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Les exportations de véhicules électriques chinoises stimulent la réalisation des objectifs de transition écologique au Tadjikistan.

Fri, 24 Oct 2025 15:31:35 +0000 - (source)

Les bus et taxis électriques, des allègements fiscaux importants pour les véhicules électriques et le renforcement des infrastructures contribuent à rendre Douchanbé plus écologique

Initialement publié le Global Voices en Français

A BYD showroom in the Tashkent City Mall in Uzbekistan. Central Asia is fast becoming a hotspot for imported Chinese brand EVs.

Photo prise dans le showroom BYD au Tashkent City Mall en Ouzbékistan. L'Asie centrale s'impose rapidement comme une zone clé pour l'importation de véhicules électriques de marque chinoise. Image de la part de Global Voices Climat Justice, utilisée avec permission.

Cet article s’inscrit dans le cadre de la bourse Global Voices Climate Justice, un programme qui réunit des journalistes issus des pays sinophones et du Sud global pour analyser les impacts des projets de développement chinois à l’étranger. Pour en savoir plus, consultez les autres articles ici.

La Chine s’affirme comme un partenaire stratégique majeur du Tadjikistan dans sa transition vers une mobilité durable, devenant rapidement le principal fournisseur de véhicules électriques du pays. En intensifiant ses efforts pour soutenir la production locale de EVs, elle pourrait non seulement dynamiser l’industrie automobile nationale, mais aussi contribuer significativement à l’amélioration de la qualité de l’air dans les zones les plus touchées par la pollution.

Parmi les cinq États d’Asie centrale, le Tadjikistan est celui qui a adopté les mesures les plus ambitieuses pour accélérer sa transition vers les véhicules électriques. Les autorités ont rendu obligatoire la conversion de l’ensemble des compagnies de taxis de la capitale, Douchanbé, aux EVs, et fixé un objectif selon lequel 20 à 30 % du parc automobile national devra être électrique d’ici 2030. Ces mesures s’accompagnent d’exonérations fiscales et douanières applicables aux véhicules électriques jusqu’en 2032.

Les autorités tadjikes espèrent capitaliser sur cette dynamique afin de positionner le pays comme un acteur de premier plan dans la transition écologique mondiale. Dans un discours prononcé lors de la Conférence internationale sur l’eau pour le développement durable, le président du Tadjikistan en juin 2024 , Emomali Rahmon, a déclaré :

Еще одной нашей целью является превращение Таджикистана в «зелёную страну» к 2037 году.

Another of our goals is to transform Tajikistan into a ‘green country’ by 2037.

L’un de nos objectifs stratégiques est de transformer le Tadjikistan en un pays modèle du développement durable d’ici 2037.

Cette urgence découle des problèmes de pollution de l’air au Tadjikistan, les véhicules à moteur à combustion interne étant considérés comme l’un des principaux responsables de cette pollution.

La transition du Tadjikistan vers les véhicules électriques s’aligne parfaitement sur l’ascension de la Chine en tant que leader mondial dans la fabrication et l’exportation de véhicules électriques, ainsi que sur le renforcement de la coopération bilatérale entre les deux pays. Cependant, cette coopération émergente dans le domaine des véhicules électriques place le Tadjikistan sur une trajectoire qui risque d’accroître encore davantage sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Cette situation inquiète certains observateurs, qui soulignent que Pékin a déjà utilisé son importante influence économique pour empiéter à plusieurs reprises sur l’autonomie politique du Tadjikistan.

La pollution de l’air et la transition vers les véhicules électriques 

City views in Tajikistan's capital Dushanbe. Screenshot from YouTube.

Vues brumeuses de la ville de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan. Capture d’écran tirée de YouTube.

Depuis plusieurs années, le Tadjikistan figure parmi les pays les plus touchés par la pollution atmosphérique au niveau mondial. En 2023, il s’est classé au quatrième rang du classement IQAir des pays les plus pollués, avant d’occuper la sixième rang en 2024. La situation est particulièrement préoccupante à Douchanbé, où la concentration annuelle de PM2.5 est passée de 17,8 μg/m³ en 1998 à 32,7 μg/m³ en 2021, révélant une dégradation significative de la qualité de l’air.

Les conséquences les plus directes de la pollution de l’air se font sentir sur la population, dont la santé se détériore progressivement. Au Tadjikistan, le taux de mortalité attribué à la pollution atmosphérique s’élève à 78 décès pour 100 000 habitants par an, le deuxième plus élevé d’Asie centrale, après celui de l’Ouzbékistan. Cela représente plus de 4 800 décès prématurés chaque année liés à la mauvaise qualité de l’air. Selon l’Agence des statistiques, environ 28 % des maladies recensées concernent le système respiratoire, soulignant encore davantage l’ampleur de l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé publique.

Pour remédier à cette situation, le Tadjikistan s’est engagé à assainir ses routes et à accélérer la transition vers les véhicules électriques, notamment à Douchanbé, où la pollution automobile est particulièrement élevée, selon les autorités. En juin 2024, la mairie a publié un décret ordonnant aux 12 compagnies de taxi de la capitale de convertir l’ensemble de leurs 4 350 véhicules à l’électricité d’ici le 1er septembre 2025. Par ailleurs, la municipalité prévoit également de remplacer progressivement les bus par des modèles électriques d’ici 2028, dans le cadre de sa stratégie de mobilité durable.

A busy road in Dushanbe.

Une route très fréquentée à Douchanbé. Capture d’écran tirée de YouTube.

Cette initiative s’inscrit dans le cadre du Programme de développement des transports électriques 2023–2028, qui fixe plusieurs objectifs ambitieux : production locale de véhicules électriques et de leurs composants, construction d’infrastructures pour l’alimentation et l’entretien, développement de technologies de recyclage des batteries, ainsi que octroi d’avantages aux conducteurs de véhicules électriques. En 2022, les autorités ont également exonéré les véhicules électriques de tous impôts et droits de douane à l’importation pour une durée de dix ans.

Ces mesures ont indéniablement contribué à l’augmentation du parc de véhicules électriques. En 2022, le ministère des Transports indiquait que sur environ 445 000 voitures particulières, seuls 120 véhicules étaient électriques, soit 0,03 % du total. Trois ans plus tard, en 2025, le nombre de véhicules électriques, dont la grande majorité sont des voitures particulières, atteint 34 354 unités, représentant environ 5 % de l’ensemble des véhicules du pays.

Un partenaire à part entière

Comme c’est souvent le cas au Tadjikistan, lorsqu’il s’agit de s’appuyer sur des partenaires pour relever ses défis internes, le pays s’est tourné vers la Chine, dont le rôle dans l’économie tadjik est difficile à surestimer. La Chine est à la fois le plus grand investisseur et créancier du pays, ainsi que le deuxième partenaire commercial après la Russie. Entre 2007 et 2023, les investissements chinois ont totalisé 3,845 milliards de dollars, selon le Comité d’État pour les investissements et la gestion des biens publics du Tadjikistan. La coopération bilatérale couvre un large éventail de secteurs, notamment l’énergie, les transports, l’exploitation minière, l’agriculture, la construction, et bien d’autres encore.

Le marché des véhicules électriques (VE) au Tadjikistan est largement dominé par la Chine, dont les exportations représentaient près de 83 % des importations de véhicules électriques au Tadjikistan au premier semestre 2024, alors que les importations en provenance du Japon et de l’Allemagne ont chuté respectivement de 75 % et 90 %. Selon le média chinois d’État CGTN, les véhicules électriques chinois représentent plus de 90 % des importations de véhicules électriques au Tadjikistan. Il est prévu que les sanctions contre la Russie et les droits de douane américains sur les produits chinois pourraient accroître encore cette part.

