Autoblog de Global Voices (fr)

Ce site n'est pas le site officiel de Global Voices
C'est un blog automatisé qui réplique les articles de fr.globalvoicesonline.org

Réinventer la beauté et l'humour : Marc Dennis explique comment transformer des chefs-d'œuvre en conversations vivantes

Fri, 19 Dec 2025 00:51:43 +0000 - (source)

« Mon credo en tant que peintre a toujours été de frapper l'œil et de séduire l'esprit »

Initialement publié le Global Voices en Français

Marc Dennis, He loves me, he loves me not (The transfiguration of snow white), 2019, oil on linen, 56x74 inches

Marc Dennis, « He Loves Me, He Loves Me Not » (Il m'aime, il ne m'aime pas) (La transfiguration de Blanche-Neige), 2019. Huile sur toile de lin, 142 × 187 cm (56 × 74 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

L'été dernier, lors d'une visite chez un ami à Savannah, en Géorgie, mon attention a immédiatement été attirée par ce qui semblait être l'emblématique Betty de Gerhard Richter, à la différence près que dans cette version, un chat était en train de bondir au milieu de la composition. L'œuvre, réalisée par l'artiste américain Marc Dennis, se distinguait parmi une remarquable collection d'art contemporain par son étrange subtilité et sa provocation discrète.

Cette découverte a éveillé mon intérêt pour le travail de Dennis et a donné lieu au présent entretien, lors de ma rencontre avec cet artiste qui, en célébrant l'acte de voir, nous rappelle que la plus haute vocation de l'art est peut-être d'éveiller l'émerveillement dans le quotidien.

Né en 1974 à Danvers, dans le Massachusetts, Marc Dennis a obtenu une licence en beaux-arts à la Tyler School of Art and Architecture de la Temple University à Philadelphie, puis une maîtrise à l’university of Texas à Austin. Basé à Manhattan, avec un atelier également à Montclair, dans le New Jersey, Dennis s'est forgé une carrière unique qui allie maîtrise classique et esprit contemporain. Ses peintures ont été présentées dans ArtNews, Art in America, Vulture et Whitehot Magazine of ContemporaryArt, entre autres. Dans de précédents interviews, il a expliqué comment ses souvenirs d'enfance, ses voyages et sa fascination précoce pour la nature ont façonné sa vision artistique.

Marc Dennis, “<em>Richter’s Cat</em>,” 2021, oil on linen, 34 x 27 inches [≈ 86 × 68 cm]. Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, Richter’s Cat » (Le chat de Richter), 2021. Huile sur toile de lin, 86 × 68 cm (34 × 27 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

Le travail de Dennis s'inscrit dans le courant de l'hyperréalisme : des peintures à l'huile méticuleusement réalisées qui font référence aux maîtres anciens tout en y insufflant humour, ironie et tension moderne. Dans son art, l'humour sert à la fois de critique et de charme ; des animaux, des fleurs et des gestes espiègles, comme un chat bondissant sur un Caravage, insufflent une vitalité nouvelle aux icônes solennelles de l'histoire de l'art.

Les peintures de Dennis sont accessibles tout en étant intimes, invitant les spectateurs à un dialogue entre maîtrise et joie. Dans un monde de l'art contemporain souvent éloigné des émotions du public, son appréciation de la vie, de la nature, des animaux et du rire donne naissance à des œuvres à la fois sophistiquées et profondément humaines. En fusionnant des chefs-d'œuvre avec de nouveaux éléments fantaisistes, il donne au public une raison de faire une pause, de sourire et de réimaginer ce que l'histoire de l'art peut signifier aujourd'hui.

Dans cet entretien avec Global Voices, Dennis revient sur sa dernière exposition, l'évolution de sa série Flower, son approche de l'hyperréalisme et de l'humour, la manière dont l'actualité influence sa créativité, ainsi que sa réflexion sur le succès et le rôle de l'art à l'ère de l'IA.

Ci-dessous, extrait de l'interview

Marc Dennis, "<em>Three Jews Walk Into a Bar,</em>” 2023, oil on linen, 80 x 60 inches [≈ 203 × 152 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, « Three Jews Walk Into a Bar » (Trois Juifs entrent dans un bar), 2023. Huile sur toile de lin, 203 × 152 cm (80 x 60 pouces), photo gracieusement fournie par l'artiste.

Omid Memarian (OM) : Jerry Saltz a écrit que dans « Three Jews Walk Into a Bar » (Trois juifs entrent dans un bar), vos personnages hassidiques « envahissent le tableau… comme s'ils ne regardaient pas le passé, mais l'avenir ». Quelle est votre philosophie lorsque vous reprenez des œuvres célèbres telles que « Un bar aux Folies Bergère » de Manet, et quel dialogue espérez-vous susciter entre vos peintures, l'histoire de l'art occidental et les questions d'identité ?

Marc Dennis (MD) : En tant qu'artiste, j'ai presque toujours eu pour intention de créer un espace dans la peinture où les spectateurs puissent s'intégrer, afin qu'ils ne se contentent pas de regarder l'œuvre, mais qu'ils participent activement à l'expérience, en quelque sorte. J'appelle cela le « premier plan invisible ». Quant au canon de l'art occidental, mon travail intègre les maîtres anciens dans des décors contemporains afin de détailler la relation entre l'art classique et l'environnement et le climat dans lesquels nous vivons aujourd'hui. Mon intention générale est de repenser le passé et le présent ensemble afin de créer quelque chose de nouveau.

Marc Dennis, "Three Jews Walk Into a Bar,” 2023, oil on linen, 60 x 58 inches [152 × 147 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, « Three Jews Walk Into a Bar » (Trois Juifs entrent dans un bar), 2023. Huile sur toile de lin, 152 × 147 cm (60 × 58 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : Votre enfance, vos voyages et vos expériences de vie ont certainement façonné votre sensibilité visuelle et les histoires que vous racontez. 

MD : Mes souvenirs d'enfance, tout comme ceux que je fabrique avec mes enfants (aujourd'hui adolescents), sont essentiels à mon développement continu en tant qu'artiste. Je m'appuie beaucoup sur mes souvenirs, car ils font partie intégrante de ma personnalité. Je me souviens d'une multitude de leçons et d'expériences vécues à l'école d'art, de mon intérêt intense et passionné pour les maîtres anciens alors que la plupart de mes camarades de classe ne s'intéressaient qu'à l'art contemporain, à mes expériences avec une grande variété de médiums, qui m'ont finalement conduit à la peinture à l'huile et aux méthodes des maîtres anciens.

J'ai également vécu à Rome dans le cadre d'un programme à l'étranger organisé par la Tyler School of Art de la Temple University, et j'ai été époustouflé par toutes ces œuvres qui m'ont marqué visuellement et séduit intellectuellement. Cette expérience m'a poussé à comprendre non seulement les techniques picturales du Caravage, de Raphaël et du Titien (lors de mon séjour d'un mois à Venise), mais aussi comment interpréter un récit ancien pour en tirer des concepts nouveaux.

Marc, Dennis, “This Must Be the Placer,” 2025, oil on linen, 51.75 x 41 inches [≈ 131 × 104 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc, Dennis, « This Must Be the Place » (Ce doit être ici), 2025. Huile sur toile de lin, 131 × 104 cm (51,75 × 41 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : L'hyperréalisme exige une précision, un contrôle et une attention aux détails étonnants. Pourquoi avez-vous choisi cette technique plutôt que d'autres (abstraction, expressionnisme, etc.) ?

MD : Depuis mon enfance, j'ai toujours été fasciné par les animaux, les arbres, les plantes, les fleurs, etc., en gros par toutes les formes de la nature. Je voulais dessiner beaucoup de choses, des lézards et des crapauds aux plantes et aux fleurs, en passant par les tamias et les zèbres, et mon objectif était de les représenter de la manière la plus authentique et réaliste possible afin que les spectateurs puissent immédiatement reconnaître et s'identifier à mon sujet. J'ai beaucoup travaillé sur les formes, les valeurs, les tons, etc., afin de capturer tout ce que je voyais, ce qui m'a naturellement conduit à l'hyperréalisme comme style permettant d'exprimer avec précision la beauté de la nature dans mon travail. Il est toujours important pour moi de bien rendre les choses avant de prendre des libertés. Après tout, je ne suis pas un photoréaliste et je ne me fie pas entièrement aux photographies comme référence ou source d'inspiration. Pour moi, il est très important de prendre des libertés créatives et de repousser les limites.

OM : Plus précisément, pour la série « Three Jews Walk Into a Bar » (Trois Juifs entrent dans un bar), quelle était votre idée derrière la juxtaposition de personnages hassidiques avec « Un bar aux Folies-Bergères » de Manet? Comment avez-vous conçu les compositions ? Comment voyez-vous la tension entre les codes rituels/religieux des personnages hassidiques et la modernité laïque représentée par Manet, et quelles réactions espérez-vous susciter ?

MD : Je fais des recherches et j'enseigne sur l'Holocauste depuis plus de 20 ans, en me concentrant sur les œuvres d'art réalisées par les prisonniers dans les camps de concentration nazis. Au cours de mes recherches, j'ai découvert l'humour juif, qui existait avant la Seconde Guerre mondiale et après l'Holocauste, lorsque de nombreux Juifs sont venus en Amérique et ont fait carrière comme humoristes ou comédiens à Hollywood. L'humour est ancré dans notre ADN. Et pour être honnête, je pense que je peux moi aussi être drôle, enfin, parfois, c'est sûr ! Je voulais créer une œuvre qui soit, à tous égards, une plongée profonde dans mon ascendance et mon arbre généalogique, et l'humour en est une partie importante.

Je pensais que le postulat ou l'infrastructure de mon idée serait la plus vieille blague du monde : un rabbin, un prêtre et un moine bouddhiste entrent dans un bar… ou un rabbin, un pasteur et un imam entrent dans un bar… ou, enfin, vous voyez l'idée : trois personnes, quelles qu'elles soient, entrent dans un bar. J'ai choisi trois Juifs, car l'œuvre parle de moi, et j'ai choisi le tableau le plus célèbre représentant un bar comme décor ! C'est de l'or comique ! « De l'or, Jerry, de l'or ! » (citation célèbre de la série Seinfeld ( NDT)). Vous voyez ce que je veux dire ? Je dirais que cette série intitulée « Trois Juifs entrent dans un bar » est « plutôt, plutôt, plutôt bonne ». Si vous voyez ce que je veux dire, encore une fois.

Marc Dennis, “Giotto’s Fy,” 2024, oil on linen, 72 x 96 inches

Marc Dennis, « Giotto’s Fly » (Oiseaux et papillons de Giotto), 2024, huile sur toile de lin, 182,88 × 243,84 cm. Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : Jerry Saltz commente l'exposition : « une blague, d'accord. Mais est-ce drôle ? » Il affirme également qu'il n'aime pas nécessairement les peintures, mais qu'il ne peut s'empêcher d'y penser. Quelle est votre réaction face à une telle ambivalence dans la critique ? Comment gérez-vous les éloges, les critiques ou les réactions mitigées, principalement lorsqu'elles portent sur les dimensions esthétiques par opposition aux dimensions idéologiques ?

MD : Je respecte tous les commentaires ; après tout, aucun artiste ne peut contrôler les réactions à son œuvre, mais simplement guider ou suggérer une réponse spécifique — et même cela est difficile. Mon travail est largement ouvert à l'interprétation, et la réaction de Jerry était authentique et sincère. C'est un mensch, comme moi, et il n'a pas besoin d'« aimer » l'oeuvre ; le fait qu'il admette qu'il ne peut s'empêcher d'y penser est vraiment génial et, indirectement, un éloge — une façon très juive de voir les choses, d'ailleurs. Pour répondre à votre question de manière plus générale, j’aime les compliments et j'apprécie tous ceux qui prennent le temps de s'arrêter devant ma peinture. De manière générale, comme nous l’avons appris en grandissant, de nos parents ou de nos grands-parents… si vous n'avez rien de gentil à dire, ne dites rien du tout. Passez simplement à autre chose.

