de la coalition Hiatus (https://hiatus.ooo/), nous avons pourtant mené bataille pour que cette disposition soit repoussée, pour que les projets de data centers ne fassent pas l’objet de dérogation au droit à la participation du public, déjà passablement rogné dans la pratique, mais aussi au droit de l’urbanisme et de l’environnement. Contre cette fuite en avant, nous avons demandé, de concert avec d’autres associations, militant·es écologistes comme Camille Étienne, mais aussi quelques responsables politiques, la suppression de cet article 15, un moratoire sur la construction de gros data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes. Ça n’a pas été suffisant. Grâce aux voix de l’extrême droite et du Parti socialiste, le gouvernement est parvenu à maintenir cet article 15 par 71 voix contre et 33 voix pour notre amendement de suppression. Si nous avons perdu cette manche, un large front s’est néanmoins consolidé pour dénoncer la fuite en avant écocide liée à ces immenses infrastructures qui accompagnent l’essor démesuré de l’IA. La bataille ne fait que commencer !

Les robots-contrôleurs de France Travail

Dans le cadre de notre projet « France Contrôle », qui s’intéresse aux algorithmes qui accompagnent la casse sociale, on poursuit nos recherches concernant France Travail. Et on a levé un nouveau loup ! Les réformes successives du service public de l’emploi se succèdent dans le sens d’une répression toujours accrue des personnes sans d’emploi. Dans ce cadre, une partie du travail de contrôle des personnes au RSA et devant réaliser 15h hebdomadaires d’activités a été confiée à des algorithmes développés par France Travail. Après que toutes sortes de données personnelle ont été moulinées, les personnes concernées font l’objet d’une classification automatique en trois niveaux : « clôture » (pas de suspicion), « clôture potentielle » (suspicion moyenne) ou « contrôle potentiel » (suspicion forte). Les agent·es de France Travail en charge du contrôle sont ensuite invité·es à se concentrer sur les dossiers les plus « risqués », avec à la clé de possibles radiations et des personnes plongées un peu plus dans la précarité. Et ce alors qu’aucune preuve ne vient corroborer la doxa politique selon laquelle une répression accru·e des assuré·es sociaux aurait des conséquences positives pour la lutte contre la fraude et autres erreurs déclaratives.

Loi Narcotrafic : qu’en dit le Conseil constitutionnel ?

Cet hiver, nous avons mené une autre campagne législative contre les mesures de surveillance de la loi narcotrafic. Pour rappel, cette loi, adoptée au début du printemps, prévoit notamment l’activation à distance des appareils numériques (micros et caméras) pour les transformer en mouchards, l’extension du périmètre des « boîtes noires » de renseignement qui analysent le réseau pour trouver les comportements « suspects », la création d’un « dossier coffre », c’est-à-dire que les procès-verbaux d’instruction ne décriront plus les méthodes de surveillance utilisées, la censure administrative de contenus relatifs aux drogues sur les réseaux sociaux, ce qui pourrait entraver des démarches de soin et de prévention des risques. Les personnes visées par la définition large et mouvante de la « criminalité en bande organisée », si large qu’elle peut en venir à couvrir des actions militantes, pourront donc faire l’objet de ces mesures. Sur ces différents sujets, nous avons fait valoir nos arguments juridiques alors que le Conseil constitutionnel était saisi de ce projet de loi par des députés. 

Celui-ci a rendu sa décision hier et, sans grande surprise, il a validé quasiment l’ensemble du texte. Seule la surveillance des adresses URL au travers des algorithmes des « boites noires » du renseignement a été censurée. L’extension de ces « boites noires » à la criminalité organisée a également été censurée, mais le Conseil constitutionnel n’a pas émis de critiques de fond sur cette extension et n’a prononcé la censure qu’en raison de la manière dont la loi était rédigée. Cette extension pourrait donc très bien faire son retour à l’avenir… De 

même, si une condition de procédure des « dossiers coffres » est jugée contraire à la Constitution, leur principe est entièrement validé. Cela permettra donc à la police de ne pas rendre des comptes sur des mesures de surveillance très intrusives. Et comble du mauvais goût, l’ancien sénateur Philippe Bas, désormais membre du Conseil constitutionnel, n’a pas jugé utile de se déporter sur ce texte alors qu’il l’avait lui-même voté lorsqu’il était encore sénateur…

Bien que le processus législatif soit terminé, la lutte contre le narcotrafic continue cependant d’être instrumentalisée par les marchands de peur du gouvernement. Après les annonces de Gérald Darmanin début mai qui, décidément, a du mal à raccrocher le costume de « premier flic de France », c’est Bruno Retaillau qui lui a emboîté le pas la semaine dernière, estimant qu’« il faudrait nous permettre pour mieux déceler les visages d’utiliser la reconnaissance faciale » en temps réel https://www.bfmtv.com/police-justice/une-revolution-penale-et-technologique-la-reponse-de-bruno-retailleau-apres-les-violences-en-marge-du-sacre-du-psg_AN-202506040174.html. La prochaine bataille contre l’expansion de la surveillance ?

Campagne de soutien 2025

Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte, aidez-nous à boucler le budget ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site : https://www.laquadrature.net/donner/.

Agenda

Retrouvez tout l’agenda en ligne https://www.laquadrature.net/agenda/

La Quadrature dans les médias

ZDNet : Des Nouvelles de Veesion ; https://www.zdnet.fr/actualites/videosurveillance-et-ia-veesion-leve-53-millions-pour-se-developper-a-linternational-476052.htm

Mediapart : Des nouvelles de Veesion ; https://www.mediapart.fr/journal/france/120625/veesion-une-start-prospere-de-la-videosurveillance-dans-le-viseur-de-la-cnil

Le Figaro : Les 800 drones de la Gendarmerie ; https://www.lefigaro.fr/actualite-france/analyse-des-scenes-de-crime-detection-des-emeutiers-800-drones-au-service-de-la-gendarmerie-20250606

Basta ! : L’utilisation de l’IA par France Travail https://basta.media/ia-et-controle-automatise-quand-france-travail-passe-en-mode-robot

Rapports de Force : L’utilisation de l’IA par France Travail ; https://rapportsdeforce.fr/pas-de-cote/quand-france-travail-passe-en-mode-robot-053124886

Mediapart : La censure des contenus terroristes contestée devant le conseil d’état ; https://www.mediapart.fr/journal/france/280525/la-censure-des-contenus-accuses-de-terrorisme-sur-internet-contestee-devant-le-conseil-d-etat

Le Républicain Lorrain : L’utilisation de la VSA par la ville de Metz ; https://www.republicain-lorrain.fr/defense-guerre-conflit/2025/05/23/l-ia-pour-securiser-la-ville-les-inquietudes-des-elus-de-gauche

Le Républicain Lorrain : Ce que la loi autorise en terme de VSA ; https://www.republicain-lorrain.fr/faits-divers-justice/2025/05/23/la-quadrature-du-net-qu-est-ce-que-la-loi-autorise

Les Échos : Analyse du marché de la VSA et des entreprises françaises ;  https://www.lesechos.fr/start-up/ecosysteme/les-start-up-de-la-french-tech-bousculent-le-marche-de-la-videosurveillance-algorithmique-2165053

Le Dauphiné : Analyse de la Quadrature après la décision de Moiran sur la VSA ; https://www.ledauphine.com/politique/2025/04/28/videosurveillance-algorithmique-plusieurs-centaines-de-communes-hors-la-loi

Le Relève et la Peste : Le prolongement de la VSA ; https://lareleveetlapeste.fr/le-gouvernement-francais-prolonge-la-videosurveillance-de-masse-jusquen-2027/

Radio Parleur : L’impact de la loi Narcotrafic sur les militants ; https://radioparleur.net/2025/04/03/loi-contre-le-narcotrafic-une-menace-cachee-contre-les-militant%c2%b7es/

Alternatives Économiques : L’impact de la Loi Simplification sur l’environnement ; https://www.alternatives-economiques.fr/simplification-cheval-de-troie-de-demolition-droit-de-lenv/00114695

L’Humanité : L’impact de la Loi Simplification ; https://www.humanite.fr/politique/droite/pourquoi-le-projet-de-loi-de-simplification-de-la-vie-economique-a-lassemblee-nationale-contient-des-mesures-regressives

Reflets.info : L’impact de la VSA sur la démocratie ; https://reflets.info/articles/le-braquage-democratique-de-la-vsa

L’Humanité : Utilisation de la VSA dans les bureaux de Tabac : https://www.humanite.fr/societe/cnil/des-cameras-augmentees-a-lia-pour-reconnaitre-les-mineurs-dans-les-bureaux-de-tabac-dans-le-viseur-de-la-cnil

Le Courrier Picard : Analyse de la loi Transport ; https://www.courrier-picard.fr/id616032/article/2025-03-20/fouilles-cameras-pietons-amendes-que-prevoit-la-nouvelle-loi-sur-la-securite


La loi Narcotrafic devant le Conseil constitutionnel

Mon, 09 Jun 2025 12:41:07 +0000 - (source)

Au milieu de l’hiver, la loi Narcotrafic est arrivée à toute vitesse et, avec elle, ont déferlé des propositions sécuritaires et de surveillance qui dépassaient largement la question du trafic de stupéfiants. Avec vous, nous avons mené campagne pour alerter sur les risques de ce texte. Son examen au Parlement est désormais terminé et nous avons envoyé nos arguments au Conseil constitutionnel pour le convaincre de censurer ces dispositions dangereuses et révoltantes. Sa décision sera rendue cette semaine.