En 2024, la mairie de Douchanbé a lancé une flotte de minibus électriques, avec l’intention d’en augmenter le nombre à l’avenir. Le nouveau reportage de CGTN a salué ce projet, soulignant qu’il offre aux conducteurs des véhicules modernes et performants, bénéfiques pour l’environnement et contribuant à réduire la dépendance du Tadjikistan aux importations de carburant.

Lorsqu’il s’agit de parler des véhicules électriques dans le pays, il est souvent plus simple de mentionner les acteurs non chinois plutôt que d’énumérer les nombreux projets chinois. Le seul acteur non chinois dans le secteur des véhicules électriques au Tadjikistan est une usine de bus conjointe turco-tadjike, qui a produit ses 30 premiers bus électriques en mai 2025.

Selon les experts des relations entre la Chine et l’Asie centrale, Temur Umarov et Roman Vakulchuk, les entreprises chinoises ont privilégié la diplomatie et le lobbying pour s’implanter sur le marché tadjik, plutôt que les modèles traditionnels d’expansion orientés vers le marché. Dans leur article sur la prise de contrôle du marché automobile en Asie centrale par la Chine, ils expliquent qu’en 2023, les deux parties se sont entendues pour établir une usine destinée à produire localement 1 500 véhicules électriques, ce qui a ensuite entraîné une augmentation spectaculaire des importations de VE chinois.

« Route de la Soie verte » ou dépendance croissante 

Les médias d’État chinois présentent généralement la promotion des véhicules électriques en Asie centrale comme faisant partie d’un projet plus large visant à établir une « Route de la Soie verte ». Autrement dit, les véhicules électriques s’inscrivent aux côtés du développement par la Chine des infrastructures énergétiques en Asie centrale, constituant ainsi une initiative écologique supplémentaire proposée par la Chine dans la région.

Les marques de véhicules électriques chinoises sont de plus en plus perçues comme des produits de haute qualité par les experts locaux du secteur, tout en restant abordables et fiables. Dans ce contexte, les médias d’État chinois mettent en avant des témoignages d’entrepreneurs locaux ayant bénéficié du commerce des véhicules électriques et affichent leur fierté de voir les marques chinoises se mondialiser, comme le montre cet extrait d’une interview diffusée par la chaîne d’État CCTV.

过去十年,我国新能源汽车年产销量

从万辆级跨越到千万辆级,产品出口到70多个国家和地区,占世界比重超六成,成为中国制造的一张‘亮丽名片。

Au cours de la dernière décennie, la production et les ventes annuelles de véhicules à nouvelles énergies de mon pays sont passées de dizaines de milliers à plusieurs dizaines de millions, avec des produits exportés vers plus de 70 pays et régions, représentant plus de 60 % du total mondial, devenant ainsi une véritable « carte de visite » du Made in China.

A parking lot filled with Dushanbe's new electric taxis (green and white). Screenshot from Chinese-state-funded CCTN YouTube video.

Un parking rempli des nouveaux taxis électriques de Douchanbé (verts et blancs), achetés en Chine. Capture d’écran tirée d’une vidéo YouTube CGTN.

À mesure que les chauffeurs de taxi de Douchanbé adoptent les véhicules électriques chinois, les porte-parole des entreprises font état de résultats positifs. Par exemple, dans une interview accordée à l’agence d’État chinoise Xinhua, un représentant du service de taxi tadjik 3333 a souligné que « les chauffeurs locaux accueillent très favorablement les véhicules électriques chinois en raison de leur qualité supérieure ». Ruslan Sarbozzoda (Руслан Сарбоззода), responsable du projet ECO-City Taxi chez Yak Taxi, a déclaré à Asia Plus :

Более половины привезенных автомобилей уже приобрели счастливые водители “ЯК Такси”, которые экономят деньги на бензине и получают восторженные комментарии от пассажиров о комфорте и бесшумном передвижении.

Plus de la moitié des véhicules importés ont déjà été acquis par des chauffeurs de Yak Taxi satisfaits, qui réalisent des économies sur le carburant et reçoivent des retours enthousiastes des passagers concernant le confort et la douceur de conduite.

Les véhicules électriques sont également présentés de manière positive, en parallèle des efforts de la Chine pour lutter contre le changement climatique et résoudre les problèmes environnementaux.

Parallèlement au développement des véhicules électriques, le Tadjikistan adoptera progressivement les technologies chinoises liées à l’entretien, à la recharge et à la gestion de la fin de vie des véhicules électriques. À cet égard, les experts alertent sur le fait qu’une part aussi importante d’un seul acteur n’est pas optimale. Umarov et Vakulchuk soulignent que la domination de la Chine pourrait finir par atteindre « le niveau de la gestion d’abord des infrastructures urbaines, puis du système de transport de l’ensemble du pays, ne laissant aucune place aux concurrents ».

Bien que cette transition soit pratique et efficace, la dépendance croissante du Tadjikistan à l’égard de la Chine pour le développement des véhicules électriques soulève des préoccupations majeures en matière d’autonomie politique. Par le passé, la Chine a exploité l’incapacité du Tadjikistan à honorer ses dettes pour obtenir des droits miniers lucratifs et même revendiquer 1 100 km² de territoire. Un contrôle effectif du marché tadjik des véhicules électriques constituerait-il pour la Chine un outil supplémentaire d’influence stratégique, dont l’utilisation à des fins de levier politique ne peut être écartée?


L'histoire de Moon : une enseignante qui a osé penser différemment en Birmanie

Fri, 24 Oct 2025 14:27:44 +0000 - (source)

Voici la traduction en français : Une enseignante et conteuse opposant une résistance à la junte en exil

Initialement publié le Global Voices en Français

Moon

Photo de Exile Hub, partenaire de contenu de Global Voices. Utilisée avec permission.

Exile Hub est un des partenaires de Global Voices en Asie du Sud-Est, apparu suite au coup d'état de 2021 en Birmanie, mettant l'accent sur l'autonomisation des journalistes et des défenseurs des droits humains. Cet article édité est republié dans le cadre d'un accord de partenariat de contenu. 

Le parcours pédagogique de Moon a débuté en 2014 dans le district de Kawkarate, dans l'état de Karen. Dès le premier jour, elle s’est démarquée. Elle ne s’est pas contentée de simplement suivre les règles ou de répéter ce qui avait toujours été fait. Elle s'est rapidement distinguée par sa motivation, sa créativité, et son courage. En 2018, après seulement 4 ans de carrière, elle a obtenu le poste de directrice par intérim dans un collège de sa ville natale.

L’Éducation comme libération et non comme contrôle  

Dès le début, Moon a refusé de considérer l’enseignement comme un apprentissage de l'obéissance. A l'époque en Birmanie, sa classe était animée par des questions, des débats, et des rires si vivants qu'elle s'est souvent heurtée aux responsables de l'éducation. Ils lui rappelaient que les étudiants étaient supposés « apprendre l'obéissance. » Mais pour Moon, l'éducation était une question de curiosité et non de soumission.