OM : Compte tenu de l'actualité sociale, politique, religieuse et culturelle, y a-t-il quelque chose qui influence directement votre travail en ce moment ? Comment voyez-vous votre processus créatif réagir ou résister à ces événements ?

MD : Nous vivons une époque de plus en plus controversée, et en tant qu'artiste juif, il est important pour moi de représenter non seulement mon héritage, mais aussi ma compréhension contemporaine du judaïsme, car ce n'est pas quelque chose que je vois reflété. En ce qui concerne le changement climatique, un sujet auquel je pense beaucoup, certaines de mes œuvres abordent la destruction progressive de notre belle planète. Je ne sais pas toujours ce qui va ressortir de mon travail, remarquez. Souvent, la plupart du temps, les gens voient des choses qui ne m'ont pas effleuré l'esprit, et c'est un élément très important et amusant dans les réactions à mon art. J'adore entendre ce que les autres voient et ressentent dans mon oeuvre.

Marc Dennis, “Ever After,” 2025, oil on linen, 50.75 x 41.75 inches [≈ 128 × 106 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, « Ever After » (pour toujours), 2025. Huile sur toile de lin, 128 × 106 cm (50,75 × 41,75 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : Que signifie pour vous, en tant qu'artiste, « réussir » ? Est-ce la visibilité, la reconnaissance, la récompense financière ou quelque chose de plus profond ? Et dans votre cas, après « deux décennies en marge du monde de l'art », pour citer un critique, comment votre conception du succès a-t-elle évolué ?

MD : Pour moi, le succès a toujours été relatif, à chaque étape de ma carrière, même lorsque j'étais enfant et que je dessinais des oiseaux et des lézards au bord de ma piscine pendant les quatre années que j'ai passées à Porto Rico. Si j'avais un objectif en tête, je le poursuivais et faisais de mon mieux pour l'atteindre. Dans ma vie, j'ai créé beaucoup d'œuvres d'art qui n'ont pas connu le succès. J'ai également créé beaucoup d'œuvres d'art qui ont connu le succès, et je suis aujourd'hui la même personne que lorsque j'étais enfant. Je fais de mon mieux dans le temps qui m'est imparti et j'ai le sentiment que je n'ai pas encore réalisé ma meilleure œuvre. J'aborde chaque peinture avec la détermination de la rendre meilleure que la précédente. Jusqu’ici, tout va bien.

OM : La question de l'IA dans l’art est de plus en plus d’actualité. Comment voyez-vous les progrès de l'IA (dans la génération d'images, dans les outils qui simulent le style ou la composition) influencer les artistes qui travaillent avec l'hyperréalisme, l'artisanat et une technique magistrale ?

MD : Ma réponse à cette question est simple, et je n'y ai pas beaucoup réfléchi, mais je suis presque certain, étant donné ce que je sais des maîtres anciens, que si Léonard de Vinci, le Caravage et Vermeer étaient encore en vie aujourd'hui, ils utiliseraient l'IA. Et si je ne me trompe pas, Vermeer et Léonard de Vinci avaient en fait plus de 300 croquis dans leurs archives sur la façon de construire une camera obscura. En résumé, la technologie a toujours été adoptée par les créatifs ! Donc voilà.

Marc Dennis, “In Our World,” 2024, oil on linen, 52 x 38 inches [≈ 132 × 96 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, « In Our World » (Notre monde), 2024. Huile sur toile de lin, 132 × 96 cm (52 x 38 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : Parmi vos œuvres les plus célèbres, on trouve vos natures mortes hyperréalistes, vos bouquets de fleurs et vos œuvres plus figuratives/portraits. Pouvez-vous choisir quelques-unes de vos œuvres préférées (passées ou présentes) et nous dire ce qui les rend spéciales à vos yeux ?

MD : Ah ! Question intéressante ! C’est comme si on me demandait quel est mon enfant préféré ; j'aime tous mes enfants de la même façon, mais certaines de mes œuvres me touchent différemment. Dans l'ensemble, mes œuvres préférées sont celles que je crée dans mon atelier, qui reprennent mes thèmes classiques de natures mortes, de bouquets floraux et de références à l'histoire de l'art d'une manière fraîche et passionnante. Ces nouvelles œuvres pourront être admirées lors des prochains salons : Art Basel Miami Beach et Untitled à South Beach, Miami, en décembre 2025, et Art Singapore en janvier 2026. En parlant de 2026, mes dernières œuvres feront également partie de deux expositions individuelles à venir : Anat Ebgi Gallery à Los Angeles, dont l'ouverture est prévue en février 2026 pour coïncider avec Frieze, LA, et Harper's Gallery, New York, dont l'ouverture est prévue la première semaine de septembre 2026 pour coïncider avec The Armory Show à New York. Notez bien ces dates.

Marc Dennis, "Where the Sun Hits the Water", 2021, oil on linen, 60x57 inches [≈ 152 × 144 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, « Where the Sun Hits the Water » (Là où le soleil touche l'eau), 2021. Huile sur toile de lin, 152 × 144 cm (60 × 57 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : Le portrait incarne depuis longtemps à la fois la beauté et le pouvoir. Dans vos portraits, comment équilibrez-vous ou créez-vous une tension entre ces deux notions ? Comment la beauté sert-elle le pouvoir, ou comment le pouvoir subvertit-il la beauté ? 

MD : Mon credo en tant que peintre a toujours été de frapper l'œil et de séduire l'esprit. Je ne réfléchis pas trop à la beauté et au pouvoir ; je fais confiance à mon instinct. Les découvertes médicales concernant les biosphères intestinales et l'idée que l'intestin possède son propre cerveau ou esprit sont valides, du moins à mon avis. C'était censé être drôle, mais c'est en grande partie vrai, car je me fie beaucoup à mon instinct pour guider ma production créative.

OM : Votre série Flower (Fleur) est saisissante par sa luxuriance et son charme presque hypnotique. Qu'est-ce qui vous attire vers les fleurs en tant que sujet ? 

MD : L'universalité des fleurs en tant que lien avec les moments importants de la vie humaine m'intéresse depuis toujours, depuis la première fois où j'ai épinglé une fleur sur la robe de ma cavalière de prom, jusqu’aux fleurs lors de mariages, funérailles, bar-mitsvahs, baptêmes, Saint-Valentin, naissances, décès, etc. — la liste est infinie. En tant qu'artiste qui fréquente les musées depuis mes études d'art, j'ai toujours été attiré par les peintures de « Memento Mori » et « Vanitas », et cet intérêt ne fait que croître. Du fond du cœur, je crois que le monde a besoin de plus de fleurs.

Marc Dennis, "Caravaggio's Cat,” 2021, oil on linen, 32 x 34 inches [≈ 81 × 86 cm], Picture courtesy of the artist.

Marc Dennis, « Caravaggio's Cat » (Le chat du Caravage), 2021. Huile sur toile de lin, 81 × 86 cm (32 x 34 pouces). Photo gracieusement fournie par l'artiste.

OM : Dans l'une de vos œuvres détournées les plus connues, vous avez peint un chat bondissant sur le tableau du Caravage intitulé « Corbeille de fruits ». Quelle était l'idée derrière ce geste de perturbation ludique ? Que pensez-vous qu'il se passe lorsque vous ajoutez de l'humour, de l'ironie ou même une touche de chaos dans la conversation avec des chefs-d'œuvre canoniques ?

MD : Encore une fois, je peux être drôle, et j'insuffle souvent mon sens de l'humour dans mes peintures, ou comme d'autres le diraient, mon sens du sarcasme, de l'esprit ou de l'ironie. Quoi qu'il en soit, j'aime mon sens de l'humour et j'aime le laisser s'exprimer de temps en temps. Pour cette peinture en particulier, j'ai imaginé un chat qui gênait le Caravage pendant qu'il travaillait, probablement dans un sous-sol, et qui, tombant sur lui, a décidé de faire ce que font les chats. Le résultat a été ma peinture du chat qui saute.

C'est un instant fugace qui fait sourire. Quelque chose de très important pour moi en tant qu'être humain. Il n'y a pas de force plus grande que l'amour, qui s'accompagne toujours de sourires et de rires.


Reconstruire Gaza : un défi pour le climat

Fri, 19 Dec 2025 00:42:53 +0000 - (source)

Rendre Gaza à nouveau habitable nécessitera un effort mondial d’une ampleur sans précédent

Initialement publié le Global Voices en Français

Destruction à Gaza. Des gens marchent vers des bâtiments.

Destruction à Gaza. Photo de Jaber Jehad Badwan sur Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers de pages Web en anglais]

Par Masum Mahbub

Un cessez-le-feu a enfin été signé [fr]. Les organisations humanitaires intensifient [fr] leurs opérations pour venir en aide aux familles confrontées à la famine, après près de deux années de bombardements et de blocus incessants. Le monde tourne désormais son attention vers la reconstruction [fr].

Mais la destruction de Gaza n’est pas seulement une tragédie humanitaire. Elle a déclenché l’une des catastrophes environnementales les plus graves du XXIᵉ siècle. Deux années de bombardements ininterrompus ont rasé des quartiers, empoisonné les sols et contaminé l’eau et l’air. Alors que le monde se prépare à reconstruire, il est essentiel de comprendre que le défi à venir n’est pas seulement humanitaire ou politique.

En tant que dirigeant d’une organisation qui œuvre depuis des décennies dans l’aide humanitaire d’urgence et la lutte contre le changement climatique, j’ai vu comment la dégradation de l’environnement peut briser une communauté. Cependant, ce que nous observons à Gaza est tout autre. Il ne s’agit pas simplement de dommages collatéraux : c’est la destruction délibérée et systématique d’un environnement tout entier.

Il s’agit d’un écocide, utilisé comme arme pour rendre la terre inhabitable et condamner toute possibilité future de société palestinienne autosuffisante.

Destruction systématique

Au cours de la dernière décennie, les Palestiniens de Gaza avaient accompli des progrès remarquables en matière de résilience climatique, et ce malgré un blocus étouffant. La ville avait développé l’une des plus grandes concentrations de panneaux solaires en toiture au monde, une solution communautaire à une crise énergétique fabriquée de toutes pièces. Ils développaient des plans pour gérer la rareté de l’eau et s’adapter au réchauffement climatique. Ces efforts témoignaient de leur persévérance, mais la campagne militaire israélienne a systématiquement effacé ces avancées.

Il ne s’agit pas d’actes de guerre aléatoires. L’anéantissement de près de 70 % des terres agricoles de Gaza, le déracinement d’oliveraies ancestrales, la destruction des conduites d’eau et l’élimination des cinq stations d’épuration sont autant de coups calculés portés aux fondements mêmes de la vie.

Lorsque les forces israéliennes pompent de l’eau de mer dans les tunnels souterrains, elles risquent d’empoisonner de manière permanente l’unique aquifère significatif de Gaza, principale source d’eau potable pour plus de deux millions de personnes. Lorsque les bombes détruisent les panneaux solaires installés sur les toits, elles coupent une source vitale d’électricité indépendante pour les foyers et les hôpitaux.

Un événement carbone monumental

Le coût environnemental dépasse largement les frontières de Gaza, créant une « empreinte carbone militaire » aux conséquences mondiales. Rien que durant les 60 premiers jours, le conflit a généré quelques 281 000 tonnes de CO₂, soit plus que l’empreinte annuelle combinée de plus de 20 des pays les plus exposés au dérèglement climatique.

Plus de 99 % de ces émissions proviennent des opérations aériennes et terrestres d’Israël. Et la facture climatique, elle, continuera de s’alourdir bien après la dernière explosion.