Il s’agit de l’ultime étape du processus législatif. Saisi par les députés insoumis, écologistes et socialistes, le Conseil constitutionnel doit désormais analyser si un certain nombre de mesures de la loi « Narcotrafic » sont conformes aux principes constitutionnels. De la même manière que nous avons alerté les député·es de l’inconstitutionnalité de certaines mesures lors des débats parlementaires, nous avons envoyé au Conseil constitutionnel nos critiques en ce qui concerne les dispositifs de surveillance contenus dans la loi (la contribution est accessible ici).

Des cadeaux pour le renseignement

Nous dénonçons d’abord l’extension des pouvoirs des services de renseignement. D’une part, la loi supprime l’obligation pour les services d’obtenir une autorisation explicite du Premier ministre et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) avant la transmission d’informations entre les différents services (article 1er). De ce fait, ils pourraient s’échanger beaucoup plus facilement des informations récoltées dans des contextes différents et pour des finalités différentes. D’autre part, l’échange d’information avec la justice est également assoupli (article 13), en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs, qui devrait impliquer que les services de renseignements n’ont pas à recevoir des éléments liés à des enquêtes. En effet, ils ne sont pas une autorité judiciaire et n’ont aucune compétence de répression pénale. Le mélange des genres est donc complet.

Surtout, les services de renseignement pourraient demain utiliser plus largement ce que l’on appelle les « boites noires » (article 15), ces algorithmes qui analysent un réseau pour trouver des comportements de connexion qui seraient « suspects ». Ces boites noires constituent, depuis leur création en 2015, de la surveillance de masse. Elles peuvent notamment cibler les personnes protégeant leur vie privée : lors des débats, le député Sacha Houlié, membre de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) et qui a ainsi accès à plus d’informations que ses collègues sur le fonctionnement précis des services de renseignement, expliquait que les personnes faisant attention à leur « hygiène numérique » sont la cible de ces boites noires. Le député mentionnait ainsi les personnes utilisant des « messageries cryptées » comme « Whatsapp » ou « Signal », et on suppose que ces boites noires visent également les internautes utilisant un VPN ou Tor.

Après avoir été autorisées pour la lutte contre le terrorisme puis contre les ingérences étrangères, ces boites noites pourraient, si la loi passait le filtre constitutionnel, alors être installées pour la lutte contre la « criminalité et la délinquance organisée », soit un périmètre très large. De plus, depuis une modification de 2021, ces algorithmes analysent également les adresses URL des sites consultés sur un réseau, ce qui peut donner accès à des informations très précises sur les contenus consultés. Nous avons donc rappelé au Conseil constitutionnel que cette technique de surveillance porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée, à la liberté d’expression et au secret des correspondances.

De nouveaux outils de surveillance pour la police et l’administration

Loin de se limiter aux seuls services de renseignement, la loi « Narcotrafic » dote aussi la police judiciaire de nouveaux pouvoirs de surveillance extrêmement intrusifs, dès lors qu’une affaire serait liée à la criminalité organisée. Nous avons rappelé à de nombreuses reprises que ce régime juridique d’exception, qui ne peut, en principe, être mobilisé que pour les seules enquêtes portant sur des faits très graves, est en réalité utilisé de façon très large, loin de se limiter au « haut du spectre » (pour reprendre une expression abondamment utilisée par les défenseurs de ce système) et qui, déjà aujourd’hui, fait l’objet d’utilisations abusives, notamment pour poursuivre des militant·es.

Ainsi, la police pourrait, pour certaines infractions, activer à distance les micros et caméras des objets connectés (articles 38 et 39), en compromettant les appareils grâce à des failles de sécurité. Nous n’avons pas manqué de rappeler au Conseil constitutionnel qu’il a déjà déclaré ce dispositif inconstitutionnel en raison de l’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Aussi, la loi introduit une nouvelle procédure dénommée « dossier-coffre », ou « procès-verbal distinct », consistant à ne pas verser au dossier pénal certains actes de procédure relatifs à des mesures de surveillance (article 40). Dénoncée par les avocat·es et les magistrat·es, cette mesure porte atteinte au principe du contradictoire et au procès équitable car elle empêche les personnes de pouvoir se défendre, faute de pouvoir savoir comment cette surveillance dissimulée s’est concrètement faite et si les exigences légales ont bien été respectées.

De son coté, l’administration n’est pas en reste sur l’extension de ses pouvoirs. Les enquêtes administratives de sécurité, qui conditionnent l’accès à certains emplois, pourraient être très largement étendues à tout emploi public et privé lié à des menaces de corruption (article 54). Ces enquêtes impliquent la consultation de nombreux fichiers de police et de renseignement et reposent sur des critères opaques. Elles ont pourtant des conséquences bien concrètes puisque, pendant les Jeux Olympiques, elles ont conduit à empêcher certaines personnes perçues comme militantes par les autorités de travailler. Nous avons expliqué au Conseil constitutionnel en quoi ces discriminations fondées sur les opinions politiques portent atteinte au principe d’égalité.

Par ailleurs, la plateforme Pharos, chargée d’exiger des plateformes en ligne qu’elles censurent des contenus, aura de nouvelles compétences puisqu’elle pourra agir contre les contenus relatifs à la cession de stupéfiants (article 28). Depuis des années, nous critiquons le principe de cette censure administrative, qui permet à la police de décider elle-même de retirer un contenu sans qu’un juge n’intervienne, laissant la possibilité de multiples abus.

Une nouvelle escalade sécuritaire

Nous avons également attiré l’attention du Conseil constutionnel sur l’obligation radicalement disproportionnée faite aux opérateurs de communication électronique de conserver pendant cinq années l’identité civile de toute personne achetant des cartes SIM prépayées (article 29). Non seulement il s’agirait d’une nouvelle forme de contrôle de l’expression en ligne, mais la loi est tellement mal rédigée que ce sont tous les services de communication en ligne (notamment les messageries) qui pourraient être concernés par cette obligation de contrôle d’identité à partir du moment où certaines fonctionnalités sont payantes (comme c’est par exemple le cas pour Olvid, la messagerie plébiscitée par les macronistes).

Enfin, nous avons longuement expliqué que l’extension de l’utilisation des drones en prison (article 56) viole la Constitution, pour trois raisons. Premièrement le législateur a violé le principe de séparation des pouvoirs en confiant à l’administration pénitentiaire un pouvoir de répression pénale constitutionnellement réservé à l’autorité judiciaire. Deuxièmement, cette surveillance par drones mise en œuvre par l’administration n’est ni nécessaire ni proportionnée au regard des très nombreux dispositifs déjà existants pour surveiller les prisons. Et, troisièmement, cette nouvelle autorisation de drones prévoit qu’ils puissent être utilisés sans aucune information, publicité ou transparence, rendant impossible la moindre contestation en justice, déjà en pratique extrêmement compliquée.

Malheureusement, la loi Narcotrafic contient d’autres mesures répressives qui repoussent toujours plus loin les limites du droit et généralisent l’exception, telle que l’extension de la durée de garde à vue pour les « mules » ou les personnes arrêtées avec des substances stupéfiantes dans le sang, l’interdiction administrative de paraître dans certains quartiers, la facilitation de l’expulsion de logements, la création de la notion vague d’« organisation criminelle »… D’autres organisations ont dénoncé ces nombreux risques pour les libertés.

Si nous n’avons que des espoirs mesurés dans la future décision du Conseil constitutionnel, nous regardons aussi les prochains combats à venir. En effet, si l’obligation de mettre en place une porte dérobée au sein des messageries chiffrées a bel et bien été retirée du texte, le président de la commission des lois, Florent Boudié, a annoncé vouloir remettre le sujet sur la table. En parallèle, les ministres Gerald Darmanin et Bruno Retailleau ont brandi la criminalité organisée et le « narcotrafic » comme excuse pour rendre acceptable une potentielle légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel mais aussi justifier la confiscation extrajudiciaire des téléphones.

Quoi qu’il arrive, nous continuerons d’agir et dénoncer cette escalade vers un État de surveillance de plus en plus généralisée. Pour nous aider dans cette lutte, n’hésitez pas à faire un don !


France Travail : des robots pour contrôler les chômeurs·euses et les personnes au RSA

Thu, 22 May 2025 09:11:11 +0000 - (source)

France Travail déploie actuellement des robots visant à automatiser et massifier le contrôle des personnes inscrites à France Travail. Depuis le 1 janvier 2025, cela inclut également les personnes au RSA. Il s’agit d’une nouvelle étape du dangereux projet de gestion algorithmique des personnes sans-emplois, porté par le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy. Retour sur le contexte de cette mise en place et ses implications sociales.

Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, les contrôles réalisés par France Travail sont passés de moins de 200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024. Il y a tout juste un an, l’exécutif surenchérissait et fixait à l’institution un objectif de 1,5 million de contrôles en 20271Pour les chiffres de 2017, voir l’étude de Pôle Emploi « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi » disponible ici. Pour 2024, voir « Bilan du Contrôle de la recherche d’emploi » disponible ici. Pour les annonces d’Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir voir cet article de 2017 et cet article de 2021. L’objectif de 1,5 million a été annnoncé par Gabriel Attal en 2024, voir cet article..

