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Turkménistan : les femmes toujours en proie à l'insécurité.

Tue, 19 Dec 2023 16:03:16 +0000 - (source)

Le classement mondial du pays en ce sens reste irréaliste.

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Femmes turkmènes en vêtements traditionnels. Photo de Veni Markovski sur Flickr. CC-BY-2.0.

Le Turkménistan est le pays le plus sûre pour les femmes en Asie Centrale, selon l'indice Femmes, Paix et Sécurité publié récemment par l'Institut de Georgetown pour les femmes, la paix et la sécurité et le Centre norvégien PRIO pour le genre, la paix et la sécurité.Bien que les résultats soient basés sur des données provenant de sources internationales réputées, cette conclusion est clairement en contradiction avec le tableau dressé par les rapports des médias indépendants et des groupes de défense des droits de l'homme, ainsi qu'avec les conclusions des experts internationaux.

Par exemple, selon les résultats de l'enquête, une femme sur six au Turkménistan a subi des violences domestiques (DV) au cours de sa vie — et plus de 40 % d'entre elles ont été soumises à des degrés divers de contrôle social. Au Turkménistan, 59 % des femmes pensent qu'un homme a le droit de battre son épouse.

En dehors des violences domestiques, les femmes du Turkménistan sont confrontées à des attitudes patriarcales encouragées par l'État, à des discriminations fondées sur le sexe et à de vastes restrictions de leurs droits fondamentaux. Loin de s'améliorer depuis l'arrivée au pouvoir du président Serdar Berdymukhamedov l'année dernière, la situation des femmes au Turkménistan n'a fait qu'empirer.

Les femmes, la paix et la sécurité au pays des dictateurs

Le Turkménistan est un pays d'Asie centrale comptant environ six millions d'habitants. Il est relativement peu connu de la plupart des gens, car c'est l'un des pays les plus isolés du monde. Le pays a obtenu son indépendance de l'Union soviétique en 1991, et a depuis lors été dirigé par trois dictateurs différents entourés de vastes cultes de la personnalité. Les deux derniers présidents sont père et fils. Gurbanguly Berdymukhamedov a transmis la présidence à son fils Serdar Berdymukhamedov en 2022, après avoir dirigé le pays depuis 2006.

L'indice Femmes, Paix et Sécurité (FPS) évalue et classe 177 pays dans le monde en termes d'inclusion des femmes, de justice et de sécurité, en mesurant les performances dans 13 domaines, à l'aide de données provenant d'agences des Nations unies, de la Banque mondiale, du Gallup World Poll et d'autres sources. Le Turkménistan est classé 58e. Le Kazakhstan est classé 70e, le Tadjikistan 90e, l'Ouzbékistan 94e et le Kirghizistan 95.

Selon le WPS, le Turkménistan est le pire pays d'Asie centrale et d'Europe centrale et orientale en ce qui concerne l'accès des femmes à la justice. Le Turkménistan obtient également les plus mauvais résultats dans son groupe sur l'inclusion financière des femmes. Mais le pays a obtenu de meilleurs résultats dans d'autres domaines : il a été classé premier dans son groupe sur la perception de la sécurité communautaire par les femmes, en mesurant le pourcentage de femmes qui déclarent se sentir en sécurité lorsqu'elles se promènent seules la nuit dans leur quartier de résidence. En ce qui concerne la violence entre partenaires intimes, mesurée par le pourcentage de femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles récentes de la part d'un partenaire, le Turkménistan se classe à l'avant-dernière place en Asie centrale, avec 7,2 %, contre 6 % pour le Kazakhstan.

Violations des droits des femmes

Si le Turkménistan a obtenu le meilleur score global de la WPS (Note de perception des femmes) parmi les pays d'Asie centrale, la situation des femmes y reste sombre. Comme le Partenariat international pour les droits de l'homme (IPHR) et l'Initiative turkmène pour les droits de l'homme (TIHR) l'ont indiqué dans un rapport récent, non seulement les autorités turkmènes n'ont pas réussi à lutter contre les stéréotypes discriminatoires et les pratiques négatives en matière de genre, mais elles les ont activement encouragés. Les espoirs d'amélioration après le transfert des pouvoirs présidentiels du père ont été anéantis par le lancement d'une nouvelle campagne de contrôle de l'apparence des femmes au nom de la sauvegarde des traditions et des valeurs nationales.

Par exemple, selon des informations obtenues par le TIHR et d'autres sources indépendantes, les employées des agences publiques et les étudiantes ont reçu l'ordre de porter des robes de style national, de ne pas se maquiller lourdement, de ne pas se teindre les cheveux et de ne pas recourir aux services des salons de beauté, sous peine de représailles. On signale également des détentions arbitraires de femmes accusées d'enfreindre ces mesures et même des descentes de police dans des salons de beauté.

Les femmes sont également confrontées à une discrimination fondée sur le sexe dans l'accès aux services publics et rencontrent de sérieux obstacles dans l'obtention ou le renouvellement de leur permis de conduire. Certaines de ces préoccupations particulières ont été soulignées le 6 novembre, lorsque le bilan du Turkménistan en matière de droits de l'homme a été évalué dans le cadre de l'examen périodique universel (EPU) à Genève. L'EPU est un processus d'examen par les pairs coordonné par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Au cours de cet examen, le Turkménistan a reçu une série de recommandations visant à améliorer les droits des femmes.

Dans le même temps, la crise économique prolongée sévissant dans le pays a durement touché les femmes obligées de faire la queue durant des heures pour obtenir des produits alimentaires rationnés. Cette situation a parfois donné lieu à des manifestations spontanées, que les autorités s'empressent de réprimer. Au Turkménistan, la main-d'œuvre du secteur public est essentiellement féminine, et les femmes sont donc touchées de manière disproportionnée par les pratiques répressives organisées par l'État à l'égard des employés du secteur public, telles que la mobilisation forcée pour la récolte annuelle du coton ou les événements de propagande de masse.

Violence domestique généralisée

Selon la première enquête nationale sur la violence domestique en 2020. ,une femme sur six a subi des violences de la part de son partenaire actuel .L'étude a été menée par les autorités turkmènes et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). La violence s'est avérée pire dans les régions de Lebap (nord-est) et de Dashoguz (nord). Plus de 13 % des femmes ont déclaré avoir subi des violences économiques de la part de leur partenaire, notamment des restrictions d'accès à l'argent.

L'enquête a révélé que le comportement de contrôle des maris/partenaires à l'égard des femmes est un phénomène très répandu. Plus de 40 % des femmes ont déclaré avoir subi une forme ou une autre de contrôle social. Vingt-deux pour cent ont déclaré être soumis à des restrictions quant au moment où ils peuvent quitter la maison, et près de 21 % ont déclaré ne pas être autorisés à travailler ou à étudier en dehors de leur domicile. L'enquête a montré que ce comportement de contrôle allait de pair avec la violence domestique, puisque près d'une personne interrogée sur cinq a déclaré approuver et justifier le fait que son mari puisse la battre si elle quittait le domicile sans son autorisation.

En outre, la sous-déclaration des violences domestiques est un problème grave, car les femmes survivantes subissent des pressions sociales pour ne pas “déshonorer la famille” en dénonçant les abus dont elles sont victimes. Parmi celles qui ont survécu à la violence domestique moins de 12 % des femmes interrogées s'étaient adressées à la police ou à d'autres institutions d’assistance, les craintes et la pression de la société étant citées comme les principales raisons de leur silence. Les femmes sont susceptibles de ne pas signaler les abus, ce qui signifie que la violence domestique peut être plus répandue que ne le montre l'enquête.

En janvier et février 2024, le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination (CEDAW) examinera le bilan du Turkménistan en matière de droits des femmes. Dans la liste des questions adressées aux autorités en vue de cet examen, la commission leur a demandé d'expliquer « l'imposition de codes vestimentaires et d'apparence et d'autres pratiques discriminatoires » dans une atmosphère « renforcée par la surveillance et le contrôle actifs du comportement des femmes » . Ils s'informeront également des mesures prises « pour démanteler les attitudes patriarcales à l'origine de la violence sexiste à l'égard des femmes » et pour criminaliser la violence domestique, une mesure que le pays n'a pas encore prise.

En ce qui concerne la sécurité des femmes au Turkménistan lorsqu'elles se promènent seules la nuit— il convient de noter que le Turkménistan était talonné, dans le WPS, de pays tels que le Koweït, les Émirats arabes unis et la Chine, qui disposent d'un appareil de sécurité étatique tout aussi important. Si le maintien de l'ordre peut aider les femmes à se sentir plus en sécurité dans les rues du Turkménistan, ce même appareil est également utilisé pour supprimer leurs droits à un point tel que, comme le dit le célèbre YouTubeur Ilya Varlamov, elles vivent presque « sans droits. »

Cette vidéo YouTube illustre les violations des droits des femmes au Turkménistan.

Alors que les modèles patriarcaux actuels et les violations des droits persistent, il manque un cadre de discussion franche sur la sécurité des femmes au Turkménistan.


Understones : le Portugal et le mythe du bon colonisateur

Tue, 19 Dec 2023 15:48:27 +0000 - (source)

Les récits du passé pourraient encore étayer le sentiment d'identité au Portugal

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Illustration de Global Voices montrant le Monument des Découvertes. Wikimedia Commons (CC BY 4.0)

Cet article fait partie de Undertones, bulletin de l'Observatoire des médias civiques de Global Voices. S'abonner à Undertones.

Si on se promène à Lisbonne, il est fréquent de tomber sur des images de barques et des références au passé maritime du Portugal. Les caravelles, embarcations emblématiques utilisées lors des premiers voyages en Afrique Occidentale et au Brésil, elles sont présentes sur le drapeau de Lisbonne, sur de nombreux restaurants et des rues pavées, elles sont également présentes sous forme d'autobus touristiques, et de façon plus élaborée, sur le monument des découvertes construit par le dictateur António de Oliveira Salazar en 1958. Cet énorme monolithe, qui met en scène des explorateurs de renom, des cartographes, des navigateurs et des missionnaires. Ceci est un exemple de comment l'histoire de la colonisation portugaise se réécrit.

Pour les académiciens et les activistes, le discours qui a surgi pendant la dictature de Salazar perdure dans la société portugaise, et dans cette narration on y mélange l'orgueil d'un passé colonialiste et expansionniste avec le déni d'un racisme internalisé.

Certains incidents récents ont réveillé les débats sur le racisme dans le pays. La première exposition artistique qui commémore la vie des esclaves africains au Portugal fait face au rejet des autorités locales : en juillet, des critiques ont surgi contre le maire de Lisbonne pour « boycotter » l'exposition. En septembre, pendant une visite du Canada, le président Marcelo Rebelo de Sousa a décrit l'identité portugaise avec des phrases qui, pour certains; ont évoqué le slogan du dictateur Salazar : Football, Fado et Fatima (les trois F qui, selon le régime, ont défini le pays : le sport, la musique (fado) et la vénération de la vierge Fatima). Après, en octobre, une activiste noire et anti-racisme, a reçu une amende pour diffamation contre un néo-nazi autoproclamé.

« De nombreuses personnes ont une vision positive de l'époque coloniale », affirme Leon Ingelse, enquêteur de l'Observatoire des médias civiques. « Les récits de l'époque de Salazar semblent être normalisés dans l'ensemble du spectre politique ».