La reconstruction de Gaza s’annonce comme un événement carbone monumental. Rebâtir les quelque 100 000 bâtiments détruits pourrait libérer 30 millions de tonnes de CO₂ supplémentaires, soit l’équivalent des émissions annuelles d’un pays comme la Nouvelle-Zélande.

La famine qui se déroule à Gaza est une conséquence directe de cette guerre environnementale. Elle n’est pas qu’un effet secondaire du conflit : c’est un outil. Détruire les exploitations agricoles, anéantir 70 % de la flotte de pêche [fr], et contaminer les ressources en eau avec 130 000 m³ d’eaux usées non traitées par jour, c’est créer la famine. Lorsque l’on recouvre le territoire de 37 millions de tonnes de décombres toxiques et d’engins non explosés, la terre elle-même devient une menace pour ses habitants. L’air est saturé de béton pulvérisé, d’amiante et de métaux lourds. Avec des dizaines de milliers de corps en décomposition sous les décombres, les agents pathogènes continueront de s’infiltrer dans les sols et les nappes phréatiques pendant des années.

Comment rendre Gaza de nouveau habitable ?

Le coût de la reconstruction de Gaza est inédit. Il ne se limite pas à la pose de briques et de béton. Comment décontaminer un aquifère entier ? Comment restaurer une terre arable systématiquement rasée et empoisonnée au phosphore blanc ? Comment déblayer des millions de tonnes de débris saturés de substances cancérigènes ?

Rendre Gaza à nouveau vivable exigera un effort mondial d’une ampleur sans précédent, axé non seulement sur les infrastructures mais aussi sur une véritable restauration écologique en profondeur.

Reconstruire Gaza mettra à l’épreuve notre compassion, et notre conscience collective. Le cessez-le-feu a pu faire taire les bombes, mais il n’a pas mis fin aux dégâts infligés à la terre, à l’eau ou à l’atmosphère que nous partageons tous. Ce qui se passera ensuite montrera si le monde a tiré la moindre leçon de cette catastrophe.

Nous pouvons reconstruire des murs et des routes, ou nous pouvons reconstruire de manière responsable, en soignant l’environnement de Gaza et en tenant pour responsables ceux qui ont commis cet écocide et ce génocide.

Masum Mahbub est le directeur général de Human Concern USA

Que signifie le journalisme de paix pour les journalistes en Afrique de l’Est ?

Fri, 19 Dec 2025 00:38:12 +0000 - (source)

 Dans toute société, la première responsabilité du journalisme est d’informer, et non de prendre part à des négociations politiques complexes 

Initialement publié le Global Voices en Français

Un homme assis dans l'herbe prend une photo à Kampala, en Ouganda. Photo de Morriz 95. Libre d'utilisation via Pexels.

Cet article rédigé par Meagan Doll a été publié pour la première fois par Peace News Network le 8 septembre 2025. Une version révisée est reproduite par Global Voices dans le cadre d’un accord de partenariat médiatique.

Face aux nombreux conflits prolongés dans le monde — comme au Soudan du Sud, en Ukraine ou à Gaza — la couverture médiatique des crises reste une préoccupation majeure pour les professionnels de l’information et les acteurs du maintien de la paix. Le journalisme est depuis longtemps reconnu pour sa capacité à dévoiler des vérités cachées, à responsabiliser les détenteurs du pouvoir et à raconter des histoires d’intérêt public. Pourtant, malgré ces atouts, les recherches sur le rôle des médias en période de conflit présentent un constat moins positif. Elles montrent en grande partie que ce type de couverture tend à attiser les tensions et à verser dans le sensationnalisme, alimentant parfois le cynisme et les attitudes négatives envers les groupes marginalisés.

Certains ont proposé le journalisme de paix comme approche alternative de reportage. Développé par le sociologue et chercheur en paix norvégien Johan Galtung, le journalisme de paix met l’accent sur les causes structurelles des conflits, les interactions entre multiples parties et les possibilités de construction de la paix, notamment grâce à une attention minutieuse portée au choix des mots et aux cadres narratifs adoptés. Bien entendu, ces principes ne sont généralement ni enseignés de manière uniforme dans les formations en journalisme, ni systématiquement acquis sur le terrain.

Plutôt, les principes du journalisme de paix sont souvent transmis aux professionnels des médias par le biais de formations ou d’ateliers spécialisés, dont un grand nombre sont organisés en Afrique de l’Est et au-delà. Mais que retirent réellement les journalistes qui participent à ces formations, et quelles en sont les implications pour la couverture des conflits ?

Ce que le journalisme de paix signifie pour les journalistes de paix en Afrique de l’Est

En Afrique de l’Est, la signification du journalisme de paix pour les journalistes de paix varie selon les contextes. Une étude basée sur des entretiens avec des praticiens ayant suivi des formations en journalisme de paix au Kenya, au Rwanda, au Soudan du Sud et en Ouganda a montré que ces journalistes percevaient le journalisme de paix de deux manières principales : soit comme un reportage centré sur les communautés affectées par le conflit, soit comme une analyse axée sur les politiques visant à résoudre ce conflit. Ces perceptions étaient étroitement liées à la stabilité de leur situation professionnelle. Ainsi, les journalistes débutants ou ceux exerçant dans des zones isolées et peu dotées en ressources privilégiaient une approche mettant l’accent sur les victimes de la violence et sur la promotion de la réconciliation. En revanche, les professionnels expérimentés et ceux travaillant au sein d’organisations médiatiques mieux dotées en moyens concentraient leurs reportages sur des recommandations politiques destinées à des publics d’élite, incluant souvent des interventions de tiers.

Perceptions du journalisme de paix

Que signifient ces différentes perceptions du journalisme de paix pour le reportage sur les conflits et le maintien de la paix ?

Tout d’abord, il convient de souligner que le journalisme de paix comprend plus d’une dizaine de pratiques largement reconnues, et que des interprétations variées doivent être reconnues, voire anticipées. Les reportages mettant en avant des solutions politiques et ceux centrés sur l’impact au niveau des communautés contribuent tous deux à la narration propre au journalisme de paix, sans que l’un soit nécessairement supérieur à l’autre. Ces différentes compréhensions mettent plutôt en évidence la nécessité de formations et de lignes directrices tenant compte des contraintes professionnelles des journalistes.

Les ateliers de reportage sur les conflits les plus appropriés ou efficaces devraient, par exemple, adapter leur contenu au type de poste occupé par les professionnels des médias, en tenant compte des réalités spécifiques de leur travail. Cela pourrait inclure, par exemple, des ateliers de journalisme de paix destinés aux superviseurs chargés principalement de l’encadrement du travail des autres, tandis que les journalistes sur le terrain bénéficieraient davantage d’outils concrets liés au journalisme de paix, tels que des guides de sécurité ou des formations à l’entretien. Ces considérations peuvent également être étendues aux identités sociales et culturelles des journalistes, certaines pratiques pouvant revêtir de nouvelles significations ou poser des défis particuliers pour les femmes ou dans certains environnements religieux.

Implications plus larges pour le maintien de la paix

En ce qui concerne les implications plus larges pour le maintien de la paix, la diversité des compréhensions du journalisme de paix parmi les journalistes souligne une vérité fondamentale dans les études sur la paix et la gestion des conflits : le journalisme n’est qu’un élément du puzzle.

Pour parvenir à une paix durable et transformative, les acteurs de nombreux secteurs doivent s’engager en faveur de la non-violence et de la justice. Certains ont critiqué le journalisme de paix en partant de l’idée erronée que les médias devraient, à eux seuls, gérer les conflits. La diversité des perceptions et des pratiques des journalistes en matière de journalisme de paix rappelle qu’il ne s’agit pas d’une solution miracle capable, à elle seule, d’instaurer la paix ou de mettre fin aux conflits.

La première responsabilité du journalisme dans toute société est d’informer — et non de participer à des négociations politiques complexes ou d’élaborer des plans de paix — même si la manière dont les professionnels des médias traitent ces sujets peut indéniablement influencer la perception qu’a le public de leur importance et de leur faisabilité.

La diversité des perceptions et des expériences que les journalistes apportent au reportage sur les conflits ne doit pas être perçue comme un obstacle à un journalisme de paix complet et éthique. Au contraire, ces perspectives constituent un atout pour présenter les faits sous différents angles et points de vue, contribuant ainsi à soutenir les forces de maintien de la paix, les responsables publics et les organisations multilatérales dans l’élaboration de solutions créatives en matière de résolution des conflits.

À l’extrême, pour autant de journalistes couvrant un conflit donné, autant d’histoires et de cadrages uniques peuvent être produits, permettant ainsi d’éviter les pièges courants du journalisme de guerre traditionnel. En réalité, très peu de conflits ont été résolus grâce à des solutions uniques et miracles ; cette diversité de perceptions et de compréhensions pourrait donc s’avérer essentielle pour résoudre des conflits qui semblent par ailleurs insolubles à travers le monde.


L’IA à l’épreuve de l’inclusion : quelle place pour la communauté LGBTQ+ ?

Fri, 19 Dec 2025 00:30:14 +0000 - (source)

Une grande partie des informations auxquelles les modèles ont accès concernant la communauté LGBTQ+ est façonnée par des stéréotypes.

Initialement publié le Global Voices en Français

Au fil des années, l’intelligence artificielle (IA) semble s’imposer toujours davantage dans notre quotidien. À travers le monde, les populations se familiarisent progressivement avec les rouages de cette innovation et commencent à en percevoir les bénéfices potentiels. Une enquête mondiale récente menée par l’institut d’études de marché Ipsos révèle ainsi que 55 % des personnes interrogées estiment que les solutions reposant sur l’IA présentent davantage d’avantages que d’inconvénients. De tels résultats montrent clairement que, malgré les inquiétudes qu’elle suscite, cette technologie continue de fasciner le grand public. Les entreprises ne s’y sont pas trompées, mettant en avant l’efficacité et la facilité d’utilisation de leurs produits pour séduire les consommateurs. Et au regard de l’essor spectaculaire des investissements privés dans l’IA au cours de la dernière décennie, tout porte à croire que ce discours a trouvé un écho favorable.

Cependant, tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. Les membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et queer+ (LGBTQ+) se montrent notamment plus attentifs aux dérives associées à l’intelligence artificielle. Nombre de ces problématiques trouvent leur origine dans les données utilisées pour entraîner les modèles, souvent imprégnées de stéréotypes et d’idées reçues sur les personnes LGBTQ+. Mais les effets « hors ligne » de l’IA se révèlent tout aussi préoccupants. L’intégration de ces technologies dans des systèmes spécifiquement conçus pour identifier et surveiller les membres de la communauté suscite, par exemple, de vives inquiétudes. De la conception à la mise en œuvre, ces enjeux illustrent la manière dont les outils dopés à l’IA s’avèrent bien souvent plus nuisibles que bénéfiques pour les personnes LGBTQ+. En l’absence de garde-fous stricts encadrant l’usage de ces technologies, beaucoup risquent de les percevoir comme bien plus dangereuses qu’utiles.

La numérisation des stéréotypes existants

Pour comprendre comment l’intelligence artificielle peut nuire aux personnes LGBTQ+, il faut d’abord s’intéresser aux données sur lesquelles les modèles sont entraînés. Le média Wired a ainsi mis en lumière le fait que, lorsqu’on leur demande de représenter des membres de cette communauté, des outils populaires de génération d’images produisent des résultats réducteurs. À titre d’exemple, Midjourney dépeint régulièrement les femmes lesbiennes comme des figures austères, couvertes de tatouages. Ces représentations simplistes (et souvent offensantes) trouvent en grande partie leur origine dans les données collectées sur Internet. Une grande partie des informations accessibles aux modèles concernant la communauté LGBTQ+ est en effet imprégnée de stéréotypes. Dès lors, des solutions comme Midjourney ont de fortes chances de reproduire, voire d’amplifier, ces biais dans leurs productions visuelles. Si certaines pistes, comme une meilleure labellisation des données, peuvent améliorer la précision des modèles, elles risquent toutefois de se heurter à un obstacle de taille : l’ampleur considérable des contenus stigmatisants et dénigrants disponibles en ligne.