Parallèlement était votée, en décembre 2023, la loi dite « Plein Emploi », entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Cette dernière vient modifier en profondeur les modalités du contrôle des personnes sans-emplois via deux mesures phares. La première est l’extension du pouvoir de contrôle et de sanctions des personnes au RSA par France Travail. La seconde concerne l’obligation pour toute personne suivie par France Travail – qu’elle soit au RSA ou au chômage – de réaliser 15 « heures d’activité » hebdomadaires sous peine de sanctions.

C’est dans ce contexte que France Travail déploie actuellement une refonte de son processus de contrôle. Dénommée « Contrôle de la Recherche d’Emploi rénové » (ou « CRE rénové »), elle vise tant à « arriver à mettre en oeuvre 1,5 million de contrôles […] à l’horizon 2027 » qu’à prendre en compte les « évolutions introduites par la loi “Plein Emploi” »2« Information en vue d’une consultation sur le contrôle de la recherche d’emploi rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 9 et 10 octobre 2024, disponible ici..

Automatisation et massification des contrôles

Pour atteindre l’objectif de massification des contrôles, France Travail mise sur l’automatisation3A noter que le CRE rénové s’accompagne aussi d’une réduction des droits des personnes contrôlées afin de réduire le temps nécessaire à un contrôle. Il s’agit de mettre en place une procédure « flash » permettant de faire « l’économie de l’entretien téléphonique » et/ou de l’envoi d’un formulaire à la personne contrôlée, deux choses qui étaient systématiques jusqu’alors lors d’un CRE. En cas d’« avertissement avant sanction », la personne contrôlée disposera de 10 jours pour justifier de sa situation. Voir « Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici.. Début 2025, ses dirigeant·es ont ainsi annoncé que le « CRE rénové » s’accompagnerait du déploiement de « robot[s] d’aide à l’analyse du dossier » destinés à assister la personne en charge du contrôle. L’objectif affiché est de réaliser des « gains de productivité » permettant de réduire la durée d’un contrôle pour pouvoir alors les multiplier à moindre coût4« Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central (CSEC) des 13 et 14 mars 2024, disponible ici..

Pour ce faire, ces « robots » ont pour tâche de classer les personnes ayant été sélectionnées pour un contrôle selon différents degrés de « suspicion »5La sélection des personnes relève d’un autre traitement algorithmique. Elles sont le fruit de requêtes ciblées (métiers en tensions…) et aléatoires, de signalements agence ou encore d’« alertes automatiques » incluant désormais certains des flux provenant de la « gestion de la liste ». Voir le document « Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici. afin de guider le travail du contrôleur ou de la contrôleuse. Concrètement, ils réalisent un profilage algorithmique de la personne contrôlée sur la base de l’analyse des données personnelles détenues par France Travail.

Ce profilage prend la forme d’une classification en trois niveaux : « clôture » (pas de suspicion), « clôture potentielle » (suspicion moyenne) ou « contrôle potentiel » (suspicion forte)6Ces informations se basent sur des discussions avec des équipes de France Travail ayant eu accès aux résultats des profilages réalisés par les robots. Notons aussi l’existence d’une catégorie « erreur » pour les dossiers n’ayant pas pu être traités par l’algorithme.. Ce résultat est alors transmis, en amont du contrôle, au contrôleur ou à la contrôleuse afin de l’inciter à se concentrer sur les dossiers considérés comme suspects par l’algorithme, tout en clôturant rapidement le contrôle pour les autres.

France Travail se réfugie dans l’opacité

À travers notre campagne France Contrôle, nous avons déjà parlé de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la première à se lancer dans ce contrôle algorithmique des populations. Le fait qu’elle soit rejointe par France Travail démontre une fois de plus pourquoi il est fondamental de s’opposer, par principe, à l’usage d’algorithmes de profilage à des fins de contrôle. Mais également d’exiger la transparence autour du fonctionnement de ces algorithmes, afin de mieux pouvoir les combattre tant politiquement que juridiquement.

Dans le cas présent, cette transparence est d’autant plus importante que l’objectif d’un contrôle de la recherche d’emploi – « une appréciation globale des manquements [de la personne contrôlée] afin de sanctionner un comportement général »7« Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici. – est très flou et propice à l’arbitraire. L’analyse du code de l’algorithme pourrait aussi appuyer un combat juridique, tel que l’actuel contentieux contre la CNAF.

Mais sur le sujet des « robots » de contrôle – comme sur beaucoup d’autres8Une grande partie de nos demandes d’accès aux documents administratifs restent sans réponse. Nous reviendrons sur ce point dans un article dédié. – la direction de France Travail se refuse à toute transparence. Son directeur est allé jusqu’à déclarer à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) « qu’aucun algorithme n’est utilisé dans le cadre du « CRE rénové » […] » suite à la saisine déposée par des journalistes de Cash Investigation ayant travaillé sur ce sujet9L’avis de la CADA citant le directeur de France Travail est disponible ici..

Un profilage policier

En l’absence de transparence sur le fonctionnement de ces « robots », nous ne pouvons qu’avancer quelques hypothèses sur le fonctionnement du profilage algorithmique. Côté technique, la direction de France Travail a déclaré que le « robot » n’était pas basé sur de l’intelligence artificielle, sans toutefois exclure qu’il puisse l’être à l’avenir10Propos tenus lors du CSEC de France Travail du 22 novembre 2024.. En conséquence, le profilage serait le résultat d’opérations algorithmiques simples issues de la combinaison de différents critères construits à partir des données personnelles détenues par France Travail11On pense assez naturellement à un algorithme du type « arbre de décision »..

Quant à la nature de ces critères, des pistes sont données par un document distribué aux équipes de contrôle de France Travail il y a quelques mois. Assumant pleinement un discours policier, la direction de France Travail y présente une « grille d’analyse » venant préciser le « niveau d’importance » de différents « indices » permettant de caractériser les « manquements » des personnes contrôlées.

Parmi ces éléments, notons notamment l’absence de périodes récentes de travail ou de formation, l’absence de mobilisation des outils numériques mis à disposition par France Travail (offres, CV ou carte de visite en ligne), l’absence de contact avec son ou sa conseiller·ère, les résultats des derniers contrôles de recherche d’emploi, l’absence de candidatures envoyées via le site de France Travail ou encore le non-respect des 15 « heures d’activité » prévue par la loi « Plein Emploi ».

Tout indique que ce travail de rationalisation du processus de contrôle aurait servi de base à la construction du « robot » lui-même. En effet, en plus du résultat du profilage, le « robot » fait remonter au contrôleur ou à la contrôleuse une liste d’éléments issus de cette grille. Ces remontées permettent alors à la personne en charge du contrôle d’apprécier la décision de classification du « robot », sans pour autant qu’il ou elle ait accès à ses règles de fonctionnement précises.

Automatisation et violence institutionnelle

Le déploiement d’algorithmes de profilage à des fins de contrôle participe activement à la politique de répression et à la paupérisation des personnes sans-emplois. La massification des contrôles à laquelle contribue ce processus d’automatisation entraîne mécaniquement une hausse du nombre de sanctions et de pertes de droits associé·es.

Ainsi, d’après les documents de France Travail, 17% en moyenne des contrôles aboutissent à une radiation12Voir le tableau 1 du document Le contrôle de la recherche d’emploi en 2023, France Travail, disponible ici. A noter que ce chiffre est passé à 20% dans les régions ayant expérimentées le CRE rénové avant sa généralisation. Voir la slide 15 de ce document présenté en Comité Social et Economique Central de France Travail le 9 octobre 2024.. Dans l’hypothèse où ce taux resterait constant, l’augmentation de 500 000 à 1,5 million de contrôles par an implique que le nombre de radiations associées passerait d’environ 85 000 aujourd’hui à 255 000 en 202713A noter ici que l’effet de la loi « plein emploi » sur le nombre total de radiations n’est pas clair. En effet, une partie de la « gestion de la liste » – situations entraînant auparavant une radiation automatique tel que l’absence à un rendez-vous ou l’absence à formation – est transférée au CRE. Pour des statistiques sur les radiations et les sorties des personnes inscrites à France Travail est disponible ici sur le site de la DARES.. Ajoutons que l’impact des contrôles n’est pas le même pour toutes et tous : d’après les chiffres disponibles, les personnes n’ayant pas le bac ou étant au RSA sont sur-représentées parmi les personnes radiées suite à un contrôle14Voir Le contrôle de la recherche d’emploi en 2023, France Travail, tableau 2, disponible ici. Voir aussi le tableau 1 de l’étude « Le contrôle de la recherche d’emploi: l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi », Pôle Emploi, 2018.. L’automatisation des contrôles est donc une manière d’écarter les plus précaires de France Travail.

Notons enfin, comme le rappellent cinq chercheurs et chercheuses dans le livre Chômeurs, vos papiers !15C. Vives, L. Sigalo Santos, J.-M Pillon, V. Dubois et H. Clouet, « Chômeurs, vos papiers ! », 2023. Cet essai revient sur les aspects historiques, politiques et sociologiques du contrôle dans les politiques publiques de l’emploi. Concernant l’impact des contrôles, notons l’étude « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi » publiée par Pôle Emploi en 2018, qui ne permet pas de conclure, tels que les résultats sont présentés, à un quelconque impact statistiquement significatif du contrôle., qu’aucun travail scientifique ne vient valider le récit mis en avant par nos dirigeant·es selon lequel les contrôles favoriseraient la reprise d’emploi. Cette hypocrisie politique n’a pour fondement qu’une vision stigmatisante et infantilisante des personnes sans-emplois, visant à nier toute responsabilité collective vis-à-vis du chômage de masse et à le réduire à une problématique individuelle.

