Pour animer notre campagne de dons de fin d’année, nous avons choisi de traiter le thème de l’IA, qui sera un de nos grands axes de travail en 2025 : au lieu de tomber dans le panneau des fantasmes inutiles — ceux d’une intelligence surhumaine qui détruira l’humanité ou qui la sauvera de ses propres errements — et si on s’intéressait plutôt à ses usages concrets et à ses effets réels ? Après un article d’introduction accompagné d’une vidéo, on s’est penché plus spécialement sur les algorithmes de « scoring » utilisés par les administrations sociales, en lien avec notre campagne France Contrôle. La semaine suivante, on est allé à Marseille pour suivre le travail du collectif Le Nuage était sous nos pieds, dont font partie des membres de La Quadrature, qui étudie l’impact des infrastructures du numérique, démultipliées par l’IA, sur les villes, les ressources et les personnes. Et cette semaine, on revient sur la place de l’IA dans les discours sécuritaires et dans les dispositifs de surveillance qui se déploient aujourd’hui, au présent, dans nos rues. Une vidéo qui rejoint évidemment nos campagnes Technopolice et Pas de VSA dans ma ville. C’est pas de l’IA, c’est de la surveillance, du contrôle social et beaucoup, beaucoup de discours creux qui cachent la réalité d’un numérique au service de la contrainte et de l’exploitation des ressources et des personnes. Soutenez La Quadrature en 2025, faites-nous un don si vous pouvez !
Rendez-vous sur la page de la campagne de dons : https://www.laquadrature.net/donner/
Introduction : https://www.laquadrature.net/2024/11/29/cest-pas-de-lia-cest-de-lexploitation-dernier-cri/
Vidéo générale : https://video.lqdn.fr/w/kzeD86nXj12pKnEqwZKQEF
Vidéo IA et contrôle social : https://video.lqdn.fr/w/6Gi2v2ZhqDYWfvk3HP2MrR
Vidéo IA et écologie : https://video.lqdn.fr/w/48uz581ZbdNvWyXC9KV37n
Vidéo IA et Technopolice : https://video.lqdn.fr/w/6aMhTgir5dGpn8ByQjR87i
Depuis que l’utilisation des drones policiers a été légalisée par la loi Sécurité intérieure de 2022, et l’utilisation « expérimentale » de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) par la loi Jeux Olympiques de 2023, nous passons du temps à chercher des arrêtés préfectoraux en ligne. Pas pour le plaisir (encore que), mais parce que chaque sortie des drones policiers et chaque déclenchement de la VSA doit être autorisé et précédé par un arrêté du préfet, qui doit être rendu public. Et c’est là que ça se complique : documents publiés à la dernière minute (ou même après), documents planqués dans les arrière-fonds des sites web des préfectures, documents scannés au format image donc inaccessibles aux outils de recherche de texte, processus différents d’une préfecture à l’autre, architecture des sites préfectoraux pas du tout standardisée, etc. On pourrait presque croire que tout est fait pour que l’information soit aussi difficile à trouver que possible. Le pouvoir a une habitude de secret et de discrétion, il ne faudrait quand même pas que la population, les journalistes, les chercheur·euses ou les militant·es exercent leur droit trop facilement.
Mais comme La Quadrature est un mélange de juristes et de geeks, et parfois de juristes-geeks, on a développé un outil pour abattre le boulot et explorer pour nous les sites préfectoraux et rapporter les arrêtés en fonction des mots clés qu’on lui donne. « On » s’appelle d’abord Bastien, vite rejoint par Nono et par une bande de bénévoles, merci à elleux, pour déchiffrer et défricher les labyrinthes préfectoraux et perfectionner l’outil. Aucune IA n’a été maltraitée durant ce processus, seulement des militant·es motivé·es. Le logiciel s’appelle Automate de Traque de Termes et de Recherche dans les Arrêtés Préfectoraux, ou Attrap pour faire plus court – et c’est également plus facile à prononcer, ça tombe quand même drôlement bien.
On utilise Attrap depuis quelques mois, avec des recherches sur les mots-clés liés aux drones et à la VSA, pour alimenter un compte Mastodon nommé Attrap’Surveillance et documenter la mise en œuvre quasi quotidienne de ces dispositifs de surveillance qui nous paraissaient encore si effrayants et exotiques lors du confinement de mars 2020.
On avait en tête depuis le début de rendre un jour l’outil public pour que tout le monde puisse s’en servir. C’est chose faite. Le site Attrap est en ligne depuis quelques jours, avec un article qui explique sa genèse et son utilité, et il fonctionne comme un moteur de recherche. On a aussi lancé des exemples de suivi de certaines décisions repérées par Attrap avec des thèmes précis, ici ou là par exemple, en espérant que cela donnera envie à d’autres collectifs de s’approprier l’outil. Dorénavant Attrap est à vous : apprenez à connaître votre préfecture, ce n’est pas sale !
Et si vous allez en Allemagne au Chaos Computer Congress (CCC) cette année, vous pouvez venir ajouter de nouvelles préfectures dans le moteur de recherche, lors du hackathon Attrap organisé le 27 décembre à 18h au Komona. Une rumeur dit que les participant·es pourront récupérer des oreilles de chat qui brillent dans le noir en guise de petit remerciement…
Pour lire la présentation d’Attrap : https://www.laquadrature.net/2024/12/19/contre-lopacite-de-la-surveillance-locale-attrap-tes-arretes-prefectoraux/
Le compte Mastodon de Attrap’Surveillance : https://mamot.fr/@AttrapSurveillance
Pour utiliser Attrap tout de suite : attrap.fr
IA et VSA
France Contrôle
Divers
Un des obstacles les plus importants dans la lutte contre la Technopolice est l’opacité persistante de l’utilisation des technologies de surveillance. Pour contrer cette difficulté, La Quadrature du Net lance aujourd’hui Attrap (pour « Automate de Traque de Termes et de Recherche dans les Arrêtés Préfectoraux »), un moteur de recherche d’arrêtés préfectoraux qui contribue ainsi à une plus grande transparence de l’action de l’administration. Cet outil est destiné aux journalistes, militant·es, avocat·es, habitant·es qui souhaitent faire des recherches facilement et rapidement dans la masse d’arrêtés préfectoraux, et ainsi pouvoir connaître quels sont les outils de surveillance et de contrôle utilisés par l’État sur elles et eux.
Ces dernières années, la multiplication des outils de surveillance à disposition des autorités publiques s’est accompagnée d’une augmentation du pouvoir des préfets, émanations locales de l’État. Par exemple, depuis 1995, il revient aux préfets de département d’autoriser les communes ou commerces à mettre en place de la vidéosurveillance. On retrouve ce même mécanisme d’autorisation préfectorale pour les drones depuis 2023 ou, depuis la loi sur les Jeux Olympiques, pour la vidéosurveillance algorithmique dont la première autorisation a été délivrée en avril 2024.
Les préfets sont également dotés de pouvoirs d’interdictions ou de restrictions. Ils peuvent ainsi interdire des manifestations, créer des locaux de rétention administrative (équivalent temporaire des centres de rétention administratifs, CRA, qui servent à enfermer les personnes étrangères avant de les expulser) ou, depuis la loi SILT (qui introduisait en 2017 dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence), mettre en place des « périmètres de sécurité ».
En théorie, toutes ces décisions des préfets doivent être publiées. Mais en pratique, il est très difficile d’accéder à cette information. Parfois, les préfectures communiquent sur les réseaux sociaux. Mais cela reste exceptionnel et cantonné à quelques grands événements. La plupart du temps, toutes ces décisions sont enterrées au fond des recueils des actes administratifs des préfectures.
Les recueils des actes administratifs (RAA) sont les journaux officiels des préfectures : dans un objectif très théorique de transparence, beaucoup de décisions prises par les préfectures doivent être publiée dans ces RAA. Cette publicité est cependant limitée en pratique : les RAA sont délibérément organisés de manière à être les moins accessibles possibles.
Prenons un cas pratique pour illustrer cette inaccessibilité. De passage à Antibes le week-end du 25-26 août 2024, vous avez constaté qu’un drone survolait le centre-ville. Vous souhaitez alors connaître la décision (en l’occurrence ici, un arrêté) qui a autorisé cette surveillance et voir les justifications avancées par les pouvoirs publics pour son déploiement, la durée d’autorisation ou encore les personnes responsables.
Une recherche sur le site de la préfecture des Alpes-Maritimes ne retourne aucun résultat. Vous devez alors rechercher par vous-même dans les RAA. Mais ceux de la préfecture des Alpes-Maritimes sont dispersés dans une multitude de fichiers PDF, eux-même éparpillés dans de nombreuses pages et sous-pages du site de l’administration. Vous devez donc scruter l’ensemble des recueils mensuels, spéciaux et spécifiques. Mais gare à vous si vous ouvrez trop rapidement plusieurs fichiers PDF : vous vous retrouverez bloqué·e par la plateforme et devrez attendre plusieurs dizaines de minutes avant de pouvoir continuer ! De plus, en utilisant la fonction Recherche de votre navigateur dans les fichiers PDF des RAA publiés autour de la date recherchée, vous ne trouvez nulle part le terme « aéronef » (expression légalement consacrée pour désigner les drones).
Finalement, en recherchant « drone », vous trouvez une petite ligne dans le sommaire du RAA spécial du 14 août. En vous rendant à la page indiquée dans le sommaire, vous constaterez qu’il s’agit bien de l’arrêté préfectoral que vous cherchez. Mais il n’est pas possible de sélectionner le texte (donc de faire une recherche dans le corps des arrêtés du RAA) parce que les services de la préfecture ont publiée sa version scannée…
Il ne s’agit pas du pire exemple, même si certaines préfectures rendent leurs recueils d’actes administratifs un peu plus accessibles que celle des Alpes-Maritimes. Et, dans notre cas pratique, il s’agissait de retrouver un arrêté précis. Autant dire qu’il n’est pas possible de faire une veille efficace, et donc d’exercer un contrôle sur les actes pris par les préfectures, notamment en termes de surveillance de la population.
Pour contourner ces obstacles pratiques, nous avons créé Attrap. Il s’agit d’un moteur de recherche qui analyse automatiquement les sites des préfectures, télécharge les différents fichiers PDF des RAA, reconnaît les caractères, extrait le texte et rend tout cela disponible dans une interface web unique. À partir de cette dernière, vous pouvez alors rechercher des mots-clés dans les RAA de toutes les préfectures ou certaines seulement, trier les résultats par pertinence ou chronologiquement, ou encore faire des recherches avancées avec les mots « AND » ou « OR ». Ainsi, l’arrêté d’autorisation de drones de notre exemple peut se trouver en quelques instants.
Mieux ! Si vous savez coder et voulez développer des fonctionnalités que n’offre pas Attrap (par exemple un système de statistiques, de veille, ou d’analyse plus poussée des arrêtés préfectoraux), vous pouvez utiliser librement l’API du service. C’est grâce à celle-ci que nous avons créé les robots de veille Mastodon Attrap’Surveillance (qui détecte la vidéosurveillance, la VSA et les drones), Attrap’Silt (qui détecte les périmètres de sécurité de la loi Silt) et Attrap’LRA (qui détecte les créations de locaux de rétention administrative). Et le code source de notre robot est lui aussi libre.
Attrap est un nouvel outil pour, par exemple, les groupes locaux Technopolice qui documentent et veillent sur le développement des technologies de surveillance, dans nos quartiers, villes et villages. Cet outil permet ainsi de rendre visible, en alertant les habitant·es, de ce que la police voudrait invisible : la surveillance de nos rues et donc de nos vies. Il permettra également de documenter qui seront les futurs cobayes de la vidéo surveillance algorithmique (VSA) dans le cadre de la loi JO qui se poursuit jusqu’en mars 2025.
Ainsi, c’est grâce à Attrap que nous avons pu par exemple visibiliser les usages de VSA cette année, y compris saisir la CNIL d’une plainte lorsque la préfecture de police de Paris a utilisé cette technologie illégalement. C’est également grâce à cet outil que le groupe Technopolice Marseille a pu documenter les usages massifs de drones dans la cité phocéenne, notamment lors des « opérations place nette », vaste séquence médiatique de Gérald Darmanin au bilan très critiqué, ou pour surveiller le centre de rétention administrative du Canet (arrêté qui vient d’être suspendu par la justice suite à un recours de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille et de La Cimade, soutenus par le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la magistrature et le Gisti).
Attrap comporte encore quelques limites. Pour l’instant, seule une trentaine de préfectures de département et deux préfectures de région sont supportées. L’ajout d’une nouvelle administration nécessite du temps puisqu’il faut s’adapter à la manière qu’a chaque préfecture de répertorier en ligne ses RAA. Également, pour la plupart des préfectures, seuls les RAA de l’année 2024 sont indexés. Mais la couverture d’Attrap s’améliorera dans les prochains mois.
Pour améliorer Attrap, nous organisons un hackathon lors du 38ème Chaos Communication Congress (38C3) à Hambourg en Allemagne. Si vous aimez le Python, n’hésitez pas à venir ! Mais si vous n’êtes pas au 38C3, vous pouvez également vous rendre sur notre canal Matrix dédié pour commencer à contribuer ! 🤓
À l’avenir, d’autres fonctionnalités seront également ajoutées. Nous prévoyons notamment d’ajouter un système de veille, qui vous permettra d’être notifié·e par email des derniers résultats sans avoir à créer vous-même votre propre robot de veille.
Par cet outil, nous souhaitons donner plus de pouvoirs aux personnes concernées par les décisions préfectorales. Vous pouvez dès aujourd’hui avoir un aperçu des mesures les moins acceptables que les préfectures ont tendance à enterrer au fond de leurs RAA : interdictions de manifestations, vidéosurveillance, drones, vidéosurveillance algorithmique, interdictions de festivals de musique clandestins, mesures de police justifiées par des appels au « zbeul » sur les réseaux sociaux, etc.
Nous espérons qu’Attrap permettra de mieux visibiliser l’action locale (et les abus) de l’État. L’opacité entretenue par les préfectures vient de perdre un peu de terrain. Pour nous aider à continuer nos actions, vous pouvez nous faire un don. Et si vous voulez contribuer à Attrap, rendez-vous sur le canal Matrix dédié.
Jeudi dernier, le 28 novembre, nous avons lancé notre campagne de dons pour 2025. Comme à chaque fin d’année, les associations font leur appel à soutien pour boucler le budget de l’année qui va commencer. La Quadrature n’y échappe pas, d’autant moins qu’elle tient principalement par vos dons et qu’elle refuse de solliciter des subventions publiques, pour des raisons d’indépendance de plus en plus évidentes. Si vous le pouvez, merci de nous soutenir financièrement !
Pour animer ce mois de campagne, on a décidé de parler d’un sujet qui nous intéresse depuis un moment déjà, mais qu’on veut prendre à bras le corps tant les choses s’accélèrent : l’IA. Derrière le buzzword du moment se cachent énormément de fantasmes et des réalités trop mal connues. Tant de croyances entourent l’IA qu’elle joue le rôle d’un mythe, endossant tantôt le rôle du sauveur ou celui du bourreau de l’humanité. Mais elle a des réalités concrètes à partir desquelles il faut l’appréhender. Par où commencer ?
D’abord, supprimer l’effet de fascination causé par l’expression elle même. « L’intelligence artificielle » n’existe pas. Ou plutôt, il faut regarder de plus près ce que recouvre le mot magique. Nous avons publié un premier article accompagné d’une première vidéo pour présenter les grandes lignes de notre lecture du phénomène. L’IA n’est rendue possible que par une énorme concentration de moyens qui la place d’entrée entre les mains du système industriel et financier dominant, avec tous les dégâts sociaux et environnementaux qui s’ensuivent. Elle sert logiquement les intérêts de ces dominants. Comme instrument de police avec la VSA, comme instrument de contrôle social avec les algorithmes administratifs, comme instrument de l’exploitation salariale avec l’entrée de l’IA générative dans les entreprises… Autant d’aspects que nous essaierons d’explorer tout au long de cette campagne et dans les mois qui viennent. Soutenez La Quadrature en 2025 !
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Premier article sur l’IA : https://www.laquadrature.net/2024/11/29/cest-pas-de-lia-cest-de-lexploitation-dernier-cri/
Lien direct vers la vidéo : https://video.lqdn.fr/w/kzeD86nXj12pKnEqwZKQEF
Exemple concret des espoirs et des ambitions confiées à « l’intelligence artificielle » (naguère, on appelait ça le « big data ») : identifier les fraudes aux prestations sociales. Nous avons publié l’année dernière les résultats de notre travail sur l’algorithme de notation utilisé par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) pour attribuer un « score de risque » à ses bénéficiaires. Nous avions découvert, et montré preuve à l’appui, que l’algorithme en question était écrit pour cibler plus particulièrement les personnes en situation de grande précarité (solitude, charge de famille, faibles revenus, etc.). Nous publions cette semaine la suite de cette enquête.