Les représentations biaisées de la communauté LGBTQ+ produites par les modèles d’IA ne constituent pas un phénomène isolé. Bien au contraire, de nombreux outils d’intelligence artificielle aujourd’hui dominant sur le marché génèrent des contenus défavorables à ce groupe. Dans un rapport consacré à l’analyse des postulats qui sous-tendent les grands modèles de langage (LLM), l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a mis en évidence l’influence marquée de normes hétéronormatives sur des outils largement utilisés, tels que Llama 2 de Meta ou GPT-2 d’OpenAI. Selon cette étude, ces modèles ont produit des contenus négatifs à l’égard des personnes homosexuelles dans plus de la moitié des simulations menées. Les conclusions de l’UNESCO ne se contentent pas de souligner l’homophobie omniprésente dans les données d’entraînement des principales solutions d’IA générative : elles révèlent également l’incapacité des grands développeurs à apporter des réponses efficaces à un problème aussi profond que systémique.

L'essor des technologies de surveillance

Les préjudices que l’intelligence artificielle peut infliger aux personnes LGBTQ+ ne se limitent pas au seul espace numérique. Des systèmes d’IA prétendant détecter le genre des individus dans les lieux publics suscitent ainsi de vives inquiétudes. L’association belge Forbidden Colours, engagée dans la défense des droits LGBTQ+, a mis en lumière les implications alarmantes des outils dits de « reconnaissance automatique du genre » (Automatic Gender Recognition, AGR). Ces solutions analysent des contenus audiovisuels (notamment des images issues de caméras de surveillance) afin de déterminer le genre d’une personne à partir d’éléments tels que les traits du visage ou les caractéristiques vocales. Présentés comme des technologies de pointe, ces dispositifs posent pourtant des problèmes fondamentaux. Comme le souligne l’organisation, il est impossible de déterminer la manière dont une personne comprend ou vit son genre en se fondant uniquement sur son apparence ou sa façon de s’exprimer. Concevoir des outils qui classent les individus selon ces critères arbitraires relève ainsi, au mieux, d’une approche erronée et, au pire, d’une dérive dangereuse.

Malgré ces lacunes manifestes, les systèmes de reconnaissance automatique du genre (AGR) comptent des défenseurs particulièrement virulents. Ce sont notamment des gouvernements ouvertement hostiles à la communauté LGBTQ+ qui ont choisi d’y recourir, justifiant souvent leur décision au nom de la sécurité publique. À ce titre, Politico Europe a rapporté que le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a autorisé l’utilisation de dispositifs biométriques reposant sur l’IA lors des événements Pride organisés dans le pays. Le dirigeant d’extrême droite a affirmé que ces mesures visaient à protéger les enfants de ce qu’il qualifie « d’agenda LGBTQ+ ». En pratique, cette décision offre surtout au gouvernement et aux forces de l’ordre les moyens de surveiller artistes, militants et simples citoyens participant à ces rassemblements. Si cette politique fait actuellement l’objet d’un examen par plusieurs institutions de l’Union européenne, sa mise en œuvre constitue d’ores et déjà un rappel saisissant de la manière dont l’intelligence artificielle peut être instrumentalisée pour intimider les figures LGBTQ+ engagées dans des dynamiques de mobilisation et de changement.

Pour un nouveau cadre technologique

Pour les membres de la communauté LGBTQ+, les compromis liés à l’intelligence artificielle sont particulièrement lourds. Si cette technologie innovante peut constituer un progrès global pour une large partie de la population, elle soulève des enjeux spécifiques susceptibles d’affecter de manière disproportionnée les personnes queers. Des outils courants, tels que les générateurs d’images et de textes, ont ainsi été identifiés comme véhiculant (et recyclant) des stéréotypes préjudiciables sur les réalités LGBTQ+, difficiles à éradiquer totalement. Au-delà de l’espace numérique, le déploiement de l’IA dans le monde « hors ligne » fait également peser des risques majeurs. Son intégration dans des dispositifs de surveillance, souvent avec pour objectif explicite d’assigner un genre aux personnes prises dans ces filets technologiques, constitue une atteinte directe à la vie privée. Pris dans leur ensemble, ces exemples montrent que nombre de solutions d’IA qui ont transformé notre quotidien n’ont tout simplement pas été conçues en tenant compte de l’ensemble des individus.

Face à cette dynamique préoccupante, les responsables de tous les secteurs doivent agir pour inverser la tendance. Cela passe d’abord par la mise en place de partenariats étroits entre les développeurs et les parties prenantes issues de la communauté LGBTQ+. Une collaboration constructive permettrait de s’assurer que les données utilisées pour entraîner les modèles d’IA reflètent plus fidèlement les réalités vécues par les personnes queer. Elle devrait également s’accompagner de garde-fous solides afin d’empêcher l’utilisation abusive de l’IA à des fins de surveillance ciblant cette communauté. Les systèmes intégrant des capacités de détection du genre devraient, à ce titre, être strictement interdits, dans la mesure où ils portent atteinte au droit fondamental à la vie privée. Enfin, il est essentiel que les personnes LGBTQ+ soient consultées à toutes les étapes du cycle de développement des outils, de la conception au déploiement. Une telle coopération contribuerait non seulement à réduire les multiples risques associés à l’IA, mais aussi à renforcer la probabilité que cette technologie soit perçue, par les membres de la communauté, comme une véritable valeur ajoutée plutôt que comme une menace.


Guadeloupe : la créativité au service du zéro déchet

Fri, 19 Dec 2025 00:20:03 +0000 - (source)

Pour certain(e)s Guadeloupéen(ne)s, l’acte de création est aussi un acte de résistance écologique

Initialement publié le Global Voices en Français

L'Admérane, a space in Guadeloupe that transforms waste into creative material.

L’Admérane, en Guadeloupe, transforme les déchets en matériaux créatifs. Photo d'Olivia Lobar, utilisée avec autorisation.

Grâce à des initiatives citoyennes, un engagement artistique et des politiques publiques, la Guadeloupe se réinvente et transforme les déchets en ressources. Qu’il s’agisse d’ateliers de couture ou de festivals éco-responsables, l’archipel tout entier se mobilise pour un avenir plus durable.

Selon les dernières données publiées en 2023 par l’ORDEC, l’Observatoire Régional des déchets et de l’Économie circulaire de la Guadeloupe, le pays aurait produit 346 720 tonnes de déchets. Un quart a été recyclé et les 60 % restants ont été enfouis dans deux installations de stockage de déchets non-dangereux. Bien que la production de déchets soit restée stable depuis 2019, il est urgent d’améliorer les filières de récupération de déchets.

Lorsque la création devient résistance écologique

Upcycled fashion at l’Admérane.

Vêtements de mode recyclés, l’Admérane. Photo d'Olivia Lobar, utilisée avec autorisation.

Pour certain(e)s guadeloupéen(ne)s, l’acte de création est aussi un acte de résistance écologique. Artistes et artisans ont décidé de transformer les déchets en matériaux créatifs, même si d'autres n’y voient que des rebuts. De nouveaux espaces hybrides font leur apparition et réutilisent de manière délibérée des matériaux destinés à la poubelle, à travers une démarche à la fois esthétique, sociale et durable.

Ainsi, lorsque vous arrivez à l’Admérane , un espace créatif situé dans l’ancien réfectoire d’Ilet Pérou, dans la commune de Capesterre-Bele-Eau, vous êtes tout de suite immergé dans un univers créatif de fresques, de meubles recyclés, de rangées de machines à coudre et d’étagères remplies de vêtements fabriqués à partir de modèles et motifs originaux.

Photo of Béatrice Souillet by JP Volet; image via Olivia Losbar and used with permission.

Photo de Béatrice Souillet par JP Volet. Image d'Olivia Lobar, utilisée avec autorisation.

« Les gens nous apportent leurs vêtements. Nous les lavons et les trions. Certains terminent dans notre petite friperie, mais le recyclage, l’aspect créatif, est notre premier objectif. Nous sensibilisons le public en lui montrant tout ce que l’on peut fabriquer à partir de ces « déchets » textiles, » explique Béatrice Souillet, présidente de Le Nouveau Mode, l’association à l’origine de cet espace dédié à l’économie circulaire. « Soit nous leur apprenons comment recycler leurs vêtements, ou soit nous nous en occupons nous-mêmes. Notre but est de faire du neuf avec du vieux. »

L'Admérane accueille des créateurs de mode et des bénéficiaires du revenu de solidarité (RSO) qui y apprennent la couture, et propose aussi des ateliers de sensibilisation aux écoliers et professionnels. Le tiers-lieu a même conclu un partenariat avec un important opérateur de télécommunications : Orange Caraïbe. L’association récupère des objets jetés, tels que des vieilles bannières publicitaires, et leur redonne une seconde vie ; elle organise aussi des ateliers pour le personnel de la compagnie en Guadeloupe, Martinique, et Guyane française.

Selon Béatrice Souillet : « La mode est le deuxième secteur le plus polluant au monde. Par conséquent, il est crucial d’adopter des habitudes de consommation responsable. En Guadeloupe, des initiatives ont été mises en œuvre afin de récupérer les déchets textiles, mais bien qu’une partie soit transformée dans l’archipel, la majorité est encore envoyée en France métropolitaine ou en Afrique. Il est nécessaire que nous gérions nous-mêmes nos déchets textiles ; par ailleurs leur récupération génère des emplois. »

La lutte contre la mode rapide

Cushions scattered on the floor at l’Admérane. Coussins, fabriqués à partir de bannières publicitaires, dispersés sur le sol de l’Admérane. Photo d'Olivia Lobar, utilisée avec autorisation.

Mais les concepteurs de produits recyclés font face à un autre problème : la fast fashion (ou mode rapide). « Il n’est pas possible de recycler des matériaux de mauvaise qualité. L'essor de sites tels que Shein et Temu a conduit à la mode ultra-rapide (variation de la mode rapide), réputée pour ses matériaux de mauvaise qualité parfois nuisibles à la santé et à l’environnement, » ajoute Béatrice Souillet. Pour elle, une meilleure communication avec le public est primordiale, et au lieu d’acheter plusieurs vêtements de mauvaise qualité à bas prix, il vaut mieux investir un peu plus dans un seul qui durera plus longtemps.

L’Admérane, soutenu par le Conseil Départemental de la Guadeloupe et lauréat de plusieurs prix, est devenu depuis peu un pôle territorial de coopération économique (PTCE). Parallèlement, le ferme engagement de Béatrice Souillet envers la sensibilisation à l’environnement a conduit à la création de sa propre marque, Cyrikaë.

L'art comme réponse à la surconsommation

Photo of artist Guy Gabon via Olivia Losbar; used with permission.

Photo de l’artiste Guy Gabon, utilisée avec la permission d’Olivia Losbar.

Par ailleurs, le travail de l’artiste et éco-conceptrice Guy Gabon, est basé sur la récupération et la transformation. Selon elle, être éco-conceptrice signifie rejeter l’utilisation de matières premières au profit de matières secondaires, à savoir celles qui ont déjà eu une première vie. C'est une décision qui lui est apparue comme une évidence après avoir constaté la détérioration rapide de l’environnement autour d’elle. Face à la prolifération des déchets et de l’engrenage de la surconsommation, elle a pris conscience de l’urgence d’agir contre un système produisant des objets jetables fabriqués le plus souvent à partir de matériaux qui ont une durée de vie beaucoup plus longue que celle initialement estimée.