À l’inverse, ajoutent les auteurs·ices, les effets négatifs des contrôles sont largement documentés. En plaçant les personnes contrôlées dans une situation humiliante – « où au stigmate de l’assisté s’ajoute celui du tricheur »16V. Dubois, « Contrôler les assistés », Chapitre 10. Voir aussi l’article de Lucie Inland disponible ici, cet article du Monde et le rapport du Défenseur des Droits « La lutte contre la fraude aux prestations sociales » disponible ici. La Fondation pour le logement des défavorisés, le Défenseur des droits et le collectif Changer de Cap ont par ailleurs collecté de nombreux témoignages décrivant la violence vécue par les allocataires lors des contrôles. Difficultés de recours, contrôles répétés, suspension automatique des prestations sociales, intrusion humiliante dans les moindres recoins de la vie privée. Nous vous invitons à lire l’ensemble de ces témoignages disponibles ici. – s’accompagnant de lourdes démarches de justification, ils induisent un effet dissuasif vis-à-vis de l’accès aux droits. En retour, ils contribuent à l’augmentation du non-recours, dont le taux est estimé à plus de 25% pour l’assurance chômage et à 30% pour le RSA17C. Hentzgen, C. Pariset, K. Savary, E.Limon, « Quantifier le non-recours à l’assurance chômage », Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques, 2022, disponible ici. Céline Marc, Mickaël Portela, Cyrine Hannafi, Rémi Le Gall , Antoine Rode et Stéphanie, Laguérodie « Quantifier le non-recours aux minima sociaux en Europe », 2022, disponible ici.. À ceci s’ajoute le fait qu’il plonge dans la précarité celles et ceux contraints·es à accepter des postes pénibles, sous-payés et précaires.

Loi « Plein Emploi » : des contrôles aux effets démultipliés

Tout ceci est d’autant plus inquiétant à l’heure où entre en vigueur la loi « Plein Emploi », qui vient renforcer l’impact et le champ des contrôles réalisés par France Travail.

En premier lieu via l’instauration d’une obligation de 15 « heures d’activité » pour toute personne sans-emploi18Le nombre « d’heures d’activités hebdomadaires » à réaliser peut être diminué en fonction des difficultés personnelles (handicap, parent isolé…). Voir l’article 2 de la loi pour le « Plein Emploi ».. À la violence qu’elle entraîne en termes de niveau de contrôle et d’intrusion dans la vie privée des personnes contrôlées, cette mesure conjugue une contrainte administrative extrêmement lourde de par la difficulté que chacun·e aura pour justifier ces heures. Elle vient ainsi considérablement renforcer l’arbitraire des contrôles et, de fait, les pouvoirs de répression de France Travail. Si la difficulté qu’il y aura à (faire) respecter cette mesure pourrait la faire paraître presque illusoire, notons cependant que France Travail développe déjà un agenda partagé entre personne sans-emploi et conseiller·ère, c’est-à-dire un outil numérique dédié au contrôle de ces « heures d’activité ».

En second lieu, parce que la loi « Plein Emploi » vient étendre les prérogatives de contrôle de France Travail sur les personnes au RSA19L’obligation d’inscription concerne aussi les personnes en situation de handicap suivies par Cap Emploi et les « jeunes » accompagnés par une mission locale ayant conclu un « Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie » ou un « contrat d’engagement jeune ». Voir l’article 1 de la loi pour le « Plein Emploi ».. Jusqu’alors, les sanctions relatives au RSA relevaient de la compétence du département et le retrait de son bénéfice nécessitait le passage devant une commission pluridisciplinaire dédiée. Via les « suspensions-remobilisations »20L’article 3 de la loi pour le « Plein Emploi » prévoit notamment la possibilité pour un département de déléguer le « prononcé des mesures de suspension du versement du RSA » pour les personnes dont France Travail est l’organisme référent. L’article 2 de la même loi une coopération accrue entre France Travail. Il précise aussi que France Travail est en charge du contrôle du « Contrat d’Engagement » des personnes au RSA dont il est l’organisme référent et qu’il peut proposer au Conseil Départemental des sanctions (suspension/radiation) concernant le versement du RSA. Des précisions seront apportées par décret dont une version préliminaire a fuité dans la presse., la loi « Plein Emploi » a désormais introduit la possibilité pour les départements de déléguer à France Travail la compétence de suspension du RSA. Dans ce cas, France Travail pourra suspendre le RSA d’une personne à la suite d’un contrôle de manière unilatérale et sans que l’avis d’une commission de contrôle de la suspension soit nécessaire.

Face au contrôle algorithmique, lutter

À l’heure où nous écrivons ces lignes, la contestation monte de toute part contre le renforcement des contrôles à France Travail.

Du Défenseur des Droits à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), en passant par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE), l’ensemble des institutions de lutte contre la pauvreté critiquent vertement la loi « Plein Emploi » et ses velléités autoritaires21Voir notamment la déclaration de la CNCDH, l’avis du CNLE et cette étude publiée par le Secours Catholique, Aequitaz et ATD Quart Monde..

De leur côté les associations de lutte contre la précarité se regroupent et dénoncent une réforme « inhumaine, injuste et inefficace », tandis que sur le terrain, les premier·ères concernées s’organisent. En Bretagne, le Conseil départemental du Finistère a ainsi été occupé par des personnes réunies en « Assemblée Générale contre la réforme du Rsa-france-travail »22Voir notamment cet appel et cet article sur leur action au conseil départemental du Finistère. Vous pouvez les contacter à l’adresse ag-rsa-francetravail-brest chez riseup.net..

Devant la multiplication des oppositions et la diversité des modes d’actions, nous appelons toutes celles et ceux qui refusent la destruction de notre système de protection sociale et la violence des politiques néo-libérales dont elle s’inspire à s’organiser et à rejoindre ces luttes de la manière qui leur convient le mieux.

De notre côté, nous tâcherons d’y contribuer à travers la documentation de cette infrastructure numérique de surveillance que les dirigeant·es de France Travail mettent en place dans le cadre de la loi « Plein Emploi ». Nous appelons par ailleurs les personnes ayant connaissance des critères utilisés par les robots de contrôle à nous contacter à algos@laquadrature.net ou à déposer des documents de manière anonyme sur notre SecureDrop (voir notre page d’aide ici). Si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.

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PJL simplification : déréguler l’IA, accélérer sa fuite en avant écocide

Tue, 29 Apr 2025 12:08:28 +0000 - (source)

Ce soir ou demain seront examinés les amendements à l’article 15 du projet de loi « simplification » de la vie économique. La Quadrature du Net, en lien avec le collectif Le Nuage était sous nos pieds et les membres de la coalition Hiatus, appelle à sa suppression, et avec beaucoup d’autres actrices et acteurs de la société civile ainsi que des représentant·es politiques, à l’instauration d’un moratoire sur les gros data centers. Participez à cette bataille en vous rendant sur notre page de campagne !

Que prévoit l’article 15 ?

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.

Déréguler la tech

La loi « simplification » marque donc une étape fondamentale dans la dérégulation de l’IA, le tout au service de l’industrie de la tech et dans le contexte d’une bulle spéculative autour des data centers et d’une rivalité géopolitique croissante entre les puissances impérialistes de ce monde.

Lors du sommet relatif à l’IA organisé par la France en février dernier, la couleur était clairement affichée. Dans son allocution, Emmanuel Macron affirmait : « Si on régule avant d’innover, on se coupera de l’innovation ». Le vice-président étasunien techno-réactionnaire JD Vance, qui avait fait le déplacement à Paris, n’avait pas caché sa satisfaction : « Je suis content de voir qu’un parfum de dérégulation se fait sentir dans nombre de discussions », avait-il déclaré lors de son allocution.

En réalité, dès 2023, la France avait fait des pieds et des mains au niveau de l’Union européenne pour faire primer la sacro-sainte « innovation » sur les droits humains, dans le cadre des négociations sur le règlement IA. Aiguillée par l’ancien ministre Cédric O devenu lobbyiste en chef de la tech française, et à force de coups de pressions voulus par Emmanuel Macron, Paris était parvenu à convaincre ses partenaires européens de privilégier une approche moins-disante. Ces renoncements se sont particulièrement fait sentir sur le front des IA policières, avec la légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel et un certain nombre d’exceptions réservées aux forces de police et autres services de renseignement.

Dans le même temps, toujours au nom de l’IA, on multipliait les dispositifs dérogatoires au droit, par exemple via des mécanismes de « bacs-à-sable réglementaires ». Et c’est désormais le RGPD que certains aimeraient détricoter pour « libérer » les IA censément « entravées » par les règles adoptées pour protéger le droit à la vie privée et les données personnelles. Loin de défendre les « valeurs » associées aux droits humains, sociaux et environnementaux, l’Union européenne s’enfonce dans un suivisme mortifère face à la Chine et les États-Unis, deux puissances engagées dans une course à l’IA.

La technocratie en marche

Au nom de la « simplification », l’article 15 du projet de loi débattu par l’Assemblée nationale poursuit ce mouvement de dérégulation en rognant cette fois sur les législations environnementales et le droit à la participation des citoyens concernant les projets de gros centres de données.