Pour les activistes antiracistes, « Portugal is not dealing with its colonial past » (Le Portugal ne fait pas face à son passé colonial)

Comment ce récit se propage dans les réseaux sociaux

Joacine Katar Moreira, politicienne portugaise née en Guinée Bissau, exprime sur le réseau X (ex Twitter) son désaccord avec la fierté de ses compatriotes concernant le passé colonial du Portugal.

Elle critique la façon dont « chaque référence nationale fait allusion au passé colonial du Portugal ». Par exemple le mot « navigatrices » (surnom de la sélection féminine de football). Elle demande si les Portugais sont également fiers d'autre chose.

La majorité des réponses qu'elle a reçues sont composées de haine et de racisme, observe Ingelse. Les commentaires disent que l'auteure est raciste pour dire ceci, qu'ils devraient l'expulser du pays et qu'elle est ingrate envers une nation qui l'accueille. Certains commentaires laissent noter la fierté du passé colonial.

Sa publication a reçu un score positif de +2 ou +3 dans le comptoir média de notre observatoire, parce que le message est antiraciste et en plus c'est important de discuter du racisme au Portugal. Cependant, elle devrait inclure plus d'information et de contexte.

L'article cité fait mention du lusotropicalisme, concept adopté par le dictateur Salaear pour revendiquer la fierté de l'identité historique du Portugal et maintenir les colonies africaines. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays a reçu une grande pression pour changer son discours impérial et pour libérer les territoires de l'outremer.

Le Portugal a joué un jeu prépondérant dans l'histoire européenne de la colonisation et le trafique humain. Pendant le 15e siècle, le Portugal a lancé et ensuite dominé le marché transatlantique des esclaves, avec la capture et la relocalisation de pas moins de 6 millions d'Africains au Brésil,  un nombre plus important que pour tout autre pays européen. Le Brésil est devenu indépendant en 1822, alors que la Guinée Bissau, le Cap Vert, Sao Tomé-et-Principe, l'Angola et le Mozambique ont obtenu leur liberté en 1974 et 1975 après de violentes guerres.

Après deux décennies au pouvoir, Salazar a commencé à adopter le concept de lusotropicalisme, développé apr le sociologue brésilien Gilberto Freyre. Jusqu'à ce moment, les politiciens portugais et les administrateurs des colonies pensaient que le colonialisme était une mission des blancs pour civiliser les « races inférieures ». Une révision historique a eu lieu.

La théorie du lusotropicalisme soutient que l'empire portugais était plus « humain » que les autres colons européens, par exemple les britanniques. Freyre et certains de ses contemporains ont affirmé que les portugais étaient intrinsèquement gentils, moins violents et plus ouverts à se mélanger avec les populations locales.

Rui Braga, chercheur au Tamera Peace Research & Education Center au Portugal, a écrit en 2020 que pendant les années 50 quand les empires coloniaux étaient étaient en pleine chute dans le monde, le régime a fait face à la nécessite de justifier sa présence coloniale en Afrique. Pour cela le récit sur le lusotropicalisme s'est intensifié, l'idéalisation du Portugal en tant que pays multiracial et pluricontinental  avec une capacité innée de coloniser de façon agréable et non violente, et avec une attitude libérale face aux mariages et relations sexuelles interraciales.

Salazar a « supprimé la réalité du racisme et du colonialisme, et cette propagande de l'État se reflète sur les statues, les monuments et les livres historiques ». Toute voix opposée à cette nouvelle identité nationale était censurée.

 Le lusotropicalisme à Eurovision

Pendant l'Eurovision de 1989, le groupe portugais de pop-rock Da Vinci a présenté le morceau « Conquistador ». Les paroles de la chanson sont un exemple concret du lusootropicalisme,

Braga et d'autres académiciens comme l'anthropologue Cristiana Bastos nous assurent que ce récit est toujours d'actualité.  Elle écrit, « On pourrait dire que le lusotropicalisme est une curiosité du passé, mais qui continue de réapparaître ». En 2021, le conseil d'Europe a demandé au Portugal de faire face à son passé colonial et de commerçant d'esclaves pour aider à combattre le racisme actuel.

Aujourd'hui, les plus de 68 ans étaient déjà adultes à l'époque des guerres sanglantes avec les colonies africaines. Cette histoire récente pour expliquer un récit fréquent, qui peut même être implicite, qui soutient que le « Portugal a été un bon colonisateur ». Mais ce discours oublie la cruauté du génocide, la torture, l’esclavagisme, le génocide et l'exploitation, qui ont eu lieu pendant l'époque coloniale.

« Le lusotropicalisme a masqué la réalité crue et amère, passée et présente, et il continue d'apporter un langage, un refuge attractif qui permet à l'interlocuteur de se sentir bien, se sentir et croire spécial », écrit l'anthropologue Basto.

Comment ce récit continue d'être actif sur les réseaux sociaux

Cela fait 5 mois, un ré-éditeur anonyme a publié un même dans un fil de discussion appelé « shitposting » (avec plus de 2.6 millions de followers) qui compare le style de colonisation réalisé par les Portugais avec la colonisation réalisée par les Britanniques.

L'image de gauche montre une célèbre caricature brésilienne qui représente une femme indigène, « Kuruminha » amoureuse d'un colon portugais, avec un fond tropical. L'image de droite nous rappelle la chanson de Iron Maiden « The Trooper », et montre un colon britannique déshumanisé en train de commettre un génocide.

La publication a eu 11 000 répercussions positives, et on ne peut s'assurer que la popularité était seulement au Portugal ou aussi en dehors du pays. Les commentaires contiennent un mélange de racisme, des accusations de laver l'image des blancs et des discussions étendues sur « qui a été le meilleur colon ».

Ce sujet a obtenu un score de -3 (le plus bas possible) sur le dans le comptoir média de notre observatoire, déjà que le même divulgue de fausses informations à une grande audience, il montre des aborigènes et des esclaves qui « apprécient » la colonisation portugaise.

Ce récit nous amène à deux conclusions : « Le Portugal a été un bon colonisateur, donc les Portugais ne sont pas racistes », et le « racisme est un sujet politique installé par la gauche ». Ce dernier concept gagne du terrain, impulsé par les partis d'extrême droite comme Chega! et le parti Ergue-te. En 2020, Chega a organisé une manifestation pour déclarer que le Portugal n'est pas raciste.

Mais les autres partis politiques pensent le contraire. En juin 2023, le parti de la gauche PAN (Personnes, Animaux et Nature) a introduit un projet de loi pour étudier  « les causes et conséquences du racisme institutionnel » au Portugal. Avec 5 partis pour et 2 contre (Chega et le parti socialiste, parti qui domine dans le pays) et une abstention, la proposition fut un échec. Chega a publié sur X que cette initiative est en ligne avec l'idée selon laquelle le racisme est un thème politisée par la gauche.

En 2024 on a célébré les 50 ans de la révolution des Œillets, qui a mis fin à la dictature au Portugal avec les guerres de colonies. Cependant, pour de nombreuses personnes, les discours du parti sont toujours là.


Portugal : un célèbre militant met en garde contre la montée en puissance de l'extrême droite

Tue, 19 Dec 2023 15:13:40 +0000 - (source)

Mamadou Ba condamné à une amende pour diffamation contre un néo-nazi inculpé

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Mamadou Ba condamné à une amende pour diffamation contre un néo-nazi condamné

Leon Ingelse a participé à la rédaction de cet article.

« La situation va de mal en pis », a déclaré Mamadou Ba , fondateur de SOS Racisme , une organisation phare qui défend les droits humains des migrants et des personnes victimes de racisme au Portugal. Ba s'est entretenu avec Global Voices  juste avant la démission du Premier ministre portugais Antonio Costa [fr] le 7 novembre, ouvrant la voie à des partis d'extrême droite comme Chega, largement connu pour son discours anti-immigration et raciste.

Ba considère que Chega, parti fondé en 2019, institutionnalise le racisme dans la structure politique du Portugal. « Ce que nous [militants] disons depuis 35 ans [depuis la création de SOS Racisme], c’est que le racisme n’a jamais cessé d’exister. Mais avant, [le racisme] n'avait pas de bon interprète », dit Ba. Les choses pourraient commencer à changer maintenant.

Ba a dit:

La classe politique et les élites dans leur ensemble ont créé un tabou généralisé sur la question raciale. Il existe une continuité historique concernant le colonialisme dans les relations de pouvoir. Une illusion a été créée, basée sur le luso-tropicalisme [fr], selon laquelle le Portugal a surmonté l'aspect racial mieux que toutes les autres nations colonisatrices.

Né au Sénégal, Mamadou Ba est de nationalité portugaise et réside au Portugal depuis plus de 20 ans. Tout au long de cette période, il s'est engagé dans l'activisme antiraciste, jouant un rôle central – à travers SOS Racisme et d'autres organisations – dans la défense des droits des personnes racialement marginalisées aux niveaux national et européen. Il a également contribué à de nombreux projets de recherche universitaire en tant que consultant et a siégé à des conseils scientifiques. De 2015 à 2019, Ba a été membre du Conseil portugais de la Commission nationale pour l'égalité et contre la discrimination raciale.

Faire face aux récits coloniaux

La classe politique et les élites dans leur ensemble ont créé un tabou généralisé sur la question raciale. Il existe une continuité historique concernant le colonialisme dans les relations de pouvoir. Une illusion a été créée, basée sur le luso-tropicalisme [fr], selon laquelle le Portugal a surmonté l'aspect racial mieux que toutes les autres nations colonisatrices.

Par l'intermédiaire de son Observatoire des médias civiques communautaires (CMO), Global Voices a enquêté sur l'impact persistant des récits entourant le passé colonial du Portugal, en particulier ceux propagés pendant la dictature de Salazar et son « Nouvel État », qui a duré de 1933 à 1974.

Dans les dernières étapes du gouvernement de Salazar, les récits axés sur le « luso-tropicalisme » décrivaient l’empire colonial du Portugal comme plus humain et amical que les autres colonisateurs européens. Le colonialisme était perçu comme positif par les Portugais.

L'idée selon laquelle « le Portugal était un bon colonisateur » était un point central de la recherche et soulignait à quel point le luso-tropicalisme avait masqué les dures réalités du racisme, de l'esclavage, du génocide et de l'exploitation au cours de l'empire colonial portugais. Mamadou Ba a joué un rôle central dans l'enquête, en s'opposant au racisme en défendant des récits tels que «Le Portugal ne s'occupe pas de son passé colonial ».

Pour Ba, l’idée de vaincre le racisme est devenue un exercice rhétorique pour éviter de faire quelque chose de tangible à ce sujet. [Le racisme] n'a aucune expression institutionnelle sous la forme d'une protection des personnes [qui en souffrent », dit-il.

Il estime qu’il existe un dilemme en Occident : pour qu’une démocratie soit complète, il ne peut y avoir de racisme en son sein. Par conséquent, maintenir une idéologie dans laquelle les gens continuent d’être identifiés comme inférieurs pour des raisons raciales est ce qu’il appelle une « démocratie raciale ».