Gabon suit une méthode où aucun matériau n’est prédéfini. Elle utilise du métal, du plastique ou du textile en fonction du message ou de la forme qu'elle souhaite exprimer. Selon elle, cette contrainte qu’elle s’impose est nécessaire afin de réduire la production de déchets. « On ne peut pas tout avoir, » explique-t-elle, persuadée que la transition écologique comportera un certain degré d’inconfort et de sacrifices.

Près de 20 ans après s’être engagée sur cette voie, Guy Gabon a remarqué un changement d’attitude, même si elle considère que son évolution est encore beaucoup trop lente. Malgré une résistance opiniâtre, une prise de conscience écologique progresse partout dans le monde. « Nous devons changer la manière dont nous vivons, » insiste-t-elle, appelant à être patient et déterminé afin d’apporter des changements durables.

Davantage de festivals écoresponsables

Des efforts sont également déployés dans le secteur événementiel afin d’améliorer la gestion des déchets. Certains festivals peuvent générer des douzaines de tonnes de détritus, d’où la volonté de la part de plus en plus d’organisateurs d’adopter des mesures de réduction et de triage des déchets. L’objectif est d’éviter le gaspillage à la source en réduisant la consommation de produits jetables ou à usage unique, en mettant en place une politique d’achats responsables, en sensibilisant les divers intervenants, et en facilitant le tri sélectif.

Avant et durant chaque évènement, les organisateurs mènent des campagnes de sensibilisation auprès du personnel et des festivaliers afin de les encourager à consommer autrement, sous la forme notamment de gobelets réutilisables et de vaisselle lavable, de récipients en verre ou de fûts, d’utilisation limitée de bouteilles en plastique et de compostage des déchets alimentaires. Par ailleurs, les villages d’exposants aménagent des espaces dédiés à la sensibilisation du public.

Les organisateurs évènementiels prennent des mesures pour instaurer davantage de politiques responsables de gestion des déchets. Photo de Mouvances Caraïbes par Olivia Lobar, utilisée avec autorisation.

La gestion des déchets durant les festivals est souvent confiée à des associations telles que Mouvances Caraïbes, spécialisée dans l’éducation à l’environnement et au développement durable, et qui œuvre à sensibiliser la population. L’association, à travers des initiatives écologiques, a pour but d’informer le public sur un nouveau mode de vie plus équitable, gratifiant, respectueux de l’environnement, et plus collaboratif.

François Vatin travaille depuis sept ans avec ce type d’associations comme responsable de la gestion des déchets évènementiels, et a rejoint Mouvances Caraïbes l’an dernier. Il coordonne le traitement des déchets et la communication entre les organismes publics, les organisateurs, les exposants et les prestataires de services lors de festivals. Toutefois, en près de dix ans, l’ingénieur n'a constaté aucune amélioration des pratiques. Selon lui, bien que beaucoup de gens souhaitent adopter une démarche écoresponsable, les coûts demeurent un obstacle, notamment pour les petits organisateurs évènementiels disposant de moyens financiers limités.

Dans un secteur où les budgets varient d’un évènement à un autre, en fonction de subventions et divers partenariats, la moindre réduction de financement entraîne toujours une diminution des prestations qui, selon Vatin, se fait souvent au détriment de mesures visant à préserver l’environnement. Par ailleurs, il déplore certains stéréotypes tenaces : « Les gens nous disent qu’ils ne trient plus leurs déchets. Ils pensent que ça ne sert à rien. Mais la présence de plus en plus de poubelles en Guadeloupe est un signe de progrès. » « Dans l’ensemble, de plus en plus de secteurs sont concernés par cette évolution et de plus en plus de personnes sont impliquées. Nous ne pouvons plus nous cacher derrière cet argument. Tout dépend désormais de la volonté des gens. »

Vers un archipel zéro déchet

La gestion des déchets est une priorité pour le secteur public. Le Conseil régional de la Guadeloupe s’est fixé comme objectif de faire de l’archipel un territoire zéro déchet d’ici 2035.

Depuis 2016, toutes les municipalités guadeloupéennes ont transféré leurs responsabilités en matière de gestion des déchets à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), c’est-à-dire un syndicat mixte à travers lequel de nouveaux centres de traitement et de récupération ont été créés.

Dans cette optique, une usine de valorisation énergétique devrait ouvrir ses portes en 2028. Le projet, estimé à 96 millions d’euros (soit un peu plus de 111 millions de USD), devrait permettre l’incinération des déchets et contribuer à la production d’électricité. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire.

Il s’agit d’un effort collectif qui concerne toute la région, et c’est pourquoi, au mois de septembre 2024, un accord a été signé à la suite d’une réunion entre les représentants des territoires français des Caraïbes, de la République dominicaine, de la Dominique et de Sainte Lucie. Le projet « Zéro déchet dans les Caraïbes » mené par le Syndicat de Valorisation des Déchets (Syvade) et financé par INTERREG Caribbean, a pour but le partage de connaissances et le développement d’industries de valorisation des déchets dans les Caraïbes.


En RDC un drame dans une mine de cobalt et de cuivre illustre le coût humain de la transition énergétique

Mon, 15 Dec 2025 09:39:40 +0000 - (source)

La mine de Mulondo regorge a elle seule plus de six mille creuseurs artisanaux.

Initialement publié le Global Voices en Français

Les creuseurs artisanaux dans la carrière minière de Mulondo. Photo magazinelaguardia.info , utilisée avec autorisation

Grâce à son sous-sol riche en minéraux rares nécessaires pour les véhicules électriques, la République Démocratique du Congo (RDC) joue un rôle crucial dans la transition énergétique mondiale. Mais l'exploitation des mines, parfois sauvage ou artisanale, est aussi source de profonds problèmes socio-économiques.

Dans la province du Lualaba au sud-est du pays, à proximité de la ville de Kolwezi, une mine de cobalt et de cuivre, appelée Mulondo, est le lieu de travail de plus de six mille creuseurs artisanaux. Le terme de ‘creuseur’ décrit des mineurs artisanaux qui travaillent à titre individuel avec très peu d'équipement et aucune garantie de sécurité dans des mines africaines.

A Mulondo, ces exploitants cohabitent avec une entreprise chinoise, Pajeclem, qui  est placée sous la protection de militaire de la garde républicaine, l'entité officielle qui s'occupe également de la protection du Président de la République et de sa famille.

La Chine est le premier partenaire économique de la RDC, en témoigne le volume des échanges commerciaux entre les deux pays. Le 28 avril 2025, lors d'un point de presse tenu, Zhao Bin, ambassadeur de Chine en RDC affirme :

La République populaire de Chine a importé de la République démocratique du Congo des produits d'une valeur de plus de 21 milliards USD contre des exportations de marchandises d'une valeur de plus de 4 milliards USD en 2024.

Lire : A l'Est de la RDC, les mines financent en partie les groupes rebelles

L'entreprise chinoise exploite le site minier de Mulondo du lundi au vendredi;  pendant les week-ends, les creuseurs sont autorisés à travailler à leur compte. Mais le week-end du 15 novembre 2025, un incident coûte la vie à plusieurs personnes.

Un week-end meurtrier

Le 15 novembre, comme d'habitude, les creuseurs accèdent à la mine, mais, chose inhabituelle, ils rencontrent la résistance des militaires de la garde républicaine. Des tumultes sont suivis de coups de feu de sommation des militaires. C'est dans ce climat de tension – les coups de feu font des blessés et suscitent un mouvement de panique  – qu'un petit pont de fortune installé au-dessus d'une tranchée boueuse de deux mètres s'effondre.

La mine se transforme alors en une zone d'horreur: des creuseurs entre 16 et 45 ans tombent dans la boue. Selon le bilan des autorités de la province, ce drame fait trente-cinq morts et deux blessés par balles - ces derniers sont pris en charge par le gouvernement provincial.

Cependant, ce bilan des autorités est réfuté par l’ONG IBGDH de la ville de Kolwezi qui estime que le bilan est plus lourd. L’ Initiative pour la bonne Gouvernance et les Droits Humains (IBGDH) précise dans son communiqué de presse dont une copie est parvenue à Global Voices, que plus de quarante morts sont répertoriés. Me Donat Kambola , coordonnateur de l'association IBGDH indique :

[…] déplore quarante-quatre cas de décès survenus au site minier de Mulondo […] ces décès sont directement attribués aux Militaires appartenant à la Garde Républicaine et travaillant pour le compte de l'entreprise chinoise PAJECLEM.

Le gouvernement fait marche arrière

Cet incident malheureux n'est pas un événement isolé dans la province du Lualaba. Selon un article du média congolais Actualité.cd, le 27 juillet 2021, un éboulement a entraîné la mort de deux creuseurs artisanaux dans une carrière de la Mutoshi, dans la ville de Kolwezi. La même source indique que des cas similaires se produisent régulièrement dans des carrières du Lualaba. Il s’agit donc d’une pratique courante à l'échelle de toute la RDC, tout comme dans les mines de l'or et qui démontre un manque de bonne gouvernance dans le secteur minier.

A ce sujet, Roy Kaumba, ministre de l'Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires Coutumières du Lualaba rebondit en faveur de l'entreprise chinoise, en qualifiant les creuseurs artisanaux de clandestins :

Face à ce drame, nous avons pris la décision de suspendre temporairement l'exploitation artisanale pour des raisons de sécurité. Et le renforcement des éléments de force de l'ordre dans le site de Mulondo.

Cette décision est fustigée par Ngombe Petit Petit, président des creuseurs artisanaux et coopératives minières qui souligne à Global Voices :

on ne peut pas interdire à une personne affamée de manger. Nous fustigeons cette décision car elle ne résout en rien le problème. Il faut d'abord trouver des zones d'exploitation viables aux creuseurs avant de prendre une telle décision.

Par ailleurs, l’ONG IPDHOR qualifie d'irrespectueuse la communication des autorités locales. Elle exige une enquête  qui permettra d'établir les responsabilités et de passer aux arrestations de ceux qui ont causé la mort de plusieurs dizaines de creuseurs.

Pour apaiser la situation, le Ministre des mines, Louis Watum déclare dans une réunion tenue le 18 novembre au gouvernorat du Lualaba, qu'il fait une promesse aux représentants des creuseurs:

Nous allons finalement vers la présentation des zones d'exploitations artisanales viables dont vous avez besoin. Je dois vous dire vraisemblablement aujourd'hui que nous avons 64 zones identifiées et disponibles pour les creuseurs artisanaux.

Lire aussi : En RDC, une pollution des eaux attribuée à une exploitation minière chinoise

La mine de Mulondo revient aux creuseurs 

Les victimes du drame de Mulondo sont inhumées le 19 novembre 2025 à Kolwezi en présence des proches et des familles, ainsi que des autorités provinciales.

Une source anonyme indique à Global Voices que depuis le drame, les employés de Pajeclem et les militaires ont déserté la mine. Désormais, la mine est entièrement entre les mains des exploitants artisanaux. Zoro Yav, creuseur de 19 ans, déclare à Global Voices :

Après la vie, c'est la mort. Les amis sont morts, mais nous les vivants nous devons vivre.

Cette situation reflète la réalité économique de trois millions de creuseurs qui ne disposent pas de zones d'exploitations officielles. Au Lualaba où le ministre Louis Watum est venu de promettre 64 zones aux creuseurs, peu croient aux paroles du gouvernement: lors de son dernier passage dans la ville de Kolwezi au mois de juin 2025, le président de la république, Félix Tshisekedi  avait fait la même promesse. 

Aujourd'hui, les creuseurs continuent de risquer leur vie chaque jour dans un pays où environ 73% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Si la transition écologique est nécessaire et urgente pour le monde, elle ne peut se faire au mépris des vies africaines.