« Chaque mot doit être obéi, chaque ordre doit être suivi, » se rappelle-t-elle du système. « Même la religion est enseignée injustement, avec une version du Bouddhisme imposée alors que la Birmanie abrite de nombreuses confessions religieuses. »

Pour Moon, le véritable rôle de l'éducation est de susciter la pensée critique. « Les enseignants eux-mêmes doivent d'abord changer, et non pas les enfants. Les instituteurs en Birmanie enseignent toujours selon un modèle militaire, » explique-t-elle. Là où d'autres ont vu une forme de contrôle, Moon a vu la libération. « L'éducation doit aller au-delà des manuels scolaires pour inculquer des valeurs et la capacité à remettre en question. »

Contrainte à l'exil

Ainsi, lorsque l'armée birmane a pris le pouvoir par le biais d'un coup d'état en 2021, il ne fut pas surprenant que la défiance de Moon se soit répandue dans les rues. Elle a attaché un ruban rouge à son uniforme, mené des manifestations et est rapidement  devenue un leader visible du mouvement de désobéissance civile  (CDM) dans sa petite ville. Mais son courage comportait de lourds risques. Des soldats ont fait circuler sa photo, la traquant. Même au sein de sa famille, des tensions apparurent. Son père, qui avait lui-même était soldat, prit la douloureuse décision de l'envoyer loin pour sa sécurité.

Moon s'est enfuie à Lay Kay Kaw, une ville du sud est de la Birmanie, laissant derrière elle ses étudiants, sa maison et la vie qu'elle avait construite. L'exil apportant aussi ses propres difficultés. Dans les écoles pour migrants, de l'autre côté de la frontière, elle a enduré l'exploitation, gagnant moins en un mois que de nombreux ouvriers en l'espace d'une semaine. Pourtant elle a toujours gardé à l'esprit qu'elle avait beaucoup de chance de pouvoir manger à sa faim, d'avoir un toit au dessus de sa tête et avant tout de pouvoir continuer à enseigner.

Nouvelles voix, nouvelles perspectives

« J'ai toujours pensé que l'on n'arrêtait jamais d'apprendre, je continue donc à travailler pour combler mes lacunes, » explique Moon. Cette conviction l'a amené à joindre le programme de langue thaïlandaise d'Exile Hub à Mae Sot. A partir de là elle s'est lancée dans de nouvelles formes d'expression — la formation au podcast, l'art de raconter des histoires (storytelling), et même la narration de documentaires. Elle a produit un épisode des Voix résilientes, amplifiant l'histoire d'un/une jeune LGBTQ+ en exil. Plus tard, elle a co-créé un épisode documentaire de « Liberté de Religion et de Conviction » avec des professionnels des medias également expatriés.

« En tant qu'enseignante, j'ai toujours raconté des histoires à mes étudiants, » évoque Moon. « Je peux désormais utiliser l'art de raconter des histoires afin de toucher la communauté, particulièrement ceux qui sont confrontés à des défis tel que le mien. »

Comparée à l'époque où elle a été forcée de tout laisser derrière elle, Moon se décrit comme étant plus forte, plus pratique et davantage tournée vers l'avenir. Dans ses jours les plus difficiles, elle se rappelle : « C'est seulement aujourd'hui que c'est difficile. Demain peut être différent. » Elle a appris à accepter l'incertitude comme seule constante et à chérir le rire comme un moyen de survie.

Moon

Photo de Exile Hub, partenaire de contenu de Global Voices. Utilisée avec permission.

Un rêve au-delà de la salle de classe

Le rêve de Moon est à la fois simple et profond. Un jour, elle imagine ouvrir un petit café-librairie, un lieu où les gens pourront nourrir à la fois le corps et l'esprit. Avec un rire discret, elle ajoute : « Quand j'appelle ma mère de nos jours, je lui rappelle toujours de ne pas vendre le petit terrain que nous avons. Un jour, je reviendrai et je construirai ce café-librairie. »

Pour l'instant, Moon continue d'enseigner d'une manière que son ancien système scolaire n'a jamais permise. Par sa voix, sa résilience et son refus d'« enseigner comme un soldat », elle incarne un autre genre de leçon : le courage de penser différemment et l'espoir que même en exil, un enseignant peut encore inspirer le changement.


Le paradoxe des droits de la femme au Pérou

Fri, 24 Oct 2025 13:22:37 +0000 - (source)

Les progrès politiques coexistent avec une négligence persistante, entre des chiffres flatteurs et d'autres qui déçoivent.

Initialement publié le Global Voices en Français

 An Indigenous woman displays handmade carpets at roadside; near Cuzco, Peru. Photo by Urbain J. Kinet on Wikimedia Commons. Public Domain

Une femme vendant des tapis faits à la main sur le bord d'une route près de Cuzco, Pérou. Photo de Urbain J. Kinet sur Wikimedia Commons. Domaine public

Rédigé par Grecia Flores Hinostroza

Au Pérou, le droit des femmes fait l'objet d'un étrange paradoxe : sur le papier, nous avons les lois, les représentants, les engagements internationaux qui promettent l'égalité; mais dans la réalité nos vies racontent une histoire différente. Les progrès politiques coexistent avec une négligence persistante, entre des chiffres flatteurs et d'autres qui déçoivent. Cette contradiction n'est pas cachée dans l'ombre — le contraste douloureux est clairement écrit dans ces mêmes chiffres que nous affichons si fièrement.

D'après l’indice de genre des ODD, la proportion des sièges occupés par les femmes au sein des parlements nationaux péruviens est de 72.9, un chiffre qui suggère progrès, visibilité et autorité. Et pourtant lorsque nous nous intéressons à la santé ce résultat chute brusquement à 35.5, à peine la moitié. Les femmes sont présentes au Congrès, mais absentes du système de santé supposé les protéger.

Si seule la participation politique suffisait, nos rues seraient plus sûres, nos hôpitaux accessibles et nos voix entendues au-delà des isoloirs de vote. Mais au Pérou, ainsi que dans une grande partie de l'Amérique Latine, la représentation n'a pas brisé les chaînes de l'inégalité, elle les a simplement rendues moins visibles aux yeux de ceux qui nous gouvernent.

Graphique publié avec la permission de l'auteur.

Les données relatent une histoire. La vie des femmes rurales, autochtones et pauvres en raconte une autre — une où l'accès aux services de santé de base relatif à la sexualité et la reproduction est une lointaine réalité. Où les hôpitaux, les experts, et les soins sont inaccessibles. Comme le souligne la politologue Stéphanie Rousseau dans “La politique de santé reproductive au Pérou ,” “Bien que les réformes au sein du secteur de santé aient eu un certain impact positif sur leur santé reproductive, les nombreuses restrictions imposées au droit des femmes à choisir en matière de procréation ont empêché toute avancée supplémentaire.”

Les conséquences ne sont pas abstraites. En 2020, au Pérou le taux de mortalité maternelle était de 69 morts pour 100,000 naissances selon l'Organisation de la Santé Mondiale (WHO), bien au-dessus de la moyenne de l'Amérique Latine qui était  de 45 et presque 5 fois celle du Chili (16) et de l'Uruguay (13). Ces chiffres représentent la vie des femmes qui auraient pu être sauvées grâce à des soins prodigués plus tôt, des accouchements sans risque et le respect de leurs droits pourtant déjà reconnus par la loi.

Graphique publié avec la permission de l'auteur.

Mais ces injustices ne sont pas seulement des échecs moraux; elles constituent également des trahisons juridiques. Le Pérou a signé des engagements internationaux : la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes  (CEDAW), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), et d'autres. Ce ne sont pas de lointains traités attrapant la poussière dans les archives diplomatiques. Ce sont des engagements obligatoires, écrits pour préserver la dignité, la santé, et la sécurité des femmes — des engagements destinés à atteindre chaque hôpital, chaque salle d'audience et tous les villages reculés de notre pays.