«La colonialité est permanente au Portugal.  Ce pays fêtera ses 50 ans de démocratisation le 25 avril [2024]. Mais en même temps, il a décidé de donner un nouveau sens aux armoiries de l'empire colonial», souligne Ba.

Plus tôt cette année, lors de la rénovation de la Praça do Imperio (« Place Impériale »), Lisbonne a fait marche arrière sur la suppression des armoiries qui représentaient les provinces coloniales à la demande d'un groupe de citoyens.

Ba demande : « Allons-nous célébrer la démocratisation ou le colonialisme ?»

Un néo-nazi ayant un casier judiciaire chargé a gagné un procès contre Ba

En octobre 2023, un tribunal de Lisbonne a condamné Mamadou Ba à payer une amende de 2 400 euros après l'avoir reconnu coupable de diffamation envers Mario Machado, un célèbre dirigeant néo-nazi portugais qui a des liens avec l'ancienne direction de Chega. En 2020, Ba a accusé Machado sur X d'être impliqué dans le meurtre d'Alcindo Monteiro, un Noir du Cap-Vert tué en 1995 par des skinheads lors d'une attaque raciste.

Machado était le chef du groupe skinhead qui a tué Monteiro et a été condamné à quatre ans de prison pour avoir attaqué cinq autres Noirs la même nuit. Il a ensuite été condamné à sept ans de prison pour enlèvement, vol et coercition, en plus d'avoir un lourd dossier d'« exercice continu d'extrémisme xénophobe et de recours à la violence », selon les tribunaux . Mario Machado, qui continue d'être actif dans les mouvements d'extrême droite, a intenté une action en diffamation contre Ba et a gagné.

L'affaire a soulevé des inquiétudes concernant le racisme structurel au Portugal, SOS Racismo affirmant que le système judiciaire tente de faire taire les voix en faveur de la démocratie. Le tribunal a statué que la déclaration de Ba était fausse et portait atteinte à l'honneur de Machado, puisque Machado n'avait pas été condamné pour le meurtre de Monteiro en soi.

L'avocat de Machado a salué la décision car elle montre que « l'État de droit était libre de toute pression politique ». L'avocat de Ba a déclaré son intention de faire appel de la décision, éventuellement en portant l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme et en alléguant que l'État avait permis à l'extrême droite d'infiltrer ses institutions.

La philosophe Luísa Semedo a écrit dans Público qu'elle constate une tendance récurrente dans les discussions autour du procès de Mamadou Ba, où les gens sont d'accord avec lui tout en soulignant également les défauts perçus dans ses actions. Selon l'auteur, cela reflète l'incorporation de la violence de l'oppresseur dans la société portugaise, ce qui donne l'impression que l'activisme des opprimés est perturbateur.

La déclaration publique de SOS Racisme indique qu'ils « rejettent les tentatives (…) d'assimiler l'antiracisme au racisme, qui n'est rien d'autre qu'un stratagème visant à banaliser et normaliser le racisme ».

Mamadou Ba estime que les Noirs doivent être considérés comme faisant partie de l'histoire et de la vision collective de la société portugaise, de « l'imaginaire collectif » (imaginário coletivo), au lieu d'être ignorés et exclus des récits du pays.

« Il faut contester la mémoire. Les Noirs comme moi doivent intégrer l'imaginaire collectif. Mais cela prendra beaucoup de temps », ajoute-t-il.


Un mouvement en plein essor en Afrique et dans la diaspora pour exiger des réparations pour les tords de l'esclavage et du colonialisme.

Mon, 18 Dec 2023 17:53:02 +0000 - (source)

« Des réparations doivent être faites pour la traite négrière »

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Des esclavagistes emmenant des captifs à bord d'un navire négrier sur la côte ouest de l'Afrique. Image de Joseph Swain de Wikimedia Commons ( CC BY-SA 4.0 DEED )

[Sauf indication contraire tous les liens mènent vers des pages en anglais] 

Les blessures de l’esclavage, du colonialisme et leurs héritages durables restent intacts en Afrique. Aujourd’hui, un mouvement en plein essor se construit à travers le continent et dans la diaspora pour exiger réparation et justice pour ces crimes historiques.

En septembre 2023, le Président du Ghana Akuf0-Addo s'est adressé à la 78e session de l'Assemblée générale des Nations unies en ces termes :

Il est temps de reconnaître ouvertement qu’une grande partie de l’Europe et des États-Unis a été bâtie à partir de l’immense richesse récoltée grâce à la sueur, aux larmes, au sang et aux horreurs de la traite transatlantique des esclaves et des siècles d’exploitation coloniale. Peut-être devrions-nous également admettre qu’il n’est pas facile de construire des sociétés confiantes et prospères à partir de nations qui, pendant des siècles, ont vu leurs ressources naturelles pillées et leurs habitants commercialisés comme des marchandises. Pendant des siècles, le monde a été réticent et incapable de faire face aux réalités des conséquences de la traite négrière.

Mais, a-t-il ajouté, la situation évolue progressivement et le moment est venu de mettre le sujet des réparations au premier plan :

Certes, les générations actuelles ne sont pas celles qui ont pratiqué la traite des esclaves, mais la subvention de l'entreprise humaine restera parrainée et délibérée dans ses avantages, qui sont clairement imbriqués dans l'architecture économique actuelle des nations qui l'ont conçue et mise en œuvre. Des réparations doivent être versées pour la traite des esclaves.

Un mois plus tard, le Sommet Advancing Justice: Reparations & Racial Healing , financé par l’ Equitable Recovery Initiative de la Fondation MacArthur , s'est tenu à Accra. Selon un rapport d'Africa Feeds , le président Akufo-Addo a réitéré son appel à des réparations, citant des exemples de réparations accordées aux Amérindiens, aux familles japonaises-américaines et aux Juifs qui ont souffert pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a déclaré : « Les Amérindiens ont reçu et continuent de recevoir des réparations ; les familles japonaises-américaines, incarcérées dans des camps d’internement en Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale, ont reçu des réparations. Le peuple juif, dont six millions ont péri dans les camps de concentration de l’Allemagne hitlérienne, a reçu des réparations [fr], notamment des subventions et un soutien à leur patrie.

Un article du New York Times a souligné les résultats de certaines de ces réparations et en a tiré les leçons qui pourraient être utiles.  

La Conférence panafricaine sur les réparations s'est tenue conjointement à Accra, au Ghana, le 14 novembre, par les pays de l'Union africaine (UA) et de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Les membres de la conférence ont plaidé en faveur de réparations pour les injustices commises contre les Africains lors de la traite transatlantique des esclaves , de l'apartheid, de la ségrégation, du colonialisme, du néocolonialisme et du néolibéralisme. Des représentants des pays africains, des groupes de la société civile et de la diaspora africaine se sont réunis pour discuter de solutions constructives, conduisant à la création d'un fonds mondial pour soutenir la campagne et à la rédaction d'une proclamation, comme le rapporte le Guardian .

Les pays de la région des Caraïbes, profondément touchés par la traite transatlantique des esclaves, réclament depuis longtemps des réparations.

La Commission des réparations de la CARICOM (Communauté des Caraïbes et Marché commun), sous la direction du professeur Sir Hilary Beckles , a été à l'avant-garde de ce mouvement, cherchant une réparation au-delà de la simple compensation financière. Cette campagne met l'accent sur l'importance d'actions telles que le soutien aux initiatives en matière d'éducation et de soins de santé dans les Caraïbes.

Le professeur Beckles, partisan de longue date des réparations, propose la création par la Grande-Bretagne d’un mécanisme semblable au Fonds juif de réparation. Il souligne que la justice réparatrice n’est pas une question d’aumône, mais c'est plus important, car il s'agit de favoriser un partenariat de développement collaboratif entre la Grande-Bretagne et les Caraïbes.

En réponse au plaidoyer de la Commission des réparations de la CARICOM, un accord historique sur les réparations liées à l'esclavage a été signé entre l'Université de Glasgow et l'Université des Antilles. Toutefois, la commission maintient que des mesures supplémentaires sont nécessaires. Les arguments des Caraïbes en faveur des réparations ont été longuement discutés lors d'un entretien [fr] diffusé en direct avec Sir Hilary au Bocas Lit Fest à Port of Spain, Trinidad en octobre 2020. La campagne de la commission a mis en évidence les effets durables de la traite transatlantique des esclaves et les effets Ce système inhumain continue d'avoir, au-delà des dommages psychologiques causés à ses descendants, des répercussions économiques, culturelles, démographiques, politiques et écologiques. Cet argument trouve un écho auprès de nombreux citoyens caribéens, comme en témoigne le fait que le couronnement du roi Charles a suscité un intérêt minime (autre que sa position sur les réparations) et la visite dans la région du duc et de la duchesse de Cambridge, du prince William et de son épouse Catherine, s'est avéré controversé .

Le Fort de Cape Coast [fr] au Ghana, avec sa poignante « porte de non-retour », est un rappel obsédant de la traite [fr] transatlantique des esclaves , où des millions d'Africains ont traversé l'Atlantique et ont été vendus comme esclaves il y a plus de 400 ans.

Reconnaissant le rôle historique des vendeurs africains et des acheteurs occidentaux dans la traite des esclaves, Ondiro Oganda, présentateur d'un média kenyan, a expliqué :

La politique des Africains qui vendent entre en jeu ; on pourrait affirmer qu’en vertu d’une obligation morale, les acheteurs avaient le choix de refuser d'y participer. Cependant, la réalité est que beaucoup se sont engagés volontairement. Tout en reconnaissant la responsabilité des actions des quelques Africains qui se sont engagés dans ces transactions, nous ne pouvons ignorer le fait historique selon lequel les Africains ont été expulsés de force du continent pour devenir esclaves.

Elle a ajouté que :

… nos ressources ont été continuellement extraites du continent, souvent dans le cadre de transactions dans lesquelles nous pourrions être manipulés ou aveuglés, bénéficiant et contribuant finalement à la croissance des économies occidentales.

Au moins 12 millions d’Africains ont été transportés de force entre le XVe et le XIXe siècle, et des millions sont morts lors de raids, pendant le transport ou dans des conditions inhumaines sur des navires négriers.

Les effets de cette histoire dévastatrice et des institutions coloniales extractives continuent aujourd’hui de limiter le progrès socio-économique en Afrique. Les réparations visent à reconnaître les torts commis, à compenser les pertes et à démanteler les systèmes injustes pour permettre la guérison et le progrès. Voici un documentaire sur la traite transatlantique des esclaves :

Lors de la conférence, la vice-présidente de la Commission de l'Union africaine, le Dr Monique Nsanzabaganwa [fr], a déclaré que la demande de réparations « n'est pas une tentative de réécrire l'histoire ou de poursuivre le cycle de victimisation » :

C'est un appel à reconnaître la vérité indéniable et à réécrire les torts qui sont restés impunis pendant trop longtemps et qui continuent de prospérer à l'heure actuelle.

En plus des pressions en faveur des réparations, il existe également un appel au retour des objets volés aux pays africains pendant le régime colonial. Le président Akufo-Addo a déclaré qu'il s'agissait d'une préoccupation majeure :

Nous devons exiger le retour des biens culturels africains qui ont été transportés illégalement et sans vergogne depuis le continent. Cette reconnexion du présent et du passé contribuera également à construire de nouvelles relations avec la communauté internationale, en particulier avec celle de l'Europe, principale responsable du vol initial des biens culturels.