Lire notre cahier spécial : RDC, pauvre malgré sa richesse


« Ce qui se passe à Gaza est un génocide » : le Président brésilien Lula da Silva renforce ses critiques contre Israël en Amérique du Sud

Sun, 14 Dec 2025 14:45:10 +0000 - (source)

Dans le Cône Sud, les gouvernements sont divisés entre critiques et soutien total au gouvernement israélien concernant la guerre.

Initialement publié le Global Voices en Français

En 2023, après les attaques du Hamas et la guerre, des citoyens brésiliens ont été rapatriés de Gaza. Photo: Paulo Paulo Pinto/Agência Brasil, utilisée avec permission.

Lors d’une conférence de presse le 3 juin 2025, le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a été interrogé par un journaliste au sujet d’une déclaration de l’ambassade d’Israël dans le pays, affirmant que le groupe palestinien nationaliste Hamas ment sur la situation actuelle à Gaza « pour alimenter l’antisémitisme dans le monde ». Cette déclaration a été publiée après que Lula a qualifié ce qui se passe dans la région de  génocide.

En répondant à la question, il a renforcé sa position:

Vem dizer que é antissemitismo? Precisa parar com esse vitimismo e saber o seguinte: o que está acontecendo na Faixa de Gaza é um genocídio. É a morte de mulheres e crianças que não estão participando de guerra. É a decisão de um governo que nem o povo judeu quer. Não dá para, como ser humano, não é nem como presidente do Brasil, mas como ser humano, aceitar isso como se fosse uma guerra normal.

Vous venez me dire que c'est de l'antisémitisme ? Ils doivent arrêter de jouer les victimes et comprendre ceci : ce qui se passe à Gaza est un génocide. C’est la mort de femmes et d’enfants qui ne font pas partie de la guerre. C’est la décision d’un gouvernement que même le peuple juif ne veut pas. Je ne peux pas, en tant qu’être humain, pas même en tant que président du Brésil, mais en tant qu’être humain, accepter cela comme si c’était une guerre normale. »

La critique de Lula à propos de la guerre à Gaza, suite aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023, n’est pas nouvelle. Avec Gabriel Boric du Chili, il s’est exprimé de manière très critique concernant les actions menées par le gouvernement de Benjamin Netanyahu depuis les premiers jours du conflit, une position qui n’est pas partagée par tous leurs voisins dans le cône Sud et qui contribue à nourrir des récits de polarisation politique dans la région.

Par exemple, le prédécesseur de Lula, Jair Bolsonaro, allié proche de Netanyahu lorsqu’il était au pouvoir, a été invité à visiter Israël en 2024, quelques jours après que Lula ait été déclaré ‘‘persona non grata pour ses critiques. Cependant, étant actuellement sous enquête pour tentative de coup d’État , son passeport est retenu par les autorités.

Voici comment les pays de la région se positionnent sur la guerre à Gaza :

Brésil

En 2010, durant le second mandat de Lula, le Brésil a reconnu l’État palestinien avec les frontières établies jusqu’en 1967. Idevenant ainsi l’un des premiers pays d’Amérique latine à le faire. Tout en critiquant ce qui se passe actuellement à Gaza, affirmant « ce n’est pas une guerre, mais une armée qui tue des femmes et des enfants », il a continué de soutenir une solution à deux États.

Le gouvernement s’est également officiellement prononcé le 1er juin, lorsqu’il a publié une déclaration contre la création de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie, annoncée par Israël quelques jours auparavant.

O Brasil repudia as recorrentes medidas unilaterais tomadas pelo governo israelense, que, ao imporem situação equivalente a anexação do território palestino ocupado, comprometem a implementação da solução de dois Estados.

Reafirma, ainda, seu histórico compromisso com um Estado da Palestina independente e viável, convivendo em paz e segurança ao lado de Israel, nas fronteiras de 1967, incluindo a Cisjordânia e a Faixa de Gaza, com capital em Jerusalém Oriental.

Le Brésil rejette les mesures unilatérales répétées prises par le gouvernement israélien qui, en imposant une situation équivalente à l’annexion du territoire palestinien occupé, compromettent la mise en œuvre de la solution à deux États.

Le Brésil réaffirme également son engagement historique en faveur d’un État de Palestine indépendant et viable, vivant en paix et en sécurité aux côtés d’Israël, selon les frontières de 1967, incluant la Cisjordanie et la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale.

L’organisation Conib (Confédération israélite du Brésil) a déclaré que le président attaquait une fois de plus le peuple juif et mettait en danger leur sécurité.

Chili

Le président Gabriel Boric, tout comme Lula, s’est montré un critique ouvert de la guerre d’Israël à Gaza. Le 1er juin, lors de son discours annuel, il a également qualifié le gouvernement israélien de « génocidaire » et annoncé qu’il soumettrait un projet de loi au Parlement visant à interdire toute importation provenant des territoires occupés par Israël.

Considerando la permanente violación del derecho internacional por parte de Israel, mediante asentamientos ilegales en territorio palestino, y el reciente anuncio de expansión de esta política, he decidido que es de toda justicia patrocinar y poner urgencia al proyecto de ley que prohíbe la importación de productos producidos en territorios ilegalmente ocupados.

Compte tenu de la violation permanente du droit international par Israël, à travers l’implantation de colonies illégales sur le territoire palestinien, et de l’annonce récente de l’expansion de cette politique, j’ai décidé qu’il est tout à fait juste de parrainer et de donner priorité au projet de loi qui interdit l’importation de produits fabriqués dans des territoires occupés illégalement.

Boric a également déclaré qu’il avait demandé à son ministre de la Défense d’élaborer un plan afin que le pays puisse cesser de dépendre de l’industrie israélienne dans d’autres secteurs.

Comme le rapporte Reuters, le président chilien a récemment « rappelé le personnel militaire de l’ambassade du Chili dans le pays et convoqué l’ambassadeur pour un entretien ».

Uruguay

e 15 mai 2025, des centaines de personnes ont manifesté à Montevideo, la capitale de l’Uruguay, pour commémorer l’anniversaire de la Nakba — une date marquant le déplacement violent des Palestiniens de leurs terres. Outre leurs appels à la fin de la guerre, les manifestants ont exigé que le nouveau gouvernement du président Yamandú Orsi cesse ses relations avec Israël, rapportes le journal La Diaria.

Quelques jours plus tard, le 19 mai, la ministre de la Défense, Sandra Lazo, a rencontré l’ambassadeur israélien, Michal Hershkovitz. La rencontre a été rendue publique par le représentant israélien sur les réseaux sociaux, tandis que Lazo a declaré avoir décidé de ne pas prendre la photo protocolaire aux côtés de Hershkovitz, sachant que cela pourrait « blesser les sensibilités ».

Elle a également affirmé avoir rappelé qu’Uruguay reconnaît l’indépendance de l’État palestinien depuis 2011 et n’est pas d’accord avec ce « conflit complètement asymétrique ».

La coalition politique de gauche d’Orsi, le Frente Amplio (FA, Front Large), par l’intermédiaire de son secrétariat exécutif, a publié une résolution le 3 juin, appelant à soutenir des actions défendant les droits humains du peuple palestinien. Le document stipule :

Estas acciones comprenderán la movilización articulada con organizaciones sociales, culturales y de derechos humanos (…) y todas aquellas que de forma pacífica y organizada contribuyan a respaldar a nuestro gobierno nacional en la toma de medidas que aboguen por el fin de la masacre, el ingreso de ayuda humanitaria sin restricciones, el respeto de los Derechos Humanos.

These actions will encompass the articulated mobilization with social, cultural and human rights organizations (…) and all those that, in a pacific and organized way, contribute to support our national government in all their measures advocating for the end of the massacre, the entering of humanitarian aid without restriction, the respect for human rights.

La position prise a également suscité des critiques de l’opposition, notamment du Parti Colorado, qui a publié un communiqué affirmant que la position du FA pouvait encourager la haine et la diabolisation d’Israël et du peuple juif. Le Parti Blanco, lui aussi dans l’opposition, a déclaré qu’Israël avait le droit à l’autodéfense, tout en appelant au respect des principes humanitaires afin d’éviter de nuire aux personnes qui ne participent pas au conflit.

Orsi a lui-même déclaré, le 5 juin que cette déclaration provenait d’une force politique, « et que le gouvernement est autre chose ». Il a également dit aux journalistes que les habitants de Gaza ont besoin de plus que des discours, et qu’il prévoit de leur envoyer du lait en poudre, du riz et d’autres produits.

Argentine

Javier Milei, le président ultralibertaire de l’Argentine, est le plus fervent soutien d’Israël dans la région. Le NY Times l’a décrit comme « un président catholique qui consulte un rabbin », soulignant que son attachement à la foi juive influence sa politique nationale.

En juillet dernier, le gouvernement de Milei a publié une déclaration officielle qualifiant le Hamas « d’organisation terroriste internationale » :

El Presidente Javier Milei tiene el compromiso inquebrantable de reconocer a los terroristas por lo que son. Es la primera vez que existe voluntad política de hacerlo.

Le président Javier Milei s'est engagé sans réserve à reconnaître les terroristes pour ce qu'ils sont. C’est la première fois qu’il existe une volonté politique de le faire.

ChatGPT a dit :

Le soutien affirmé d’Israël par Milei lui a récemment valu le prix Genesis, surnommé le « prix Nobel juif », doté d’un montant d’un million de dollars américains.

Selon l’AP news,les organisateurs du prix ont expliqué leur choix en soulignant leur reconnaissance envers Milei pour avoir rompu avec l’histoire argentine de votes anti-israéliens aux Nations unies, avoir désigné le Hamas et le Hezbollah comme organisations terroristes, et avoir rouvert les enquêtes sur les attentats contre des cibles juives et israéliennes en Argentine dans les années 1990.

L’année dernière, lors d’une interview accordée à Ben Shapiro sur sa chaîne YouTube, Milei a déclaré :

Es muy importante entender el vínculo de la libertad con Israel. Es fundamental porque es un pueblo que además ha logrado la conjunción entre lo espiritual y lo material. Y esa armonía espiritual y material genera progreso.

Il est très important de comprendre le lien entre la liberté et Israël. C’est fondamental, car c’est un peuple qui a en plus réussi à unir le spirituel et le matériel. Et cette harmonie entre le spirituel et le matériel génère du progrès.

Paraguay

En décembre dernier, le pays a rouvert son ambassade à Jérusalem, reconnaissant ainsi la ville comme capitale d’Israël. Il est devenu le premier pays à le faire depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Selon l’AP news, cette décision du président Santiago Peña, qui a assisté personnellement à la réouverture, a constitué « une rare victoire diplomatique » pour Israël.

Comme l’a rapporté Reuters, Peña n’a pas évoqué la guerre à Gaza lors de cet événement, mais a déclaré :« Cette étape symbolise notre engagement envers des valeurs communes et le renforcement de liens qui construisent un avenir de paix, de développement et de compréhension mutuelle. »

Auparavant, l’ambassade paraguayenne se trouvait à Tel-Aviv. Elle a été déplacée à plusieurs reprises depuis 2018 au gré des changements de gouvernement selon la même source.

En mai, le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a qualifié ce geste d’« acte d’amitié dans le moment le plus difficile » pour son pays.


Sénégal: quand les corps des femmes appartiennent à tout le monde sauf à elles

Mon, 08 Dec 2025 18:18:47 +0000 - (source)

L’argument religieux est très utilisé pour justifier le contrôle sur les femmes

Initialement publié le Global Voices en Français

Manifestations des femmes au Sénégal contre le viol en 2021 ; capture d'écran de la chaîne YouTube de Le Dakarois 221

Par Bowel Diop

Au Sénégal, une femme victime d'un viol peut être condamnée pour avoir voulu reprendre le contrôle de sa vie si elle décide d'avorter.

Comme beaucoup d’autres pays africains, le Sénégal a ratifié le 27 décembre 2004 le Protocole de Maputo, traité juridique de l’Union africaine destiné à promouvoir et à protéger les droits des femmes et des filles en Afrique. Selon les dispositions de son article 14, les États signataires doivent :

(…) autoriser l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste, ou lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la santé mentale ou physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.