Les lois protégeant les droits en matière de santé sexuelle et reproductive existent sur le papier, mais elles restent de lointaines réalités pour les populations rurales, les autochtones, et les femmes pauvres. Les cliniques manquent des services essentiels.  Des soins complets touchant à la santé reproductive ne sont pas disponibles. Le cadre juridique affirme l'égalité, mais l'égalité disparaît dans les endroits où les femmes sont encore confrontées à des grossesses forcées, des accouchements dangereux et une négligence systémique.

La Constitution parle d'égalité, mais l'égalité est absente là où les femmes gèrent seules leur grossesse. Des protocoles sont mis en place par le ministère de la Santé, mais ils ne peuvent pas sauver des vies quand le centre de soins le plus près est fermé, ou que le dernier médecin est parti. Des droits sans accès à l'essentiel sont vides de sens. Des engagements sans implication sont une trahison.

Dans ce contexte, la représentation politique ne doit pas être confondue avec libération. Nous ne pouvons pas accepter l'illusion du progrès qui nous vient de plus de femmes au pouvoir si elle ne s'accompagne pas de mesures concrètes visant à démanteler les barrières structurelles. L'autonomisation n'est pas un slogan vide de sens —c'est la réalité vécue sans crainte, l'accessibilité aux services de santé sans aucune barrière, et pouvoir se faire entendre sans représailles.

Le fossé entre la législation et la vie n'est pas une faille abstraite du système, c'est une crise quotidienne. C'est une jeune fille dans une province rurale forcée d'accoucher après une agression sexuelle car l'avortement est inaccessible. C'est une mère qui meurt en chemin pour l'hôpital qui n'aurait pas été en mesure de la soigner. Tout comme dans la communauté autochtone ou les droits en matière de reproduction n'existent qu'à travers de lointains tribunaux, et non par le biais d'un système local juste.

Si nous mesurons le succès seulement par la présence des femmes au pouvoir, nous ignorons l'absence de justice dans leur communauté. Le nombre de sièges au parlement ne peut pas compenser pour des maternités vides. La reconnaissance internationale ne peut pas remplacer le droit à des accouchements sans risque.

J'en appelle au Congrès péruvien à légiférer non pas pour les apparences, mais pour l'autonomie. Pour s'assurer que la santé, la sécurité, et la dignité soient des réalités dans chaque province. J'en appelle aux donateurs internationaux afin qu'ils financent le combat pour une procréation libre, et non pas juste une participation politique. Et je fais également appel à la société péruvienne pour qu'elle reconnaisse qu'une représentation sans droit n'est absolument pas une victoire.

La représentation compte. Mais c'est seulement le début. La véritable autonomie commence quand chaque femme contrôle son futur — son corps, sa santé, sa voix — peu importe où elle soit née et si elle vit loin de la capitale. Jusqu'à ce jour, le paradoxe subsistera, et le progrès sera une promesse à moitié tenue.


Résilience aux inondations : les villes éponges et l'avenir de l'Asie du Sud-Est

Fri, 24 Oct 2025 13:09:51 +0000 - (source)

Les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents et intenses en Asie du Sud-Est.

Initialement publié le Global Voices en Français

Floods hit Hue city, Vietnam in 2020. Via Wikimedia Commons By Lê Minh Đức CC BY-SA 4.0

Ville de Hué, Vietnam, frappée par des inondations en 2020. Via Wikimedia Commons / Lê Minh Đức CC BY-SA 4.0

Cet article a été soumis dans le cadre de la Bourse Global Voices pour la justice climatique, qui associe deux journalistes issus de pays sinophones et du Sud global afin d'examiner les effets de projets de développement chinois à l'étranger. Retrouvez d'autres articles ici.

Au mois de mars 2025, des pluies torrentielles se sont abattues sur les rues de Jakarta, la capitale de l’Indonésie. Elles ont provoqué de graves inondations dans la ville et ses environs, lesquelles ont fait au moins neuf victimes, entrainé l’évacuation de 90 000 personnes, et ravivé chez les habitants des souvenirs douloureux lorsqu’en 2020, un phénomène similaire avait causé la mort d’au moins 60 personnes dans la métropole.

Très vite, des vidéos du désastre, des opérations d’évacuation et des efforts des premiers secours pour atténuer la situation, ont envahi les réseaux sociaux. L’une d'elles montre des secouristes à bord d'embarcations porter assistance aux habitants et tenter de dégager les routes inondées en déversant l’excès d’eau dans la rivière à l’aide de camions de pompiers.

@tawabb_

Inalillahi, turut berduka atas musibah Hari ini, Selasa 4 Maret 2025 Banjir di sejumlah Wilayah Jabodetabek .. 📍Kali Ciliwung, Jatinegara, Jakarta Timur

♬ suara asli – Tawabb – tawabb_

Inalillahi, turut berduka atas musibah Hari ini, Selasa 4 Maret 2025 Banjir di sejumlah Wilayah Jabodetabek .. 📍Kali Ciliwung, Jatinegara, Jakarta Timur

Nous appartenons à Allah et c'est vers Lui que nous retournons. Nos condoléances pour la catastrophe qui s'est produite aujourd'hui, mardi 4 mars 2025. Inondations dans plusieurs quartiers de Jabodetabek… 📍Rivière Ciliwung, Jatinegara, Jakarta-Est

De graves inondations, provoquées par des conditions météorologiques extrêmes, ont aussi dévasté d’autres capitales de l’Asie du Sud-Est.

Au mois d’août, des quartiers de Manille, la capitale des Philippines, ont été inondés en raison de précipitations exceptionnelles accompagnées d’une intensité sans précédent, et équivalentes, selon une analyse d’experts, à environ cinq jours de pluie, tombées en seulement une heure. Au mois de septembre, les rues de Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, ont été submergées par plus d’un mètre d’eau à la suite de violents orages, provoquant d’importants embouteillages. Les habitants ont dû abandonner leurs véhicules et continuer à pied à travers les routes inondées en pleine heure de pointe.

En Asie du Sud-Est, les phénomènes météorologiques extrêmes liés aux changements climatiques se produisent à une fréquence et une intensité plus élevées, d’où l’augmentation des inondations en milieu urbain, un problème chronique dans les gigantesques mégapoles de la région causé par un aménagement urbain désuet, des zones côtières basses, et une saturation des terres.

Heavy rainfalls caused flash floods in Quezon City, the Philippines in 2023. via Wikimedia Commons

Crues éclairs provoquées par des pluies diluviennes à Quezo City, aux Philippines, en 2023. via Wikimedia Commons. CC-BY-SA-4.0 

Les inondations urbaines sont aussi courantes en Chine ; 641 des 654 plus grandes villes du pays sont régulièrement touchées par des pluies torrentielles, notamment les mégapoles sur les côtes orientales et méridionales.

En 2023, afin de résoudre le problème des inondations, la Chine a intégré le concept de « villes éponges » (ou villes perméables) dans sa politique nationale, et des projets pilotes ont été lancés dans des dizaines de villes à travers tout le pays.

Définition d'une ville-éponge

Yu Kongjian, l’un des architectes urbanistes les plus éminents de Chine, a créé la méthode de la ville-éponge afin de lutter contre les inondations.

Il illustre la capacité des villes à stocker les eaux pluviales en utilisant une éponge comme métaphore. Contrairement à la gestion traditionnelle des inondations, qui vise principalement à évacuer rapidement l'eau grâce à des infrastructures de drainage artificielles, telles que des tuyaux et canaux, les villes éponges fonctionnent en absorbant l’eau et en la relâchant lentement, comme une éponge.

« Les inondations ne sont pas nos ennemis. Nous pouvons nous en faire des amis. Nous pouvons devenir amis avec l’eau. », explique-t-il.