Alors que certains pays occidentaux, dont l'Allemagne et la France, ont reconnu les torts commis pendant l'ère coloniale et ont commencé à restituer les objets volés à l'Afrique , d'autres ont tardé à agir. En mai de l'année dernière, l'Allemagne a accepté de verser à la Namibie 1,1 milliard d'euros (1,2 milliard de dollars) en réparation du génocide commis pendant son occupation à l'époque coloniale.

Alors que le Ghana mobilise le reste du continent pour réclamer des réparations, les récentes manifestations sont remarquables, car elles ont également mis en lumière les défis intérieurs. Le mois dernier, plusieurs Ghanéens se sont rassemblés devant Jubilee House , le palais présidentiel d'Accra, pour une manifestation pacifique contre la crise économique que traverse leur pays. Le coût de la vie élevé et l'inflation qui monte en flèche, atteignant environ 42,19 pour cent et le ratio dette/PIB de plus de 80 pour cent, ont alimenté les tensions dans le pays.

En conséquence, commentant l'appel du président Akufo-Addo aux réparations pour la colonisation et l'esclavage, le journaliste Ondiro Oganda a souligné que les dirigeants africains doivent non seulement défendre la cause du continent sur la scène internationale, mais aussi être attentifs aux défis auxquels leurs peuples sont confrontés au niveau international.


Maroc : les Amazighs à la recherche d'une présence civique par le biais des droits linguistiques

Wed, 13 Dec 2023 16:18:09 +0000 - (source)

Le parcours des Amazighs après la reconnaissance de leurs droits linguistiques

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

« Amazigh » illustré en langue amazighe, avec pour toile de fond le Parlement marocain. Créé par Noran Morsi pour Global Voices.

Cet article a été écrit par Mohammed Udern. Il fait partie d’un projet de recherche sur la liberté d’expression et l’accès à l’information dans des espaces civiques à travers six communautés linguistiques dans la région de MENA.

Enfant, Mohammed Ait Amghar, un commerçant de la région d’Azilal au Maroc, ne parlait que sa langue maternelle, l’amazighe. En 1982, à l’âge de huit ans, alors qu’il se sentait mal en classe, son professeur lui a demandé avec sarcasme dans un arabe marocain familier (Darjah) : « As-tu mangé du bran de son ? », faisant référence à l’alimentation du bétail. Mohammed, dont les connaissances étaient limitées en arabe, ne comprit pas bien la question ainsi que le sarcasme qu’elle contenait, et répondit naïvement « oui ». Cet incident lui valut des persécutions de la part de ses camarades de classe à l’école, et impacta profondément sa vie, comme il l’a raconté à Global Voices :

“ⴰⵔ ⴱⴰⵀⵔⴰ ⵜⵜⵎⵏⴰⵍⴰⵏ ⵉⵎⵙⵍⵎⴰⵣⵉⵖⵏ ⴽⵔⴰ ⵏ ⵡⴰⴷⴷⴰⴷ ⴳ ⵉⴳⴳⵓⵜ ⵓⵣⵓⵅⵓ, ⵙ ⵍⴰⵡⴰⵏⵏ ⴰⴽⴽⵯ ⴰⴷⴷⴰⵢ ⵜⵜⵎⵉⵇⵇⵉⵔⵏ ⴰⴽⴷ ⵉⴳⴷⵓⴷⵏ ⵙⴰⵡⴰⵍⵏⵉⵏ ⵙ ⵜⵓⵜⵍⴰⵢⵜ ⵜⴰⵄⵕⴰⴱⵜ, ⴰⵢⵏⵏⴰ ⴰⵙⵏ ⵉⵜⵜⵙⵔⴰⴳⵏ ⴳ ⵓⵖⵓⵏⴼⵓ ⵙⴳ ⵜⵓⵜⵍⴰⵢⵜ ⵜⴰⵢⵎⵎⴰⵜ ⵏⵏⵙⵏ ⴷ ⵜⵔⵡⵍⴰ ⵙⴳ ⵓⵙⵙⵎⵔⵙ ⵏⵏⵙ.”

Les locuteurs de l’amazighe font souvent face à des situations difficiles, particulièrement dans leurs interactions avec les communautés arabophones. Ceci peut provoquer chez eux un sentiment d’intimidation et de découragement à utiliser leur langue maternelle. Par conséquent, ils développent une aversion à la parler publiquement.

Au fil du temps, de nombreux Amazighen d’Afrique du Nord ont perdu leur maîtrise de la langue amazighe en raison de facteurs historiques et socioculturels à l’instar de la domination phénicienne, l’occupation romaine, la conquête islamique et, plus tard, la colonisation française.

L’officialisation des langues étrangères telles que le français et l’arabe, en plus des facteurs socio-économiques modernes, a conduit plus tard à la marginalisation de la langue et de la culture amazighes, limitant de ce fait leur présence dans la vie publique et, par ricochet, leur accès à l’information et aux services. En conséquence, l’amazighe est passée d’un outil de communication pratique à un symbole d’identité pour le peuple amazigh.

L'amazighe en bref

  • Nombre de variantes amazighes : 40
  • Nombre de dialectes : 5
  • Les dialectes sont entre autres : à l’est (Ghadames-Nafusi), au nord (Kabyle-Rif-Tashlhhiyt), à l’ouest (Azennag et Tetserret), Tuareg (Tamahaq-Tamajeq-Tawellemet), et Guanches.
  • Nombre de pays où l’amazighe est parlé : 13
  • Ces pays sont : Maroc, Algérie, Libye, Mali, Niger, et bien d’autres. Elle est également présente dans les pays étrangers tels que la France, le Canada et d’autres.

L’histoire de l’amazighe est très variée et s’étend sur des milliers d’années, avec de nombreux dialectes.

En raison de la sensibilité politique, il n’existe pas d’études précises sur le nombre exact de locuteurs amazighs. Toutefois, la revue Ethnologue estime que le Maroc compte le plus grand groupe de locuteurs amazighs, avec environ 13,8 millions (en 2017), suivi de l’Algérie avec 8,8 millions (2020), puis de la France avec environ 11,5 millions de locuteurs (2022). La langue amazighe avait été officiellement reconnue en Algérie en 2016 et au Maroc en 2011, ce qui a marqué ainsi une étape importante dans la préservation de sa langue et de son patrimoine culturel.

L’impact de l’insécurité de la lingue amazighe sur la participation civique au Maroc

La langue est un outil de communication puissant qui reflète l’identité culturelle et l’appartenance sociale. Elle joue un rôle crucial dans l’accès et l’échange des informations, en favorisant le partage des connaissances. Dans un entretien accordé à Global Voices, le Dr Abdullah Bouzndag, un expert en sociolinguistique et didactique de l’amazighe à l’Institut Royal de la Culture Amazighe, a relevé l’intégration inadéquate de l’amazighe dans la société marocaine :

L’accès à l’information est un droit fondamental pour tous les amazighophone du pays, reconnu par toutes les conventions internationales sur les droits de l’Homme. Malheureusement, il est souvent inadéquatement assuré dans l'administration et les services publics, même si son inclusion ne nécessite pas d’importantes ressources financières.

Les locuteurs amazighs monolingues sont confrontés à des difficultés lorsqu’ils tentent de s’intégrer dans la société et de participer à des activités civiques. Ces difficultés découlent de leur accès limité au savoir et aux services publics en raison de l’absence de leur langue maternelle dans la vie publique. Selon le Dr Bouzndag :

Il est naturel que la privation des droits culturels d’un groupe humain ait un impact négatif sur le comportement de ses membres. L’insécurité linguistique peut directement conduire au boycott des institutions, comme en témoigne le boycott des élections par le mouvement amazigh avant 2011. En outre, elle peut entraîner une réticence générale à participer à la vie politique, servant ainsi d’expression au mécontentement.

Un grand nombre d’associations amazighes, le Réseau de citoyenneté amazighe et le Parti démocrate amazigh marocain ont boycotté les élections législatives de 2007 en raison de « l’absence de reconnaissance de l’identité amazighe et de la langue amazighe dans la constitution, ainsi que de la marginalisation continue des préoccupations amazighes par l’État ».

Le débat sur les droits des Amazighs au Maroc a commencé dans les années 1960 par le biais de diverses associations. Cependant, la réponse officielle de l’État est venue au 21e siècle, prenant de l’ampleur après le discours historique du roi Mohammed VI à Agadir le 17 octobre 2001. Il a souligné que l’amazighe appartient à tous les Marocains et constitue un élément fondamental de la culture marocaine. La reconnaissance officielle de la langue amazighe a eu lieu en juillet 2011, dans le sillage des manifestations du printemps arabe au Maroc, où les gens demandaient des réformes démocratiques.

Les obstacles à l’accès à l’information et aux services 

Le Maroc a fait des progrès significatifs dans la reconnaissance et la promotion de la langue amazighe en établissant un cadre juridique pour soutenir son développement. Cependant, les engagements incohérents du gouvernement entravent sa croissance. Par conséquent, l’amazighe se heurte encore à des obstacles, notamment un soutien officiel et une intégration limités dans des secteurs clés tels que l’éducation, les soins de santé, le système judiciaire et les administrations publiques.

Au niveau individuel, les Amazighs ont des difficultés à communiquer avec les institutions gouvernementales en raison de l’absence d’informations et de services en amazighe. Cela entrave leur participation aux affaires publiques, car ils ont du mal à comprendre les lois et les procédures gouvernementales, ce qui entraîne leur marginalisation et leur intégration limitée dans les communautés urbaines. Pour surmonter ces obstacles, il faut maîtriser l’arabe ou le français.

En outre, les barrières linguistiques affectent considérablement les perspectives d’emploi de ceux qui parlent principalement l’amazighe. Les exigences en matière de maîtrise du français dans les secteurs public et privé entravent les possibilités d’emploi formel, poussant de nombreuses personnes vers des emplois informels et mal rémunérés tels que l’agriculture et la construction. L’absence d’un cadre officiel pour les services, l’information et les opportunités d’emploi exacerbe les taux de chômage élevés et les difficultés économiques au sein de la communauté amazighe.

Lutte pour l’égalité des chances

Le Maroc a fait des progrès significatifs dans la reconnaissance et la promotion de la langue amazighe en établissant un cadre juridique pour soutenir son développement. Cependant, les engagements incohérents du gouvernement entravent sa croissance. Par conséquent, l’amazighe se heurte encore à des obstacles, notamment un soutien officiel et une intégration limités dans des secteurs clés tels que l’éducation, les soins de santé, le système judiciaire et les administrations publiques.

Au niveau individuel, les Amazighs ont des difficultés à communiquer avec les institutions gouvernementales en raison de l’absence d’informations et de services en amazighe. Cela entrave leur participation aux affaires publiques, car ils ont du mal à comprendre les lois et les procédures gouvernementales, ce qui entraîne leur marginalisation et leur intégration limitée dans les communautés urbaines. Pour surmonter ces obstacles, il faut maîtriser l’arabe ou le français.