Cette fois, c’est l’algorithme de notation utilisé par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) qui est décortiqué. Nos conclusions sont les mêmes : sous prétexte de lutter contre la fraude, la CNAM accentue la pression de contrôle sur les personnes les plus fragiles. Adultes handicapées, mères célibataires, voilà les ennemis de la solidarité sociale et les « fraudeurs » désignés par les responsables des services sociaux qui mettent au point ces algorithmes de contrôle. Un article à lire sur notre site.
Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/12/05/notation-algorithmique-lassurance-maladie-surveille-les-plus-pauvres-et-harcele-les-meres-precaires/
Autre usage de l’IA. On vous a souvent parlé de Briefcam, un logiciel de VSA doté de puissantes fonctions d’identification faciale et d’analyse biométrique, acheté par de nombreuses villes en France et utilisé aussi par la police nationale et la gendarmerie nationale, comme l’a révélé l’an dernier le média Disclose.
L’outil est si puissant et si profondément installé dans le marché de la vidéosurveillance algorithmique à la française (VSA), qu’à la suite de l’article de Disclose, la CNIL a mené une enquête sur l’usage du logiciel par la police et la gendarmerie, dont elle a publié les conclusions cette semaine (juste après notre article qui actait sa démission, et le moins qu’on puisse dire, c’est que les conclusions de son enquête ne sont pas de nature à nous contredire).
Le logiciel Briefcam (comme ses semblables) est capable d’identifier une personne dans la foule à l’aide de traits individuels caractéristiques : taille, démarche, vêtements, couleur de la peau ou des cheveux, etc. Cette identification individuelle permet au logiciel de retrouver la même personne sur toutes les images des caméras publiques de la ville, et de la suivre partout – un véritable fantasme policier. Mais dans l’état du droit actuel, tout traitement de données qui permet d’identifier une personne de façon certaine, et isole l’individu au sein d’un groupe, relève du traitement de données biométriques, dites « sensibles », c’est-à-dire encore plus protégées et encadrées par la loi. On ne fait pas ce qu’on veut avec des données personnelles, encore moins avec des données biométriques, et c’est le rôle de la CNIL d’y veiller depuis sa création en janvier 1978.
Or, devant les parlementaires qui la consultaient sur la Loi Transports (laquelle cherchait à légaliser l’usage de la VSA pour certaines enquêtes pénales) comme dans les conclusions de son enquête sur Briefcam, la CNIL se défausse. Elle se contente de rappeler l’interdiction de la reconnaissance faciale mais pour le reste des fonctions d’analyse biométriques – tout aussi dangereuses, et tout aussi illégales –, elle refuse de faire appliquer le droit et se contente des explications fournies par les institutions policières. En donnant ainsi son aval à une pratique illégale de surveillance passible de sanctions pénales, la CNIL trahit sa mission de protection des droits et des libertés. Notre analyse complète dans l’article.
Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/12/04/vsa-et-biometrie-la-cnil-demissionnaire/
C’est un des pires aspects de l’IA : basée sur d’énormes puissances de calcul, elle contribue à l’explosion des besoins en infrastructures, et particulièrement en data centers, gourmands en énergie et en eau de refroidissement. La ville de Marseille, grand nœud portuaire et « porte » du sud de la France vers la Méditerranée et le reste du monde, est particulièrement concernée par le sujet : placée au point d’arrivée sur le continent de nombreux câbles sous-marins, elle est envahie par les data centers qui stockent et traitent les données en transit.
Le collectif marseillais « Le nuage était sous nos pieds », dont fait partie La Quadrature, veut re-matérialiser le cloud pour montrer la réalité de nos usages numériques. Il a organisé un festival informatif et militant en novembre à Marseille, et publié un premier article sur le sujet en septembre dernier. Voici le deuxième article, qui analyse en détails la situation à Marseille.
Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/11/20/accaparement-du-territoire-par-les-infrastructures-du-numerique/
Data centers à Marseille
Technopolice, le livre
Vidéosurveillance algorithmique
France Contrôle
Depuis 2021, nous documentons via notre campagne France Contrôle les algorithmes de contrôle social utilisés au sein de nos administrations sociales. Dans ce cadre, nous avons en particulier analysé le recours aux algorithmes de notation. Après avoir révélé que l’algorithme utilisé par la CAF visait tout particulièrement les plus précaires, nous démontrons, via la publication de son code1Plus précisément, nous avons eu accès à l’ensemble des odds ratio associés aux variables, ce qui nous a permis de rétro-ingéniérer le code de l’algorithme., que l’Assurance Maladie utilise un algorithme similaire ciblant directement les femmes en situation de précarité.
Depuis 2018, un algorithme développé par l’Assurance Maladie (CNAM) attribue une note, ou score de suspicion, à chaque foyer bénéficiant de la Complémentaire Santé Solidaire gratuite (C2SG), soit 6 millions de personnes parmi les plus pauvres de France2La C2S gratuite (C2SG) est une complémentaire santé gratuite accordée sous conditions de revenus et de composition familiale. Réservée aux foyers les plus précaires, elle bénéficiait, en 2023, à 5,9 millions de personnes (voir ici). Le plafond annuel de ressources de la C2SG a été fixé à 9 719 € pour une personne seule, en métropole, au 1er avril 2023, modulable en fonction de la composition du foyer du demandeur (voir ici). Attribuée au niveau du foyer et non au niveau individuel, elle sert à couvrir tout ou partie des frais restant à la charge de l’assuré·e. La C2S peut aussi être soumise à participation financière en cas de revenus légèrement supérieurs (1,5 million de personnes).. Cette note sert à sélectionner les foyers devant faire l’objet d’un contrôle. Plus elle est élevée, plus la probabilité qu’un foyer soit contrôlé est grande. Suite à une erreur de la CNAM, nous avons pu avoir accès au code source de cet algorithme que nous rendons public avec cet article. Le constat est accablant.
L’algorithme cible délibérément les mères précaires. Ces dernières, ouvertement présentées dans des documents officiels par les responsables de la CNAM comme étant « les plus à risques d’anomalies et de fraude »3Voir ce document de présentation du modèle de datamining en « Comité de Direction Fraude » le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a été mal occulté par les équipes de la CNAM., reçoivent un score de suspicion plus élevé que le reste des assuré·es. En retour, elles subissent un plus grand nombre de contrôles. Notons que les – trop rares – témoignages dont nous disposons montrent que ces contrôles peuvent notamment aboutir à des suspensions abusives de couverture santé entraînant des ruptures d’accès aux soins aux conséquences particulièrement graves, et ce, pour l’ensemble des ayants droit du foyer dont les enfants4Si la violence des contrôles organisés par la CAF sont particulièrement bien documentés – voir notamment les travaux des collectifs Changer de Cap et Stop Contrôles –, il n’existe pas, à notre connaissance, de travail équivalent sur les contrôles CNAM. Nous avons cependant pu échanger avec des associations de défense des droits des assuré·es qui ont confirmé l’existence de suspensions abusives de couverture santé..
« Première demande dont le demandeur est une femme de plus de 25 ans avec plus d’un majeur et au moins un mineur dans le foyer »5Voir ce document de présentation du modèle de datamining en « Comité de Direction Fraude » le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a été mal occulté par les équipes de la CNAM.. Voici, mot pour mot, comment est décrit, au détour d’une slide PowerPoint, ce que les responsables de la CNAM appellent le « profil-type du fraudeur »6L’expression « profil-type du fraudeur » est tirée du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici.. C’est ce « profil-type » que l’algorithme est chargé d’aller détecter parmi les assuré·es. Plus une personne se rapproche de ce profil, plus son score de suspicion est élevé et sa probabilité d’être contrôlée est grande.
L’analyse du code de l’algorithme vient confirmer cette description. Parmi les variables utilisées par l’algorithme et augmentant le score de suspicion, on trouve notamment le fait d’être une femme, d’avoir des enfants mineurs ou d’être âgé·e de plus de 25 ans7Un premier modèle a été utilisé par l’Assurance Maladie entre 2018 et 2021. Visant à prédire le risque d’indus, il est basé sur une régression logistique simple comprenant 5 variables en entrée, dont le sexe, l’âge ou la composition du foyer. En 2021, ce modèle a été modifié à la marge. L’entraînement semble être réalisé dans les « règles de l’art », à partir de la sélection aléatoire de plusieurs milliers de dossiers, envoyés aux équipes de contrôle puis utilisés comme base d’apprentissage. Pour plus de détails, voir l’analyse sur notre Gitlab..
Si cet algorithme ne fait pas directement apparaître de critères liés à la précarité économique, c’est tout simplement que ce critère est déjà présent de base dans la définition de la population analysée. Bénéficiaire de la C2SG, cette « femme de plus de 25 ans » fait partie des 6 millions de personnes les plus pauvres de France, dont la majorité est allocataire du RSA et/ou privée d’emploi8Pour une présentation du public concerné par la C2SG, voir notamment le rapport annuel 2023 portant sur la Complémentaire Santé Solidaire de la Direction de la Sécurité Sociale disponible ici..
En complément du code de l’algorithme utilisé depuis 2018, nous avons obtenu celui d’un modèle expérimental développé en vue d’évolutions futures. En plus de cibler les mères précaires, ce modèle ajoute aux critères venant augmenter le score de suspicion d’un·e assuré·e le fait d’être en situation de handicap (« bénéficier d’une pension d’invalidité »), d’être malade (être « consommateur de soin » ou avoir « perçu des indemnités journalières », c’est-à-dire avoir été en arrêt maladie) ou encore… d’être « en contact avec l’Assurance Maladie »9Voir ce document de présentation du modèle de datamining en « Comité de Direction Fraude » le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a été mal occulté par les équipes de la CNAM. Ajoutons qu’il est possible que les équipes de la CNAM aient réalisé des traitements illégaux pour arriver à ces tristes conclusions. Si le modèle alternatif nécessite des croisements de données illégaux – rappelons par ailleurs qu’il est question de données de santé – il est légitime de s’interroger sur la base légale à partir de laquelle son « efficience » a pu être testée..
Une précision s’impose. Le fait que ce modèle expérimental n’ait pas été généralisé n’est en rien lié à un sursaut de décence de la part de la CNAM. Son « efficience » fut au contraire vantée dans des documents distribués lors de sa présentation en « Comité de direction Fraude » début 202010Voir ce document de présentation du modèle de datamining en « Comité de Direction Fraude » le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a été mal occulté par les équipes de la CNAM.. Le seul problème, y expliquent les équipes de statisticien·nes de la CNAM, est que son utilisation n’est pas légale car ce nouveau modèle nécessiterait un « croisement de données non autorisé ». Pour pouvoir le mettre en place, les équipes cherchent à appâter les dirigeant⸱es de la CNAM afin de gagner leur appui pour obtenir le changement réglementaire nécessaire à la mise en place de ce croisement de données11Le croisement demandé semble concerner notamment la base SIAM Erasme, soit une base de données nominatives particulièrement intrusives puisque portant sur les dépenses de santé. Voir ce rapport de la Cour des Comptes. L’accès aux données des comptes bancaires semble aussi être au centre des « limitations réglementaires » empêchant la CNAM de généraliser les modèles expérimentaux..
S’il est une chose cruciale que montrent les documents que nous rendons publics, c’est que les dirigeant⸱es de la CNAM sont parfaitement au courant de la violence des outils qu’ils et elles ont validé. Nul besoin d’être expert·e en statistique pour comprendre les descriptions retranscrites ci-dessus relatives du « profil-type du fraudeur »12L’expression « profil-type du fraudeur » est tirée du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici. que l’algorithme est chargé de cibler.
Mais plutôt que de s’y opposer, les responsables de la CNAM ont préféré utiliser l’opacité entourant son fonctionnement pour en tirer profit. Technique « à la pointe de la technologie », « intelligence artificielle » permettant une « détection proactive » de la fraude, outil prédictif « à la Minority Report » : voici comment, au gré de rapports officiels ou d’interventions publiques, ce type d’outil est vanté13Ces citations se réfèrent globalement à l’ensemble des algorithmes de notation utilisé par la CNAM à des fins de contrôle, ce qui inclut tant l’algorithme de notation des bénéficiaires de la C2SG que les algorithmes utilisé pour le profilage et le contrôle des professionnels de santé. Voir le site de l’assurance maladie, le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude à l’assurance maladie disponible ici et l’article publié en 2022 sur Challenges, « Pour débusquer les fraudeurs, la Sécu met le paquet sur l’IA et les cyber-enquêteurs » et le 30 septembre 2022 disponible ici.. L’absence de transparence vis à vis du grand public quant aux critères de ciblage de l’algorithme permet de masquer la réalité des politiques de contrôles. Cette situation permet alors aux dirigeant.es de l’Assurance Maladie de faire briller leurs compétences gestionnaires et leur capacité d’innovation sur le dos des plus précaires.
Au caractère indécent d’une telle présentation, ajoutons ici qu’elle est en plus mensongère. Car, contrairement à la manière dont il est présenté, l’algorithme n’est pas construit pour détecter les seules situations de fraudes. La documentation technique montre qu’il est entraîné pour prédire le fait qu’un dossier présente ce que l’Assurance Maladie appelle une « anomalie », c’est à dire le fait que les revenus d’un·e assuré·e dépasse le plafond de revenus de la C2S14Pour qu’une anomalie soit déclarée comme fraude, il faut que le niveau de revenu constaté après contrôle soit supérieur à 3 fois le plafond de la C2S. Voir notamment le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude disponible ici.. Or seule une partie de ces « anomalies » – lorsque l’écart entre les revenus et le plafond dépasse un certain montant – est classifiée comme fraude par l’Assurance-Maladie. Tout laisse à penser que la majorité des « anomalies » détectées par l’algorithme résulte avant tout d’erreurs involontaires, liées à la complexité des critères d’attribution de la C2SG qui inclut notamment l’ensemble des revenus dont le foyer dispose, et ce, jusqu’aux cadeaux et dons familiaux15Si nous n’avons pu trouver de chiffres précis quant à la proportion d’« anomalies » liées à des erreurs involontaires dans le cas de la C2SG, nous nous basons sur les études existantes portant sur l’origine des trop-perçus liés au Revenu de Solidarité Active (RSA) dont les conditions d’attribution – nonobstant la fréquence trimestrielle ou annuelle des déclarations – sont similaires à celle de la C2SG. Or, les études portant sur les RSA démontrent sans exception que la très grande majorité des trop-perçus sont liés à des erreurs déclaratives liés à la complexité déclarative de cette prestation. Plusieurs de ces études sont citées dans cet article..
Cette communication est finalement à mettre en perspective face aux enjeux financiers. En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie annonçait que la fraude à l’ensemble de la C2S était estimée à 1% de son coût, soit 25 millions sur plus de 2,5 milliards d’euros16En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie a présenté les premières estimations devant le Sénat. Son audition est disponible ici. Voir aussi le rapport annuel de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie 2021 disponible ici. Les chiffres des montants de la C2S (gratuite et avec participation financière) gérés par la CNAM sont disponibles dans le rapport annuel 2023 de la direction de la sécurité sociale.. En revanche, le taux de non-recours à cette prestation sociale était lui estimé à plus de 30%, soit un « gain » d’environ… un milliard d’euros pour la CNAM17Voir Mathilde Caro, Morgane Carpezat, Loïcka Forzy, « Le recours et le non-recours à la complémentaire santé solidaire. Les dossiers de la Drees 2023 », disponible ici.. Ces chiffres soulignent l’hypocrisie politique de l’importance de lutter contre la fraude à la C2SG – et la nécessité des outils dopés à l’intelligence artificielle – tout en démontrant que le recours à de tels outils est avant tout une question d’image et de communication au service des dirigeant·es de l’institution.
Il est une dernière chose que mettent en lumière les documents que nous rendons public. Rédigés par les équipes de statisticien·nes de la CNAM, ils offrent un éclairage particulièrement cru sur l’absence flagrante de considération éthique par les équipes techniques qui développent les outils numériques de contrôle social. Dans ces documents, nulle part n’apparaît la moindre remarque quant aux conséquences humaines de leurs algorithmes. Leur construction est abordée selon des seules considérations techniques et les modèles uniquement comparés à l’aune du sacro-saint critère d’efficience.
On perçoit alors le risque que pose la numérisation des politiques de contrôle dans le poids qu’elle donne à des équipes de data-scientists coupées des réalités de terrain – ils et elles ne seront jamais confrontées à la réalité d’un contrôle et à leurs conséquences en termes d’accès aux soins – et nourries d’une vision purement mathématique du monde.
On appréhende aussi l’intérêt d’une telle approche pour les responsables des administrations sociales. Ils et elles n’ont plus à faire face aux éventuelles réticences des équipes de contrôleur·ses lors de la définition des politiques de contrôle18Sur la contestation lors de l’élaboration de politiques de contrôle par les équipes internes à la CNAF, voir le livre Contrôler les assistés. Genèses et usage d’un mot d’ordre, de Vincent Dubois, page 250.. Ils et elles n’ont d’ailleurs même plus à expliquer la façon dont ces politiques ont été construites aux équipes de contrôleur·ses, à qui il est simplement demandé de contrôler les dossiers les moins bien notés par un algorithme-boîte-noire.