Tianjin Qiaoyuan Park is one of the early sponge city projects. via Wikimedia Commons by Mydogistiaotiaohu CC BY-SA 4.0

Tianjin Qiaoyuan Park à Tianjin, Chine, l'un des premiers projets de ville-éponge. Image via Wikimedia Commons / Mydogistiaotiaohu CC BY-SA 4.0

Lorsque les villes s’agrandissent, le sol naturel est remplacé par des surfaces imperméables, telles que le ciment et le bitume, qui empêchent l’absorption de l’eau. Selon Yu Kongjian, la destruction d’hydrosystèmes naturels, comme les rivières, lacs et marécages, résultant d’une urbanisation rapide, est l’une des principales raisons pour lesquelles de telles catastrophes se produisent aujourd’hui si souvent dans les mégapoles chinoises. Le concept de ville-éponge est axé sur la restauration des réseaux hydrographiques naturels, en permettant au sol d'absorber l'eau de pluie tout en la réutilisant, et d'éviter des inondations sévères. Lors d’un entretien avec Le Quotidien du peuple,  journal officiel chinois, il explique que selon lui, une trop grande dépendance envers des infrastructures grises (telles que les barrages et canalisations en béton), peut s’avérer restrictive.

工业化大家相信人类的技术、人类的机械工程、钢筋水泥工程能够征服自然。因为它有科学的模型,它能计算出水流,能计算出运动的轨迹,能计算出河道。越直、越硬、越光,它的过水越快,它的防洪效果越好。就是这种工程机械的,这种机械的工程思维,就是单一目标的思考。

L'industrialisation a conduit à croire que la technologie humaine, l'ingénierie mécanique et le béton armé pouvaient conquérir la nature, grâce à des modèles scientifiques capables de calculer le débit de l'eau et ses trajectoires, et de cartographier le réseau fluvial. Plus la structure est droite, dure et lisse, plus l'eau s'écoule rapidement et plus les défenses contre les inondations sont efficaces. Ce type de machinerie d'ingénierie, de génie mécanique, adopte une approche unique.

En 2013, le président chinois Xi Jinping a donné son aval aux villes éponges et leur développement est devenu prioritaire.

解决城市缺水问题,必须顺应自然。比如,在提升城市排水系统时要优先考虑把有限的雨水留下来,优先考虑更多利用自然力量排水,建设自然积存、自然渗透、自然净化的'海绵城市'。

Nous devons nous adapter à la nature afin de résoudre le problème de pénurie d’eau dans les zones urbaines. Par exemple, afin d’améliorer les systèmes de drainage urbains, il est important de donner la priorité à la conservation de l'eau de pluie, à l'utilisation de moyens plus naturels pour le drainage et à la construction de « villes-éponges » dotées d'un système naturel d'accumulation, d'infiltration et de purification.

Les toitures végétales, les systèmes d’infiltration et de rétention des eaux pluviales, les espaces verts en contrebas, les trottoirs perméables, les jardins de pluie, la restauration de zones humides et de cours d’eau sont seulement quelques-unes des stratégies utilisées pour le développement de ces soi-disant villes éponges.

Selon les conclusions de chercheurs, les villes éponges en Chine ont considérablement amélioré la gestion des eaux pluviales et de leur évacuation, et contribué au réaménagement d’environnements géographiques hostiles.

S'adapter aux changements climatiques en Asie du Sud-Est

Yu Kongjian estime que son concept de gestion de l’eau profitera aux pays qui sont vulnérables aux inondations, tels que le Bangladesh, la Malaisie et l’Indonésie, alors que d’autres comme Singapour, les USA et la Russie, bénéficient déjà de l’implémentation de systèmes similaires.

Lors d’un entretien avec Sanlian Lifeweek, un magazine d’actualités chinois, il rappelle que la Chine et l’Asie du Sud-Est font face aux mêmes défis posés par les moussons.

在季风性气候下,降雨严重不均,一天可能有200毫米的雨降下来,再大的地下蓄水空间,再粗的排水管道和强大的排水泵站,都没办法解决瞬时的排洪排涝问题……最有效的解决方法就是基于自然、适应于自然、借助于自然来解决问题。

Les précipitations sont très irrégulières lors des moussons. Chaque jour, il peut tomber jusqu'à 200 millimètres de pluie, et quelles que soient la capacité de stockage souterrain, la taille des canalisations d’écoulement ou la puissance des stations de pompage, rien ne peut résoudre le problème immédiat du drainage des eaux stagnantes… la solution la plus efficace consiste à traiter le problème grâce à des méthodes basées sur la nature, adaptées à la nature et en utilisant la nature.

Toujours selon lui, les approches classiques de gestion de l’eau, basées principalement sur l’acheminement des eaux de pluie hors des villes, ne sont pas compatibles avec celles sujettes aux moussons.

Lors d’un entretien accordé à la BBC, il explique que : « Ces villes ont subi des échecs car elles ont été influencées par la culture occidentale dont elles ont copié les infrastructures et modèles urbains. »

Yu Kongjian et son équipe ont appliqué le concept de ville-éponge au cœur bouillonnant de la ville de Bangkok, où ils ont converti le site d’une ancienne usine de tabac en un espace vert, Benjakitti Forest Park. Selon un communiqué de presse de Turenspace, une entreprise de design urbain fondée par Yu, le parc permet de réduire la force destructive des pluies, filtre l’eau contaminée et offre à la fois un habitat à la faune locale et un espace de loisirs aux habitants.

Le projet fit ses preuves durant l’été 2022, lorsque Bangkok fut touchée par des précipitations exceptionnelles qui se produisent en moyenne tous les dix ans. Une grande partie de la ville fut inondée, à l’exception du parc et ses alentours.

Design goals of the Tianjin Qiaoyuan Park include containing and purifying urban storm water, as well as improving the saline-alkali soil through natural processes. via Wikimedia Commons by Joshua L. CC BY 2.0

Les objectifs de conception du parc Tianjin Qiaoyuan comprennent la rétention et la purification des eaux pluviales urbaines et l'amélioration des sols salins-alcalins grâce à des processus naturels. Image via Wikimedia Commons / Joshua L. CC BY 2.0

Défis et controverses

Les villes éponges ont néanmoins fait l’objet de controverses et scepticisme. Bien que le concept ait été testé dans de nombreuses villes en Chine, il est principalement appliqué à petite échelle, dans certains quartiers, rues ou zones.  Pour cette raison, les effets de la lutte contre les inondations ne sont souvent ressentis qu’à un échelon local, plutôt que dans toute la ville ou dans tout le pays.

Lors d’un précédent entretien, Yu Kongjian a lui-même admis que développer des projets pilotes dans les villes chinoises est difficile, car ils nécessitent une collaboration interministérielle, une profonde volonté politique et une large coordination administrative.

Des critiques soulignent également que souvent le concept de ville-éponge n’est pas totalement adapté aux niveaux records de précipitations causés par la crise climatique. En 2021, un déluge s’est abattu sur la province du Henan en Chine et a fait 202 victimes dans sa capitale Zhengzhou, l’une des premières à introduire le concept de ville-éponge.  Après le terrible désastre, beaucoup ont remis en question l’efficacité des infrastructures perméables de la capitale.

The floods in 2021 caused great damages to the city of Zhengzhou. via Wikimedia Commons CC BY-SA 4.0

Les inondations de 2021 ont provoqué d'importants dégâts à la ville de Zhengzhou. Image via Wikimedia Commons  CC BY-SA 4.0

Pire même, les phénomènes météorologique extrêmes associés aux changements climatiques sont de plus en plus fréquents et violents. Selon des critiques, les normes de conception ne sont pas toujours entièrement mises à jour pour faire face à l’évolution et l’intensité des précipitations provoquées par la crise climatique.