Parmi ces derniers, se trouvent les immenses data centers soutenus par le gouvernement français. Dans la perspective de développer ces infrastructures, ossature du numérique dominant, et d’accélérer l’accaparement des terres, des ressources foncières, minières, hydriques et l’exploitation des travailleur·euses qu’elles impliquent, nous voyons aujourd’hui des entreprises comme RTE, normalement garantes du service public de l’énergie vanter leur collaboration avec les multinationales étasuniennes du secteur, comme Digital Realty. Le bilan prévisionnel de RTE prévoit ainsi un triplement de la consommation d’électricité des data centers d’ici à 2035, soit autour de 4% de la consommation nationale.

Du côté du gouvernement, on voit dans les milliards d’euros d’investissements privés annoncés dans les data centers construits en France la confirmation du bien-fondé de sa politique de relance du nucléaire, quitte à passer sous silence les dangers et les grandes inconnues qui entourent ces programmes. Quitte aussi à engager une relance débridée de l’extractivisme minier et des prédations qui y sont liées, comme y encourage l’article 19 de ce même projet de loi « simplification ». Quitte, enfin, à museler les contestations, à s’asseoir sur le droit à la consultation du public et à rogner encore un peu plus sur les compétences de la Commission nationale du débat public, qui depuis des années demande à être saisie lors de la construction des centres de données.

À la clé, c’est d’abord l’impossibilité d’une politique de sobriété collective pour faire face aux crises sociales, climatiques et écologiques. Avec l’augmentation de la demande liée aux data centers, c’est aussi la perspective d’une explosion des prix de l’électricité, la précarité énergétique qu’elle suppose et des risques décuplés de conflits d’usage. Car, à la mesure de leurs moyens financiers, l’appétit des géants de la tech en électricité est insatiable. Il y a quelques jours, Eric Schmidt, ancien PDG de Google et émissaire de la Silicon Valley à Washington, l’admettait sans détour devant une commission du Congrès étasunien au sujet du développement de l’IA :

« Ce que nous attendons de vous [le gouvernement], c’est que nous [la tech] ayons de l’énergie sous toutes ses formes, qu’elle soit renouvelable, non renouvelable, peu importe. Il faut qu’elle soit là, et qu’elle soit là rapidement. De nombreuses personnes prévoient que la demande pour notre industrie passera de 3 % à 99 % de la production totale [d’électricité au niveau mondial] (…) ».

Aux États-Unis, de nombreux producteurs d’électricité s’apprêtent ainsi à rallumer des centrales à gaz ou au charbon, ou à retarder leur fermeture face à la consommation croissante des data centers. Technofascisme et carbofascisme vont indéniablement de pair.

Contre cette fuite en avant, il faut voter contre l’article 15 du projet de loi, et soutenir un moratoire sur les gros data centers, le temps que les conditions d’une maîtrise collective des infrastructures numériques puissent être posées. La balle est désormais dans le camp des parlementaires. Retrouvez notre pour contacter vos représentant·es à l’Assemblée et peser sur leur vote !


Loi « simplification » : stop au boom des data centers ! 

Wed, 09 Apr 2025 12:43:15 +0000 - (source)

Aujourd’hui à l’Assemblée nationale débute l’examen en séance du projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Une loi d’apparence technique, aux enjeux obscurs, mais qui marque un nouveau coup de force au service de l’industrie, et au détriment des droits humains et de l’environnement. L’article 15 du projet de loi, dans la droite ligne des promesses faites par Emmanuel Macron aux investisseurs lors du sommet IA de février dernier, vise à accélérer la construction d’immenses data centers en permettant à l’État de les imposer aux collectivités locales et à la population. Contre ce coup de force visant à ériger ces infrastructures au bénéfice des géants de la tech et au prix d’un accaparement des ressources foncières, électriques et hydriques, un large front de la société civile appelle à la suppression de cet article et à la mise en place d’un moratoire sur la construction des gros data centers.

La simplification, cheval de Troie de la dérégulation

L’examen du projet de loi « simplification » commence aujourd’hui à l’Assemblée nationale, dans une certaine indifférence. Les enjeux sont pourtant majeurs. Comme le rappelle France Nature Environnement dans ce rapport tout juste sorti qui dresse le bilan de 20 ans de lois de « simplification », ces dernières apparaissent en fait comme « un cheval de Troie de la dérégulation, un processus insidieux et malhonnête qui affaiblit l’État de droit et la justice environnementale, et met en péril la protection des écosystèmes et la construction d’un monde vivable ».

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent à coup de dizaines de milliards d’euros se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.

Moratoire !

Depuis plusieurs semaines, le collectif Le Nuage était sous nos pieds, qui s’est organisé à Marseille pour résister à la flambée des centres de données dans la cité phocéenne, et La Quadrature du Net, en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus (lancée en février pour « résister à l’IA et son monde »), appellent à deux choses : d’une part, la suppression de l’article 15, et d’autre part l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepôts à serveurs.

Issus de contacts pris au niveau politique, plusieurs amendements visaient justement à relayer ces revendications. Des amendements de suppression de l’article 15 ont ainsi été déposés par le Parti socialiste, les député·es écologistes ou La France insoumise. C’est là notre revendication, urgente et minimale : pour la défendre, contacter vos député·es et les convaincre d’adopter ces amendements, rendez-vous sur cette page où vous trouverez un argumentaire en appui de ces positions.

Mais d’autres amendements, fondés sur , ont été déposés en vue d’un objectif plus ambitieux : instaurer un moratoire sur la construction de gros data centers, le temps qu’une convention citoyenne puisse poser les bases d’un débat sur l’encadrement adéquat du développement des infrastructures numériques. Or, alors que ces amendements de moratoire avaient été déposés et examinés en commission courant mars sans aucun problème, cette fois-ci pour l’examen en séance, les services de l’Assemblée les ont déclarés irrecevables car contraires à l’article 40 de la Constitution. Apparemment, un tel moratoire ou l’organisation d’une convention citoyenne contribuerait à « aggraver une charge » ou à « diminuer les ressources » publiques. Impossible donc pour le Parlement d’appeler à une convention citoyenne en dehors d’une loi de finances ? Le « parlementarisme rationalisé » a encore frappé !

Principe de réalité démocratique

C’est d’autant plus regrettable que le principe d’un moratoire — une manière de poser les bases d’une maîtrise démocratique des data centers, et de contrer les velléités du gouvernement d’accélérer toujours plus au mépris des droits et de la démocratie — fait consensus auprès d’une diversité d’acteurs.

Un large front de la société civile, incluant des chercheur·euses, des militant·es, ainsi que des représentant·es politiques, appellent ainsi, dans une tribune parue dans Libération, à la mise en place d’un tel moratoire. À Marseille, l’enquêteur public chargé d’instruire le dossier de l’entrepôt logistique SEGRO doublé d’un data center, vient d’appeler lui aussi, dans ses recommandations adressées aux instances régionales, à « effectuer une pause pour mettre les acteurs autour d’une table, en imposant un moratoire ». De même en Irlande, où les data centers représentent aujourd’hui plus de 20% de la consommation électrique du pays, la région de Dublin est soumise à un moratoire de fait jusqu’en 2028 au moins. Bref, cette option politique est non seulement possible, mais aussi réaliste et nécessaire pour commencer à remettre le numérique à sa place, à l’heure où l’essor de l’IA conduit à une fuite en avant spéculative dans le développement de ces infrastructures.

Alors ne lâchons rien ! Rendez-vous sur notre page de campagne pour pousser les député·es à voter la suppression de l’article 15 de la loi « simplification », et à exiger du gouvernement la mise en place d’un moratoire sur les centres de données ! Vous pouvez aussi nous soutenir dans ce combat en faisant un don à La Quadrature.


Tribune : Contre la «loi simplification», ralentissons et osons faire front commun

Tue, 08 Apr 2025 21:33:00 +0000 - (source)

Parce qu’il est urgent de reprendre le contrôle sur les infrastructures du numérique, plusieurs communautés s’organisent déjà pour résister. Un collectif de responsables d’associations, de syndicats et de militants demande un moratoire sur la construction de nouveaux «datacenters» ainsi que la mise en place de débats publics.

Cette tribune a d’abord été publiée sur Libération.fr.

Du 8 au 11 avril, l’Assemblée nationale débat du projet de loi de simplification de la vie économique (PLS). On y trouve de nombreuses mesures dérogatoires au droit commun, une perte de pouvoir de la Commission nationale du débat public, un retour en arrière sur la loi Zéro artificialisation nette, sur la protection des espèces menacées, une perte des compétences des collectivités territoriales. Il s’agit d’un démantèlement lent mais assuré des maigres législations écologiques et démocratiques qui encadraient encore les élans du capitalisme technologique.

Le PLS concerne aussi la facilitation des installations industrielles notamment minières, prétendument de transition énergétique et paradoxalement associées aux infrastructures du numérique, comme les data centers, dont il s’agirait de faciliter l’installation en France pour une supposée souveraineté numérique.

Les infrastructures du numérique, qui permettent à l’information numérique de circuler et aux services du cloud d’apparaître sur nos écrans, sont organisées en data centers interconnectés par les câbles de fibres optiques sous-marins. Et pour faire des data centers, des câbles et les usines de production énergétique pour les alimenter, il faut des mines, d’où sont extraits les minerais qui composeront les puces des serveurs et des cartes graphiques, nécessaires au fonctionnement desdites intelligences artificielles.