Depuis maintenant deux ans, nous documentons la généralisation des algorithmes de notation à des fins de contrôle au sein de notre système social. À l’instar de la CNAM, nous avons montré qu’ils étaient aujourd’hui utilisés à la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), l’Assurance-Vieillesse ou encore la Mutualité Sociale Agricole et ont été expérimentés à France Travail.
Depuis deux ans, nous alertons sur les risques associés à l’essor de ces techniques, tant en termes de surveillance numérique que de discriminations et de violence institutionnelle. Surtout, nous n’avons eu de cesse de répéter que, quelques soient les institutions sociales, ces algorithmes ne servent qu’un seul objectif : faciliter l’organisation de politiques de harcèlement et de répression des plus précaires, et ce grâce à l’opacité et au vernis scientifique qu’ils offrent aux responsables des administrations sociales.
C’est désormais chose prouvée pour deux administrations. Pour la CNAM avec cet article. Mais aussi pour la CNAF, dont nous avons publié il y a tout juste un an le code de l’algorithme de notation alimenté par les données personnelles de plus de 30 millions de personnes, et que nous avons attaqué devant le Conseil d’État en octobre dernier avec 14 autres organisations en raison du ciblage des personnes en situation de précarité, de handicap ou encore les mères isolées.
Nous espérons que cet article, associé à ceux publiés sur la CNAF, finira de démontrer qu’il n’est pas nécessaire d’accéder au code de l’ensemble de ces algorithmes pour connaître leurs conséquences sociales. Car le problème n’est pas technique mais politique.
Vendus au nom de la soi-disant « lutte contre la fraude sociale », ces algorithmes sont en réalité conçus pour détecter des trop-perçus, ou indus, dont toutes les études montrent qu’ils se concentrent sur les personnes précaires en très grande difficulté. En effet, ces indus sont largement le fait d’erreurs déclaratives involontaires consécutives à deux principaux facteurs: la complexité des règles d’attribution des minima sociaux (RSA, AAH, C2SG…) et des situations personnelles de grande instabilité (personnelle, professionnelle ou administrative). Un ancien responsable de la CNAF expliquait ainsi que « Les indus s’expliquent […] par la complexité des prestations, le grand nombre d’informations mobilisées pour déterminer les droits et l’instabilité accrue de la situation professionnelle des allocataires », ce qui est avant tout le cas pour les « prestations liées à la précarité […] très tributaires de la situation familiale, financière et professionnelle des bénéficiaires »19Voir les articles d’un directeur du service « contrôle et lutte contre la fraude ». Le premier « Du contrôle des pauvres à la maîtrise des risques » a été publié en 2006 et est disponible ici. Le second est intitulé « Le paiement à bon droit des prestations sociales des CAF » publié en 2013 et disponible ici..
Autrement dit, ces algorithmes ne peuvent pas être améliorés car ils ne sont que la traduction technique d’une politique visant à harceler et réprimer les plus précaires d’entre nous.
L’hypocrisie et la violence de ces pratiques et des politiques qui les sous-tendent doivent être dénoncées et ces algorithmes abandonnés. Quant aux responsables qui les appellent de leurs vœux, les valident et les promeuvent, ils et elles doivent répondre de leur responsabilité.
Pour nous aider à continuer à documenter ces abus, vous pouvez nous faire un don. Nous appelons également celles et ceux qui, bénéficiaires de la C2SG ou non, souhaitent agir contre cet algorithme et plus largement les politiques de contrôles de la CNAM. Assuré·es, collectifs, syndicats, employé·es de la CNAM, vous pouvez nous contacter sur algos@laquadrature.net pour réfléchir collectivement aux suites à donner à cette publication.
References
↑1 | Plus précisément, nous avons eu accès à l’ensemble des odds ratio associés aux variables, ce qui nous a permis de rétro-ingéniérer le code de l’algorithme. |
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↑2 | La C2S gratuite (C2SG) est une complémentaire santé gratuite accordée sous conditions de revenus et de composition familiale. Réservée aux foyers les plus précaires, elle bénéficiait, en 2023, à 5,9 millions de personnes (voir ici). Le plafond annuel de ressources de la C2SG a été fixé à 9 719 € pour une personne seule, en métropole, au 1er avril 2023, modulable en fonction de la composition du foyer du demandeur (voir ici). Attribuée au niveau du foyer et non au niveau individuel, elle sert à couvrir tout ou partie des frais restant à la charge de l’assuré·e. La C2S peut aussi être soumise à participation financière en cas de revenus légèrement supérieurs (1,5 million de personnes). |
↑3, ↑5, ↑10 | Voir ce document de présentation du modèle de datamining en « Comité de Direction Fraude » le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a été mal occulté par les équipes de la CNAM. |
↑4 | Si la violence des contrôles organisés par la CAF sont particulièrement bien documentés – voir notamment les travaux des collectifs Changer de Cap et Stop Contrôles –, il n’existe pas, à notre connaissance, de travail équivalent sur les contrôles CNAM. Nous avons cependant pu échanger avec des associations de défense des droits des assuré·es qui ont confirmé l’existence de suspensions abusives de couverture santé. |
↑6, ↑12 | L’expression « profil-type du fraudeur » est tirée du rapport 2020 de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie disponible ici. |
↑7 | Un premier modèle a été utilisé par l’Assurance Maladie entre 2018 et 2021. Visant à prédire le risque d’indus, il est basé sur une régression logistique simple comprenant 5 variables en entrée, dont le sexe, l’âge ou la composition du foyer. En 2021, ce modèle a été modifié à la marge. L’entraînement semble être réalisé dans les « règles de l’art », à partir de la sélection aléatoire de plusieurs milliers de dossiers, envoyés aux équipes de contrôle puis utilisés comme base d’apprentissage. Pour plus de détails, voir l’analyse sur notre Gitlab. |
↑8 | Pour une présentation du public concerné par la C2SG, voir notamment le rapport annuel 2023 portant sur la Complémentaire Santé Solidaire de la Direction de la Sécurité Sociale disponible ici. |
↑9 | Voir ce document de présentation du modèle de datamining en « Comité de Direction Fraude » le 11 janvier 2020. C’est ce document qui a été mal occulté par les équipes de la CNAM. Ajoutons qu’il est possible que les équipes de la CNAM aient réalisé des traitements illégaux pour arriver à ces tristes conclusions. Si le modèle alternatif nécessite des croisements de données illégaux – rappelons par ailleurs qu’il est question de données de santé – il est légitime de s’interroger sur la base légale à partir de laquelle son « efficience » a pu être testée. |
↑11 | Le croisement demandé semble concerner notamment la base SIAM Erasme, soit une base de données nominatives particulièrement intrusives puisque portant sur les dépenses de santé. Voir ce rapport de la Cour des Comptes. L’accès aux données des comptes bancaires semble aussi être au centre des « limitations réglementaires » empêchant la CNAM de généraliser les modèles expérimentaux. |
↑13 | Ces citations se réfèrent globalement à l’ensemble des algorithmes de notation utilisé par la CNAM à des fins de contrôle, ce qui inclut tant l’algorithme de notation des bénéficiaires de la C2SG que les algorithmes utilisé pour le profilage et le contrôle des professionnels de santé. Voir le site de l’assurance maladie, le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude à l’assurance maladie disponible ici et l’article publié en 2022 sur Challenges, « Pour débusquer les fraudeurs, la Sécu met le paquet sur l’IA et les cyber-enquêteurs » et le 30 septembre 2022 disponible ici. |
↑14 | Pour qu’une anomalie soit déclarée comme fraude, il faut que le niveau de revenu constaté après contrôle soit supérieur à 3 fois le plafond de la C2S. Voir notamment le rapport annuel 2021 de lutte contre la fraude disponible ici. |
↑15 | Si nous n’avons pu trouver de chiffres précis quant à la proportion d’« anomalies » liées à des erreurs involontaires dans le cas de la C2SG, nous nous basons sur les études existantes portant sur l’origine des trop-perçus liés au Revenu de Solidarité Active (RSA) dont les conditions d’attribution – nonobstant la fréquence trimestrielle ou annuelle des déclarations – sont similaires à celle de la C2SG. Or, les études portant sur les RSA démontrent sans exception que la très grande majorité des trop-perçus sont liés à des erreurs déclaratives liés à la complexité déclarative de cette prestation. Plusieurs de ces études sont citées dans cet article. |
↑16 | En 2022, le directeur de l’Assurance Maladie a présenté les premières estimations devant le Sénat. Son audition est disponible ici. Voir aussi le rapport annuel de lutte contre la fraude de l’Assurance Maladie 2021 disponible ici. Les chiffres des montants de la C2S (gratuite et avec participation financière) gérés par la CNAM sont disponibles dans le rapport annuel 2023 de la direction de la sécurité sociale. |
↑17 | Voir Mathilde Caro, Morgane Carpezat, Loïcka Forzy, « Le recours et le non-recours à la complémentaire santé solidaire. Les dossiers de la Drees 2023 », disponible ici. |
↑18 | Sur la contestation lors de l’élaboration de politiques de contrôle par les équipes internes à la CNAF, voir le livre Contrôler les assistés. Genèses et usage d’un mot d’ordre, de Vincent Dubois, page 250. |
↑19 | Voir les articles d’un directeur du service « contrôle et lutte contre la fraude ». Le premier « Du contrôle des pauvres à la maîtrise des risques » a été publié en 2006 et est disponible ici. Le second est intitulé « Le paiement à bon droit des prestations sociales des CAF » publié en 2013 et disponible ici. |
Particulièrement défaillante sur les sujets liés à la surveillance d’État, la CNIL a encore manqué une occasion de s’affirmer comme véritable contre-pouvoir et, au passage, d’assurer la défense des droits humains. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la sécurité dans les transports, elle a ainsi plongé tête la première pour venir au secours des institutions policières et justifier leur utilisation d’un logiciel de vidéosurveillance algorithmique dite « a posteriori », telle que celle commercialisée par la société Briefcam. Si nous avions de moins en moins d’attentes envers la CNIL, nous ne pouvons aujourd’hui qu’acter ce constat : l’autorité se pense chaque jour davantage comme une institution d’accompagnement de l’« innovation » au service des start-ups et du pouvoir plutôt qu’une autorité de défense des droits.
Après la loi sur les Jeux Olympiques de 2023 qui légitimait la vidéosurveillance algorithmique (VSA) en temps réel, la VSA dite « a posteriori » s’est récemment retrouvée à l’agenda législatif. Nous vous en avons déjà parlé : ce type de logiciel permet de faire des analyses et recherches dans les enregistrements vidéo après la survenue d’un événement (et non en direct comme la VSA en temps réel ) sur la base d’attributs physiques et biométriques. Un texte déposé par la droite sénatoriale proposait ainsi une nouvelle expérimentation de ce type de VSA dans les transports, jusqu’en 2027, sur les vidéos réquisitionnées par la police lors de ses enquêtes auprès de la SNCF et la RATP. Passée à la trappe suite à la dissolution de l’Assemblée, cette proposition de loi revenait mercredi dernier en commission des lois.
Concrètement, sans même recourir aux empreintes faciales des individus (reconnaissance faciale), ces méthodes de VSA permettent de suivre une personne précise à mesure qu’elle évolue dans l’espace urbain et passe dans le champ de vision de différentes caméras – grâce à la combinaison d’informations sur son apparence, par exemple, la couleur de ses vêtements ou des signes distinctifs comme la taille, la couleur et la coupe de cheveux, ou d’autres caractéristiques déduites à partir de l’identité de genre. En nous appuyant sur l’état du droit, il est très clair pour nous que, dès lors que les algorithmes de VSA permettent de retrouver une personne parmi d’autres, à partir des données physiques ou comportementales qui lui sont propres, il s’agit d’une identification biométrique. Or, en droit des données personnelles, les traitements biométriques sont strictement encadrés et en conséquence, l’utilisation de ces logiciels en l’absence de tout cadre juridique spécifique doit être considérée comme illégale.
Pourtant, la proposition de loi relative à la sécurité dans les transports prétendait échapper à cette catégorie, évoquant des « logiciels de traitement de données non biométriques pour extraire et exporter les images […] réquisitionnées » par la police. Si les logiciels visés sont bien ceux de Briefcam et consorts, une telle affirmation est donc incohérente, voire mensongère. Elle a uniquement pour but de minimiser l’impact de ces logiciels, tant d’un point vue technique que juridique. Nous avons donc envoyé une note détaillée (disponible ici) aux membres de la commission des lois afin de leur expliquer le fonctionnement de cette technologie ainsi que les conséquences juridiques qu’ils et elles devaient en tirer.
Puis, coup de théâtre lors de l’examen du texte : l’article est retiré. Mais si le rapporteur du texte, Guillaume Gouffier Valente, a voulu supprimer cet article, ce n’est non pas au motif que la VSA serait effectivement trop dangereuse pour les droits et libertés, mais parce que la CNIL, lors de son audition sur cette proposition de loi, aurait expressément affirmé qu’une telle loi n’était pas nécessaire et que ces logiciels étaient de toute façon d’ores et déjà utilisés. ll s’agirait donc de la part de la CNIL d’un renoncement à faire appliquer le droit qu’elle est pourtant censée connaître. Nous avons envoyé aux services de la CNIL une demande de rendez-vous pour en savoir plus et comprendre précisément la position de l’autorité dans ce dossier. Mais celle-ci est restée à ce jour sans réponse.
La position de la CNIL s’explique sans doute par sa volonté de justifier sa propre défaillance dans le dossier de la VSA. En effet, la solution d’analyse vidéo de Briefcam est déjà utilisée dans plus de 200 villes en France d’après un article du Monde Diplomatique et a été acquise par la police nationale en 2015 puis par la gendarmerie nationale en 2017. Autant d’usages illégaux qui auraient dû faire l’objet de sanctions fermes de sa part. Il n’en a rien été.
Après la révélation du média Disclose concernant le recours au logiciel Briefcam par la police et la gendarmerie nationale, le ministre de l’Intérieur avait commandé à l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale et l’Inspection générale de la police nationale un rapport d’évaluation, récemment publié, faisant état de l’utilisation de ce logiciel. Si on lit dans ce document différentes justifications et contorsions hasardeuses pour expliquer l’usage la fonction de reconnaissance faciale, ces institutions assument par contre totalement l’utilisation de Briefcam pour les autres fonctionnalités de reconnaissance biométrique.
Un exemple est même donné page 35, expliquant qu’un homme a pu être identifié grâce à la fonction de « similitude d’apparence » du logiciel, notamment parce qu’il portait un T-shirt très reconnaissable. Juridiquement, il s’agit donc d’un traitement de données biométriques. On apprend dans ce même rapport d’inspection que, désormais, pour sauver les meubles, la police et la gendarmerie qualifieraient cette solution de « logiciel de rapprochement judiciaire », une catégorie juridique spécifique qui n’est pas du tout adaptée à ces logiciels, comme nous l’expliquions ici.
À l’occasion de ce débat sur la proposition de loi sur les transports, la CNIL aurait donc pu se positionner fermement sur ce sujet, taper du poing sur la table et enfin mettre un coup d’arrêt à toutes ces justifications juridiques farfelues. Elle aurait pu poser une doctrine sur le sujet qui, aujourd’hui, manque cruellement, et ce, malgré nos appels du pied et les interprétations claires du monde universitaire sur la nature biométrique de ce type de technologies1 Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules » de Caroline Lequesne, maîtresse de conférences en droit public à l’Université Côte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative » publiés dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin Médard Inghilterra, maître de conférence à l’Université Paris I, accessibles en ligne ici et ici.. À l’inverse, elle a préféré acter sa démission totale devant les député⋅es.
Le laisser-faire coupable de la CNIL s’inscrit dans la continuité de ses prises de positions antérieures sur le sujet. En 2022 déjà, lorsque la CNIL avait adopté pour la première fois une position sur la VSA, elle avait fini par expressément exclure de son analyse – et sans explication – les usages « a posteriori » de la technologie, pourtant tout aussi dangereux que les usages en temps réel. Faute de « lignes directrices » sur le sujet, ces usages « a posteriori » ne sont donc couverts par aucune position de l’autorité administrative. Cela n’a pas empêché la CNIL d’intervenir lors d’actions en justice pour dédouaner la communauté de communes de Coeur Cote Fleurie de son utilisation de Briefcam.
Nous continuons donc d’assister au lent déclin de la CNIL en tant que contre-pouvoir étatique. Préférant se consacrer à l’accompagnement des entreprises (même techno-sécuritaires) et à la régulation du secteur économique, elle semble manquer de courage pour tenir tête aux ardeurs sécuritaires des pouvoirs publics, ce qui a logiquement et inexorablement mené à une inflation de textes autorisant les administrations à utiliser tout un tas de techniques de surveillance. Ce positionnement sur la VSA ressemble aujourd’hui à une capitulation complète. En refusant de rappeler le droit et en validant des interprétations hasardeuses et favorables aux intérêts policiers et industriels, elle semble aujourd’hui se satisfaire d’être une simple caution visant à valider des formes de surveillance illégales, reléguant les libertés publiques derrière les demandes du « terrain ».