En outre, les barrières linguistiques affectent considérablement les perspectives d’emploi de ceux qui parlent principalement l’amazighe. Les exigences en matière de maîtrise du français dans les secteurs public et privé entravent les possibilités d’emploi formel, poussant de nombreuses personnes vers des emplois informels et mal rémunérés tels que l’agriculture et la construction. L’absence d’un cadre officiel pour les services, l’information et les opportunités d’emploi exacerbe les taux de chômage élevés et les difficultés économiques au sein de la communauté amazighe.

L’une de ces histoires a été communiquée à Global Voices. Le grand-père d’Othman, Si Hassayen d’Azilal a été condamné par contumace à la fin des années 1990 dans une affaire de litige foncier, alors qu’il était présent dans la salle d’audience. Son incapacité à comprendre le marocain familier utilisé au cours de la procédure a conduit à ce résultat malheureux. Il a déclaré :

ⵎⵇⵇⴰⵕ ⵜⴰⴹⵚⴰ ⵏⵏⴰⵖ ⴼ ⵡⴰⴷⴷⴰⴷ ⴰⴷ ⴳ ⵜⴰⵡⵊⴰ, ⵎⴰⵛ ⴷⴰⵔ ⵊⴷⴷⵉ ⵓⵔ ⵉⴳⵉ ⴰⵣⵔⴼⴰⵏ. ⵉⵣⵓⵅⵅⴰ ⵢⴰⵏ ⵙⴳ ⵉⵎⵙⵡⵡⵔⵉⵏ ⵏ ⵜⵙⵏⴱⴹⴰⵢⵜ ⵙ ⵢⴰⵏ ⵓⵙⵇⵇⵙⵉ ⵓⴹⵏⵉⵥ “ⵉⵙ ⴰⵛⵍⵃⵉ ⴰⴷ ⵜⴳⵉⵜ, ⵉⵙ ⵓⵔ ⵜⵙⵙⵉⵏⴷ ⵜⴰⵄⵕⴰⴱⵜ !” 

Bien que nous ayons ri de cet incident au sein de la famille, il était vraiment injuste pour mon grand-père. Il a été malmené par l'un des employés du tribunal qui lui a demandé d'un ton moqueur : « Êtes-vous analphabète ? Vous ne connaissez pas l'arabe ? »

Les rapports des Nations unies font état d’un déclin significatif du nombre de locuteurs amazighs au Maroc. Certains dialectes ont déjà disparu ces dernières années, comme la langue amazighe d’Ait Rowadi dans la région d’Azilal. D’autres dialectes, comme la langue des Oasis dans la région orientale, sont également en voie d’extinction, avec seulement quelques milliers de locuteurs restants.

Une évolution positive du statut de l'amazighe

Le web 2.0 a déclenché une révolution dans la mise à disposition d’informations en langue amazighe, en particulier chez les jeunes. Ils peuvent désormais communiquer facilement dans leur langue maternelle grâce aux plateformes de médias sociaux et aux canaux numériques tels que YouTube. En conséquence, la sensibilisation à l’identité amazighe s’est considérablement accrue à tous les niveaux au Maroc, y compris au sein des institutions officielles et des mouvements politiques amazighs, ce qui a conduit à des progrès et à des réalisations significatifs.

Néanmoins, il existe une disparité notable entre la société civile amazighe et le secteur officiel en ligne. La représentation de la langue amazighe sur les sites web du secteur public reflète cette réalité. Les sites officiels amazighs ont un contenu limité, une qualité médiocre et de nombreuses fautes d’orthographe, ce qui les rend impopulaires au sein de la communauté amazighe. Par exemple, bien que le site officiel du Premier ministre soit disponible en arabe, en français et en amazigh, le contenu amazigh n’a pas été mis à jour depuis des années, malgré l’importance de l’engagement avec les citoyens.

Le site officiel de l’Institut Royal de la Culture Amazighe reste le seul avec des contenus de qualité.

De nombreuses initiatives, individuelles ou collectives, renforcent la présence de la langue et de la culture amazighes en ligne. Nombre d’entre elles offrent des ressources de grande qualité et jouissent d’une grande popularité. Citons par exemple le lancement en 2021 de Wikipédia Amazigh, fruit des efforts de 800 bénévoles, des sites web de dictionnaires régionaux, des portails d’information privés, des bibliothèques numériques et des plateformes de divertissement, qui comptent tous des milliers de followers.

Le Maroc a progressé en matière de réconciliation interne en modifiant les lois pour répondre aux demandes des locuteurs amazighs. Toutefois, la mise en œuvre effective de ces lois reste un défi. Le respect des droits de la langue amazighe et la promotion de l’égalité linguistique favoriseront l’intégration sociale et donneront aux locuteurs amazighs la liberté d’exprimer ouvertement leur culture et leur identité, et leur permettront de participer plus activement à la vie civique.

Ait Amghar estime que les droits des Amazighs au Maroc ont beaucoup progressé depuis l’incident qui s’est produit lorsqu’il avait huit ans :

ⴰⴷⴷⴰⴷ ⵏ ⵜⵎⴰⵣⵉⵖⵜ ⴳ ⵍⵎⵖⵔⵉⴱ ⵉⵏⵏⴼⵍ ⵙ ⴽⵉⴳⴰⵏ. ⵜⴰⵖⵓⵍ ⵜⵎⴰⵣⵉⵖⵜ ⵜⴳⴰ ⵜⵓⵜⵍⴰⵢⵜ ⵜⴰⵎⴰⴷⴷⵓⴷⵜ ⴳ ⵍⵎⵖⵔⵉⴱ, ⴰⵔ ⵜⴻⵜⵜⵓⵖⵔⴰ ⴳ ⵜⵉⵏⵎⵍ ⴷ ⴰⵔ ⵜⴻⵜⵜⵉⴳⵓⵜ ⵜⵉⵍⵉⵜ ⵏⵏⵙ ⴳ ⵜⵓⴷⵔⵜ ⵜⴰⴽⵓⵢⴰⵙⵜ ⵉⵎⵉⴽⴽ ⵙ ⵉⵎⵉⴽⴽ ⵎⵇⵇⴰⵔ ⵍⵍⴰⵏⵜ ⵜⵏⵎⴰⵔⵉⵏ ⴳ ⵓⵎⵏⵉⴷ ⵏ ⵓⵣⵣⵓⴳⵣ ⵏⵏⵙ ⴳ ⵜⵉⵍⴰⵡⵜ.

Le statut de la langue amazighe au Maroc a beaucoup évolué. Les choses se sont vraiment améliorées depuis ! Aujourd'hui, elle est officiellement reconnue et enseignée dans les écoles. Même s'il y a encore des défis à relever en termes de mise en œuvre.


Népal : la modernisation des villages susceptible d’entraîner la disparition de l'art mokha

Wed, 13 Dec 2023 16:12:48 +0000 - (source)

Les femmes héritent des connaissances de leurs mères et de leurs grands-mères.

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Ce magnifique mokha du district de Sunsari, dans l'est du Népal, sera bientôt détruit en raison de l'élargissement de la route. Photo par Sanjib Chaudhary. Utilisée avec l'autorisation de l'auteur.

Dans les plaines du sud du Népal, les paysages villageois étaient autrefois dominés par des maisons aux murs de bambou et de boue, aux toits de chaume et de tuiles. Dans l'est du Népal, en particulier, les maisons des Tharus étaient décorées de magnifiques œuvres d‘art mokha sur les murs en terre. Cependant, comme les maisons traditionnelles en terre du Népal sont remplacées par des maisons en béton, ce célèbre art est sur le point de disparaître.

Selon le recensement national de la population et du logement de 2021, plus de 50 % des maisons au Népal ont des murs en ciment, tandis qu'environ 30 % des maisons ont des murs en briques ou en pierres liées par de la boue. Seulement 11 % des maisons ont des murs en bambou, sans parler des 3,9 % de maisons avec des toits de chaume et des 9,2 % de maisons avec des toits en tuiles.

Des générations d'art mokha

Dans les districts de Sunsari et Morang, à l'est du Népal, les Tharus créent des dessins et des motifs complexes à l'aide d'un mélange d'argile et de son de riz, de bouse de vache, de paille et de jute, connu sous le nom d'art mokha.

Les artistes, pour la plupart des femmes, fabriquent un mélange d'argile et de jute, comme le montre cette vidéo YouTube produite par Vision Nepal. Des couches d'argile sont appliquées sur les murs, formant divers motifs géométriques et floraux, y compris des représentations d'oiseaux tels que des paons et des perroquets. Une fois le motif sec, il est peint avec des couleurs naturelles, remplacées par les couleurs que l'on trouve aujourd'hui sur le marché.

Art mokha, appelé « payar », provenant d'une maison du district de Saptari, dans l'est du Népal. Photo de Sanjib Chaudhary. Utilisée avec l'autorisation de l'auteur.

De même, dans les districts de Saptari, Siraha et Udaypur, les artistes utilisent un mélange d'argile, de son de riz et de bouse de vache qu'ils appliquent sur les murs en bambou avec de la paille. Ils appliquent des couches de ce mélange pour créer des motifs géométriques et floraux, notamment des paons, des perroquets et des éléphants. Une fois le motif sec, il est peint avec de l'argile blanche naturelle avant d'appliquer d'autres couleurs naturelles – argile ocre et rouge, et suie noire, entre autres. Cet art, une forme de mokha, est appelé « payar ».

Le blogueur Lex Limbu a publié un message sur X (anciennement Twitter) :

Cet art, avec ses techniques, ses procédés, ses motifs et ses dessins, a été transmis d'une génération à l'autre. Les femmes héritent généralement de ce savoir de leurs mères et de leurs grands-mères.

« Il a été transmis de génération en génération au sein de la famille rurale, généralement – mais pas toujours – par les femmes », écrivent Kurt W. Meyer et Pamela Deuel, qui ont passé environ quatre ans à visiter près de 300 villages tharu. Il n'y a pas d'écoles, pas de collèges d'art, pas de professeurs qui leur disent ce qui est « bien » et ce qui est « mal » – c'est pour cette raison que nous l'appelons « l'art sans artistes ».

Art pour décorer les portes et les fenêtres

L'art Mokha et d'autres formes de décorations murales sont généralement créés pendant les festivals et pour des occasions spéciales telles que le mariage.

« L'art Mokha est réalisé sur les côtés droit et gauche de la porte principale et autour des fenêtres », écrit Bishnu Prasad Chaudhary dans son livre Tharu Lok Kala (Tharu Folk Arts). « L'ajout de jute et de coton à l'argile minimise les craquelures des motifs. »

De même, l'ajout de lait aux couleurs avant de les appliquer sur les motifs permet aux couleurs de ne pas s'estomper rapidement. Les femmes artistes décorent également les piliers avec ces motifs artistiques.

« Une maison bien décorée, exposant l'art du mokha, est toujours connue comme une maison ayant des femmes chanceuses », écrit l'artiste S.C. Suman. « La prospérité règne dans une maison dotée de mokha. Selon une croyance populaire chez les Tharus, s'il n'y a pas de mokha dans la maison de quelqu'un, un demi-kilo de riz est perdu chaque jour ».