Le cloud était sous nos pieds : le déploiement des infrastructures du numérique est soutenu par une relance débridée de l’extractivisme et des prédations qui y sont liées. Elles sont les nouvelles infrastructures de la domination impérialiste : il faut en être pour continuer à faire partie des grandes puissances mondiales, quitte à ouvrir grand les portes à tous ces investisseurs privés pour faire de la France une «data center nation». Alors que les dépendances technologiques envers les multinationales étasuniennes alignées derrière le programme d’extrême droite de Donald Trump sont croissantes, le temps ne peut pas être à la dérégulation.

Rester dans la course de l’IA

Le projet de loi Simplification propose de conférer aux data centers le statut de projet d’intérêt national majeur. Par là, il faut entendre le statut de raison impérative pour rester dans la course à l’IA. Tant pis si vous devez attendre dix ans de plus l’électrification d’activités polluantes ; tant pis si les massacres en République démocratique du Congo redoublent d’intensité ; tant pis pour les terres que les paysannes abandonnent, faute d’eau disponible, tant pis si on ne sait toujours pas réemployer les puces et si les décharges de déchets du numérique s’étendent à perte de vue ; tant pis si les data centers dans lesquels on stocke les données de l’Etat sont soumis aux lois états-uniennes ; tant pis si la vitalité des quartiers populaires est sacrifiée aux chaleurs produites des réfrigérateurs géants. Il n’y a pas de négociations à avoir. Au contraire, le gouvernement propose de graver dans la loi une fiscalité allégée et un accès prioritaire au réseau électrique public. Le numérique dominant s’impose, rendant obsolète nos machines, nos compétences et parfois même nos corps.

Nous pensons que le moment est venu de reprendre le contrôle collectivement sur les infrastructures du numérique. La souveraineté numérique, ça ne peut pas être de tenter désespérément d’arracher un segment d’une chaîne de valeur contrôlée par des multinationales étrangères en les attirant sur le territoire français avec une législation et une fiscalité aguicheuse.

D’autres manières d’hériter de ce monde abîmé

Partout sur le territoire et à l’étranger, de nombreuses communautés s’organisent déjà pour résister à ce numérique dominant : collectifs en lutte contre les projets miniers, contre les fonderies de puces microélectroniques dédiées à l’armement et aux gourdes connectées, contre les implantations de data centers s’appropriant l’eau des rivières ou l’eau potable, ou les importations croissantes des minerais de sang ; riverain·e·s qui suffoquent déjà trop de la toxicité de ce monde industriel, qui voient des projets d’intérêt général rendus impossibles par la saturation des réseaux d’électricité ou qui cherchent à privilégier des lieux de vie où on privilégie l’humain ; comme les chercheur·euse·s qui documentent les impacts écologiques du numérique, les déchets produits, qui étudient la déchéance des utopies d’Internet ou encore les dimensions géopolitiques croissantes ; comme les artistes et designers qui cherchent à fabriquer d’autres récits et d’autres manières d’hériter de ce monde abîmé, ou qui inventent des réseaux sociaux qui tiennent avec un téléphone portable pour serveurs ; comme les communautés de logiciels libres et leshackerspacesqui fabriquent des serveurs low tech.

A l’opposé de cette loi, nous demandons collectivement un moratoire sur la construction de nouveaux data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes, ainsi qu’un soutien aux projets de recherches actions ayant pour objectif de mettre au travail des alternatives réelles et de célébrer la joie qui circule quand on parvient à penser ensemble.

Contre la fuite en avant, ralentissons et osons faire monde commun.

Signataires : Julie Ferrua Codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires Raquel Radaut Porte-parole de la Quadrature du Net Ophélie Coelho Chercheuse associée à lInstitut de relations internationales et stratégiques(Iris), Centre Internet et Société, autrice Baptiste Hicse Membre du collectif StopMicro Annick Ordille Membre du collectif le Nuage était sous nos pieds Sébastien Barles Adjoint au maire de Marseille, en charge de la transition écologique Camille Etienne Autrice et militante écologiste David Cormand Député européen écologiste Clément Marquet Chargé de recherches en sciences techniques et société, Mines Paris-PSL David Maenda Kithoko Président deGénération Lumière Aurora Gómez Delgado Porte-parole du collectif TuNubeSecaMiRío Manuel Bompard Député des Bouches-du-Rhône (LFI), Adrien Montagut Codirigeant de la coopérativeCommownen charge des affaires publiques Lou Welgryn Secrétaire générale de Data for Good Jérôme Moly Président de l’association GreenIt…

La totalité des signataires est ici.


QSPTAG #320 — 4 avril 2025

Fri, 04 Apr 2025 16:31:34 +0000 - (source)

Lire sur le site

La loi « Narcotrafic » étend le domaine du flicage numérique

Le 11 mars dernier, on publiait un article avec un zeste de réjouissance dans un grand seau de prudence : la commission des Lois de l’Assemblée nationale avait supprimé la plupart des articles les plus liberticides de la loi « Narcotrafic ». Cette réaction des député·es ne venait pas de nulle part, vous avez agi en nombre pour les interpeller — bravo et merci ! Mais si des mesures désastreuses avaient sauté en commission (on pense en particulier à la menace qui pesait sur le chiffrement des messageries), d’autres mesures étaient malheureusement restées, et on s’attendait à ce que les pires reviennent par amendements du gouvernement au moment de la discussion dans l’Hémicycle. Badaboum, ça n’a pas raté.

Le gouvernement, représenté par le ministre de l’Intérieur Retailleau et soutenu par quelques députés de la droite et de l’extrême-droite, a de nouveau défendu l’idée d’une « backdoor » pour la police et le renseignement dans les messageries chiffrées, en camouflant cette rupture du chiffrement sous des appellations alambiquées (un « utilisateur fantôme » qui s’inviterait dans les conversations, par exemple). Heureusement, les député·es ne se sont pas laissé avoir, pour le plus grand dépit des défenseurs de la mesure qui ont même dénoncé un « concours des geeks ». La compromission du chiffrement a été rejetée.

Mais il reste le reste. L’activation à distance des appareils numériques (micros et caméras) pour les transformer en mouchards : adoptée. L’extension du périmètre des « boîtes noires » de renseignement qui analysent le réseau pour trouver les comportements « suspects » : adoptée. La création d’un « dossier coffre », c’est-à-dire que les procès-verbaux d’instruction ne décriront plus les méthodes de surveillance utilisées : adoptée. Les personnes visées par la définition large et mouvante de la « criminalité en bande organisée » pourront donc être surveillées par tous les moyens et ne pourront plus contester la légalité de ces moyens devant le tribunal (lieux de vie « sonorisés », etc.). La main sur le cœur, en jurant de s’attaquer aux « narcotrafiquants », les parlementaires ont validé des mesures qui pourront être utilisées contre des militants politiques, des activistes écologiques, des opposants à l’industrie polluante et aux autoroutes inutiles, des syndicalistes qui préparent une manifestation ou une occupation d’usine. Et ce faisant, ils ont réduit les droits politiques de tout le monde.

Comme le texte voté par l’Assemblée nationale n’est pas identique à celui que le Sénat avait adopté, il y aura une commission mixte paritaire (CMP) dans le courant du mois d’avril et un nouveau vote dans les deux chambres à la fin du mois. On suit ça de près et on vous tient au courant !

La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Article du 11 mars : Loi « Narcotraficotage » : la mobilisation paye alors ne lâchons rien
Article du 18 mars : Le gouvernement prêt à tout pour casser le droit au chiffrement

Loi «Transports » et prolongement de la VSA

Le 18 mars dernier, avant de commencer l’examen de la loi « Narcotrafic », l’Assemblée nationale a voté la loi « Transports ». Quel rapport ? Encore des mesures de surveillance numérique. Cette loi sur « la sécurité dans les transports » a donc été le véhicule choisi par le gouvernement pour prolonger l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) qui avait été mise en place à l’occasion de la loi «Jeux Olympiques ». Autorisée au départ jusqu’à mars 2025, cette expérimentation aux résultats pourtant très décevants est donc prolongée de deux ans, jusqu’en mars 2027, au mépris du processus d’évaluation pourtant défini un an avant par la même Assemblée. Ce passage en force n’est malheureusement qu’un signe supplémentaire du mépris de l’exécutif pour les institutions et tout ce qui le gêne. Un article sombre et énervé à lire sur notre site.

Article du 17 mars : Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Data centers partout, réflexion nulle part

Quand on pense à l’intelligence artificielle, on n’imagine pas d’abord les bétonnières, les pylônes électriques et les rivières à sec. C’est pourtant un aspect non négligeable de la course mondiale aux serveurs et aux centres de données géants. Lors du Sommet de Paris sur l’IA en février dernier, Emmanuel Macron a mis en avant l’électricité nucléaire française, moins chère et moins carbonée, et invité les opérateurs étrangers à venir en profiter, son « Plug, baby, plug » répondant au « Drill, baby, drill » lancé par Donal Trump en direction des compagnies pétrolières.

Après les annonces en grand pompe, il faut tenir ses promesses. La « loi pour la simplification économique », en discussion à l’Assemblée après son adoption par le Sénat, est justement là pour lever un certain nombre de contraintes réglementaires, administratives et fiscales et faciliter la vie des investisseurs et des industriels. L’article 15 concerne précisément la construction des centres de données géants : l’État prendrait la main sur les pouvoirs locaux pour imposer ces grands chantiers, y compris au mépris des règles environnementales.

Dans le cadre de notre travail sur l’IA et de la coalition Hiatus pour résister à l’IA et son monde, nous appelons donc à la mobilisation contre cette loi et son article 15, et nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction de centres de données géants, le temps de discuter de leur encadrement. Contre la fuite en avant techno-n’importe quoi, contre la course économique des poulets sans tête, exigeons un débat démocratique sur les besoins et les moyens de notre développement collectif.