Quel est alors censé être le rôle de cette institution dans un supposé État de droit, si elle ne rappelle pas les exigences de proportionnalité à des agents demandant toujours plus de pouvoirs de contrôle sur la population ? À quoi sert l’expertise accumulée depuis plus de 45 ans si elle n’est pas mise au service des libertés des habitant·es, à l’heure où la France s’enfonce dans une course à la surveillance avec des pays comme les États-Unis, Israël ou la Chine ? Que faire lorsqu’on réalise que la CNIL est désormais davantage à l’écoute des administrations policières que des expert⋅es universitaires ou de la société civile ?
Face à ces dérives qui participent de la dérive autoritaire de l’État, nous appelons les commissaires et agent·es de la CNIL au sursaut. Si rien n’est fait pour contrecarrer ces tendances, le laisser-faire qui tient lieu de politique de la CNIL dans la plupart des dossiers technopoliciers de ces dernières années conduira à la disqualification définitive de l’autorité de protection des droits, ne lui laissant pour seule fonction que la régulation d’un marché de la surveillance désormais dopée par la prolifération des systèmes d’intelligence artificielle.
Du côté de La Quadrature du Net, nous ne nous résignons pas. En lien avec la mobilisation populaire, nous souhaitons tenter d’activer les contre-pouvoirs institutionnels qui peuvent encore l’être pour barrer la route à la légalisation programmée de la VSA et à la banalisation de ses usages policiers. Pour nous aider, rendez-vous sur notre page de campagne, et si vous le pouvez sur notre page de dons pour nous soutenir dans nos prochaines actions sur ce dossier.
References
↑1 | Voir par exemple le livre blanc « Surveiller les foules » de Caroline Lequesne, maîtresse de conférences en droit public à l’Université Côte d’Azur, ou encore les articles sur la « technopolice administrative » publiés dans la Revue des Droits de l’Homme par Robin Médard Inghilterra, maître de conférence à l’Université Paris I, accessibles en ligne ici et ici. |
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Après deux ans passés à diversifier ses champs d’action, La Quadrature du Net s’attaque désormais à un nouveau front : la lutte contre le déferlement de l’intelligence artificielle (IA) dans tous les pans de la société. Pour continuer à faire vivre la critique d’une politique numérique autoritaire et écocide, La Quadrature a plus que jamais besoin de votre soutien en 2025.
Depuis plusieurs années, en lien avec d’autres collectifs en France et en Europe, nous documentons les conséquences sectorielles très concrètes de l’adoption croissante de l’intelligence artificielle : à travers les campagnes Technopolice et France Contrôle, ou encore plus récemment avec des enquêtes pour documenter l’impact environnemental des data centers qui accompagnent la croissance exponentielle des capacités de stockage et de calcul.
Ces derniers mois, suite à la hype soudaine de l’intelligence artificielle générative et des produits comme ChatGPT, nous assistons à une nouvelle accélération du processus d’informatisation, sous l’égide des grandes entreprises et des États complices. Or, cette accélération est la conséquence directe de tout ce qui pose déjà problème dans la trajectoire numérique dominante. D’abord, une formidable accumulation de données depuis de nombreuses années par les grandes multinationales de la tech comme Google, Microsoft, Meta ou Amazon, qui nous surveillent pour mieux prédire nos comportements, et qui sont désormais capables d’indexer de gigantesques corpus de textes, de sons et d’images en s’appropriant le bien commun qu’est le Web.
Pour collecter, stocker et traiter toutes ces données, il faut une prodigieuse accumulation de ressources. Celle-ci transparaît via les capitaux, d’abord : l’essor de la tech, dopée au capitalisme de surveillance, a su s’attirer les faveurs des marchés financiers et profiter de politiques publiques accommodantes. Grâce à ces capitaux, ces entreprises peuvent financer une croissance quasi-exponentielle de la capacité de stockage et de calcul de données nécessaire pour entraîner et faire tourner leurs modèles d’IA, en investissant dans des puces graphiques (GPU), des câbles sous-marins et des data centers. Ces composants et infrastructures nécessitant à leur tour des quantités immenses de terres et métaux rares, d’eau et d’électricité.
Lorsqu’on a en tête cette triple accumulation — de données, de capitaux, de ressources —, on comprend pourquoi l’IA est le produit de tout ce qui pose déjà problème dans l’économie du numérique, et en quoi elle aggrave la facture. Or, le mythe marketing (et médiatique) de l’intelligence artificielle occulte délibérément les enjeux et les limites intrinsèques à ces systèmes, y compris pour les plus performants d’entre eux (biais, hallucinations, gabegie des moyens nécessaires à leur fonctionnement).
L’emballement politico-médiatique autour de l’IA fait l’impasse sur les effets concrets de ces systèmes. Car bien loin de résoudre les problèmes actuels de l’humanité grâce à une prétendue rationalité supérieure qui émergerait de ses calculs, « l’IA » dans ses usages concrets amplifie toutes les injustices existantes. Dans le champ économique, elle se traduit par l’exploitation massive et brutale des centaines de milliers de « travailleur·euses de la donnée » chargées d’affiner les modèles et de valider leurs résultats. En aval, dans les organisations au sein desquelles ces systèmes sont déployés, elle induit une nouvelle prise de pouvoir des managers sur les travailleur·euses afin d’augmenter la rentabilité des entreprises.
Certes, il existe des travailleur·euses relativement privilégié·es du secteur tertiaire ou encore des « classes créatives » qui y voient aujourd’hui une opportunité inespérée de « gagner du temps », dans une société malade de la course à la productivité. C’est une nouvelle « dictature de la commodité » : à l’échelle individuelle, tout nous incite à être les complices de ces logiques de dépossession collective. Plutôt que de libérer les salarié⋅es, il y a fort à parier que l’automatisation du travail induite par le recours croissant à l’IA contribuera, en réalité, à accélérer davantage les cadences de travail. Comme ce fut le cas lors des précédentes vagues d’informatisation, il est probable que l’IA s’accompagne également d’une dépossession des savoirs et d’une déqualification des métiers qu’elle touche, tout en contribuant à la réduction des salaires, à la dégradation des conditions de travail et à des destructions massives d’emploi qualifiés — aggravant du même coup la précarité de pans entiers de la population.
Dans le secteur public aussi, l’IA accentue l’automatisation et l’austérité qui frappent déjà les services publics, avec des conséquences délétères sur le lien social et les inégalités. L’éducation nationale, où sont testées depuis septembre 2024 et sans aucune évaluation préalable, les IA « pédagogiques » d’une startup fondée par un ancien de Microsoft, apparaît comme un terrain particulièrement sensible où ces évolutions sont d’ores et déjà à l’œuvre.
Pour soutenir le mythe de l’« intelligence artificielle » et minimiser ses dangers, un exemple emblématique est systématiquement mis en exergue : elle serait capable d’interpréter les images médicales mieux qu’un œil humain, et de détecter les cancers plus vite et plus tôt qu’un médecin. Elle pourrait même lire des résultats d’analyses pour préconiser le meilleur traitement, grâce à une mémoire encyclopédique des cas existants et de leurs spécificités. Pour l’heure, ces outils sont en développement et ne viennent qu’en appoint du savoir des médecins, que ce soit dans la lecture des images ou l’aide au traitement.
Quelle que soit leur efficacité réelle, les cas d’usage « médicaux » agissent dans la mythologie de l’IA comme un moment héroïque et isolé qui cache en réalité un tout autre programme de société. Une stratégie de la mystification que l’on retrouve aussi dans d’autres domaines. Ainsi, pour justifier la surveillance des communications, les gouvernements brandissent depuis plus de vingt ans la nécessité de lutter contre la pédocriminalité, ou celle de lutter contre le terrorisme. Dans la mythologie de la vidéosurveillance algorithmique policière (VSA), c’est l’exemple de la petite fille perdue dans la ville, et retrouvée en quelques minutes grâce au caméras et à la reconnaissance faciale, qui est systématiquement utilisé pour convaincre du bien fondé d’une vidéosurveillance totale de nos rues.
Il faut écarter le paravent de l’exemple vertueux pour montrer les usages inavouables qu’on a préféré cacher derrière, au prix de la réduction pernicieuse des libertés et des droits. Il faut se rendre compte qu’en tant que paradigme industriel, l’IA décuple les méfaits et la violence du capitalisme contemporain et aggrave les exploitations qui nous asservissent. Qu’elle démultiplie la violence d’État, ainsi que l’illustre la place croissante accordée à ces dispositifs au sein des appareils militaires, comme à Gaza où l’armée israélienne l’utilise pour accélérer la désignation des cibles de ses bombardements.
Au lieu de lutter contre l’IA et ses méfaits, les politiques publiques menées aujourd’hui en France et en Europe semblent essentiellement conçues pour conforter l’hégémonie de la tech. C’est notamment le cas du AI Act ou « règlement IA », pourtant présenté à l’envi comme un rempart face aux dangers de « dérives » alors qu’il cherche à déréguler un marché en plein essor. C’est qu’à l’ère de la Startup Nation et des louanges absurdes à l’innovation, l’IA apparaît aux yeux de la plupart des dirigeants comme une planche de salut, un Graal qui serait seul capable de sauver l’Europe d’un naufrage économique.
Encore et toujours, c’est l’argument de la compétition géopolitique qui est mobilisé pour faire taire les critiques : que ce soit dans le rapport du Comité gouvernemental dédié à l’IA générative ou dans celui de Mario Draghi, il s’agit d’inonder les multinationales et les start-ups de capitaux, pour permettre à l’Europe de rester dans la course face aux États-Unis et à la Chine. Ou comment soigner le mal par le mal, en reproduisant les erreurs déjà commises depuis plus de quinze ans : toujours plus d’« argent magique » pour la tech, tandis que les services publics et autres communs sont astreints à l’austérité. C’est le choix d’un recul des protections apportées aux droits et libertés pour mieux faire proliférer l’IA partout dans la société.
Ces politiques sont absurdes, puisque tout laisse à penser que le retard industriel de l’Europe en matière d’IA ne pourra pas être rattrapé, et que cette course est donc perdue d’avance. Surtout, ces politiques sont dangereuses dans la mesure où, loin de la technologie salvatrice souvent mise en exergue, l’IA accélère au contraire le désastre écologique, amplifie les discriminations et accroît de nombreuses formes de dominations. Le paradigme actuel nous enferme non seulement dans une fuite en avant insoutenable, mais il nous empêche aussi d’inventer une trajectoire politique émancipatrice en phase avec les limites planétaires.
L’IA a beau être présentée comme inéluctable, nous ne voulons pas nous résigner. Face au consensus mou qui conforte un système capitaliste dévastateur, nous voulons contribuer à organiser la résistance et à esquisser des alternatives. Mais pour continuer notre action en 2025, nous avons besoin de votre soutien. Alors si vous le pouvez, rendez-vous sur www.laquadrature.net/donner !
Quand on entend parler d’intelligence artificielle, c’est l’histoire d’un mythe moderne qui nous est racontée. Celui d’une IA miraculeuse qui doit sauver le monde, ou d’une l’IA douée de volonté qui voudrait le détruire. Pourtant derrière cette « IA » fantasmée se trouve une réalité matérielle avec de vraies conséquences. Cette thématique sera centrale dans notre travail en 2025, voilà pourquoi nous commençons par déconstruire ces fantasmes : non, ce n’est pas de l’IA, c’est l’exploitation de la nature, l’exploitation des humains, et c’est l’ordonnancement de nos vies à des fins autoritaires ciblant toujours les personnes les plus vulnérables.
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L’IA est le prolongement direct des logiques d’exploitation capitalistes. Si cette technologie a pu émerger, c’est du fait de l’accaparement de nombreuses ressources par le secteur de la tech : d’abord nos données personnelles, puis d’immenses capitaux financiers et enfin les ressources naturelles, extraites en reposant sur le colonialisme ainsi que sur le travail humain nécessaires à l’entraînement des modèles d’IA. Une fois déployée dans le monde professionnel et le secteur public, l’IA aggrave la précarisation et la déqualification des personnes au nom d’une course effrénée à la productivité.
L’essor de l’IA repose sur l’extraction de minerais rares afin de fabriquer les puces électroniques indispensables à ses calculs. Elle conduit aussi à la multiplication des data centers par les multinationales de la tech, des équipements gigantesques et coûteux en énergie qu’il faut en permanence refroidir. Partout sur la planète, des communautés humaines se voient ainsi spoliées de leur eau, tandis qu’on rallume des centrales à charbons pour produire l’électricité nécessaire à leur fonctionnement. Derrière les discours de greenwashing des entreprises, les infrastructures matérielles de l’IA génèrent une augmentation effrayante de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Que ce soit au travers de la police prédictive ou de la vidéosurveillance algorithmique, l’IA amplifie la brutalité policière et renforce les discriminations structurelles. Derrière un vernis prétendument scientifique, ces technologies arment la répression des classes populaires et des militant·es politiques. Elles rendent possible une surveillance systématique de l’espace public urbain et, ce faisant, participent à l’avènement d’un monde où le moindre écart à la norme peut être détecté puis puni par l’État.
Sous couvert de « rationalisation », l’IA envahit les administrations sociales à travers le développement d’algorithmes auto-apprenants visant à détecter de potentiels fraudeurs. Allocations Familiales, Assurance Maladie, Assurance Vieillesse, Mutualité Sociale Agricole : ces systèmes sont aujourd’hui déployés dans les principales administrations de l’« État providence ». Associant un « score de suspicion » à chacune d’entre nous pour sélectionner les personnes à contrôler, nos recherches montrent qu’ils ciblent délibérément les personnes les plus précaires .
L’accaparement de nos données personnelles permet de nourrir les IA de profilage publicitaire, qui associent en temps réel des publicités à nos « profils » vendus aux plus offrants. Cette marchandisation de notre attention a aussi pour effet de façonner les réseaux sociaux centralisés, régulés par des IA de recommandation de contenus qui les transforment en lieux de radicalisation binaire des camps politiques. Enfin, pour développer des produits comme ChatGPT, les entreprises du secteur doivent amasser d’immenses corpus de textes, de sons et d’images, s’appropriant pour ce faire le bien commun qu’est le Web.
Pour boucler le budget de l’année qui vient, nous souhaitons récolter 260 000 € de dons, en comptant les dons mensuels déjà existants, et tous les nouveaux dons mensuels ou ponctuels.
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Pour vous donner une idée, quand on ventile nos dépenses de 2024 (salaires inclus) sur nos campagnes, en fonction du temps passé par chacun·e sur les sujets de nos luttes, ça ressemble à ça :
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Depuis fin 2023, le collectif marseillais Le Nuage était sous nos pieds enquête, analyse et lutte contre les impacts sociaux, écologiques et politiques des infrastructures du numérique à Marseille, en particulier des câbles sous-marins et des data centers. Ce collectif est composé d’habitant·es de Marseille, affilié·es à au moins trois entités : le collectif des Gammares, collectif marseillais d’éducation populaire sur les enjeux de l’eau, Technopolice Marseille, qui analyse et lutte contre les technologies de surveillance policière et La Quadrature du Net, association de défense des libertés fondamentales dans l’environnement numérique. Dans cet article, nous restituons une partie de l’enquête menée par le collectif sur les infrastructures numériques à Marseille, leur impact socio-environnemental et le monde délétère qu’elles représentent, enquête que nous élargissons au delà du territoire marseillais, inspiré·es notamment par les échanges lors du festival « Le nuage était sous nos pieds » qui a eu lieu les 8, 9 et 10 novembre dernier à Marseille.
Arrivent à Marseille aujourd’hui environ seize câbles sous-marins intercontinentaux qui atterrissent, transitent et relient l’Europe et la Méditerranée à l’Asie, au Moyen Orient, à l’Afrique, aux États-Unis. Ce sont ces câbles intercontinentaux qui permettent à l’information numérique de circuler, en particulier sur le réseau Internet, et aux services numériques déployés dans ce qu’on appelle « le cloud », d’apparaître sur nos écrans : mails, réseaux sociaux, vidéos et films en streaming. Au point de croisement de ces « autoroutes de l’information » : les data centers. Ces méga-ordinateurs bétonnés en surchauffe renferment des milliers de serveurs qui rendent possible le technocapitalisme et ses données numériques invisibles : la collecte massive de données personnelles, servant à l’analyse de nos comportements constamment traqués et traités à des fins marketing, la publicité numérique qui pollue nos cerveaux, la vidéo-surveillance policière et plus largement la gouvernance et la surveillance algorithmiques dopées à l’intelligence artificielle qui discriminent et sapent nos libertés fondamentales. Derrière ces infrastructures, ce sont également l’accaparement des terres et des ressources en eau, mais aussi la pollution de l’air, la bétonisation de nos villes réchauffées, et les réalités tachées du sang de l’extractivisme numérique colonial que les puces des serveurs qui peuplent ces data centers renferment. Et ce sont encore une fois des industries peu scrupuleuses qui, aidées par des politiques honteuses, s’accaparent nos territoires et nos vies.