Pourtant, au Sénégal, ce droit reste largement lettre morte. Des organisations de défense des droits humains telles que la Fédération internationale des droits humains (FIDH), la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO), une ONG nationale basée à Dakar dénoncent le non-respect de l’État vis-à-vis de ses engagements internationaux. Dans leur rapport Double peine, publié en 2024, ces trois organisations alertent sur le fait que l’article 14 du Protocole de Maputo n’est pas transposé dans la législation nationale, et que par conséquent, les femmes victimes de viol ou d’inceste sont contraintes de mener leur grossesse à terme.

L’avortement est interdit au Sénégal par le Code pénal en ses articles 305 à 305 bis, sauf dans de très rares cas thérapeutiques visant à sauver la vie de la mère. Cette situation pousse de nombreuses femmes, y compris les victimes de viol ou d’inceste vers des pratiques clandestines, dangereuses et souvent mortelles.

Selon Prison-Insider, une plateforme de production et de diffusion d’informations sur les prisons dans le monde basée en France, jusqu’à 46 % des femmes détenues à la prison Liberté VI au Sénégal sont condamnées pour infanticide, ce qui démontre l'ampleur du phénomène.

Si le droit à l’avortement peine à être reconnu, les raisons ne sont pas seulement juridiques, mais aussi socio-culturelles.

L’argument religieux

L'argument religieux est le plus souvent invoqué pour justifier l'interdication de l'avortement: plus de 95% de la population sénégalaise est musulmane; pourtant le pays est une république laïque, comme le stipule son article premier :

La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances.

Dans un cadre laïque, le débat devrait donc rester dans le domaine médical et juridique. En médecine, on distingue tout d'abord un fœtus. Il est à noter que certaines traditions musulmanes estiment que l’âme est insufflée après 120 jours de l'apparition d'un embryon, donc une interruption de grossesse avant cette date dans n’équivaut pas à mettre fin à une vie.

Quoiqu'il en soit, chaque femme a le droit de décider pour son propre corps en dehors de toute contrainte religieuse collective. L'argument selon lequel l'enfant à naître n'a pas voix au chapitre doit-il effacer le droit d'une femme à qui on n'a pas demandé son consentement?

Pourquoi sacrifier une vie consciente, déjà blessée, pour une vie potentielle ? Ce raisonnement ne tient pas quand on considère la dignité, la santé mentale et physique de la femme. Le droit à l’autonomie corporelle doit primer. Demander à une victime de viol ou d’inceste de mener une grossesse non désirée à terme au nom d’une “valeur sociétale” est hypocrite, violent et profondément injuste.

La préservation des mœurs

L'autre argument souvent cité à l'encontre du droit à l'avortement est celui de la tradition. Quels “mœurs” essaye-t-on de protéger ? Si préserver les “mœurs” signifie contrôler les corps des femmes, alors ces mœurs sont dépassées. Le véritable “mœurs”  à préserver, c’est la dignité et la liberté des femmes, pas un conservatisme patriarcal.

La vraie question est celle du patriarcat, qui continue de décider de ce que les femmes doivent faire de leur corps. La force de cette idéologie est telle que certains femmes, y compris celles qui sont éduquées, la défendent. Cela prouve à quel point les normes patriarcales sont intériorisées, même par celles qui devraient le plus les déconstruire.

En Afrique, les arguments contre l’avortement sont étonnamment similaires et directement reliés à trois domaines: religion, traditions, et “valeurs africaines”. Ils se déclinent autour de l’interdiction de tuer qui se retrouve dans les 3 religions monothéistes, autour de l'idée que l’avortement est une pratique importée, étrangère à la culture locale et menaçant l’ordre moral traditionnel qui lui valorise la maternité, considérée comme une bénédiction. Un autre argument courant est que le fœtus, innocent et sans défense, ne doit pas payer pour les circonstances de la grossesse.

Mais ces discours s’appuient principalement sur des émotions, des tabous, une forme de conservatisme, et rarement sur la science, les droits fondamentaux ou la réalité des violences sexuelles. Au Sénégal JGEN, une ONG engagée dans la lutte contre les violences basées sur le genre multiplie les plaidoyers pour que la loi cesse de criminaliser les victimes de viol et d’inceste, et respecte enfin le Protocole de Maputo. 

En tant que femme, je suis pour un droit à l’avortement sans conditions. Parce que chaque femme doit pouvoir décider librement ce qui est le mieux pour son corps, sa vie, sa santé et son avenir. Et particulièrement dans les cas de viol ou d’inceste : le choix ne devrait pas être un luxe  mais un droit.


« Difficile de rester neutre » : les médias népalais face à la génération Z

Thu, 04 Dec 2025 12:05:26 +0000 - (source)

Que devrait faire une journaliste lorsque de jeunes manifestants sont abattus sous ses yeux ?

Initialement publié le Global Voices en Français

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission.

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en anglais]

Ce rapport du Dart Centre Asia Pacific par Arun Karki a été initialement publié dans le Nepali Times, et une version éditée a été republiée sur Global Voices dans le cadre d’un accord de partage de contenu.

Que devrait faire une journaliste lorsque de jeunes manifestants sont abattus sous ses yeux ? Faut-il faire son travail et rester neutre ? Peut-on vraiment rester neutre ?

Alors que les manifestations de la génération Z [fr] secouaient Katmandou, les journalistes népalais se sont retrouvés à couvrir une histoire qui leur était personnelle. En faisant leur travail, certains d’entre eux ont même été pris pour cible par des foules en colère.

Arun Karki, membre du Dart Asia Pacific, a visité leurs rédactions et a échangé avec ses collègues sur leur expérience de reportage des manifestations de la génération Z qui ont éclaté le 8 septembre. Voici les témoignages de journalistes ayant été témoins des troubles dans leur propre ville.

Sunita Karki assistait à un atelier dans un hôtel le 8 septembre. Elle a vu les premières vagues de manifestations à travers les fenêtres de l’hôtel. Les alertes de couvre-feu inondaient son téléphone, un véhicule appartenant à un groupe de défense des droits humains brûlait de l’autre côté de la route, de jeunes garçons transportaient leurs amis blessés à moto vers les hôpitaux locaux, et la police rouait de coups un adolescent qui avait pourtant les mains en l’air.

« J’ai beaucoup pleuré », confie-t-elle. Ce n’était pas la peur qui la submergeait, mais la culpabilité. « J’étais incapable de rédiger quoi que ce soit. Nous assistions à ces scènes depuis un hôtel cinq étoiles ». Le soir même, le bilan était déjà de 19 morts. Le 9 septembre, vers 15 h 35, le bureau de son média, Annapurna Post, situé à Tinkune, à Katmandou, fut incendié. Le personnel fut contraint d'évacuer le bâtiment alors que certaines parties de la rédaction brûlaient encore.

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission.

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission.

Lorsqu’elle apprit que son bureau était en flammes, elle confia à son mari, avec angoisse, qu’elle comptait démissionner : « Si je dois cacher ma carte de presse à chaque manifestation, quel genre de journaliste suis-je vraiment ? », s’est-elle interrogée.

Elle rédigea un article le lendemain, mais se sentit partagée entre son rôle de journaliste soucieuse de son devoir et son état de civile sous le choc. Elle explique que, c’est dans des moments comme celui-ci qu’il est difficile de se sentir vraiment neutre.

C’est en voyant la police s’acharner sur la population qu’elle sentit une forte envie d’intervenir, plutôt que de simplement rester en retrait et rapporter les faits. Le premier vrai moment de répit arriva plus tard, lorsque les gens descendirent dans la rue et allumèrent des bougies en hommage aux victimes. « C’était une sorte de marche victorieuse. Après tant de journées de violence, j’ai enfin pu ressentir un certain soulagement », confie-t-elle.

Angad Dhakal, journaliste-photographe travaillant pour Kantipur National Daily, se tenait devant son bâtiment lorsque des manifestants y entrèrent par effraction pour y mettre le feu. Il avait déjà été informé que des manifestants prévoyaient d’incendier son bureau et s’y était précipité, dans l’espoir de sauver ses disques durs contenant dix ans de travail photographique, en vain.

Il leva alors son appareil photo et appuya « fermement » sur le déclencheur, surtout pour documenter la scène plutôt que par « enthousiasme ou devoir professionnel ».

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission.

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission.

« Mon bureau brûlait. Que devais-je photographier ? » se souvient-il. Quelques instants plus tard, un manifestant remarqua l’inscription « PHOTO » sur sa veste jaune de presse. Pour se défendre, il expliqua qu’il était un freelance débutant et YouTubeur, puis se réfugia dans un coin pour retirer sa veste afin de ne pas être pris pour cible par les manifestants.

Pour couvrir les manifestations dans la rue, Angad se tient habituellement près de la police, pour être plus en sécurité. Mais le 8 septembre, les incendies et les coups de feu rendaient même cette zone dangereuse. Une balle de flash-ball toucha son ami Dipendra Dhungana, le blessant gravement.

Il pensa : « Où allons-nous maintenant ? Si nous restons ici, nous serons touchés ». Après avoir assisté à deux jours de manifestations, de violences et de morts, et avoir vu son propre bureau brûler, il n’a pas dormi pendant plusieurs jours.

Le même après-midi, alors que les bâtiments gouvernementaux brûlaient et que le média Kantipur était attaqué, un message sur un forum Discord de manifestants parlait ouvertement d’« attaquer Kantipur ».

Les rumeurs se sont propagées à d’autres médias. Devant le bureau de OnlineKhabar, où travaille Gaurav Pokharel, le responsable de la rédaction déclara : « Des gens très suspects se promenaient ». Les stores furent baissés, les fenêtres évitées, la porte d’entrée verrouillée et le personnel dispersé dans différents endroits de la ville. Le média fut menacé et mis en confinement effectif, mais ne fut pas incendié.

Gaurav Pokharel cacha sa carte de presse. « Je n’ai jamais montré ma carte. Parfois, je devais entrer dans la foule en criant des slogans, juste pour me fondre parmi les manifestants », raconte-t-il. Il voyait des gens tomber sous les balles et aida à sortir un journaliste encerclé par une foule hostile.

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission

Image de Gaurav Pokharel via Nepali Times. Utilisée avec permission

Gaurav a également contribué en tant que freelance à des médias internationaux. Plus tard, alors qu’il retranscrivait l’interview d’un jeune organisateur de manifestations, il écrivit à son rédacteur d’un média international : « C’était très difficile à écrire. J’ai pleuré plusieurs fois en le faisant ». Il travaillait sans relâche depuis plusieurs jours, luttant contre la fatigue et une pression artérielle basse.

Des manifestants ont vandalisé et incendié le complexe Singha Darbar, abritant Nepal Television et Radio Nepal, dans le but de perturber la radiodiffusion publique.

Surendra Paudyal avait commencé la journée avec sa carte de presse autour du cou, pensant qu’elle lui permettrait de se déplacer librement. Mais lorsqu’il arriva à Singha Darbar vers 15 h 30, la situation lui parut dangereuse.

Il glissa alors sa carte dans sa poche. Lorsqu’il fût interrogé sur ce qui comptait le plus, il répondit sans hésiter : la vie avant tout. À ce moment-là, il ressentit une peur réelle et un fort devoir de protéger son équipe.

Il se concentra sur l’essentiel : rester calme, trouver des sorties et faire évacuer tout le monde en sécurité. Plus tard, ils réussirent à maintenir le journal télévisé de 20 h grâce à un lien régional. Il était partagé. D’un côté, il était soulagé que la diffusion ait continué, mais de l’autre, il était triste et furieux que leur propre studio ait été attaqué.