La modernisation réduit à néant l'art traditionnel

Pramila Biswas, de Labipur, dans le district de Sunsari, au sud-est du Népal, est fière de montrer l'art du mokha réalisé par sa belle-mère, Jhalaiya Biswas. « La plupart des maisons de notre village étaient décorées avec l'art mokha », a déclaré Mme Biswas lors d'un entretien avec Global Voices. « Cependant, comme les maisons traditionnelles sont remplacées par des maisons en béton, il ne nous reste plus que quelques maisons avec de l'art mokha ».

Art mokha du village de Labipur, dans le district de Sunsari, à l'est du Népal. Photo de Sanjib Chaudhary. Utilisée avec l'autorisation de l'auteur.

« Comme la municipalité est en train d'agrandir la route, l'art mokha sur les murs de ma maison sera enlevé », a déploré Kishni Majhi du même village.

En raison de la lourdeur du processus de fabrication de l'art mokha et de l'effort laborieux nécessaire pour entretenir l'art mural – de nombreux artistes doivent réappliquer les couleurs plusieurs fois par an -, de nombreuses familles abandonnent l'art et optent pour de simples murs de briques.

« Nous continuerons à entretenir l'art mokha dans notre maison », a déclaré Hom Narayan Chaudhary de Duhabi, Sunsari. « Cependant, nous ne sommes pas sûrs que nos enfants les conserveront intactes. »

Non seulement les maisons de Labipur sont menacées d'extinction, mais la plupart des maisons traditionnelles des villages tharu des plaines méridionales du Népal connaissent le même sort. Si des mesures adéquates ne sont pas prises pour sauvegarder cet art folklorique tharu exquis, il est voué à disparaître à jamais.


Turquie : l'épineux combat contre la violence envers les femmes

Wed, 13 Dec 2023 15:55:42 +0000 - (source)

Les féminicides augmentent, tandis que la réponse de l'État sonne creux

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Image de Arzu Geybullayeva

Le 13 septembre, un tribunal à Istanbul s'est prononcé contre la fermeture d'une plateforme en ligne locale populaire, « Nous mettrons fin aux féminicides,» qui documente la violence faite aux femmes. La plateforme en ligne avait déjà fait l'objet de poursuites en décembre 2021, pour «avoir exercé des activités illégales et immorales.» Une victoire rare pour les militants pour les droits des femmes, dans un pays où, en 2023 seulement, 362 femmes sont décédées suite aux violences qu'elles ont subies selon Anitsayac, une autre source en ligne.

Le nombre élevé de fatalités n'a pas modifié la décision du parti au pouvoir, Justice et Développement (AKP), de réintégrer la Convention d’ Istanbul, de laquelle le pays s'était retiré en mars 2021 suite au traité que le parti au pouvoir avait qualifié de «normalisation de l'homosexualité.» En outre, s'adressant à une université d'Istanbul le 25 novembre, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a affirmé catégoriquement que le retrait de la convention n'avait pas affecté négativement le problème de la violence contre les femmes.

Les militants pour les droits des femmes ne sont pas d'accord, et comme par le passé, un grand nombre de femmes et d'organisations pour les droits des femmes se sont rassemblées à travers la Turquie le 25 novembre, la journée internationale pour l'élimination de la violence contre les femmes, pour rappeler à l'État que la violence contre les femmes est un problème pressant.

Défilés annuels interdits

Plusieurs bureaux des gouverneurs ont pris des mesures visant à empêcher les femmes de défiler le 25 novembre. À Istanbul, le bureau du gouverneur a fermé des stations de métro, tandis qu'à Diyarbakir, les manifestations étaient totalement interdites. Les années précédentes, la police avait exercé une répression violente sur les manifestants. Cette année n'a pas fait exception. Selon des témoignages, des militants pour les droits des femmes ont été arrêtés dans plusieurs provinces le jour des manifestations.

La violence n'est pas le seul problème auquel les femmes doivent faire face en Turquie. en octobre 2023, Kübra Öztürk Örenli, la première femme de Turquie à obtenir les titres internationaux de maître et grand maître d'échecs, et membre de l'équipe nationale d'échecs, a fait l'objet d'une suspension de salaire et a été radiée de la fédération quand il a été révélé qu'elle était enceinte. Quand Örenli a fait part de sa suspension, la Fédération turque d'échecs a déclaré qu'il s'agissait d'un «malentendu

Le pays souffre aussi d'un taux croissant de mariages précoces. Selon un rapport de Gazete Duvar, une plateforme d'informations en ligne, plus de 130 000 mineures ont été mariées en Turquie durant ces dix dernières années.

Selon un rapport sur les droits des travailleuses publié le 25 novembre, 1379 femmes ont été tuées sur leur lieu de travail depuis 2013. Ce rapport a aussi  mis en évidence d'une part le fait que le chômage des femmes constitue une forme de violence économique, et d'autre part que des conditions de travail difficiles telles que le manque de mécanismes de santé et de sécurité, le harcèlement sexuel, la discrimination, et d'autres formes de violence au travail, sont toutes des formes de violence envers les femmes.

Des mesures gouvernementales inadéquates

Le 25 novembre, le président Recep Tayyip Erdoğan a signé une circulaire promettant de mettre en place des mesures pour combattre la violence envers les femmes. Dans cette circulaire contenant 17 points, publiée dans le journal officiel à minuit, il a été annoncé que le «Comité de surveillance de la violence envers les femmes» serait remplacé par «le Conseil de coordination pour combattre la violence envers les femmes.» Parmi les autres mesures annoncées se trouvent la continuation des mesures légales et administratives pour l'application effective des lois sur la prévention de la violence sexiste, des ressources pour faciliter l'accès des victimes à la justice et des mesures visant à assurer l'amélioration de l'information et la prise de conscience des institutions et des organisations publiques concernant la violence sexiste au sein du personnel public.

«Nous avons la conviction que le Conseil de coordination pour combattre la violence envers les femmes, que nous établissons avec la nouvelle circulaire, exercera des activités dignes du Siècle de la Turquie,» a déclaré Erdoğan à une université d'Istanbul.

Ses détracteurs, cependant, voient la circulaire comme une solution palliative. Par exemple, les ordonnances de restriction et les mesures de protection pour les victimes de violence ne sont pas traitées de façon adéquate en Turquie; par conséquent, quand la circulaire promet «zéro tolérance pour la violence», pour eux, cela sonne creux.

«les circulaires ne sont pas une solution contre la violence,» a déclaré İlke Işık, une avocate qui défend les droits des femmes. Tandis que le président du barreau d'Istanbul, Filiz Saraç, a déclaré en réponse à la circulaire, que c'était une indication de la difficulté de l'État à comprendre en quoi consiste la lutte contre la violence envers les femmes:

La violence envers les femmes et le nombre de féminicides continuent de croître dans notre pays. La violence envers les femmes vient de l'inégalité entre les sexes et de la discrimination contre les femmes. La responsabilité d'assurer la sécurité des personnes en prévenant la violence envers les femmes est la responsabilité de l'État. La législation adoptée et les mesures préventives prises contre la violence ne sont pas efficaces. C'est pourquoi aucune loi, régulation ou circulaire ne peut prévenir le nombre croissant de féminicides.

L'opposition principale en Turquie, la vice-présidente du parti du peuple républicain Aylin Nazlıaka, a déclaré que la circulaire «ne peut nous duper en ajoutant trois ou quatre bons éléments.» Aylin Nazlıaka invite plutôt l'État à resigner sans tarder la convention d'Istanbul.

Fidan Ataselim, secrétaire général de la plateforme «Nous mettrons fin au féminicide», a déclaré lors d'une manifestation à Istanbul le 25 novembre,  «le nombre de féminicides est en hausse. Des hommes tuent des femmes chaque jour. Malheureusement, elles ne sont plus seulement assassinées. Ces meurtres sont déguisés en suicide. Des femmes sont régulièrement poussées par la fenêtre ou du balcon. Les enquêtes ne sont pas menées sérieusement. En d'autres mots, en enterrant les cadavres des femmes, ils enterrent aussi la vérité. Nous remettrons ces morts suspectes à leur ordre du jour. Nous n'accepterons jamais un soi-disant suicide s'il est suspect. Nous mettrons fin au féminicide.»

Fidan Ataselim a également critiqué la remarque du Président selon laquelle le retrait de la Convention n'aurait pas eu un impact négatif sur la violence envers les femmes en Turquie:

Cette mentalité est honteuse si on considère que des femmes sont renvoyées des postes de police, car la Convention d'Istanbul n'existe plus. Ils devraient avoir honte pour les femmes qui n'ont pas été protégées et ont été assassinées, car on leur a dit «Il n'y a plus de Convention» et car la loi n° 6284 n'est pas appliquée.»

Avant les élections générales de mai 2023, l’ AKP et son dirigeant se sont alliés à de nombreux partis cherchant à démanteler les droits des femmes dans le pays, y compris en révoquant la loi 6284, qui protège les femmes contre la violence domestique. Cette loi a été adoptée en 2012.

L’ AKP a adopté un certain nombre de positions controversées contre l'égalité des sexes ces dernières années. Le parti au pouvoir a proposé de limiter le droit à l'avortement, la pilule du lendemain, et les césariennes. Erdoğan lui-même a une fois suggéré que  les femmes ne peuvent pas être égales aux hommes, que les femmes doivent être mères, et que les familles devraient avoir trois enfants au minimum. En 2012, Erdoğan, Premier ministre à l'époque, avait assimilé l'avortement à un meurtre.

Par ailleurs, alors que les interruptions de grossesse sont encore légales en Turquie jusqu'à la dixième semaine et jusqu'à la vingtième en cas de risque médical, trouver un hôpital pour effectuer la procédure est devenu pratiquement impossible. En 2014, Erdoğan a accusé les féministes de ne pas comprendre la maternité. Durant un sommet à Istanbul, il a soi-disant déclaré, «certaines personnes peuvent comprendre cela et d'autres pas. Il n'est pas possible d'expliquer cela aux féministes car elles n'acceptent pas le concept de maternité.» Il a aussi déclaré que l'égalité des sexes est «contraire à la nature humaine» et que les femmes qui travaillent sont «déficientes.» Plus récemment, en janvier 2023, l'institution religieuse d'État de Turquie, qui s'est attaquée aux femmes par le passé, a déclaré que les femmes ne peuvent pas voyager seules.

Cette régression générale a aussi été reflétée dans le rapport du Forum économique mondial sur les inégalités entre les sexes. Selon le rapport du Forum le plus récent en 2023, la Turquie  est classée 129e sur 146 pays analysés.


Dans l’ombre de la loi : le déclin furtive de l’environnement médiatique en Corée du Sud

Wed, 13 Dec 2023 15:44:28 +0000 - (source)

Le gouvernement est accusé d’employer des tactiques qui créent un effet dissuasif ​

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

President Yoon Suk Yeol and first lady Kim Keon Hee stand in front of the official Korean airplane

Le Président Yoon Suk Yeol et la Première dame Kim Keon Hee font leurs adieux avant leur départ vers le Royaume-Uni le 18 septembre 2022. Base aérienne de Séoul, Seongnam-si, Gyeonggi-do. Image de JEON HAN de la page Flickr du KOCIS. (CC BY-NC-SA 2.0 DEED).

Vous avez peut-être déjà entendu la métaphore de la grenouille bouillante. Le conte suggère qu'une grenouille dans une casserole d'eau chauffée lentement ne percevra pas le danger immédiat et finira par être bouillie vivante. Bien que cela ait été démystifié comme étant davantage un mythe qu’un fait scientifique, la métaphore reste puissante.