La présence de ces 16 câbles sous-marins intercontinentaux attire à Marseille les gestionnaires de data centers, ces entrepôts géants où s’empilent des serveurs par milliers, appartenant en grande majorité à Google, Amazon, Microsoft, Meta, Netflix, Disney+, Capgemini, Thalès, etc. Des serveurs qui stockent et font transiter des données, des serveurs qui rendent possibles les services numériques et les échanges de données décrits plus haut. Depuis une dizaine d’années, et de façon accélérée depuis 2020, une douzaine de data centers ont été construits un peu partout dans Marseille intra muros, et plusieurs nouveaux sont en chantier ou annoncés dans la ville et aux alentours. On y trouve ainsi cinq data centers de Digital Realty, un géant américain d’investissement immobilier coté en bourse, spécialisé en gestion de data centers dits neutres ou de colocation. Cette entreprise construit, aménage et gère le fonctionnement du bâtiment, et loue ensuite les emplacements de serveurs à d’autres sociétés, telles Microsoft, Amazon, Google, Netflix ou d’autres. Ces data centers de colocation sont bien implantés en France, mais dans d’autres pays et territoires, Amazon, Microsoft, Google et autres géants du numérique construisent leurs propres bâtiments de data centers et toute l’infrastructure nécessaire à leur fonctionnement : postes électriques de transformation du courant, réseaux fibrés terrestres, câbles sous-marins transcontinentaux, etc.
À Marseille, le géant Digital Realty, un des trois leaders mondiaux de data centers de colocation, possède quatre data centers MRS1, MRS2, MRS3, MRS4 et est en train d’en construire un cinquième, MRS5, tous sauf MRS1 situés dans l’enceinte du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM). Les autres data centers marseillais sont souvent situés dans le nord de la ville. Dans le quartier de Saint-Henri notamment, où un data center de colocation de Free Pro est actuellement en cours d’agrandissement pour doubler de taille, se partageant l’espace avec un data center de Telehouse. Dans le quartier de Saint-André, un projet de data center surdimensionné de Segro viens d’être annoncé. Tandis qu’à la Belle-de-Mai un data center de Phocea DC est en construction. Il y a même un projet de data center flottant dans le Grand Port, par l’entreprise Nautilus ! Hors des limites municipales, à Bouc-Bel-Air, Digital Realty a également un projet de construction d’un sixième data center, bien plus grand que les précédents, baptisé MRS6.
Marseille n’est pas la seule ville concernée. La France, avec ses plus de 300 data centers, se situe aujourd’hui au 6ème rang mondial des pays en accueillant le plus, après les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine et le Canada. En Île-de-France, premier territoire d’implantation française avec 95 data centers, juste devant Lyon (18), puis Marseille (12), Digital Realty y possède 2 hubs d’un total de 17 data centers (et plusieurs autres en construction), concentrés pour la plupart en Seine-Saint-Denis. Equinix, autre géant du top 3 mondial des data centers de colocation en possède 10, tandis que Data4, Scaleway ou Free Pro, OVH, Telehouse, Verizon, Zayo et autres acteurs se partagent les 72 restants.
Les seize câbles sous-marins intercontinentaux qui arrivent aujourd’hui à Marseille sont répertoriés par Telegeography, une entité qui maintient Submarine Cable Map, une des cartes mondiales de référence de ce type de câbles. Ils sont construits et déployés au sein de consortiums internationaux regroupant plusieurs entreprises et multinationales du numérique. On y retrouve en premier lieu les géants du numérique — Google, Facebook/Meta, Microsoft et Amazon — qui sont désormais les premiers financeurs et les acteurs principaux des projets de déploiement de ces câbles sous-marins intercontinentaux. On y retrouve également des entreprises de télécommunications telle que Orange, mais aussi des opérateurs internationaux, qui seront souvent en charge de l’atterrissement des câbles sur les plages, ainsi que des stations ou centres d’atterrissement de ces câbles, permettant la transition entre les infrastructures sous-marines et le réseau câblé terrestre. On y retrouve également des entreprises qui fabriquent et déploient ces câbles en mer, comme Alcatel Submarine Networks qui vient d’être racheté par l’État français, et qui est un des trois leaders mondiaux dans ce domaine avec TE SubCom (Suisse) et NEC Corporation (Japon).
Ces câbles sous-marins et leurs centres d’atterrissements sont aujourd’hui des infrastructures stratégiques, avec des enjeux géopolitiques mondiaux importants, mais où la domination des géants numériques est, là aussi, en passe de devenir la norme. Ainsi à Marseille, la plupart des nouveaux câbles sous-marins construits ou en cours de construction ces dernières années ont pour principal acteur Facebook (2Africa), Google (Blue), et Microsoft (SeaMeWe-6). Parmi les opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à Internet du monde entier que la présence de câbles sous-marins intercontinentaux attire également à Marseille, on retrouve la multinationale française Orange, qui possède dans la ville au moins un data center pour ses propres besoins et plusieurs centres d’atterrissements de câbles sous-marins. On retrouve aussi Verizon, opérateur américain de télécommunications avec un data center couplé à un centre d’atterrissement de câbles sous-marins, Omantel, la compagnie nationale de télécommunications d’Oman qui en possède également un — pour ne citer que les opérateurs identifiés par le travail d’enquête et de cartographie des infrastructures numériques à Marseille réalisé par le collectif Le Nuage était sous nos pieds. Vous pouvez retrouver ce travail de cartographie mené sur le terrain, sur la carte libre et collaborative OpenStreetMap, et de façon condensée sur cette carte élaborée lors de cette enquête.
On retrouve également à Marseille la présence de plusieurs Internet Exchange Points (IXP), ou points d’échange d’Internet, des infrastructures physiques où opérateurs télécom, fournisseurs d’accès à internet (FAI) mais aussi entreprises offrant leurs services numériques, se branchent et s’échangent du trafic sans coûts à travers des accords mutuels. Ainsi un mail envoyé via l’opérateur Free, donc via des infrastructures terrestres mises en place par Free, peut accéder et arriver dans un réseau terrestre géré par l’opérateur Orange. L’avantage des IXP réside dans le fait que ce sont des infrastructures gérées de façon non commerciale et neutre, souvent par des structures associatives (comme FranceIX en France parmi d’autres) et qui permettent ainsi l’interconnexion des réseaux sans surcoûts, en optimisant donc les coûts d’échange, mais aussi la latence et la bande passante. Cette interconnexion au sein des IXP s’appelle aussi le « peering », et constitue, selon l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en France), « une relation technico-économique au fondement de l’Internet ». Ces IXP sont souvent localisés physiquement dans les data centers.
Il y a au moins 6 points de présence IXP aujourd’hui à Marseille comme on peut le voir sur cette base de données européenne accessible librement. Les IXP marseillais semblent tous localisés dans les data centers de Digital Realty, et on peut voir pour chacun d’eux (onglet Points of Presence) la liste des acteurs numériques qui y sont branchés : TikTok, Google Cloud, Amazon Web Services, Disney+, Netflix, Zoom, la liste des géants habituels est longue. La proximité de ces IXP avec les câbles sous-marins transcontinentaux à Marseille permet une latence et une bande passante optimales, tandis que leur présence au sein même des data centers, au plus près des services numériques qui y exploitent l’espace, est également un argument commercial supplémentaire pour ces derniers. Au niveau national, Paris, avec sa douzaine d’IXP, est avec Marseille le territoire où se trouvent la plupart des IXP, devant Lyon et d’autres grandes métropoles. On trouve les emplacements et les spécificités des IXP dans le monde sur une carte maintenue par Telegeography.
L’ensemble des câbles sous-marins intercontinentaux, les points d’échanges Internet et les data centers hébergeant les nombreux services numériques des entreprises dominantes mondiales du secteur font de Marseille le deuxième hub numérique français après Paris, et le 7ème au rang mondial, en passe dit-on de devenir le 5ème.
Partout dans le monde, l’implantation des data centers se fait de façon opportuniste, tirant avantage des spécificités de chaque territoire. Ainsi, à Marseille c’est la présence des câbles sous-marins de liaison Internet transcontinentales, ainsi que celle des grands acteurs des télécoms et des points d’échange Internet. Mais c’est également une opportunité foncière peu chère au sein du territoire du Grand Port Maritime de Marseille, cet établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé directement sous la tutelle de l’État, géré comme une entreprise, et qui trouve dans ces projets d’entrepôts de données numériques une opportunité de mutation lucrative pour son patrimoine immobilier, autrefois occupé par des activités portuaires en déclin. Comme aime à le souligner Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du GPMM qui veille sur les intérêts de l’État à Marseille, le « French smartport de Marseille-Fos […] ouvre la voie au concept de hub maritime des données », et est un port entrepreneur qui « craint avant tout sa désindustrialisation ».
En Île-de-France, l’implantation des data center se fait essentiellement dans le département de Seine-Saint Denis, en particulier à La Courneuve, Aubervilliers et Saint-Denis, membres de l’établissement public territorial de Plaine Commune, en charge de leur aménagement et développement économique, social et culturel. Autrefois territoire agricole alimentant les Halles de Paris, ces zones sont devenues progressivement industrielles dans les années 60 – 70, se désindustrialisant brutalement à partir des années 90. Les anciennes friches industrielles, à bas prix malgré leur proximité immédiate avec Paris, deviennent alors une opportunité foncière peu chère pour de nouvelles industries telle les data centers et les opérateurs télécoms qui s’y installent en masse depuis les années 2010. On retrouve donc là encore des dynamiques foncières et économiques, poussées par des politiques d’État, similaires à celles de Marseille.
Mais de façon générale, comme aime le dire l’association France Datacenters, la plus grande association de lobbying en la matière, la France est « la destination idéale », une véritable « data centers nation ». En effet, détaille l’association dans cette vidéo promotionnelle, la France possède des secteurs économiques solides et diversifiés, tels ceux du numérique et des télécommunications, de la finance, de l’automobile ou de l’aéronautique, secteurs moteurs des data centers. Le gouvernement français a, poursuit-elle, lancé de nombreuses initiatives et des financements dédiés à la numérisation des industries (10 milliards dédiés au secteur numérique au cours des dernières années), permettant au secteur des data centers une croissance multipliée par deux entre 2016 et 2021, avec un milliard d’euros d’investissement annuel. Mais aussi et surtout, un foncier peu cher et facilement accessible, une énergie électrique à bas coût (la deuxième la moins chère en Europe, avec une moyenne de 84 euros le mégawattheure en 2020) et à faibles émissions carbone (car majoritairement nucléaire). L’infrastructure réseau de la France, avec son réseau fibré, sa 5G et ses câbles intercontinentaux, est également présentée comme un atout majeur à bas coût d’accès. L’infrastructure électrique française est présentée comme très développée et solide, ayant un coût de maintenance infrastructurelle gratuit pour les data centers, car maintenue par les entreprises publiques RTE et Enedis, qui ont promis un investissement de plus de 100 milliards d’euros d’ici 2035 sur cette infrastructure. Cette vidéo souligne de plus que les industries disposent en France de nombreux avantages fiscaux, et même de financements régionaux pour leur implantation.
Le lobby des data centers de France peut en effet compter sur des politiques favorables. En 2018 l’Assemblée nationale a voté, sur proposition du député Bothorel, une aide fiscale pour les data centers, consistant à appliquer un tarif réduit à la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (TICFE), d’ordinaire de 22,5 euros par mégawattheure (MWh), qui sera alors divisée par 2 pour les data centers, soit 12 euros par mégawattheure, au-delà du premier GWh consommé. En 2019, l’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire, lors de l’inauguration à Pantin d’un data center d’Equinix hébergeant, parmi des géants américains, Docaposte (groupe La Poste) et les serveurs de la SNCF, déclarait :
Notre ambition c’est que la France soit la première terre d’accueil de data centers en Europe. […] L’installation sur le territoire national de data centers est une nécessité pour accélérer l’accès des entreprises aux outils de la transformation numérique et un enjeu de souveraineté pour maintenir sur le territoire national les données sensibles des entreprises.
Deux ans plus tard, en 2021, le ministre, accompagné de Cédric O, alors secrétaire d’État chargé du numérique, lançait, dans le cadre du Plan « France Relance », la stratégie nationale d’accélération pour le Cloud :
Doté de 1,8 milliard d’euros, dont 667 millions d’euros de financement public, 680 millions d’euros de cofinancements privés et 444 millions d’euros de financements européens, […] vise à renforcer le soutien à l’offre de la filière industrielle de cloud française et mise sur l’innovation et les atouts de l’écosystème français du Cloud, […] accélérant le [en gras dans le texte] passage à l’échelle des acteurs français sur les technologies critiques très demandées, telles le big data ou le travail collaboratif […]
Ce plan a surtout servi les GAFAM et leur implantation plus profonde dans nos territoires. Ainsi, peu après, les français OVH et Dassault Systems concluent un partenariat avec les clouds de Google et Microsoft, que le gouvernement approuve sous couvert de leur localisation dans des data centers en France, pour accueillir des données sensibles. C’est ce qui permettra au Health Data Hub, ce projet de privatisation des données de santé des français, que nous dénoncions en 2021, de continuer à être hébergé par Microsoft en France jusqu’au moins en 2025, malgré de nombreuses contestations de la société civile et d’associations. Orange, quant à lui, a conclu dès 2020 un accord avec le cloud AWS d’Amazon pour « accélérer la transformation numérique des entreprises vers le cloud AWS ». Google, suite à l’annonce du plan stratégique cloud en 2021, déclare alors commencer son plan d’implantation en France, qui est désormais terminé avec succès. Plus récemment, sur le site de l’Élysée, on peut lire l’annonce du dernier plan d’investissement de Microsoft (4 milliards d’euros en France) pour étendre son infrastructure cloud dédiée à l’IA, « le plus important à ce jour dans le pays, pour soutenir la croissance française dans la nouvelle économie de l’intelligence artificielle » salué par Emmanuel Macron qui s’est déplacé pour l’occasion jusqu’au siège français de l’entreprise. On peut y lire :
Microsoft a ainsi dévoilé l’extension de son infrastructure cloud et IA en France avec l’expansion de ses sites à Paris et Marseille qui doteront le pays d’une capacité allant jusqu’à 25 000 GPU de dernière génération d’ici fin 2025, et l’ouverture de nouveaux sites pour héberger des centres de données de nouvelle génération dans les agglomérations de Mulhouse et de Dunkerque.
À Mulhouse, le data center dédié IA de Microsoft a déjà commencé à être construit à Petit-Landau, village de 800 habitants, qui possède ironiquement, la distinction de Commune Nature, pour ses « actions orientées vers la préservation de la biodiversité et l’amélioration de la qualité des eaux du bassin Rhin-Meuse ».
Un data center, infrastructure pilier de ce qu’on a appelé le « cloud », n’a rien de nuageux, de léger ou de vaporeux. Au contraire, ces grands entrepôts sont des bâtiments bétonnés de plusieurs étages, aux planchers et parois fortifiés, lourds et massifs, pour pouvoir supporter sans risques d’effondrement le poids conséquent des milliers de serveurs qu’ils abritent. Ces serveurs, qui tournent en permanence, utilisent de grandes quantités d’électricité. Ils sont dotés chacun de nombreuses puces et composants électroniques tels des processeurs et cartes graphiques, qui génèrent de la chaleur en quantité. Ces serveurs ont besoin, pour garder un fonctionnement optimal et éviter les pannes, de bénéficier d’une température d’air ambiant ne dépassant pas les 28 degrés Celsius. Bien souvent, par précaution, les data centers ne souhaitent pas dépasser les 23 – 25 degrés. C’est pourquoi ils sont toujours équipés de systèmes de climatisation et de refroidissement de la température ambiante. Il s’agit de systèmes classiques basés sur l’air climatisé par fluides frigorigènes, ou de circuits de refroidissement utilisant la fraîcheur de l’eau. Parfois les deux types de systèmes, par air conditionné et eau, cohabitent dans un data center.
Les data centers consomment de grandes quantités d’électricité et d’eau. Pour satisfaire ces besoins, ils sont raccordés en France au réseau d’électricité national, et bien souvent aux circuit d’eaux potable de la ville ou des territoires sur lesquels ils se trouvent. C’est le cas par exemple de PAR08, le data center de Digital Realty à la Courneuve, dont le directeur France Fabrice Coquio, surfant lui aussi sur la vague du marketing olympique, aime dire qu’il a été très important à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris 2024. Construit au sein d’un complexe de quatre data centers surnommé le « vaisseau spatial », avec une surface totale de 40 000 m² de salles machines (correspondant à 7 terrains de football) et 120 Megawatt de puissance électrique, ce data center est aujourd’hui le plus grand de France. Dans ce rapport de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Provence-Alpes-Côte d’Azur, PAR08 est pointé du doigt pour son utilisation annuelle massive de 248 091 m3 d’eau, provenant directement du circuit d’eau potable de la ville de Saint-Denis, dans une zone sujette aux sécheresse répétées depuis 2003, comme le pointait cette étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 2023 sur « la gestion du risque de raréfaction de la ressource en eau liée au changement climatique dans l’aire urbaine fonctionnelle de Paris ». Cette eau est utilisée par le data center pour son système de refroidissement adiabatique, mais aussi pour la vaporisation des espaces qui doivent garder une hygrométrie optimale. Outre le besoin excessif en eau, le rapport pointe le manque de plan d’aménagement de l’usage de l’eau en cas de crises de sécheresse, obligatoire dans de telles circonstances. Mais la priorité est encore une fois ici politique et économique, et non pas environnementale, ce data center ayant profité du contexte lié aux JOP 2024.