Article du 21 mars : Loi « simplification » : un déni de démocratie pour mieux imposer les data centers
Page de campagne pour peser sur le vote des : Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Le Conseil d’État donne une leçon de censure

Oui, le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie en mai 2024 était illégal. On le disait déjà, et c’est le Conseil d’État qui le confirme dans sa décision du 1er avril. Malheureusement, la décision est aussi très inquiétante. Car si le blocage est jugé disproportionné, le principe de couper un réseau est, en tant que tel, validé. Dans sa décision, le Conseil d’État explique ce que le gouvernement aurait dû faire pour justifier le blocage de l’application et donne par là un mode d’emploi très simple à tous les gouvernements, présents ou à venir, qui voudraient s’en prendre à la liberté d’expression. Qui pourra se plaindre quand un gouvernement RN fera ce qu’il voudra en brandissant la décision du CE ?

Si vous avez l’intention de prendre le pouvoir, d’invoquer des circonstances exceptionnelles et de censurer des services numériques, ne vous lancez pas dans le vide : lisez d’abord notre article, on vous explique le raisonnement du Conseil (pour la censure) d’État.

Article du 2 avril : Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire

Campagne de soutien 2025

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Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire

Wed, 02 Apr 2025 14:53:14 +0000 - (source)

On aurait préféré que ce soit un poisson d’avril : dans une décision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validé le principe de la censure arbitraire et opaque d’un réseau social. Derrière l’apparente annulation de la décision du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, de bloquer Tiktok, la plus haute juridiction française offre en réalité le mode d’emploi de la « bonne censure ». Cette décision est inquiétante, tant cette affaire aura montré l’inefficacité du Conseil d’État à être un rempart efficace contre le fascisme montant.

Le 15 mai 2024, alors que la Nouvelle-Calédonie était le théâtre d’une très forte contestation sociale dans un contexte de passage en force d’une réforme du collège électoral calédonien, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait, en même temps que l’activation de l’état d’urgence, la censure de Tiktok sur tout le territoire de Nouvelle-Calédonie.

Comme La Ligue des droits de l’homme, ainsi que des habitant·es calédonien·nes, La Quadrature du Net avait attaqué en référé cette décision. Ce premier recours avait été rejeté dans les jours qui suivirent pour défaut d’urgence, mais nous n’avions pas voulu lâcher l’affaire et avions continué notre combat contre cette mesure de blocage en l’attaquant à nouveau, cette fois par la procédure classique -dite « au fond »- qui a conduit à la décision d’hier.

Formellement, le Conseil d’État a annulé le blocage de Tiktok. Mais derrière cette apparente victoire se cache une décision qui ouvre la voie à de futures censures de plateformes en ligne en dehors de tout contrôle démocratique.

La validation d’un arbitraire d’État

Cette affaire aura été l’occasion de tous les arbitraires. Pour justifier factuellement son blocage, le gouvernement a toujours louvoyé (voir notre récapitulatif de l’affaire), laissant croire que ce serait d’abord pour lutter contre le terrorisme, puis contre des ingérences étrangères, pour enfin expliquer que de simples contenus violents l’autorisaient à procéder à un tel blocage (nous revenons sur ce point plus bas). Par la suite, il justifiait légalement ce blocage en sortant de son chapeau la « théorie des circonstances exceptionnelles ». Cette théorie est une invention du juge administratif datant de plus d’un siècle. Elle a été élaborée à l’occasion d’une guerre – c’est-à-dire dans un contexte de suspension du pouvoir civil – et n’avait jamais été utilisée jusqu’à présent pour justifier de porter atteinte à la liberté d’expression.

Dans sa décision, le Conseil d’État admet que cette « théorie des circonstances exceptionnelles » puisse être invoquée, pour justifier légalement le blocage d’une plateforme en ligne dans le cas d’une « période de troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle ». Arrêtons-nous déjà sur cette première brèche à l’État de droit : cela signifie que lorsque cette condition de « trouble » est remplie, un gouvernement peut donc porter des atteintes à la liberté d’expression, alors qu’aucune loi existante ne l’y autorise et donc qu’aucune condition prévue par le législateur n’est à respecter. Cette « théorie des circonstances exceptionnelles » n’a jamais été reprise par le législateur : elle ne comporte aucune limite précise et n’est présente nulle part ailleurs que dans les quelques décisions du Conseil d’État. Ce dernier autorise donc un empiétement pur et simple du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif.

Et quels sont ces « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle » qui permettent de nier le principe de séparation des pouvoirs ? On peut légitimement se demander si les manifestations des gilets jaunes en 2018 et 2019, émaillées de violences souvent entretenues par une politique de maintien de l’ordre désastreuse, auraient pu être qualifiées de suffisamment graves. De même, les révoltes suite à la mort de Nahel Merzouk auraient-elles pu justifier le blocage des réseaux sociaux alors que la droite réactionnaire française voyait dans ces derniers le coupable idéal et que Emmanuel Macron s’était, à cette occasion, prononcé en faveur de leur censure ?

Ne soyons pas naïf·ves : tout est « exceptionnellement grave » pour l’exécutif et la police. Grâce à cette notion floue, la voie à tous les abus est ouverte. N’importe quoi servira de prétexte, demain, pour continuer dans la direction de la censure, de la réponse répressive facile au lieu d’une remise en cause profonde du système qui a conduit aux violences.

Et l’arbitraire d’État ne s’arrête pas là : le Conseil d’État a, d’une certaine manière, autorisé le gouvernement à ne pas respecter la loi lorsque celle-ci ne lui convient pas. En effet, au moment de la censure, la loi sur l’état d’urgence avait été déclenchée. Celle-ci autorisait bel et bien le blocage d’une plateforme, mais uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Or, dans le cas du blocage de Tiktok, il ne s’agissait justement pas de lutte contre le terrorisme. Alors qu’une telle possibilité de censure visant une plateforme en ligne, prévue par la loi sur l’état d’urgence, est déjà très contestable en soi1Nous avions initialement demandé à ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soit transmise au Conseil constitutionnel. Celle-ci a été rejetée par le Conseil d’État parce qu’il estimait que la loi sur l’état d’urgence n’était pas applicable au litige puisqu’il ne s’agissait pas de lutte contre le terrorisme., le Conseil d’État neutralise encore plus le législateur en permettant d’avoir recours à une théorie jurisprudentielle qui permet de contourner ces limites.

Un contrôle juridictionnel de pacotille

L’auditoire optimiste pourrait se dire que le juge administratif resterait présent pour empêcher les abus de ce recours à la censure en cas de « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle . Et après tout, en ce qui concerne Tiktok, on pourrait être tenté de se rassurer par le fait que la décision de censurer le réseau social a finalement été annulée par le Conseil d’État. Pourtant, dans cette affaire, après avoir refusé d’agir au moment où sa décision aurait été utile, c’est-à-dire lorsqu’il était saisi en référé l’année dernière, le Conseil d’État a repris à son compte toutes les affirmations grossières du gouvernement pour justifier le besoin de bloquer la plateforme.

La question de l’existence de certains contenus qui seraient illégaux au point de couper tout le réseau social a été longuement débattue en mai 2024 à l’occasion de notre référé. Après avoir été mis en difficulté lors de l’audience de référé, le gouvernement s’était enfin décidé à produire des exemples de contenus prétendument illicites… qui étaient en fait totalement légaux. Nous publions ces contenus2Politico avait déjà publié certains de ces contenus l’année dernière. pour que chacun·e puisse constater que leur illégalité ne saute pas aux yeux : dénoncer des violences policières, la constitution de milices privées avec le soutien des forces de l’ordre, les agressions racistes sur des policiers kanaks, ou encore prendre des photos ou vidéos de lieux en flamme comme l’a fait la presse locale est donc, pour le gouvernement, susceptible de justifier une restriction à la liberté d’expression…

Depuis ces quelques exemples produits l’année dernière, le gouvernement n’a pas complété ses dires. On devine un certain embarras à travers ce silence sur ces fameux contenus censés être « violents » : cette décision de bloquer Tiktok ne semble en réalité pas avoir été prise en raison d’un besoin impératif pour restaurer l’ordre sur l’archipel, mais pour couvrir une décision politique du Haut-Commissaire (l’équivalent du préfet en Nouvelle-Calédonie). Fin mai 2024, La Lettre écrivait ainsi que « Très vite, cependant, le premier ministre a été averti de la fragilité juridique de cette décision, prise par le haut-commissaire Louis Le Franc, à la demande du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l’organe exécutif de la collectivité présidé par Louis Mapou. » Le média spécialisé précisait également que « l’exécutif a écarté l’hypothèse de désavouer publiquement le haut-commissaire et les élus locaux » et que le gouvernement n’avait « aucun grief contre TikTok ». Ce qu’a admis en creux le représentant de Tiktok quelques jours après devant le Sénat : il a indiqué, sous serment, que la plateforme n’a non seulement pas reçu de demande de retrait de contenus de la part de l’exécutif, mais n’a également pas détecté lui-même de contenus illicites une fois le blocage décidé par le gouvernement.