Republié avec l’autorisation du Dart Centre Asia Pacific, un centre régional qui accompagne les journalistes en leur fournissant soutien et conseils adaptés aux situations traumatisantes.

Sabar Bonda : quand le cinéma marathi réinvente la vie queer en milieu rural

Thu, 04 Dec 2025 11:48:59 +0000 - (source)

Sabar Bonda s’écarte des récits traditionnels en donnant une voix aux expériences queer dans l’Inde rurale.

Initialement publié le Global Voices en Français

L’équipe du film Sabar Bonda (Cactus Pears) lors de la cérémonie du festival du film de Sundance de 2025. Image via Wikimedia Commons par Bryan Berlin. CC BY-SA 4.0.

L’équipe du film Sabar Bonda (Cactus Pears) lors de la cérémonie du festival du film de Sundance de 2025. Image via Wikimedia Commons by Bryan Berlin. CC BY-SA 4.0.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en anglais]

Sabar Bonda (2025) [fr] est un film en langue marathi qui offre un regard intime sur les personnes queers (LGBTQIA+) dans l’Inde rurale. Il explore les thèmes de l’amour, de la famille et du sentiment d’appartenance au-delà du prisme urbain. En mettant en lumière les expériences de ses protagonistes dans un contexte de classe, de genre, de sexualité et de vie rurale, le film remet en question les récits conventionnels et réinvente les possibles pour la vie des personnes queers en Inde en dehors des grandes villes. Son succès lors du festival du film de Sundance 2025 et son portrait délicat d’un amour homosexuel en contexte de campagne lui ont valu des critiques élogieuses, mais aussi des attaques issues des débats des guerres culturelles.

Contexte

En 2023, alors que la Cour suprême de l’Inde examinait une série de pétitions visant à obtenir la reconnaissance légale des mariages queers en Inde (dans l’affaire Supriyo v. Union of India, dite « Supriyo »), le gouvernement indien, dirigé par le Bharatiya Janata Party (BJP), s’est opposé à ces pétitions, et a même déclaré que l’identité queer était un phénomène « élitiste et urbain ». Ces arguments ont été vigoureusement contredits par les requérants, ce qui a conduit la Cour à affirmer clairement que le gouvernement indien s’était trompé dans son évaluation : l’identité queer ne peut être considérée ni comme exclusivement urbaine ni comme élitiste.

Dans son opinion minoritaire, l’ancien président de la Cour suprême indienne, D.Y. Chandrachud, écrivait :

The discussion in this segment has not scratched the surface of the rich history of the lives of LGBTQ persons in India, which continue into the present. Yet, even the limited exploration of the literature and reportage on the subject makes it abundantly clear that homosexuality or queerness is not solely an urban concept, nor is it restricted to the upper classes or privileged communities.

La discussion présentée ici n’a fait qu’effleurer la riche histoire des vies des personnes LGBTQ en Inde, qui se poursuit aujourd’hui. Pourtant, même cet examen limité de la littérature et des reportages sur le sujet montre clairement que l’homosexualité ou l’identité queer n’est ni un concept uniquement urbain ni réservé aux classes supérieures ou aux communautés privilégiées.

Même si, en fin de compte, la Cour a refusé [fr] de reconnaître légalement les couples queers en Inde, elle a confirmé l’authenticité et la légitimité de leurs vies, et a même demandé au gouvernement de constituer un comité chargé d’examiner la création d’un cadre juridique pour reconnaître ces relations. Ainsi, bien qu’il n’ait pas accordé le droit au mariage aux couples homosexuels, l’arrêt Supriyo a élargi le cadre juridique en confirmant que les personnes transgenres engagées dans des relations hétérosexuelles avaient bien le droit de se marier selon la législation existante, y compris dans le cadre des lois personnelles. La décision a également clarifié un point important du droit au mariage : il n’est pas un droit fondamental en Inde, et la reconnaissance des couples homosexuels relève exclusivement du législateur, et non du pouvoir judiciaire.

Deux ans plus tard, même si peu de progrès ont été réalisés pour traduire cette demande en loi, on observe sur le terrain une reconnaissance accrue de la validité et de la complexité des vies des couples queers.

Supriyo Chakraborty, le requérant éponyme dans l’affaire du mariage homosexuel, a posté ceci sur Instagram :

C’est dans ce contexte qu’un film en marathi comme Sabar Bonda (Cactus Pears) émerge comme une bouffée d’air frais, parmi les productions hindies souvent figées dans des codes romantiques stéréotypés qui répondent aux normes hétéropatriarcales conventionnelles. Certes, Bollywood [fr] s’est déjà aventuré sur des terrains queers auparavant, parfois avec des films assez radicaux pour l’époque, tels que Fire (1996) de Deepa Mehta, Nikhil, mon frère (2005), ou encore Geeli Pucchi (2021). Mais ce genre de films reste bien trop rare.

Sabar Bonda va plus loin en invitant les spectateurs à imaginer les possibles radicaux de l’identité queer dans l’ère post-Supriyo. Le film invite notamment les spectateurs à se poser les questions suivantes : que signifie être queer dans l’Inde rurale d’aujourd’hui ? Comment la condition queer peut-elle s’exprimer lorsque les responsables politiques, les juges et la société civile continuent de la reléguer aux marges ? Comment les couples queers affrontent-ils les obstacles familiaux et matrimoniaux en l’absence de soutien social, légal ou religieux ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions audacieuses auxquelles le film invite les spectateurs à réfléchir, offrant ainsi un aperçu intime de certaines vies rurales queers jusqu’ici ignorées par le cinéma grand public.

Quelle est la particularité de Sabar Bonda ?

C’est sans surprise que son réalisateur, Rohan, est non seulement queer, mais aussi façonné, dans sa vision du monde et sa sensibilité artistique, par son éducation populaire. C’est dans une maison d’une seule pièce, au cœur d’un bidonville de Mumbai, qu’il a grandi, élevé par un père chauffeur et une mère au foyer. Rohan Kanawade est un véritable cinéaste autodidacte, doté d’un passé de décorateur d’intérieur. Le film reflète sa perspective personnelle et son vécu. Dans une interview donnée à The Polis Project, il explique :

Look, the film is based on my experience, and this is how things unfolded for me. Everyone’s experience is so different, but when they start making films, it is always the same. There are too many rules. Where is the joy then of telling a story?

Le film est basé sur mon expérience, et voilà comment les choses se sont déroulées pour moi. Chacun a sa propre expérience, mais quand on fait des films, c’est toujours pareil : il y a bien trop de règles. Alors, quel plaisir reste-t-il à raconter une histoire ?

C’est précisément cette volonté de briser les conventions du cinéma et de défier les normes narratives qui rend Sabar Bonda subversif. Inspiré du parcours de Rohan, marqué par la mort de son père, la quête de son identité queer et son retour à ses racines, le film mêle histoire personnelle et fiction pour créer un récit profondément émouvant. On y suit Anand (Bhushan Manoj), employé d’un centre d’appel à Mumbai, qui retourne dans le village familial du Maharashtra rural pour les dix jours de deuil traditionnel après la mort de son père. Là-bas, il retrouve son ami d’enfance Balya (Suraaj Suman), un agriculteur local. Alors qu’Anand affronte le deuil et la pression familiale du mariage, une relation tendre se tisse entre les deux hommes, leur offrant un refuge et un sentiment d’appartenance.

Le titre du film, qui signifie « poires cactus » en marathi, sert de métaphore au parcours des protagonistes. Tout comme le fruit du cactus est recouvert d’épines à l’extérieur, mais est doux et juteux à l’intérieur, les protagonistes traversent des épreuves et naviguent dans les méandres de l’amour dans leur environnement rural hostile, mais parviennent à se créer un refuge intime et réconfortant. Un autre aspect notable du film est l’usage de la langue marathi. Trop longtemps, les récits queers en Inde ont été dominés par le cinéma hindi, avec seulement une poignée de films proposés dans d’autres langues vernaculaires, comme le malayalam ou le bengali. Rares sont les films en langue marathi qui abordent ces thématiques, ce qui fait de Sabar Bonda une contribution rare et significative au récit queer vernaculaire en Inde.

Sabar Bonda bouleverse les récits queers traditionnels en s’éloignant des stéréotypes centrés sur les traumatismes liés au coming out et à la violence familiale, pour se concentrer plutôt sur la richesse intérieure de ses personnages. Dans le film, la mère d’Anand connaît la sexualité de son fils et le soutient discrètement. Vers la fin du film, elle « devine » également celle de Balya et crée, sans un mot, l’espace nécessaire pour que les deux puissent vivre ensemble. De tels actes de solidarité discrète sont rarement représentés dans les récits grand public. Le film remet également en question l’idée selon laquelle le soutien à la communauté queer ne viendrait que des personnes « éduquées » vivant en milieu urbain. Il souligne au contraire que l’empathie peut transcender les classes sociales, le niveau d’éducation et le milieu social. Même si les mots « gay », « queer » ou « homosexuel » ne sont jamais explicitement utilisés, les thèmes liés à la communauté queer sont indéniablement présents tout au long du film.

En mettant en avant la vie intime que Balya et Anand parviennent à construire dans un environnement par ailleurs hostile, Sabar Bonda sert de miroir subtil, mais incisif à la société, invitant les spectateurs à revenir sur les questions posées au début du film : comment les couples queers peuvent-ils affronter les épreuves familiales et matrimoniales en l’absence (ou presque) de soutien social, légal ou religieux ? Et pourquoi devraient-ils rester cantonnés aux marges alors que les personnes non queers évoluent en toute sécurité dans la société, en gardant leurs privilèges intacts ?

Largement salué, à juste titre

Le film a été largement salué et a remporté le Grand Prix du jury du cinéma mondial au Festival du film de Sundance. Le Film Critics Guild lui a attribué la note de 8,6/10, sa présidente Anupama Chopra le qualifiant de « voyage lyrique et languissant vers la découverte de soi et l’appartenance, qui offre de l’espoir même dans les situations difficiles ».

Le premier long métrage en marathi de Rohan Kanawade, Sabar Bonda (Cactus Pears), est actuellement noté 8,6/10 sur le site FCGR (Film Critics Guild Ratings) !

Le film est sorti aujourd’hui dans plusieurs salles en Inde.

Lisez les critiques ci-dessous ⬇#SabarBondaReview#CactusPearsReview pic.twitter.com/B14SDZcR7n

— Film Critics Guild (@theFCGofficial) le 19 septembre 2025

D’autres critiques ont été tout aussi élogieuses : Prathyush Parasuraman, du Hollywood Reporter India, compare le film à « du pain tout juste sorti du four », offrant « quelque chose de croustillant ». Mihir Bhanage, du Times of India, l’a qualifié de « film magnifique et simple qui se dévoile comme une douce histoire d’amour, de perte et d’amitié ». Tatsam Mukherjee, qui écrit pour The Wire, évoque une « révolution silencieuse dans les salons de la classe moyenne, non par l’hystérie, mais par la grâce et la ténacité ».

En effet, la force du film réside dans son rythme lent et délibéré et sa narration subtile. Il explore avec délicatesse les thèmes du deuil, de l’appartenance, de la sexualité et de la famille, tout en mettant en avant la situation sociale des protagonistes, en particulier la manière dont la caste, le genre, l’orientation sexuelle et la localisation rurale façonnent les expériences de chacun.

Rohan parvient à équilibrer émotion et nuance sans paraître moralisateur, offrant ainsi une vision rare et intime des possibilités radicales de l’amour queer dans l’Inde rurale. Sabar Bonda est un chef-d’œuvre de cinéma nuancé et devrait s’imposer comme une œuvre incontournable pour quiconque s’intéresse aux récits situés à l’intersection de la classe sociale, de la sexualité et de la vie familiale en Inde.


Powered by VroumVroumBlog 0.1.31 - RSS Feed
Download config articles