Ces systèmes de refroidissement à eau sont désormais privilégiés par les constructeurs de data centers dans le monde entier. D’abord parce que les systèmes de refroidissement purement électriques, comme ceux qui opèrent par fluides frigorigènes, sont très énergivores et ont donc un coût économique important. Ensuite, parce que l’eau n’est pas une ressource qui rentre dans le calcul des impacts usuels des data centers sur l’environnement, celui-ci étant en général basé sur la consommation d’électricité et le Power Usage Effectiveness (PUE), ou indicateur d’efficacité énergétique.
Parfois, ces systèmes de refroidissement, quand ils ne sont pas reliés au réseau d’eau potable du territoire les accueillant, captent directement l’eau potable de nappes phréatiques, de fleuves ou de lacs à proximité. C’est le cas par exemple du data center de Facebook situé sur la ville espagnole de Talaveira de la Reina, dans la région de Castilla-La Mancha en Espagne, que le collectif Tu Nube Seca Mi Rio (« Ton nuage assèche ma rivière ») dénonce, entre autre pour son utilisation de plus de 200 millions de litres d’eau par an, équivalent à la consommation de 4 181 habitant⋅es de la région. Il s’agît ici d’un data center dit « hyperscaler », aux grandes dimensions et capacités de stockage et de traitement des données, sans qu’il y ait un consensus sur la définition. D’une puissance de 248 Megawatt, étendu sur plus de 300 000 m2 de terrain, ce data center géant bénéficie d’un soutien politique national et local. Bien que la zone de son implantation connaisse un fort stress hydrique permanent depuis des décennies, d’abord de par sa situation géographique et son climat quasi désertique, et désormais par la crise environnementale qui l’aggrave, le coût du litre d’eau y est faible. Ici encore, l’implantation des data centers sur le territoire est régie par des impératifs avant tout économiques, et non par des critères sociaux ou environnementaux, car comme le déplore Aurora Gomez du collectif « Ces entreprises extérieures s’imposent et accaparent les ressources. C’est du technocolonialisme ! […] Les autorités restent sourdes à nos alertes et font semblant de ne pas nous voir. ».
Pour assurer une électrification continue des serveurs, les data centers disposent d’une triple alimentation en énergie. En plus d’être raccordés au réseau électrique, ils disposent également de groupes électrogènes et de leurs cuves de fioul prêts à prendre la relève en cas de coupure d’électricité, et de batteries et accumulateurs d’énergie censés assurer les quelques secondes de passage entre réseau électrique et groupes électrogènes. L’ensemble de ces dispositifs (serveurs, refroidissement, cuves de fioul, batteries) est potentiellement dangereux pour l’environnement et les riverain·es : fluides frigorigènes qui sont susceptibles de polluer l’air en cas de fuites, mais aussi nuisances sonores, que ce soit à l’intérieur du bâtiment, du fait des milliers de serveurs qui tournent en permanence avec chacun plusieurs ventilateurs, mais aussi du bruit extérieur et des vibrations causées respectivement par les systèmes réfrigérants placés sur les toits ou par les sous-stations de transformations électriques et les systèmes de générateurs au fioul qui sont testés plusieurs heures par mois. Ces nuisances sonores sont réglementées en France, et les data centers classés ICPE sont toujours concernés et font l’objet d’obligations et de contrôles en la matière, et ont par le passé fait l’objet de plaintes de riverains.
Une autre source de nuisances environnementales sont les cuves de fioul et les locaux à batteries lithium qui constituent des risques de pollution des nappes phréatiques pour le premier, et des risques d’incendies dans les deux cas. En particulier, les feux de ces batteries au lithium ne sont pas des feux ordinaires : ils sont bien plus difficiles à éteindre et ont une durée bien plus longue, comme l’explique cet article de Reporterre qui relate l’effort démultiplié des pompiers pour éteindre ce type de feu, ou comme l’illustre l’incendie récent d’un data center de Digital Realty à Singapour, lequel rappelle également l’incendie de deux data centers d’OVH à Strasbourg en 2021.
C’est en raison de tous ces risques que les data centers sont le plus souvent qualifiés d’« Installation classée pour la protection de l’environnement » (ICPE). D’après le site du ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, ce label ICPE recense les établissements « susceptibles de créer des risques pour les tiers-riverains et/ou de provoquer des pollutions ou nuisances vis-à-vis de l’environnement ». Du fait de ce classement, les data centers sont réglementairement soumis à un certain nombre d’obligations et de contrôles de la part du ministère, entre autres à travers les services déconcentrés que sont les DREAL, Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, placées sous l’autorité du préfet de région et des préfets de départements.
De nombreuses irrégularités ont été observées par les inspections de la DREAL de Provence-Alpes-Côte d’Azur s’agissant des data centers MRS2, MRS3 et MRS4 de Digital Realty à Marseille. Ces éléments passés sous les radars, révélés récemment par le journal indépendant Marsactu, sont pourtant documentés dans les rapports d’inspections consultables sur la base de données Géorisques.
L’irrégularité la plus préoccupante concerne le data center MRS3 : depuis 2021, ce dernier fait l’objet de fuites répétées de gaz fluorés, ainsi rejetés dans l’atmosphère. Les services de l’inspection de la DREAL ont demandé à plusieurs reprises au géant américain de prendre les mesures nécessaires pour arrêter ces fuites. Faute de réaction, cela a abouti en octobre 2023, trois ans après les premiers constats de fuites, à une mise en demeure de la société Digital Realty (ex-Interxion) par un arrêté préfectoral n°2023-215-MED. Voici un extrait de cette mise en demeure (consultable en intégralité ici) :
« Considérant que la société Interxion France [ancien nom de Digital Realty] est autorisée à exploiter un data center, dénommé MRS3, situé sur la commune de Marseille ;
Considérant que lors de la visite du site en date du 3 mars 2023, l’inspecteur de l’environnement a constaté que les équipements ne sont pas équipés d’un dispositif de détection de fuite fonctionnel ;
Considérant que ce constat constitue un manquement aux dispositions de l’article 5 du règlement européen n°517/2014 du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés ;
Considérant que lors de cette visite il a également été constaté que les dispositions prises par l’exploitant sont insuffisantes pour éviter la survenue de fuites récurrentes de gaz dans l’environnement depuis 2021, ce qui constitue un manquement aux dispositions de l’article 3.2 du Règlement européen n°517/2014 précité ;
Considérant que les installations de production du froid du site MRS3 ont dû être rechargées, du fait de fuites, par 745 kg de fluide frigorigène R134A depuis 2021, ce qui correspond en équivalent CO2 à une distance de près de 9 millions de kilomètres effectuée avec un véhicule thermique sans malus ni bonus écologique (émissions de CO2 d’environ 120g/km) ;
[…]
Considérant de plus que, compte tenu de l’absence de système de détection de fuite sur l’équipement, qui réglementairement alerte l’exploitant ou une société assurant l’entretien lorsqu’une fuite entraîne la perte d’au moins 10% de la charge de fluide contenu dans l’équipement, ne permettant pas à l’exploitant de mettre en œuvre les actions correctives limitant l’émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, il convient d’imposer à l’exploitant les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l’environnement, conformément à l’article L.171-8 du code de l’environnement ; »
Le fluide frigorigène R-134A dont il est ici question, autrement nommé HFC-134A, est un gaz fluoré qui contribue grandement à l’effet de serre, avec un Potentiel de Réchauffement Global sur 100 ans (PRG100 ou GWP100 en anglais) de 1430. Ces fluides frigorigènes fluorés et leurs effets sur l’environnement sont connus depuis les années 1990, puisqu’à l’époque ils ont été reconnus comme principale cause du trou et de l’amincissement de la couche d’ozone. Certains types de gaz frigorigènes, dont ceux responsables de ce trou, ont déjà été interdits à la circulation. D’autres, dont celui utilisé ici par MSR3, font aujourd’hui l’objet, après les conventions de Kyoto et de Paris sur le climat, de réglementations contraignantes de l’Union Européenne (régulations dites F-Gas I, II et III). Celles-ci visent à interdire progressivement mais entièrement d’ici 2030 ces gaz fluorés polluants, alors que de nouveaux types de gaz fluorés non polluants sans effet de serre sont déjà largement commercialisés depuis plusieurs années.
En partant du calcul de la DREAL ci-dessus, qui fait correspondre ces fuites répétées depuis 2021 à un équivalent CO2 rejeté dans l’atmosphère de 9 millions de km effectués en voiture thermique, nous estimons que cela correspond également à (9M * 0,120 kgCO2eq) 1 080 tonnes équivalent CO2 émises depuis 2021. Nous pourrions continuer les calculs d’équivalence et ramener cette quantité à l’émission par nombre d’habitants, par nombre de piscines au par nombre de vols Paris-New-York que cela représente. Mais ce qui nous préoccupe ici, c’est le fait que ce géant américain, tout en se permettant de polluer, multiplie les déclarations de greenwashing dans la presse, en bénéficiant de surcroît d’un climat politico-médiatique fait de louanges et de connivences de la part des préfets, élus de la ville et dirigeants de la région, alors même que les services de l’État alertent sur ces pollutions. Ainsi, la présidente de la métropole Aix-Marseille, Martine Vassal, adressait ses voeux de nouvelle année en janvier 2023 depuis MRS3, le data center mis en demeure peu de temps après. Plus récemment, l’adjoint au numérique responsable de la ville de Marseille, Christophe Hugon (Parti Pirate), accompagné de représentants du préfet de région, de la présidente de la métropole et du président de la Région Sud, tenaient pour leur part des discours élogieux à l’égard de Digital Realty, prenant la pose ensemble lors de l’évènement presse organisé par l’entreprise au palais du Pharo pour célébrer le dixième anniversaire de sa présence sur Marseille.
Ces fuites de gaz fluoré ne sont pas les seules irrégularités constatées par les services de la DREAL au cours des différentes inspections portant sur les data centers de Digital Realty à Marseille. Le data center MRS2, à proximité immédiate de MRS3 et du futur MRS5, est ainsi à l’origine d’incidents de fuites de fluides frigorigènes fluorés qui n’ont pas été déclarées aux autorités, alors même que ces déclarations sont obligatoires au-delà d’une certaine quantité, comme le soulève le rapport d’inspection de la DREAL de mars 2023.
Par négligence, Digital Realty est donc responsable d’émissions répétées de gaz à effet de serre. Cette négligence aggravée, voire cette faute intentionnelle compte tenu du fait que l’exploitant a été mis au courant dès 2021 et que ces fuites se sont répétées par la suite, devrait suffire à mettre un coup d’arrêt aux déploiements en cours de Digital Realty. Or, c’est le contraire qui se produit. A Marseille : le projet de construction du data center MRS5 vient d’obtenir un avis positif de la part des autorités environnementales, de la ville et de la préfecture, et même du commissaire en charge de l’enquête soi-disant publique, et ce malgré une trentaine d’avis négatifs d’associations d’habitantes et habitants, d’organisations environnementales telle France Nature Environnement, d’élues et du collectif Le nuage était sous nos pieds qui répondaient à cette enquête.
Nous sommes d’autant plus interpelées par la lecture des rapports de la DREAL que, à travers la voix de son président en France Fabrice Coquio, Digital Realty se vante largement dans les médias, dans la presse spécialisée et dans les conférences techniques des industriels des data centers de l’exemplarité environnementale de MRS3 (le site mis en demeure) et de MRS4. À l’en croire, ces sites industriels seraient des modèles du genre en termes écologiques, des « data centers verts » grâce notamment au système de refroidissement dit « river cooling » dont ils sont dotés, mais qui n’a visiblement pas empêché cette pollution considérable par gaz fluorés. Qui plus est, cette pollution a été dissimulée par F. Coquio et les autres dirigeants de Digital Realty. Un « data center vert » aux 1080 tonnes de CO2 de pollution en gaz fluorés émis depuis trois ans par négligence intentionnelle, voilà la réalité que Digital Realty et les pouvoir politiques locaux, cachent et habillent de greenwashing.
La « Galerie à la Mer », construite en 1905, permet d’évacuer le trop plein d’eau des anciennes mines de charbon de la ville voisine de Gardanne, située plus au Nord. Ce trop plein est versé dans la Méditerranée au niveau de Cap Pinède à Marseille. Gérée depuis 2007 par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), l’autorité nationale de service géologique, la Galerie est composée d’une partie supérieure, utilisée pour évacuer les eaux d’exhaure (ferrugineuses) de l’ancienne mine vers la mer, et d’une partie inférieure, dite « cunette », qui permet de collecter et évacuer les eaux de ruissellement et d’infiltrations provenant du Massif de l’Étoile à proximité. D’après les documents fournis par l’enquête publique en 2018, l’eau de la cunette est une eau « de très bonne qualité » et de « qualité potable » pouvant donc servir à la population ou de réserve stratégique en cas de besoin, dans une région sujette aux sécheresses.
En 2018, l’entreprise Digital Realty a obtenu de la Préfecture l’autorisation de détourner pour une durée de sept ans les eaux de la cunette de la Galerie à la Mer, afin de les récupérer pour refroidir son data center MRS3. Les eaux fraîches de cette cunette, qui sont à 15,5 degrés Celsius toute l’année, sont ainsi captées et injectées dans un circuit de refroidissement dans le data center, pour échanger leurs « frigories » contre des « calories » dans des « échangeurs thermiques ». Elles repartent ensuite, réchauffées à environ 27 degrés, dans la Galerie à la Mer, à destination de la Méditerranée au niveau de Cap Pinède. Ce système est appelé « river-cooling ».
Tandis que le dirigeant en France de Digital Realty, Fabrice Coquio, proclame dans une vidéo promotionnelle, que le rejet d’eau chaude dans la Méditerranée « n’a aucun impact sur la faune et la flore », les conclusions de l’enquête publique précédemment citée, soulignaient dès 2018 des inquiétudes relatives aux effets du rejet de ces eaux chaudes dans le milieu marin, pointant notamment les risques d’eutrophisation (déséquilibre du milieu provoqué par l’augmentation de la concentration d’azote et de phosphore) entraînée par les rejets de la Galerie à la mer, risques accrus en période estivale. Mais, d’après l’enquête, bien d’autres impacts sont méconnus à ce jour, comme par exemple « l’éventuelle prolifération des algues filamenteuses ». Il faut par ailleurs noter que ce rapport se basait sur des estimations proposées par Digital Realty à 23,4 degrés, et non pas les 27 degrés effectivement constatées depuis la mise en place du système. Malgré ces alertes, le river cooling d’abord mis en place pour MRS2 et MRS3, n’a pas été mis en pause, mais au contraire étendu aux data centers MRS4 et MRS5. La question des eaux réchauffées par ces data centers et renvoyées dans le milieu marin, dans un contexte où le réchauffement des mers entraîne des taux de mortalité importants dans les communautés biotiques sous marines, n’est pas prise en compte. Aucun suivi ni mesures sérieuses des effets de ce rejet ne sont aujourd’hui publiées, d’après les collectifs locaux tels le collectif des Gammares ou l’association des habitants du 16ème arrondissement dont nous parlerons plus bas, directement concernés par ces enjeux.
Ainsi, dès 2018, lors de l’enquête publique relative à la construction du river cooling pour MRS3, plusieurs communes se situant sur le tracé de la Galerie à la Mer entre Gardanne et Marseille avaient émis des réserves sur l’accaparement de l’eau publique par une entreprise et proposé d’autres usages pour ces eaux. Les conclusions de l’enquête allaient même dans ce sens, pointant que l’eau potable devait en premier lieu servir l’intérêt général. La commune de Septème-les-Vallons demandait par exemple que soit priorisée la possibilité de pomper une partie des eaux potables de la Galerie à la Mer pour le soutien de l’activité agricole et de la biodiversité et pour le déploiement de dispositifs de prévention des incendies (DFCI). La ville de Mimet demandait aussi à pouvoir utiliser cette réserve d’eau douce. Le collectif des Gammares à Marseille, qui analyse en profondeur les enjeux de l’eau à Marseille, pointe ainsi ces enjeux en septembre 2024, dans sa réponse à l’enquête publique sur la construction de MRS5, qui utilisera lui aussi le river cooling :
« Alors que les hydrologues enjoignent à la sobriété et régénération des cycles naturels de l’eau, le choix de refroidir les data centers pour que des géants du numérique puissent louer des espaces pour leurs serveurs ne nous parait pas d’intérêt général.
Dans un contexte d’accroissement des épisodes climatiques extrêmes ayant pour cause le réchauffement climatique, où les sécheresses s’intensifient et se produisent de plus en plus régulièrement en Région Sud et ailleurs, mettant en cause l’approvisionnement en eau potable ou à usage agro-alimentaire, il serait urgent à ce que soient systématisées et publiées toutes les enquêtes portant sur cette ressource commune qui est l’eau et nous considérons que les eaux doivent être autant que possible allouées à des usages d’utilité publique ou pour les milieux qui en ont besoin. ».