Hu Gang, urbaniste chinois, explique que le modèle de ville-éponge peut seulement fonctionner lors de pluies faibles ou modérées, et non lors d’orages exceptionnellement violents. Selon lui, outre la construction d’infrastructures perméables dans le but de réduire les inondations en milieu urbain, il est aussi primordial de prévoir un système de drainage généralisé, des abris d’urgence et des plans de préparation en cas de catastrophe.

Dans le contexte de l’Asie du Sud-Est, le développement de villes éponges rencontre de nombreux obstacles. Par exemple, dans le cas de Jakarta, sujette aux inondations, le coût exorbitant que représente la création d’infrastructures perméables est souvent cité comme l’une des principales difficultés, tout comme la désuétude du réseau d’évacuation et un manque d’espace pour de nouvelles constructions ou un réaménagement de la capitale surpeuplée.

En 2022, afin d’absorber les eaux de pluie et réduire les dégâts causés par les inondations, les autorités indonésiennes ont annoncé que le concept de ville-éponge serait implémenté dans la future capitale de l’Indonésie, Nusantara, actuellement en construction à l’est de Kalimantan, et qui remplacera Jakarta au terme des travaux. La nouvelle capitale est bâtie ex nihilo, et les autorités soutiennent qu’elle sera la « ville la plus durable du monde ». Nusantara est l'un des premiers exemple d'un pays décidant de déplacer sa capitale en raison de pressions climatiques, non sans pour autant créer une polémique.

D’après le rapport du projet de construction, Nusantara comportera de grands espaces ouverts qui seront reliés à son système hydrologique afin d’absorber et stocker l’eau de pluie. La nouvelle capitale comprendra également des revêtements de chaussée poreux et des toits végétales afin de minimiser le ruissellement des eaux pluviales vers les égouts. Cependant, la construction de la future capitale est actuellement victime de réductions budgétaires et l’on craint que son développement ne soit pas achevé de sitôt.


Election présidentielle 2025 en Côte d'Ivoire : deux femmes tentent leur chance

Mon, 20 Oct 2025 20:35:58 +0000 - (source)

Deux femmes africaines sont aujourd'hui présidentes: Samia Suluhu en Tanzanie et Netumbo Nandi-Ndaitwah en Namibie

Initialement publié le Global Voices en Français

En image, les deux femmes candidates: Simone Ehivet Gbagbo (à gauche) et Henriette Lagou Adjoua (à droite) ; Deux captures d'écran de la chaîne YouTube de France24, montée avec Canva

Des élections présidentielles se tiennent le 25 octobre 2025 en Côte d'Ivoire. Deux femmes dont une ancienne première dame font partie des cinq candidats en lice pour briguer la plus haute fonction pour les cinq prochaines années.

Le processus électoral ivoirien, dans lequel le president est élu au suffrage universel, est sous forte tension depuis l'invalidation de la candidature de certaines figures clés de l'opposition ainsi que la validation d'autres dossiers comme celui d’Alassane Ouattara, président depuis 2011 et candidat à sa propre succession, visant ainsi un quatrième mandat consécutif.

Lire : En Côte d’Ivoire, le processus de sélection des candidats pour la présidentielle accuse un déficit de transparence

Alassane Ouattara, président sortant et candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) aura en face de lui quatre candidats et candidates : Simone Éhivet Gbagbo, ancienne première dame, candidate du Mouvement des générations capables (MGC) ; Ahoua Don Mello, enseignant-chercheur et candidat indépendant ; Henriette Lagou Adjoua, candidate pour le Groupement des partenaires politiques pour la paix (GP-PAIX) et Jean-Louis Billon (60 ans), candidat du Congrès démocratique.

Ces cinq candidats validés par le Conseil constitutionnel battent campagnes dans les grandes villes et dans les zones rurales dans un pays qui compte plus de 32 millions d'habitants et qui figure sur la liste des pays à régime démocratique hybride selon le rapport 2024 de The Economist Intelligence Unit.

Les deux femmes candidates ont été proches de Laurent Gbagbo, président de 2000 à 2011:  Simone a été la femme de l'ancien président et Henriette Lagou Adjoua a travaillé avec Gbagbo en tant que ministre.

Qui est Simone Éhivet Gbagbo?

Née en 1949 à Moossou, petit village de la commune de Grand-Bassam à 43 km à l'est d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, Simone Ehivet Gbagbo est historienne de formation. Elle a été enseignante, ce qui lui a permis de participer à des mouvements de grève de l'enseignement en 1982 avant d'embrasser une carrière politique à la suite de la création du Front populaire ivoirien (FPI), parti politique qu'elle fonde avec son ex-époux et d'autres hommes politiques. Simone a également exercé une fonction politique comme députée de son parti de

à 20 ans de prison avant d'être amnistiée en 2018.

Pour ces joutes électorales d'octobre 2025, elle compte rebondir sur son expérience et proposer à la Côte Ivoire un programme axé sur la justice, la réforme du système de santé, la sécurité, l'économie.

Elle peut également compter sur un soutien de taille sur la scène politique ivoirienne: celui de Charles Blé Goudé, président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) dont la candidature a été rejetée.

Qui est Henriette Lagou Adjoua?

Née le 22 juin 1959 à Daoukro, ville située au Centre-Est de la Côte d’Ivoire, Henriette Adjoua Lagou est une diplomée du secteur de la sécurité sociale après de longue études dans son pays et en France.

Elle fait ses premiers pas en politique en tant que Ministre chargé de la Famille, de la Femme et de l’Enfant dans le gouvernement de Pascal Affi N'Guessan en octobre 2000.

Egalement écrivaine, elle soulève dans son roman “Pourquoi pas une femme ? “, publié en 2025, le débat autour des blocages qui se dressent contre l'ascension des femmes politiques ivoiriennes au poste suprême de la nation.

Elle est également connue comme militante pour la promotion des droits des femmes en Côte d'Ivoire. Ancienne candidate malheureuse lors des élections présidentielles de 2015, elle se présente donc pour une seconde fois. Au coeur de son programme électorale, Henriette évoque la paix, la réconciliation nationale la stabilité et le dialogue et la cohésion sociale pour un développement durable.

Un processus sous tension

C'est dans ce contexte de tension que les campagnes électorales pour ces élections présidentielles débutent le 10 octobre 2025 sur l'ensemble du pays. Tous les candidats validés par le conseil constitutionnel déploient leurs moyens pour séduire et convaincre la population ivoirienne avec leurs projets de société.

En parallèle, les candidats exclus du processus font appel à leurs militants pour manifester contre l'organisation de ces élections. Ils réclament en lieu un dialogue inclusif, comme l'explique ce reportage vidéo d’Africa News:

Malgré l'interdiction de manifester, les populations investissent massivement les rues d'Abidjan et d'autres villes du pays pour dénoncer un coup de force du régime en place. Ces manifestations se soldent souvent par des arrestations. Selon un article de Jeune Afrique, les autorités annoncent l'arrestation d'environ 700 manifestants. Parmi eux, une cinquante sont condamnés à trois ans de prisons pour des faits de “troubles à l’ordre public, attroupement et participation à une marche interdite”.

Le 17 octobre 2025, Sansan Kambilé, ministre ivoirien de la Justice indique la possibilité d'une restriction de la liberté de manifestation. Il dit:

(…) l’exercice du droit de manifester peut « faire l’objet de restrictions […] dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ». (…) les manifestations qui ont eu lieu depuis samedi « revêtent un caractère subversif » et sont « marquées par une violence incompatible avec les exigences de la loi ».