Tout cela n’a pourtant pas empêché le Conseil d’État de valider l’obsession gouvernementale. Pour les juges, il s’agit bien de « contenus incitant au recours à la violence »3Les juristes remarqueront probablement que le Conseil d’État ne parle plus de contenus « manifestement illicites », mais adopte une formulation beaucoup plus englobante.. Pour appuyer l’illégalité des contenus diffusés à l’époque sur Tiktok, le Conseil d’État explique que les « algorithmes » de ce réseau social favoriseraient leur diffusion très rapide. Il est vrai que des études, notamment d’Amnesty International, ont montré la grande toxicité des choix algorithmiques de Tiktok. Et nous ne nous cachons pas sur le fait que nous combattons en général ce modèle économique et technique de réseau social. Mais, pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement s’est contenté d’affirmations non-sourcées, sans rien démontrer. Dans son mémoire, le Premier ministre affirmait ainsi simplement que le choix de bloquer Tiktok était justifié par « les caractéristiques des algorithmes utilisés par “Tiktok”, qui amplifient l’effet de valorisation mimétique » sans fournir d’étude ni même de constatations par ses services. Autrement dit, le Conseil d’État se contente d’affirmations du gouvernement pour en faire une généralité, créant ainsi une forme de présomption de nécessité de bloquer Tiktok. Et, à supposer même qu’il y ait eu quelques contenus manifestement illicites sur Tiktok, cela ne devrait pourtant pas permettre de prendre une mesure aussi grave que limiter ou bloquer toute un réseau social. Ce qu’autorise pourtant le Conseil d’État.

En fin de compte, dans cette affaire, le seul point qui a permis au Conseil d’État d’affirmer que le blocage était illégal réside dans le fait que le gouvernement n’a pas cherché à d’abord limiter certaines fonctionnalités de la plateforme avant d’en ordonner le blocage complet. En d’autres mots, la décision de bloquer est jugée disproportionnée uniquement sur le fait que le gouvernement aurait d’abord dû prévenir Tiktok et lui demander de limiter les contenus, avant de pouvoir ordonner le blocage du réseau social. Le principe même de bloquer n’est pas remis en question.

Cet argument s’inscrit dans la continuité d’une idée exprimée par Emmanuel Macron, après les révoltes faisant suite à la mort de Nahel Merzouk, de limiter certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, voire les bloquer lors de prochaines émeutes. Le Conseil d’État légitime le chantage auquel s’était déjà adonné le gouvernement en 2023 : fin juin 2023, les représentants de TikTok, Snapchat, Twitter et Meta étaient convoqués par le ministre de l’intérieur, dans le but de mettre une « pression maximale » sur les plateformes pour qu’elles coopèrent et qui a conduit à des demandes de retraits de contenus hors de tout cadre légal (voir notre analyse de l’époque). Désormais, le gouvernement a une nouvelle arme, la menace de censure, fraîchement inventée par le Conseil d’État, pour forcer les plateformes à collaborer, quitte à retirer des contenus légaux.

Mode d’emploi pour le fascisme montant

Il ne s’agit donc absolument pas d’une victoire. Le Conseil d’État valide quasiment toute la démarche du Premier ministre. Désormais, même pour sauver la face d’un préfet qui préfère censurer avant de réfléchir, un gouvernement peut bloquer une plateforme en ligne, à la condition de trouver sur cette plateforme quelques contenus vaguement violents et de justifier de « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle ».

Pas besoin de justifier d’une habilitation par le législateur. Pas besoin de justifier de manière rigoureuse des contenus incriminés. Pas besoin de faire la moindre publicité autour de cette décision. Les associations se débrouilleront pour comprendre l’ampleur et les raisons du blocage, et le gouvernement pourra même changer de version si les premières justifications qu’il aura trouvées s’avèrent bancales.

Lors de l’audience publique, l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme, elle aussi requérante dans cette affaire, avait prévenu que les futurs régimes illibéraux s’empareront du mode d’emploi ainsi apporté par le Conseil d’État. De notre côté, nous avions rappelé que les régimes qui se sont jusqu’alors aventurés dans la voie de la censure arbitraire d’Internet et qui se sont fait condamner par la Cour européenne des droits de l’Homme sont tous des régimes autoritaires, Russie et Turquie en tête. Et peut-être, demain, la France.

Car cette décision doit être replacée dans son contexte : celui d’un autoritarisme qui fait la courte-échelle depuis des années à un fascisme désormais aux portes du pouvoirs ; celui de garde-fous qui s’avèrent inefficaces lorsque l’accompagnement de l’État dans ses délires sécuritaires prend la place de la protection des droits ; celui de proximités entre décideurs publics et lobbys sécuritaires qui interrogent ; celui d’un pouvoir politique qui préfère la réponse facile ou la désinformation plutôt que de revoir de fond en comble le système de violence qu’il renforce ; celui de la remise en question quotidienne d’un du principe fondateur de nos démocraties modernes qu’est l’État de droit, par un ministre de l’intérieur récidiviste, ou par une alliance inquiétante entre une extrême droite prise la main dans le pot de confiture, un Premier ministre qui sait qu’il sera peut-être le prochain, et une gauche qui a manqué une occasion de se taire.

Quand on voit avec quelle rapidité l’État de droit est en train de s’écrouler aux États-Unis, on ne peut que s’inquiéter. Car même si Tiktok est une plateforme intrinsèquement problématique, utilisée comme caisse de résonance pour la désinformation et autres contenus extrêmement toxiques, la fin ne peut pas tout justifier. L’État de droit se décompose et le fascisme est aux portes du pouvoir. Il est urgent de porter une voix hautement critique sur ces institutions incapables de protéger la démocratie alors qu’elles devraient être à l’avant-garde de la lutte contre l’extrême droite et l’autoritarisme. Alors si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.

References[+]


Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Tue, 01 Apr 2025 11:37:05 +0000 - (source)

Du 8 au 11 avril, les député·es examineront en séance publique le projet de loi de « simplification de la vie économique ». Cette loi fourre-tout, conçue sur mesure pour répondre aux demandes des industriels, contient un article 15 qui permettrait à l’État d’imposer la construction d’immenses data centers aux collectivités locales et à la population. Face à la fuite en avant sous l’égide de l’industrie de la tech, nous appelons les député·es à rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification » et à soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des plus gros data centers en France, le temps qu’un débat public puisse se tenir sur la manière de les encadrer.

Contexte

Alors que la construction des data centers est en plein boom pour accompagner la prolifération de l’IA dans tout les pans de la société, les multinationales de la tech s’allient à l’État pour imposer ces infrastructures à la population et éviter toute contestation citoyenne face à l’accaparement des ressources qu’elles supposent.

À son article 15, le projet de loi « simplification » – en fait une loi de dérégulation – autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). C’est une promesse d’Emmanuel Macron aux investisseurs internationaux. D’après le gouvernement, ce statut a vocation à être réservé aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot ! Avec ce statut de « projet d’intérêt national majeur », les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler main dans la main avec eux pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter à ces projets de data centers. Les procédures de consultation du public seront encore allégées. Et l’État pourra par la même occasion décider que ces infrastructures peuvent déroger aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées.

Pour ne pas laisser les multinationales de la tech s’allier au gouvernement français pour alimenter cette fuite en avant délétère et écocide, La Quadrature du Net et le collectif Le Nuage était sous nos pieds, en lien avec les membres de la coalition Hiatus, appellent à l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepôts à serveurs1. Nous appelons toutes les personnes et organisations inquiètes de cette dérégulation au bénéfice de la tech à dénoncer ce passage en force et à contacter les député·es pour obtenir la suppression de cet article 15 et l’adoption d’un moratoire sur la construction des gros data centers ! Vous trouverez sur cette page toutes les ressources pour contacter les député·es et les convaincre de voter en ce sens.

Appelez vos député·es !

Argumentaire pour un moratoire sur les gros data centers

Voici quelques données à avoir en tête pour convaincre les député·es de rejeter l’article 15 et d’adopter un moratoire sur les gros data centers !

1. Les data centers engendrent une intense prédation des ressources en eau et en électricité

→ Des instances de maîtrise démocratique de l’impact écologique et foncier de l’industrie de la tech doivent d’urgence être établies pour lutter contre ces prédations croisées sur l’eau et l’électricité, et assurer une trajectoire de sobriété.

2. Accompagnant la prolifération de l’IA, les data centers sont l’objet d’un déploiement territorial incontrôlable

→ Il est nécessaire de mettre ce déploiement en pause, de construire une stratégie concertée sur des infrastructures du numériques qui répondent aux besoins de la société et non aux intérêts économiques de la tech et des fonds d’investissements qui la soutiennent.

3. Les data centers se multiplient dans une opacité systémique, sans prise en compte des alternatives

→ Face à l’opacité systémique, il nous faut produire une connaissance précise qui prenne en compte les enjeux sociaux, écologiques et géopolitiques des infrastructures du numériques aussi bien que les alternatives aux technologies dominantes.

4. Les data centers sont des infrastructures sensibles à la dangerosité mal évaluée

→ Les data centers sont des infrastructures dangereuses, et il est nécessaire de protéger les habitant.e.s et les écosystèmes des pollutions et des nuisances qu’ils engendrent.

5. Les data centers s’accompagnent d’impacts sociétaux nombreux et insoutenables

→ Il faut reprendre la main sur les infrastructures du numériques et le monde qu’elles génèrent. Il ne s’agit jamais d’enjeux simplement techniques : derrière les data centers, de nombreux enjeux politiques doivent être soulevés et débattus.


  1. Voir la proposition d’amendement de suppression de l’article 15, et celle portant sur un moratoire sur la construction de gros data centers. ↩


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