Détourner des eaux fraiches de qualité potable pour refroidir gratuitement ses data centers et rejeter de l’eau réchauffée en mer : voici donc le river cooling de Digital Realty à Marseille.
Ce river cooling est devenu un argument phare de la communication de Digital Realty, en France et dans le monde entier. Dans la presse généraliste il est présenté comme une « solution innovante verte minimisant l’impact écologique » de l’entreprise. Dans la presse spécialisée, Digital Realty se vante d’utiliser de l’eau gratuite d’une installation publique. Ce n’est pas uniquement l’eau qui est gratuite pour l’entreprise. L’État français a financé en partie les travaux de détournement des eaux de la Galerie à la Mer vers les data centers de Digital Realty, à travers deux subventions publiques. Sur un total d’à peu près 15 millions d’euros d’investissements, la Région Sud a ainsi apporté 800 000 euros, tandis que l’Agence publique de la transition écologique, l’ADEME, a subventionné le projet à hauteur d’1,9 millions d’euros au nom du fond de « décarbonation de nos industries ».
Dans le dossier de maîtrise d’ouvrage déposé en 2018 par Digital Realty, on peut lire que le système de « river cooling » permettrait de réduire de 90% la consommation d’électricité destinée au seul refroidissement de ses data centers marseillais. En septembre 2024 son dirigeant Fabrice Coquio parle d’une réduction de 30% de la consommation totale d’électricité de l’ensemble des data centers à « river cooling » grâce à ce système. Or, pour son prochain data center en construction MRS5, selon les chiffres donnés par l’entreprise lors de l’enquête publique du projet, on constate que le « river cooling » permettra de réduire de seulement 4,33% la consommation totale en électricité (calcul d’après les données page 107 : (241 133 856 kWh – 230 695 705 kWh) / 241 133 856 kWh * 100) . En effet, la dépense d’énergie la plus importante d’un data center se situe au niveau des serveurs. Ces derniers occupent 79 à 83 % de l’énergie totale du data center MRS5 d’après l’entreprise (page 107 du dossier précité). La dépense énergétique de ces data centers qui s’agrandissent et s’étendent sans cesse, malgré des optimisations à la marge via des méthodes comme le « river cooling » est globalement nettement en hausse, et c’est là une tendance globale. Ces optimisations sporadiques, baissent les coûts pour l’entreprise tout en lui permettant de garder un potentiel commercial constant ou grandissant, et sont donc intéressantes pour elles, mais se font toujours et encore à travers l’accaparement de nouvelles ressources qui peuvent servir les habitantes et habitants.
La communication de Digital Realty laisse également entendre que le « river cooling » serait l’unique système de refroidissement des data centers. Ce qui s’avère faux à la lecture de ce rapport. Ce système ne remplace pas les systèmes de refroidissement par air conditionné à fluides frigorigènes, qui causent les fuites de gaz fluorés mentionnées plus haut dans l’article, mais vient s’y ajouter. Le refroidissement des data centers de l’entreprise à Marseille ne se fait qu’en petite partie par « river cooling ». Mais le plus grave dans la communication mensongère du dirigeant de Digital Realty est le fait qu’il prétend que l’eau utilisée pour le river cooling serait de l’eau sale provenant des mines de Gardanne, comme il le répète dans les médias et la vidéo promotionnelle avec Jamy citée plus haut. C’est faux, comme le montre d’ailleurs, cette vidéo d’Interxion (ancien nom de Digital Realty) trouvée sur un compte Viméo d’une employée de l’entreprise, vidéo qui explique bien la construction du river-cooling et son utilisation de l’eau de la nappe phréatique récoltée dans la cunette.
De l’argent public utilisé pour financer les data centers d’un géant américain côté en bourse, utilisant une ressource commune précieuse, l’eau de qualité potable, tout en rejetant des gaz fluorés à fort impact de réchauffement climatique, voilà la réalité des data centers de Digital Realty aujourd’hui à Marseille. Le plus ironique est que c’est précisément ce river cooling que l’Etat a aidé à financer, qui sert aujourd’hui d’argument de greenwashing médiatique mondial à cette entreprise.
Bien que l’électricité, majoritairement issue de la filière nucléaire, soit présentée comme « verte » en France, elle est bas carbone, mais pas neutre en carbone. En effet, l’intensité carbone de l’électricité en France est de 32 gCO2eq par kilowatt-heure d’après le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France RTE. Nous n’allons pas ici calculer les émissions CO2 dues à l’utilisation massive d’énergie électrique par l’ensemble des data centers marseillais. Nous n’avons aucun doute quant au fait que cette consommation est considérable, et qu’elle est également grandissante. En effet, nous constatons partout en France et dans le monde une tendance au lancement de projets de data centers de plus en plus grands et de plus en plus énergivores. Les data centers de type « hyperscaler » se multiplient partout, et les prévisions ne vont qu’en augmentant avec l’arrivée de l’Intelligence Artificielle, qui crée un effet de passage à l’échelle multiple. En effet l’Intelligence Artificielle demande des serveurs dotés de puces dédiées et de cartes graphiques puissantes, consommant plus, chauffant plus, nécessitant des systèmes de refroidissements dédiés, modifiant en profondeur les bâtiments et la globalité de la structure d’un data center. Ce qui nous intéresse ici ce sont les effets systémiques de ces infrastructures et de ce numérique qu’on nous impose, les effets rebonds qu’ils génèrent sans cesse et qui ne sont jamais débattus.
Les data centers de Digital Realty à Marseille utilisent l’énergie électrique disponible que les deux gestionnaires de réseau et de transport énergétiques nationaux, RTE et Enedis, sont en capacité d’acheminer à Marseille, avec les infrastructures électriques actuelles. Plutôt qu’une simple « utilisation », il s’agit d’un véritable accaparement. Car l’énergie électrique nécessaire à ces data centers est captée au détriment de projets d’intérêt commun à urgence environnementale de la ville. Dans leur rapport « L’impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires » Fanny Lopez et Cécile Diguet notaient un premier conflit d’usage en 2012, au détriment de l’électrification des bus municipaux à Marseille (p. 62) :
« Pour Brigitte Loubet, conseillère spéciale chaleur de la DRIEE, comme pour Fabienne Dupuy, adjointe
au Directeur territorial Enedis en Seine-Saint-Denis, les demandes des data centers peuvent être
bloquantes pour les territoires. La commande d’électricité se résumant à : premier arrivé / premier servi,
des files d’attentes se constituent sur différents sites. […] C’est l’exemple de Marseille, où le maire Jean-Claude Gaudin a dû négocier avec Interxion pour récupérer 7 MW « parce qu’ils avaient oublié de les
réserver pour leurs bus électriques » » .
C’est à nouveau le cas aujourd’hui pour l’électrification des quais au Grand Port Maritime de Marseille, électrification qui permettrait aux nombreux navires de croisière, ferrys de lignes reliant la ville à la Corse ou à d’autres villes de Méditerranée, et au Chantier Naval de Marseille de se brancher électriquement lors de leurs escales, évitant ainsi le rejet dans l’atmosphère d’une pollution considérable due à la combustion de fioul. Cette pollution aux oxydes d’azote (NOx) et autres particules nocives a des effets immédiats sur la santé des habitantes et habitants les plus proches, mais aussi sur l’ensemble des habitant⋅es de la ville, ville où l’on comptabilise tous les ans environ 2 500 morts de pollution d’après les autorités de santé. Cette électrification en plusieurs étapes, entamée depuis de longues années, est insuffisante pour accueillir la croissance du flux estival des bateaux, Marseille étant devenue une ville où le tourisme pollueur par croisières n’a de cesse d’augmenter comme le constate et déplore l’association Stop Croisières.
De surcroît, cette électrification est sans cesse repoussée ou ralentie. Lors de sa réponse à l’enquête publique en vue de la construction de MRS5, la fédération des Comités d’intérêts de Quartier du 16ème arrondissement de Marseille qui regroupe les associations des habitantes et habitants, demandant un arrêt de la construction de tous les data centers de la ville, écrit :
« […] les riverains sont confrontés aux pollutions atmosphériques des navires et aux nuisances sonores des activités portuaires. Le directeur général adjoint du GPMM a estimé la puissance électrique encore nécessaire aux activités du port et à l’électrification des quais à 100 à 120 MW. […] La puissance totale des data centers actuels s’élève à 77 MW, […] la puissance totale des data centers programmés est de 107 MW. Les data centers de Digital Realty situés dans l’enceinte du GPMM sont alimentés par le poste source de Saumaty, situé dans quartier de Saint-André. Le futur data center de Segro situé à Saint André sera lui alimenté par le poste source de Septèmes-les-Vallons situé à 11 km. Le poste source de Saumaty serait-il saturé ? … L’electrification des quais du Chantier Naval de Marseille dans le GPMM est repoussée à 2029. Les data centers seraient-ils servis avant le GPMM ? ».
Ce conflit d’usage d’électricité entre data centers et électrification des quais de navires, c’est la mairie elle-même qui le constate dans sa délibération au conseil municipal d’octobre 2023, votant également la constitution d’une commission régulatoire sur les data centers. Cette commission semble parfaitement insuffisante. C’est également ce que pointe Sébastien Barles, adjoint en charge de la transition écologique de la ville de Marseille. Ce dernier demandait un moratoire sur les data centers de la ville, moratoire qui a été écarté, alors qu’il constitue une étape indispensable pour avancer vers un début de maîtrise de ces infrastructures en pleine expansion. Par ailleurs, peu de choses sont aujourd’hui révélées par la mairie autour de cette commission régulatoire de la ville — dont feraient partie, autres autres, le dirigeant de Digital Realty et l’adjoint du Parti Pirate élogieux à son égard, Christophe Hugon. Ce manque de transparence n’est pas nouveau, la mairie de Marseille et en particulier C. Hugon, adjoint également à la transparence et l’Open Data de la ville, ayant déjà été pointé du doigt dans notre campagne Technopolice, pour son hypocrisie politique mais aussi pour son manque de transparence et son défaut de réponse aux demandes d’accès aux documents administratifs, qui sont pourtant un droit et une obligation constitutionnelle.
Ces data centers qui s’accumulent sur le territoire de Marseille sont de véritables « grille-pains en surchauffe » pour reprendre les termes de Laurent Lhardit, adjoint à la mairie de Marseille en charge du dynamisme économique, de lʼemploi et du tourisme durable.
En effet, les lois de la thermodynamique font que la chaleur qu’on évacue des serveurs de ces data centers ne disparaît pas, mais se retrouve rejetée dans l’air entourant les bâtiments, dans les nuages, les vrais, ou dans l’eau de mer réchauffée par le river cooling. Dans une ville au climat chaud comme Marseille, sujette à des épisodes caniculaires de plus en plus nombreux, il est inquiétant de continuer à ignorer ce problème qui devient vital. Les scientifiques alertent déjà sur les effets que ces pics de chaleur répétés ont sur la vie humaine, et sur le fait qu’à plus ou moins court terme, des régions entières de notre planète et de l’Europe deviendront progressivement inhabitables en raison de cette chaleur insoutenable (voir par exemple cet atlas de prévisions des chaleurs mortelles à venir dans le monde).
Il est grand temps de penser l’urbanisme en priorisant les espaces verts, avec des végétaux qui rafraîchissent et créent de l’ombre pour rendre les villes plus habitables, moins nocives pour la santé, plus soutenables face aux changements environnementaux en cours.
L’utilisation de la « chaleur fatale » consiste en la récupération de la chaleur émise par les data centers, qui deviendraient alors, dans un idéal d’économie circulaire technomagique, des sortes de chaudières numériques capables de chauffer des immeubles ou des piscines olympiques. En réalité, ces projets de récupération de chaleur dite « fatale » (parce qu’elle est inévitable), ne sont pas toujours efficaces ni même possibles. Pour que cela fonctionne, il faudrait que la récupération de chaleur se fasse au plus près de la source, donc du data center, car plus la distance augmente, plus les pertes seront significatives. Mais compte tenu du bruit et des autres nuisances atmosphériques générées par un data center, réchauffer des immeubles habités ne semble pas très attrayant. Sans considérer le fait que, dans des villes aux climats chauds comme Marseille, la chaleur récupérée ne serait utile que peu de mois dans l’année, la chaleur dégagée par ces data centers devenant problématique la majorité du temps. Ainsi, un rapport de l’Uptime Insitute concluait en 2023 que les cas où cela peut être efficace sont rares, non systématiques, situés dans des zones de climat froid, et peuvent même parfois être contre-productifs (traduit de l’anglais) :
La possibilité de réutiliser la chaleur résiduelle des centres de données est généralement limitée aux climats plus froids et peut nécessiter des connexions à des systèmes de chauffage urbain ou à des sites de fabrication. La disponibilité de ces connexions et/ou installations est fortement concentrée en Europe du Nord. La configuration d’une installation pour la réutilisation de la chaleur perdue augmente souvent la consommation d’énergie (puisque des pompes à chaleur sont nécessaires pour augmenter la température de la chaleur sortante), mais peut réduire les émissions globales de carbone en réduisant l’énergie qui serait autrement nécessaire pour le chauffage.
Mais le vrai problème, encore une fois, n’est pas technique. Ces systèmes étant coûteux et n’ayant aucun intêrét commercial pour les data centers, ces derniers préfèrent largement y échapper, ou alors promettre constamment qu’ils les mettront en place dans un futur proche. C’est exactement ce que le lobby France Datacenter s’est employé à faire en 2022, comme le montre le registre obligatoire de déclaration de leurs acivités de lobbying auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), où nous pouvons lire, parmi d’autres actions de diminution de taxation ou d’échappement à des obligations de pollueurs :
Liste des fiches d’activités
[…]
Retirer un amendement au projet de loi énergies renouvelables visant à rendre obligatoire la réutilisation de chaleur fatale.
Cette activité a été un succès, l’amendement rendant obligatoire la récupération de chaleur fatale a été retiré du projet de loi énergies renouvelables, au profit de « mesures incitatives » qui ont consisté, depuis 2015 au moins, à faire financer par des fonds publics, via notamment l’ADEME, les travaux de récupération de chaleur fatale qu’un data center aurait l’amabilité d’entreprendre. Les quelques cas existants servent, comme dans le cas du « river cooling », de greenwashing monté en exemple et surpublicisé. Mais cela permet aux industriels de continuer à profiter des territoires sans limites, en faisant croire que des solutions technomagiques sont possibles, tout en s’employant à repousser les obligations réglementaires qui les contraindraient à les mettre en place. Les États, quant à eux, sont tout entiers à leur service.
Si l’ensemble des data centers de Digital Realty à Marseille, MRS1 à MRS5, ont une puissance électrique maximale de 98 Megawatt ((16+16+24+20+22), le prochain data center de Digital Realty à Bouc-Bel-Air, MRS6, aura une capacité de 50 mégawatts à lui tout seul. Celui de PAR08 à la Courneuve, le plus grand actuellement en France, toujours de Digital Realty, a une capacité de 120 MW. Celui qui doit être construit à Dugny, en Seine-Saint Denis, toujours par Digital Realty et qui sera le futur plus grand data center de France, aura une capacité de 200 mégawatts, soit l’équivalent de 20% de la puissance d’un réacteur nucléaire EPR. L’empreinte du numérique était estimée à 2,5% de l’empreinte carbone annuelle de la France en 2020, et les data centers représentaient environ 16% de cette empreinte carbone totale du numérique selon l’Ademe et l’Arcep. Cette empreinte du numérique devrait doubler d’ici 2040 et les data centers pourraient y jouer un rôle majeur selon un avis d’expert de l’Ademe en octobre 2024.
À l’échelle mondiale, les data centers hyperscales constituaient déjà en 2022, 37% de la capacité mondiale des data centers, et devraient en représenter 50% en 2027, cette part augmentant régulièrement. D’autre part, le besoin en eau de ces « hyperscales » augmente régulièrement. Sous la pression des pouvoirs publics en 2023, Google révélait que ses centres de données, aux Etats-Unis uniquement, utilisaient plus de 16 milliards de litres d’eau par an pour leur refroidissement. On apprenait également récemment que ses émissions de CO2 ont grimpé de 48% au cours des 5 dernières années et son usage en eau devrait augmenter de 20% encore d’ici 2030. Microsoft, quant à lui, a vu l’utilisation en eau de ses data centers augmenter de 34% en 2022 seulement, à cause de son usage de l’IA, et on peut voir la pléthore d’annonces d’investissements dans la construction de nouveaux data centers dédiés à l’IA, qui laisse présager une croissance à venir encore plus forte et inquiétante.