La Corée du Sud est reconnue comme un pays puissant sur les plans économique, politique et technologique. Les indices internationaux reflètent généralement cela, affichant des classements stables et cohérents, sans fluctuations significatives. Cependant, cet article vise à mettre en évidence la récente régression du pays dans l’environnement des médias et de la liberté d’expression, un courant sous-jacent inquiétant qui n’est pas entièrement raconté dans les analyses mondiales.

Le gouvernement conservateur actuel, entré en fonction en mai 2022, a été accusé d’avoir recours à des stratégies ayant un effet dissuasif sur la liberté d’expression. Parmi la principale de ces accusations concerne les représailles à l'encontre des journalistes et des organes de presse qui critiquent le président Yoon Suk Yeol, la Première dame Kim Keon Hee et leurs ministres sous prétexte de diffuser de fausses nouvelles. Les rapports incluent des cas où des journalistes dissidents ont été interdits de points de presse et soumis à des enquêtes pour diffamation et ingérence électorale sur la base de leur couverture des malversations présumées de Yoon et Kim. Certaines situations ont même dégénéré en perquisitions au domicile et dans les bureaux des journalistes.

Les procureurs perquisitionnent Newstapa et JTBC pour des allégations de fausses interviews https://t.co/9ZhShu6XQr

— Yonhap News Agency (@YonhapNews) 14 septembre 2023

Cette approche de représailles a été connue d'avance en janvier 2022 lorsqu'une conversation téléphonique en fuite pendant la campagne présidentielle a montré que Kim menaçait d'incarcérer tous les journalistes opposés à son mari s'il était élu.

De plus, le président Yoon a publié un nombre sans précédent de décrets d'application, dépassant ainsi ses prédécesseurs dans la durée de leurs mandats. Dans le cadre législatif sud-coréen, alors que la constitution est la loi suprême et que les lois adoptées par l’Assemblée nationale incarnent des valeurs constitutionnelles, la législation administrative comme les décrets présidentiels sont des instruments exécutifs conçus pour rendre ces lois opérationnelles. Ces décrets, qui ne doivent pas entrer en conflit avec les lois supérieures, ont compétence sur toutes les affaires administratives. L’utilisation par Yoon de ces décrets lui a souvent permis de nommer des alliés à des postes influents, contournant ainsi l’exigence d’approbation de l’Assemblée. Le décret le plus récent, promulgué en octobre 2023, restreint les marches t rassemblements à proximité des bureaux présidentiels.

Les nominations controversées du gouvernement incluent Lee Dong-gwan à la tête de l'organisme de surveillance de l'audiovisuel d'État, la Commission coréenne des communications (KCC), et Park Min à la tête de la chaîne nationale financée par le gouvernement, le Korean Broadcasting System (KBS). Les deux personnes nommées ont promis d'éradiquer les « préjugés idéologiques ». Parallèlement, l'administration a intensifié sa rhétorique contre les « fausses nouvelles », une démarche qui est devenue encore plus sentie avec les prochaines élections législatives en avril 2024.

Le chef du Parti du Pouvoir du Peuple, dont le président Yoon est membre, a condamné certains médias libéraux, en affirmant que leurs reportages biaisés portent atteinte à la démocratie nationale et équivaut à une haute trahison et passible d'une peine de mort. Dans sa quête d’être arbitre de la vérité, le gouvernement envisage à gérer les narrations publiques, notamment en ce qui concerne sa gestion des catastrophes, tant naturelles qu’anthropiques. Parmi les incidents remarquables figurent l'écrasement tragique de la foule à Itaewon à Séoul, lors des festivités d'Halloween de 2022, qui a fait au moins 159 morts et 196 blessés, ainsi que les mesures inadéquates aux inondations de juillet 2023 à Osong et Yecheon, qui ont fait d'importantes victimes et la mort du caporal Marine. Les familles des victimes ont poursuivi inlassablement leur quête de responsabilisation, mais sans grand succès.

Les efforts narratifs du gouvernement s’étendent aux perspectives historiques. La position de l’administration Yoon reflète un changement significatif par rapport aux commémorations traditionnelles. La récente dépréciation de Hong Beom-do, un célèbre héros anticolonial qui a lutté contre l'occupation japonaise dans les années 1920, parallèlement à la glorification de Syngman Rhee, le premier président du pays connu pour sa politique anticommuniste stricte, indique une évolution vers un discours qui correspond plus étroitement aux intérêts américains et japonais. Cette réécriture de l’histoire marginalise non seulement l’héritage de la résistance contre l’occupation japonaise, mais semble également refondre stratégiquement le passé du pays pour faciliter les alliances géopolitiques contemporaines.

L'administration Yoon, ainsi que le Parti du Pouvoir du Peuple, ont également été critiqués pour avoir encouragé la misogynie et les discours de haine, en intégrant prétendument une telle rhétorique dans leurs campagnes électorales, leur engagement sur les réseaux sociaux et leur élaboration de politiques. La récente montée du sentiment antiféministe a conduit à des pertes d’emploi pour les femmes et même à des agressions physiques. Parallèlement, le Président Yoon a suscité des controverses avec ses propositions d'abolir le ministère de l'Égalité des Sexes et de la Famille et de diminuer la protection du travail, en particulier pour les travailleurs immigrés. De plus, le président et son épouse se seraient associés à des YouTubers d'extrême droite, leur offrant des invitations à l'investiture présidentielle, leur envoyant des cadeaux de Noël et les nommant même à des postes gouvernementaux.

En réfléchissant à la grenouille proverbiale – et à un adage coréen similaire selon lequel on ne peut pas remarquer une bruine avant d’être trempé – chacun de ces changements politiques à lui seul ne semble pas être une menace immédiate, et aucun n’est ouvertement illégal ou autoritaire. Pourtant, leurs effets cumulés entraînent des inquiétudes quant à la stabilité démocratique du pays. À l’approche des élections nationales, le renforcement de l’emprise du gouvernement envers la dissidence publique et la surveillance des médias constituera un test crucial de l’engagement du pays envers les principes démocratiques et les libertés civiles.


Andry Rajoelina réélu président à Madagascar mais l'opposition conteste la validité de la procédure

Wed, 13 Dec 2023 06:28:36 +0000 - (source)

L'opposition voit dans la réélection de Rajoelina le triomphe de la corruption

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Le président Andry Rajoelina et son épouse lors de la publication des résultats officiels des élections à la Haute Cour Constitutionnelle. Photo de Infomedia 261, utilisée avec permission

Andry Rajoelina, 49 ans, est réélu président de Madagascar pour un deuxième mandat d'une durée de 5 ans à l'issue du scrutin présidentiel du 16 novembre boycotté par les candidats de l'opposition.

Lire : Madagascar: regain de tension à la veille d'une élection présidentielle à haut risque

Le 1er décembre 2023, la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) chargée de proclamer les résultats définitifs, annonce officiellement la réélection de Rajoelina qui a emporté le vote avec 58,96% des suffrages exprimés. Le taux de participation a légèrement baissé avec 46 % de votes par rapport à la précédente présidentielle de 2018 où le taux était de 48,09%. 

Au départ, 13 candidats étaient en lice mais suite au boycott de l'élection par l'opposition, seuls trois candidats ont fait campagne, dont Siteny Andrianasoloniaiko qui a recueilli 14,39% des voix; et Marc Ravalomanana, candidat favori dans l'opposition, qui arrive en troisième position avec 12,09% des voix malgré son appel initial au boycott.

Pour en savoir plus sur Madagascar, lire le dossier spécial Madagascar, une société déstabilisée 

Président depuis 2018, Rajoelina avait accédé une première fois au pouvoir pendant cinq ans en 2009 à la faveur d'une mutinerie chassant l'ex-président Ravalomanana. Lors d’un bref entretien avec les journalistes à sa sortie de la cérémonie de proclamation du résultat officiel, il affirme aujourd'hui vouloir travailler pour tous les Malgaches :

Je remercie tous ceux qui ont voté pour moi tout comme ceux qui n’ont pas voté. J'exercerai ma fonction en toute dignité et je ne vais pas ménager mes efforts pour le développement de Madagascar

Scrutin boycotté par l'opposition

Mais dès le debut de la campagne électorale, les candidats de l'opposition dénoncent des irrégularités flagrantes et demandent l'annulation de l'élection, sans résultats. Ils décident ensuite de boycotter l'élection et appellent les électeurs à ne pas se rendre aux urnes. Ces dix candidats ont par la suite affirmé qu'ils ne reconnaîtront pas les résultats de cette élection. Dans une déclaration commune, en date du 24 novembre, le collectif annonce en effet:

Nous ne reconnaîtrons pas les résultats de cette élection illégitime, truffée d'irrégularités, et nous déclinons toutes responsabilités sur l'instabilité politique et sociale qui pourrait en découler.

Le même jour de l'élection, 16 novembre, Transparency International Initiative Madagascar, le bureau malgache de Transparency International (ONG de lutte contre la corruption), fait savoir dans un communiqué que l'élection est contestée sur fond d’irrégularités, de violences, de violations de droits humains, de flux financiers opaques et de suspicions de corruption électorale.

Après le scrutin, la HCC a reçu une quinzaine de requêtes liées aux contentieux électoraux dont la plupart ont été déclarées recevables mais non fondées.

Accusant le président sortant de fraude, le candidat de l'opposition Siteny Randrianasoloniaiko, a déclaré à l'AFP avoir déposé une requête “aux fins d'annulation des opérations électorales sur l'ensemble du territoire”, mais sa requête a été rejetée. Il déclare: :

J'ai déposé deux requêtes pour demander l'annulation du scrutin et la disqualification d'Andry Rajoelina car il a volé, il a acheté les voix.

La haute juridiction dont la légitimité est mise en question par l’opposition a finalement rejeté toutes les requêtes déposées aux fins d'annulation du scrutin en raison de multiples irrégularités dans le déroulement du vote et des anomalies constatées sur les procès-verbaux transmis à la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI).

Inquiétudes au niveau international

A travers un communiqué, publié quelques heures après la publication de la victoire de Rajoelina, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) dit prendre acte des résultats sur le réseau X (ex-Twitter):

L'organisation,  qui regroupe 88 pays (États et gouvernements) dans le monde, soulève tout de même des inquiétudes et appelle au dialogue:

L’OIF fait le constat d’une société malgache divisée, et exprime sa profonde préoccupation quant à la phase post-électorale avec des risques élevés de contestations et de tensions persistantes. Nous relevons en effet que toutes les conditions d’inclusivité du processus électoral n’ont pas pu être réunies, certains candidats ayant décidé de ne pas participer à la campagne électorale et au scrutin, réclamant une réforme des institutions en charge de la gestion et du contrôle des élections. Nous appelons par conséquent tous les acteurs et actrices, parties prenantes, à contribuer au rétablissement de la confiance entre elles et au renforcement de l’État de droit.

Dans son communiqué de presse, Transparency International Initiative Madagascar déclare aussi que les résultats sont sans surprise, et que ,la victoire de Rajoelina marque le triomphe de la corruption, de l’argent et de la complaisance sur la démocratie. Elle estime que :

L’acceptation de ces résultats signifie aussi la reconnaissance de l’exploitation de l’extrême pauvreté comme technique ultime pour gagner des élections à Madagascar, et c’est intolérable.