A quelques jours de la tenue des élections, les exclus du processus continuent de se mobiliser pour des contestations du processus électoral. Au total, plus de 8,7 millions d'électeurs sont appelés au urnes.

L'implication des femmes dans les affaires politiques permet aujourd'hui à toutes les femmes de rêver du fauteuil présidentiel en Côte d'Ivoire et sur le continent. Deux femmes africaines y sont arrivées: Samia Suluhu, présidente de la République de la Tanzanie depuis le 19 mars 2021 ; et Netumbo Nandi-Ndaitwah, présidente de la République de Namibie depuis le 21 mars 2025.

Lire notre cahier spécial : 


Suprématie systématisée : les conséquences d'une foi aveugle en la technologie

Tue, 14 Oct 2025 19:29:23 +0000 - (source)

La technologie en elle-même n'est ni bonne ni mauvaise ; ce sont les humains qui l'instrumentalisent

Initialement publié le Global Voices en Français

 

Image de Liz Carrigan et Safa, avec des éléments visuels de Yiorgos Bagakis et La Loma, utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en anglais]

Cet article a été écrit par Safa pour la série « Digitized Divides » et publié initialement sur tacticaltech.org. Une version modifiée est republiée par Global Voices dans le cadre d'un accord de partenariat.

La technologie peut être utilisée pour aider les gens ou pour leur nuire, mais il ne s'agit pas nécessairement d'une situation binaire : elle peut être utilisée simultanément au profit d'une personne ou d'un groupe tout en portant nuisance à une autre personne ou un autre groupe.

Bien que certains puissent se demander si les avantages de l'utilisation de données personnelles pour mettre en œuvre des politiques et des actions à grande échelle l'emportent sur les préjudices, comparer les avantages et les préjudices dans cette approche équilibrée, binaire et à deux faces est une manière erronée de l'évaluer de manière critique, en particulier lorsque les préjudices incluent la violence contre les civils. Après tout, la souffrance humaine n'est jamais justifiée, et il n'y a pas de manière d'édulcorer les répercussions négatives en toute bonne foi. Le « both-sidesism » technologique (la tendance à présenter deux côtés comme équivalents) tente de déterminer la « bonté » ou les « bons points » de la technologie, ce qui est une diversion, car la technologie en elle-même n'est ni bonne ni mauvaise. Ce qui compte, ce sont les humains qui sont derrière elle, les propriétaires et les opérateurs derrière les machines. Selon les intentions et les objectifs de ces personnes, la technologie peut être utilisée à des fins très diverses.

Lucratives et létales

Israël utilise des données collectées auprès des Palestiniens pour entraîner des outils automatisés basés sur l'IA, y compris ceux coproduits par des entreprises internationales, comme la collaboration entre l'israélien Elbit Systems et l'indien Adani Defence and Aerospace, qui ont été déployés à Gaza et en Cisjordanie. Les outils de surveillance et les logiciels espions israéliens suralimentés par l'IA, notamment Pegasus, Paragon, QuaDream, Candiru, Cellebrite, ainsi que l'armement doté d'IA, comme le Smart Shooter et le Lavender, sont mondialement connus et exportés dans de nombreux pays, y compris le Soudan du Sud et les États-Unis.

Les États-Unis cherchent également des moyens d'utiliser des technologies de reconnaissance faciale, locales et importées, à la frontière américano-mexicaine pour suivre l'identité des enfants migrants, collectant des données qu'ils pourront utiliser au fil du temps. Eileen Guo du MIT Technology Review a écrit :« Le fait que cette technologie cible des personnes qui bénéficient de moins de protections de la vie privée que les citoyens américains s'inscrit dans la tendance plus large consistant à utiliser les populations des pays en développement, qu'il s'agisse de migrants à la frontière ou de civils dans des zones de guerre, pour aider à améliorer les nouvelles technologies. » En plus de la reconnaissance faciale, les États-Unis collectent également des échantillons d'ADN d'immigrants pour un registre de masse auprès du FBI.

En 2021, les entreprises américaines Google et Amazon ont signé conjointement un contrat exclusif d'un milliard de dollars avec le gouvernement israélien pour développer le « Projet Nimbus », destiné à faire progresser les technologies de détection faciale, de catégorisation automatisée d'images, de suivi d'objets et d'analyse des sentiments à des fins militaires — une initiative condamnée par des centaines d'employés de Google et d'Amazon au sein d'une coalition nommée No Tech for Apartheid.

L'armée israélienne a également des liens avec Microsoft pour des outils d'apprentissage automatique et du stockage sur le cloud. Ces exemples sont cités ici pour montrer le déséquilibre du pouvoir au sein des systèmes d'oppression plus larges qui sont à l'œuvre. Ces outils et ces liens commerciaux ne sont pas accessibles à tous les bénéficiaires potentiels ; il serait inconcevable que Google, Amazon et Microsoft signent ces mêmes contrats avec, par exemple, le Mouvement de la résistance islamique (Hamas). 

Armes « intelligentes », matière à cauchemars

On attribue à l'ancien président américain Barack Obama la normalisation de l'utilisation de drones armés en dehors des champs de bataille. L'administration Obama qualifiait les frappes de drones de « chirurgicales » et « précises », allant parfois jusqu'à affirmer que leur usage n'avait entraîné « pas une seule mort collatérale », ce qui était manifestement faux. Depuis l'arrivée au pouvoir d'Obama en 2009, les frappes de drones sont devenues monnaie courante et leur utilisation s'est même étendue dans les actions internationales des États-Unis (sur les champs de bataille et en dehors) sous les administrations suivantes.

Les critiques affirment que l'usage de drones dans la guerre donne aux gouvernements le pouvoir « d'agir en tant que juge, juré et bourreau à des milliers de kilomètres de distance » et que les civils « souffrent de manière disproportionnée », ce qui constitue « une menace urgente pour le droit à la vie ». À titre d'exemple, BBC a décrit des drones russes comme « chassant » les civils ukrainiens.

En 2009, Human Rights Watch a publié un rapport sur l'utilisation par Israël des drones armés à Gaza. En 2021, Israël a commencé à déployer des « essaims de drones » à Gaza pour localiser et surveiller des cibles. En 2022, Omri Dor, commandant de la base aérienne de Palmachim, a déclaré : « L'ensemble de Gaza est “couvert” par des drones (véhicules aériens sans pilote) qui collectent des renseignements 24 heures sur 24. » À Gaza, la technologie des drones a joué un rôle majeur dans l'augmentation des dégâts et du nombre de cibles, y compris avec des drones hybrides comme le « Rooster » et les « Robodogs », capables de voler, de planer, de rouler et de grimper sur des terrains accidentés. Des véhicules mitrailleurs autonomes ont été utilisés pour remplacer les troupes au sol.

 Smart Shooter, un système de tir assisté par IA dont le slogan est « un tir, une de touchée », se targue d'un haut degré de précision. Smart Shooter a été installé durant sa phase pilote en 2022 à un point de contrôle d'Hébron, où il est toujours actif jusqu'à aujourd'hui. Israël emploie également des missiles « intelligents », comme le SPICE 2000, qui a été utilisé en octobre 2024 pour bombarder un immeuble résidentiel de grande hauteur à Beyrouth.