Mais ces calculs institutionnels ou provenant des géants numériques, purement basés sur l’énergie électrique et son empreinte carbone, et parfois sur la consommation d’eau pour le refroidissement, ne prennent pas en compte la totalité des conflits et des accaparements de vies et de ressources vitales que ce numérique cause pour exister et s’accroître. En commençant par la phase d’extraction des nombreux minéraux qui composent les puces des processeurs et des cartes graphiques que ces data centers renferment par milliers. Génération Lumière, une association écologiste qui agit à la fois en France et en République démocratique du Congo (RdC), dénonce depuis des années un extractivisme sans scrupules de minéraux stratégiques pour nos industries numériques. En effet, la RdC renferme 70 % du cobalt mondial, utilisé pour fabriquer les batteries lithium de nos voitures électriques, de nos smartphones, et des data centers. La RdC est aussi une terre d’extraction de coltan, de cuivre, d’or, des minéraux utilisés pour les puces électroniques. Et cette extraction qui sert les industries numériques ainsi que les géants tels Apple, Nvidia (fabricant de puces graphiques) et désormais même Google, Amazon et Microsoft, est démultipliée par l’arrivée de l’IA, qui s’insère partout dans les appareils et les serveurs. Or, cette extraction se fait, comme le dit Génération Lumière, « avec notre sang », et crée en République démocratique du Congo, outre les prob lèmes dus au minage lui-même qui se fait dans des conditions inhumaines d’exploitation des travailleurs, de nombreux conflits et massacres sur le territoire.
Ces calculs institutionnels laissent également de côté, ou ignorent à dessein, les enjeux de la fabrication des puces électroniques, de la purification des minéraux posés sur les wafers, sortes de galettes de silicium, jusqu’à leur devenir puces. L’association StopMicro, qui lutte contre l’accaparement des ressources et les nuisances causées par les industries grenobloises, et en particulier celles de la microélectronique de Soitec et de STMicroelectronics, nous rappelle ainsi que : « Derrière le dérèglement climatique et les injustices socio-environnementales, il y a des décisions politiques, des entreprises et des intérêts économiques qui conditionnent nos choix de société ». Dans ses nombreuses brochures d’analyses et dans le livre « Toujours puce » qu’elle vient de publier, l’association mène une enquête technique, sociale, politique et environnementale poussée, à la place des pouvoirs publics pourtant chargés de le faire. En prenant l’exemple de son territoire, elle explique comment on s’accapare et pollue de l’eau potable pour fabriquer des gourdes connectées avec les puces de STMicroelectronics ou Soitec, quand ce n’est pas pour équiper des armes qu’on exporte au service des guerres coloniales en cours.
En regardant la liste des principaux clients de Digital Realty, nous retrouvons en masse des acteurs aux pratiques numériques contestables vis à vis des droits fondamentaux et des réglementations en vigueur. Fabrice Coquio, président de Digital Realty France, déclarait il y a peu « Sans nous, il n’y a pas d’Internet », avant de lister une bonne partie des clients de ses data centers marseillais : Facebook, Amazon, Microsoft, Netflix, Disney+, Zoom, Oracle, Youtube… Le data center MRS3, où se sont produits des rejets répétés de gaz fluorés hautement polluants, abrite en son sein les services « cloud » de Microsoft déployés dans les mairies, écoles, collèges, lycées et universités publiques, forçant tout élève dès son plus jeune âge à la création de comptes Microsoft sans grand moyen de s’y opposer.
Comme en atteste également le travail de La Quadrature du Net depuis ses débuts il y a plus de 15 ans, à travers notamment sa campagne d’actions de groupe contre les GAFAM, ces acteurs ont monopolisé et fait d’Internet un espace commercial géant, où règnent les violences faites aux communautés minoritaires et les discriminations en tout genre. Ces acteurs, qui utilisent en toute illégalité et immoralité nos données personnelles pour nous imposer de la publicité, polluent nos espaces en ligne et nos cerveaux, et s’accaparent notre attention à coup d’algorithmes jouant sur nos biais cognitifs et visant à susciter des dépendances psychologiques. Cette publicité est aujourd’hui coupable à son tour de l’aggravation de la crise environnementale, de par la surconsommation et le modèle insoutenable qu’elle engendre et qu’elle alimente en permanence. Couplée à l’obsolescence marketée et organisée sur tout objet de consommation, qu’il soit numérique ou non, aidée et rendue possible par les infrastructures industrielles numériques polluantes, cette publicité que les GAFAM et les géants numériques contrôlent en grande majorité est une des causes majeures de l’aggravation de la crise socio-environnementale et systémique en cours.
L’argent public que l’État met si facilement dans les mains de tels industriels pollueurs, comme l’illustrent le fond de « décarbonation de nos industries » mentionné plus haut de même que les différents contrats publics conclus avec ces géants numériques, est ainsi distribué au détriment de projets publics à intérêt commun telle l’électrification des équipements publics, la constitution de réserves d’eau, ou encore l’air que nous respirons et la ville où nous habitons. Ces projets d’intérêt général, parfois littéralement vitaux, sont laissés de côté car la priorité est constamment donnée à la croissance numérique, qui passe par l’installation croissante de data centers et d’autres types d’infrastructures numériques.
Ce numérique de la domination, dont les câbles et les data centers sont la colonne vertébrale, imposé par la vision hégémonique de la Silicon Valley et par des politiques étatiques complices de géants sans scrupules, n’est pas le nôtre.
Cet Internet qui reproduit les dynamiques coloniales et qui repose sur l’accaparement des ressources du sol, des minerais, de l’eau, de nos territoires, mais aussi de nos corps et espaces mentaux, structuré autour de la collecte massive de données sur nos vies, source infinie de pouvoir et de profit, n’est pas le nôtre. Ce numérique qui renforce les dominations et les inégalités, fondé sur la normativité de nos comportements, sur la police prédictive et la prise de décisions automatisées, destiné à nous contrôler et à nous surveiller, pour mieux réprimer notre colère légitime, n’est pas le nôtre. Ce numérique responsable à son tour de la crise socio-environnementale sans précédent qui nous traverse, n’est pas le nôtre. Nous devons le refuser, nous devons nous organiser pour y faire face et imaginer ensemble comment rendre possibles d’autres mondes.
Notre monde à nous est un monde de soin, soin pour soi-même, pour les unes et les autres, et pour la Terre. Notre monde numérique à nous est celui d’un autre numérique, qui nous aide à nous protéger de la surveillance et des oppressions, qui nous aide à porter des savoirs communs et d’entraide, qui nous permet de hacker, bidouiller et créer des serveurs alternatifs, des réseaux décentralisés pour mieux s’organiser et lutter pour que d’autres mondes soient possibles.
Pour nous soutenir dans la suite de ce combat, et notamment dans notre travail autour des questions de l’écologie et du numérique, n’hésitez pas à nous faire un don !
Nous avions lancé notre campagne anti-GAFAM au moment de l’entrée en vigueur du RGPD, en mai 2018… Sur la base du tout nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles, nous avions décidé d’attaquer les pratiques illégales des cinq plus grandes sociétés du numérique mondial : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. C’était la première action collective en Europe — une nouveauté permise par le RGPD — contre les entreprises privées qui exploitent délibérément et en toute illégalité les données personnelles des internautes sans leur consentement. Pour cette action collective, nous avions reçu le soutien de 12 000 personnes qui avaient décidé de nous donner leur mandat pour porter la plainte devant la CNIL. C’était chose faite le 18 mai 2018. Il y a six ans.
Le RGPD donne à la CNIL le pouvoir d’instruire les plaintes concernant les entreprises dont le siège européen est en France, ou n’ayant pas de siège social dans un autre pays de l’Union européenne. C’était le cas de Google à l’époque. La CNIL a donc traité d’abord la plainte contre Google, sans donner signe de son travail avant mai 2021, où elle a soudain rendu une décision bancale et insatisfaisante, assortie d’une amende minime de 50 millions de dollars, avant de transmettre le dossier à son homologue irlandais, la DPC, Google ayant entre temps créé un siège européen en Irlande (plus de détails dans cet article, dans le paragraphe « Google perdu au rebond »).
Les autres plaintes avaient été transmises dès 2018 aux autorités compétentes pour la protection des données dans les pays concernés : Facebook, Apple et Microsoft en Irlande, et Amazon au Luxembourg. C’est de là qu’est venue, contre toute attente, la deuxième condamnation, en juillet 2021 : les pratiques illégales d’Amazon étaient bien reconnues, et l’entreprise condamnée à une amende record de 746 millions d’euros.
Malgré la solidité juridique de nos plaintes, confirmée par deux fois, nous n’avions alors toujours aucune nouvelle des quatre dossiers traités par la DPC irlandaise : Apple, Microsoft, Facebook (Meta) et Google. Jusqu’à ce mois d’octobre 2024, plus de 6 ans après le dépôt des plaintes. La DPC a enfin rendu sa décision concernant LinkedIn (qui appartient à Microsoft), et condamne l’entreprise à une amende de 310 millions d’euros, en plus d’un obligation de mise en conformité avec la loi.
C’est bien, mais c’est peu. Pourquoi faut-il six ans pour appliquer une loi européenne ? Et plus encore pour trois autres dossiers ? On sait que l’Irlande ouvre grand les bras aux multinationales, en leur offrant un statut fiscal privilégié. On sait que la DPC est surchargée de dossiers et en sous-effectif. On se doute que la balance entre l’application des lois et le bénéfice économique est un arbitrage très politique. Et on sait que les entreprises fortunées continuent d’exploiter les données personnelles au mépris de leurs obligations légales. Bref, un constat de victoire teinté d’amertume, à lire sur notre site.
Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/10/25/linkedin-condamnee-a-310-millions-deuros-suite-a-notre-plainte-collective/
La campagne anti-GAFAM : https://gafam/laquadrature.net/
Alors que la période « d’expérimentation » de la VSA autorisée par la loi JO n’est même pas terminée, et sans même attendre les conclusions de l’expérience, le législateur et le gouvernement envisagent déjà sa légalisation complète et son déploiement généralisé. Nous savons que le combat au niveau législatif sera difficile, même si nous le mènerons. Et nous savons aussi que le point d’entrée de la VSA dans nos rues, c’est le niveau municipal. C’est aux communes que les industriels vendent leurs caméras et leurs logiciels, avec l’appui financier et idéologique de l’État. Et c’est au niveau municipal que de piètres politiciens dépensent l’argent public dans une surenchère sécuritaire dispendieuse et illégale. C’est pourquoi nous invitons chacun et chacune à écrire à ses élus locaux pour demander l’abandon de cette technologie de surveillance.
« Pas de VSA dans ma ville », c’est le nom de cette campagne collective qui invite tout le monde à prendre le débat en mains et à interpeller les décideurs locaux. Nous avons besoin de vous pour faire reculer la surveillance ! Courriers, procédures, arguments, vous trouverez tout sur notre site de campagne.
Lire l’article : https://www.laquadrature.net/2024/10/31/assaut-contre-la-videosurveillance-algorithmique-dans-nos-villes/
Le site de la campagne anti-VSA : https://www.laquadrature.net/vsa/
Amende de LinkedIn
Vidéosurveillance algorithmique
Algorithmes de scoring
Divers
L’an dernier, le média d’investigation Disclose révélait que depuis des années, en se sachant dans l’illégalité la plus totale, la police nationale avait recouru au logiciel de l’entreprise israélienne Briefcam, qui permet d’automatiser l’analyse des images de vidéosurveillance. Cette solution comporte une option « reconnaissance faciale » qui, d’après Disclose, serait « activement utilisée ». Après avoir tenté d’étouffer l’affaire, le ministère de l’Intérieur a enfin publié le rapport d’inspection commandé à l’époque par Gérald Darmanin pour tenter d’éteindre la polémique. Ce rapport, rédigé par des membres de l’Inspection générale de l’administration, de l’Inspection générale de la police nationale et de l’Inspection de la Gendarmerie nationale, permet d’étayer les révélations de Disclose. Fondé sur la seule bonne foi des forces de l’ordre, il s’apparente toutefois à une tentative choquante de couvrir des faits passibles de sanctions pénales.
Tout au long du rapport, les auteur·rices utilisent diverses techniques de minimisation et d’euphémisation – quand il ne s’agit pas tout bonnement de mauvaise foi – pour justifier l’utilisation illégale du logiciel Briefcam depuis 2015 par la police et 2017 par la gendarmerie. Pour rappel, ce logiciel permet d’analyser et filtrer les attributs physiques des personnes filmées afin de les retrouver sur les enregistrements vidéo. En plus de la reconnaissance faciale, il propose la reconnaissance de vêtements, de genre, de taille, d’apparence ou encore la « similitude de visage » que les services tentent grossièrement de distinguer de la reconnaissance faciale alors qu’au fond, il s’agit peu ou prou de la même chose, à savoir identifier des personnes. Plutôt que de reconnaître l’usage hors-la-loi de l’ensemble de ces cas d’usages depuis quasiment dix ans, les services d’inspection multiplient les pirouettes juridiques pour mieux légitimer ces pratiques.
Ainsi, les auteur·rices du rapport reprennent une analyse bancale déjà esquissée par Gérald Darmanin l’an dernier pour couvrir un usage intrinsèquement illégal de VSA dans le cadre d’enquêtes pénales, lorsque ces dispositifs sont utilisés par les enquêteurs pour analyser automatiquement des flux de vidéosurveillance archivés. Reprenant l’interprétation secrètement proposée en interne par les services du ministère de l’Intérieur pour couvrir ces activités au plan juridique, les auteur·rices estiment que ces utilisations a posteriori (par opposition au temps réel) de logiciels de VSA constitueraient des logiciels de « rapprochement judiciaire » au sens de l’article 230-20 du code de procédure pénale. Pourtant, cet article du code de procédure pénale n’autorise que le « rapprochement de modes opératoires » (par exemple des logiciels d’analyse de documents pour faire ressortir des numéros de téléphones liés entre eux). Cela n’a rien à voir avec la VSA a posteriori, laquelle consiste à rechercher des personnes sur une image en fonction de leurs attributs physiques via des techniques d’intelligence artificielle. Pour être licites, ces dispositifs devraient au minimum faire l’objet d’une base légale spécifique. C’est la base en matière de droits fondamentaux. Et cette base n’a clairement pas été respectée.
L’argumentation des rapporteurs paraît d’autant plus choquante que le logiciel VSA de Briefcam analyse des données personnelles biométriques et est donc soumis à des restrictions fortes du RGPD et de la directive police-justice. Les lacunes du cadre légal actuel pour des usages de VSA dans le cadre d’enquêtes judiciaires et la nécessité d’une base légale spécifique est d’ailleurs confortée par différents projets de légalisation de cette technologie qui ont pu être proposés : tel est le cas de la récente proposition de loi relative à la sûreté dans les transports, ou plus anciennement un projet de décret de 2017 « autorisant des traitements de données personnelles permettant l’analyse des enregistrements vidéo dans le cadre d’enquêtes judiciaires », mentionné dans le rapport. De même, l’autorisation par un décret de 2012 du recours à la comparaison faciale dans le fichier TAJ (« Traitement des antécédants judiciaires ») illustre la nécessité parfois bien comprise au ministère de l’Intérieur de prévoir un encadrement juridique spécifique pour différentes technologies de surveillance mobilisée dans le cadre d’enquête pénale1.
Non content·es de couvrir des abus pourtant passibles de sanctions pénales, les auteur·ices du rapport envisagent aussi l’avenir. Iels proposent ainsi de relâcher encore davantage la bride de la police pour lui permettre de tester de nouvelles technologies de surveillance policière. Assouplir toujours plus les modalités de contrôle, déjà parfaitement défaillantes, dans la logique des « bacs à sable réglementaires », à savoir des dispositifs expérimentaux dérogeant aux règles en matière de protection des droits fondamentaux, le tout au nom de ce qu’iels désignent comme l’« innovation permanente ». Les auteur·rices s’inscrivent en cela dans la filiation du règlement IA qui encourage ces mêmes bacs à sable réglementaires, et du rapport Aghion-Bouverot (commission de l’intelligence artificielle) rendu au printemps dernier2. Il faut bien mesurer que ces propositions inacceptables, si elles venaient à être effectivement mises en œuvre, sonneraient le glas des promesses de la loi « informatique et libertés » en matière de protection des droits fondamentaux et des libertés publiques (à ce sujet, on est toujours en attente de l’issue de l’autosaisine de la CNIL dans ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Briefcam », un an après son déclenchement…).
En bref, ce rapport s’inscrit dans une logique de couverture de faits passibles de peines de prison et qui constituent aussi un détournement de fonds publics. Surtout, il contribue à banaliser la vidéosurveillance algorithmique, suivant en cela la politique du gouvernement Barnier. En effet, après avoir annoncé le mois dernier la pérennisation de « l’expérimentation » de la VSA suite aux Jeux Olympiques, le gouvernement entend également, via le projet de loi de finances 2025, d’installer des radars routiers dopés à la VSA pour détecter trois nouvelles infractions concernant « l’inter-distance (entre les véhicules), le non-respect du port de la ceinture et le téléphone tenu en main (au volant) ». Sans oublier la proposition de loi sur la sécurité dans les transports qui fait son retour à l’Assemblée d’ici la fin du mois de novembre. Tout est bon pour légitimer cette technologie dangereuse et l’imposer à la population.
Pour nous aider à tenir ces manœuvres en échec, RDV sur notre page de campagne !