Madagascar fait parti des pays les plus pauvre au monde avec un taux de pauvreté estimé à 75% en 2022.

Réaction des internautes

Les réseaux sociaux ne manquent pas de réactions passionnées par des internautes malgaches, comme Herizo Raza, utilisateur de X qui écrit sur son compte:

Hajo Andrianainarivelo, candidat de l'opposition indique sur son compte X que la décision de la HCC est une mascarade:

Sur la page Facebook Vaovao vao mafana androany (VMA) d'un groupe de plus de 56 000 membres dédié au partage des actualités malgaches, un utilisateur anonyme écrit:

HCC Ambohidahy : Le candidat Andry Rajoelina a remporté la présidence (58,96%) 🇲🇬
📌Aujourd'hui, 1er décembre, s'est tenue la cérémonie publique  pour la proclamation des résultats définitifs de l'élection présidentielle du 16 novembre 🗳
📌Il n’existe aucun décret gouvernemental annulant la citoyenneté malgache du candidat Andry Rajoelina
📌Les votes obtenus par le candidat Siteny Randrianasoloniaiko dans plus de 10 bureaux de vote ont été annulés en raison du procès intenté par le candidat Andry Rajoelina.
Partagez avec vos amis ou groupes

L'investiture du nouveau président est prévue le 16 décembre 2023 avec la présence de plusieurs chefs d’État africains. Les partisans de Rajoelina prévoient une cérémonie en grande pompe au stade Barea Mahamasina à Antananarivo, capitale du pays.

La question principale est de savoir si l'opposition pourra maintenant mobiliser l'électorat et organiser des manifestations, ou si Rajoelina pourra assumer ses fonctions sans être vraiment inquiété par les accusations de violations du processus électoral.


Trinité-et-Tobago : pourquoi l’hydrogène vert représente-t-il un fort potentiel ?

Tue, 12 Dec 2023 18:09:13 +0000 - (source)

Si vous utilisez une source d'électricité à faible teneur en carbone, l'hydrogène que vous produisez est « vert ».

Publié à l'origine sur Global Voices en Français

Image de presentation crée avec Canva Pro.

L'hydrogène vert est le nouveau produit sur le marché, mais est-il à la hauteur de ses promesses ? Ces questions, et bien d'autres encore, ont été explorées lors de l'Hydrogen Research Collaborative organisé sur le campus de St. Augustine de l'University of the West Indies (UWI) à Trinidad le 21 septembre, qui a présenté les recherches sur l'hydrogène menées par l'University of Trinidad and Tobago (UTT) et les étudiants de troisième cycle de l'UWI.

Qu'est-ce que l'hydrogène vert ? Il s'agit d'un moyen innovant pour continuer à récolter et à utiliser l'hydrogène sans dépendre des combustibles fossiles. Philip Julien, président de Kenesjay Green, une société de développement de projets indigènes dédiée à la création de projets de décarbonisation à l'échelle industrielle, l'explique très simplement : “Elle est créée par électrolyse de l'eau. L'eau est composée d'hydrogène et d'oxygène. Si vous faites passer un courant électrique dans l'eau, il décompose les liaisons hydriques en ses composants de base, l’hydrogène et l’oxygène. Si vous utilisez une source d'électricité à faible teneur en carbone, l'hydrogène que vous produisez est « vert ».

Kenesjay Green a dirigé la création de NewGen Energy Limited pour développer une installation d’une production d'hydrogène vert et neutre en carbone, dont la production alimentera la production d'ammoniac des installations de Trinidad Nitrogen Company dans la zone industrielle de Point Lisas, dans le sud de Trinité. Hydrogène de France (HDF) a acquis une participation majoritaire de 70 % dans le projet NewGen en 2022 par l'intermédiaire de sa branche locale, Kenesjay Green conservant les 30 % restants.

Une étude réalisée par la National Energy Corporation de Trinité-et-Tobago avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement renforce le sentiment d'un potentiel massif pour l'hydrogène vert dans l'île jumelle des Caraïbes. Dans un pays qui dispose déjà des éléments nécessaires pour se positionner en tant que centre régional d'échange, de stockage et de production d'hydrogène vert et d'ammoniac/méthanol pour les Amériques, l'hydrogène vert est considéré comme la prochaine étape et comme une option viable de décarbonisation pour les secteurs de l'électricité et de l'industrie.

Marché de l'ammoniac

En 2021, Trinité-et-Tobago a exporté pour 1,74 milliard USD d'ammoniac, ce qui en fait le deuxième exportateur mondial. Toutefois, avec l'évolution du marché vers l'ammoniac à faible teneur en carbone – à l'heure actuelle, la production locale d'ammoniac utilise le gaz naturel comme matière première – ce statut éminent est menacé.

Un rapport de S&P Global Commodity Insights prévoit que le marché mondial de l'ammoniac triplera d'ici 2050, car la demande d'ammoniac à faible teneur en carbone « transforme le marché » :

Grâce à l'amélioration des conditions économiques résultant des politiques de décarbonisation, l'ammoniac à faible teneur en carbone devrait passer de son stade actuel à 420 millions de tonnes, soit les deux tiers du marché total, d'ici à 2050. […]

Le nouveau rapport stratégique, Low-carbon Ammonia : Faciliter la transition vers un avenir durable, indique que l'utilisation potentielle de l'ammoniac à faible teneur en carbone comme combustible de soute pour la marine, comme matière première pour l'industrie et comme vecteur de l'hydrogène utilisé pour la production d'électricité représente un changement profond pour l'industrie, qui passe d'un secteur axé principalement sur la production d'engrais à un secteur orienté vers les marchés de l'énergie.

Dans l'Union européenne, le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) a été adopté par la Commission européenne comme un « outil historique permettant d'attribuer un prix équitable au carbone émis lors de la production de biens à forte intensité de carbone entrant dans l'UE et d'encourager une production industrielle plus propre dans les pays non membres de l'UE ».

Thibault Ménage, vice-président de HDF Caribbean, considère que le CBAM incite Trinité-et-Tobago à s'orienter vers la décarbonisation de l'industrie de l'ammoniac : « L'Europe est un gros importateur d'ammoniac [de Trinité-et-Tobago]… nous pourrions perdre le marché européen si nous ne parvenons pas à décarboniser. »

Anticipant cette situation, NewGen Energy Ltd. a obtenu la certification carbone pour son ammoniac par l'intermédiaire de TÜV Rheinland à un seuil de <1kg CO2/kg H2, ce qui permet d'exporter en toute sécurité l'ammoniac produit pour le marché international à partir de l'hydrogène de NewGen.

Le déclin du gaz naturel et le potentiel de développement économique local

L'investissement de la branche locale d’Hydrogène de France dans le projet NewGen est également un investissement à Trinité-et-Tobago. S'exprimant au nom de HDF, M. Ménage a déclaré qu'il voyait un grand potentiel pour le marché local de l'hydrogène, mais que NewGen « doit être un succès » avant que HDF n'envisage d'autres investissements dans d'autres projets de l'industrie verte à Trinité-et-Tobago.

Les prévisions sont toutefois positives. M. Ménage estime que NewGen offre à Trinité-et-Tobago un avantage concurrentiel mondial en raison de la demande d'hydrogène vert, qui serait bien soutenue par l'histoire du pays en tant qu'économie énergétique et par sa vaste expérience de l'industrie pétrochimique. Un seul « projet réussi », dit-il, démontrera que Trinité-et-Tobago a « la capacité et les compétences ». De son côté, le président de Kenesjay Green, Philip Julien, dans son discours d'ouverture du symposium sur l'hydrogène, a affirmé que c'est dans les Caraïbes que l'hydrogène va changer la donne (et non l'inverse). L'abondance des ressources éoliennes, solaires et géothermiques dans les Caraïbes fait de la région un lieu idéal pour la croissance de la production d'hydrogène.

Une fois que l'installation de production d'hydrogène sera opérationnelle – la date de démarrage est estimée à 2025 – NewGen sera la plus grande et la plus avancée de son genre dans le monde, fonctionnant à pleine capacité en permanence et produisant environ 20 000 tonnes d'hydrogène vert par an, ce qui équivaut à cinq pour cent du déficit de 400 000 habitants de la ville de Point Lisas.

Il s'agit toutefois d'une estimation basse, car certaines des usines du domaine de Point Lisas ne fonctionnent actuellement pas à pleine capacité en raison du manque de gaz naturel. En fait, le New York Times a rapporté que « la production de gaz a diminué de 40 % depuis 2010, obligeant le pays à fermer l'un de ses quatre terminaux d'exportation de gaz naturel liquéfié et trois de ses 18 usines pétrochimiques ». Face à cette situation, M. Ménage a exhorté le gouvernement à examiner toutes les possibilités de décarbonisation de l'industrie énergétique de Trinité-et-Tobago afin de libérer l'utilisation du gaz naturel.

Le rôle du développement durable

À l'issue du Sommet 2023 des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, qui s'est tenu à New York en septembre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a constaté que le monde n'avait atteint que 15 % des ODD à mi-parcours de l'échéance de 2030. En effet, à Trinidad, les ODD ont connu des revers importants. L'indice SDG/Rapport sur le développement durable classe de nombreux ODD du pays dans la catégorie “amélioration modérée” et “défis à relever”, notamment l'objectif 7 (énergie abordable et propre), l'objectif 8 (travail décent et croissance économique) et l'objectif 9 (industrie, innovation et infrastructure).

Conformément aux engagements pris par Trinité-et-Tobago dans le cadre de l'Accord de Paris dans les Contributions déterminées au niveau national (CDN), la nation doit s'engager à réduire de 15 % les gaz à effet de serre provenant des trois principaux secteurs émetteurs (la production d'électricité, les transports et l'industrie) d'ici 2030.

Trinité-et-Tobago représente environ 40 % de l'ensemble des émissions de carbone des Caraïbes. NewGen estime sa contribution à la CDN à 165 000 tonnes métriques de dioxyde de carbone par an dans le secteur industriel. Rointra Hosein, étudiante en maîtrise à l'université de Trinité-et-Tobago, qui a présenté ses recherches lors du symposium, a estimé qu'en remplaçant tout l'hydrogène gris du pays (produit à partir de gaz naturel) par la production d'hydrogène vert, le pays pourrait réduire ses émissions de 2,1 millions de tonnes métriques par an.

Localement, l'hydrogène vert crée une matière première alternative supplémentaire pour soutenir l'approvisionnement réduit en gaz naturel des secteurs en aval de l'ammoniac et du méthanol – une opportunité qui a catalysé le développement de NewGen – mais le potentiel de l'hydrogène propre s'étend bien au-delà. Il peut constituer un carburant alternatif propre pour de nombreuses utilisations finales, notamment l'énergie, les transports et la pétrochimie. Selon Julien, « toutes ces choses dont nous dépendons actuellement à partir de combustibles fossiles peuvent théoriquement être remplacées, reconstituées, améliorées, par une source d'énergie non fossile, l'hydrogène ».

Christianne Zakour est une ancienne boursière de Climate Tracker pour les rapports sur l'énergie dans les Caraïbes.


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