L'armée israélienne est considérée comme l'une des 20 forces militaires les plus puissantes au monde. Israël a affirmé mener des « frappes de précision » et ne pas cibler les civils, mais Larry Lewis, expert en matière de dommages civils, a déclaré que les stratégies d'atténuation des dommages civils d'Israël étaient insuffisantes, leurs campagnes semblait conçues pour créer un risque pour les civils. Les technologies susmentionnées employées par Israël ont aidé son armée à utiliser une force disproportionnée pour tuer en masse les Palestiniens à Gaza. Comme l'a décrit un porte-parole des FDI (Forces de défense israéliennes) : « Nous nous concentrons sur ce qui cause un maximum de dégâts. »

Si les technologies basées sur l'IA réduisent la présence de troupes au sol et, par conséquent, les blessures et les pertes potentielles pour l'armée qui les déploie, elles augmentent considérablement les pertes parmi les populations ciblées. L'armée israélienne prétend que les systèmes basés sur l'IA « ont minimisé les dommages collatéraux et augmenté la précision du processus dirigé par l'homme », mais les résultats documentés racontent une tout autre histoire.

La documentation révèle qu'au moins 13 319 des Palestiniens tués étaient des bébés et des enfants âgés de 0 à 12 ans. Les rapports de l'ONU sur les victimes palestiniennes sont jugés conservateurs par les chercheurs, qui estiment que le bilan réel des victimes pourrait être le double, voire le triple. Selon un rapport : « Les soi-disant “systèmes intelligents” peuvent déterminer la cible, mais le bombardement est effectué avec des munitions “idiotes” non guidées et imprécises, car l'armée ne veut pas utiliser de bombes coûteuses sur ce qu'un officier du renseignement a décrit comme des “cibles poubelles”. » De plus, 92 % des unités de logement ont été détruites à Gaza, ainsi que 88 % des bâtiments scolaires, et 69 % de l'ensemble des structures de Gaza ont été détruites ou endommagées.

En 2024, des experts de l'ONU ont déploré [fr] l'utilisation d'Israël de l'IA pour commettre des crimes contre l'humanité à Gaza. Malgré toutes les informations susmentionnées, la même année, Israël a signé un traité mondial sur l'IA, élaboré par le Conseil de l'Europe pour la sauvegarde des droits de l'homme. Le fait qu'Israël ait tué un si grand nombre de Palestiniens à l'aide d'outils basés sur l'IA, connectés à des technologies de la vie quotidienne comme WhatsApp, est perçu par certains comme un signal d'alarme sur ce qui pourrait un jour leur arriver, mais est vu par d'autres comme un modèle pour systématiser efficacement la suprématie et le contrôle.

Cet article soutient que le problème ne réside pas seulement dans le manque de surveillance humaine des données et des outils d'IA ; en réalité, savoir qui collecte, possède, contrôle et interprète les données, et quels sont ses préjugés (qu'ils soient implicites ou explicites), est un élément clé pour comprendre les préjudices et abus réels et potentiels. De plus, se concentrer exclusivement sur la technologie dans le génocide commis par Israël à Gaza, ou dans toute autre guerre d'ailleurs, pourrait entraîner une erreur majeure : absoudre les auteurs de la responsabilité des crimes qu'ils commettent en utilisant cette technologie. En suraccentuant les outils, il peut devenir trop facile de redéfinir des abus intentionnels comme des erreurs commises par des machines.

Lorsqu'on examine l'utilisation de la technologie en géopolitique et en temps de guerre, la compréhension des structures de pouvoir est essentielle pour avoir une vision claire. Trouver la « bonté » dans des usages ultra-spécifiques de la technologie ne pèse pas lourd dans la tentative de compenser le « mal ».

Pour les êtres humains dont la vie est devenue plus difficile et les conditions plus désastreuses à la suite de la mise en œuvre de la technologie dans des logiques de domination, de guerre et des systèmes de suprématie, il n'y a pas grand-chose qui puisse être rationalisé en mieux. Et il en va de même pour d'autres entités qui utilisent leurs avantages (géopolitiques, technologiques ou autres) afin d'asseoir leur contrôle sur d'autres qui se trouvent dans des positions relativement plus désavantagées et vulnérables. Dissocier les applications utiles et nuisibles de la technologie revient à perdre de vue la situation dans son ensemble, non seulement sur la manière dont la technologie pourrait être utilisée un jour, mais aussi sur la manière dont elle est réellement utilisée en ce moment même.


La face cachée de nos écrans : entre mines artisanales et technologie « verte »

Tue, 14 Oct 2025 18:56:10 +0000 - (source)

Révéler les coûts réels de l'extraction du cobalt

Initialement publié le Global Voices en Français

Image réalisée par Liz Carrigan et Safa, avec des éléments visuels de Yiorgos Bagakis, Alessandro Cripsta et La Loma, utilisés avec leur permission.

Cet article a été rédigé par Safa pour la série « Digitized Divides » et initialement publié sur tacticaltech.org. Une version éditée est republiée par Global Voices dans le cadre d'un accord de partenariat.

Lorsque l’on oppose le « naturel » à l’« artificiel », on part souvent du principe que la technologie relève de l’artificiel. Pourtant, les éléments et les matériaux qui la composent proviennent de la Terre et passent entre les mains de nombreuses personnes.

Mais qu’est-ce qui est vraiment « naturel », au fond ? « Il est impossible de parler d’un monde en transition vers les énergies vertes sans évoquer ces minerais », a déclaré en 2024 Kave Bulambo, humaniste, dirigeante et oratrice. « Lorsqu’on creuse un peu pour tenter de comprendre cette équation, on se rend compte que derrière le brillant mouvement des grandes entreprises technologiques se cache un monde d’exploitation, où des hommes, des femmes et même des enfants travaillent dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo. »

Il serait malhonnête de tenter de dissocier les violations des droits humains liées à la production des technologies de leurs impacts environnementaux. Siddarth Kara, chercheur spécialiste de l’esclavage moderne, a évoqué les conséquences environnementales de l’extraction du cobalt : « Des millions d’arbres ont été abattus, l’air autour des mines est saturé de poussière et de particules, et l’eau a été contaminée par les effluents toxiques issus du traitement minier. »

Le cobalt et l’énergie « verte »

Le cobalt est une pierre à la teinte bleue presque irréelle utilisée depuis des siècles dans les arts. Il est également devenu essentiel à la fabrication des batteries rechargeables, celles qui alimentent nos smartphones, ordinateurs portables, voitures électriques et bien plus encore. Le cobalt n’est qu’une des nombreuses ressources naturelles qui soutiennent la « révolution de l’énergie verte ». Pourtant, cette pierre précieuse s’avère toxique au contact et à l’inhalation, surtout à fortes doses.

D’importants gisements de cobalt ont été découverts en République démocratique du Congo (RDC), qui détient plus de 70 % des réserves mondiales. Pour comprendre les effets néfastes de l’exploitation du cobalt en RDC, il est essentiel de prendre en compte son histoire coloniale. L’exploitation continue des ressources du pays s’est poursuivie même après son indépendance officielle en 1960, laissant un héritage qui façonne encore aujourd’hui son secteur minier.
Kolwezi, une ville de la RDC, fut construite par la Belgique selon un système de ségrégation urbaine de type apartheid et compte désormais de nombreuses mines à ciel ouvert situées en son centre et à ses alentours.

En République démocratique du Congo, l’exploitation du cobalt implique à la fois des entreprises multinationales titulaires de concessions et des mineurs artisanaux, bien que les mines industrielles dominent désormais la région. L’exploitation artisanale et à petite échelle (ASM) reste toutefois très répandue : des milliers de mineurs informels travaillent dans des conditions dangereuses pour extraire le cobalt à la main. Kara décrit la situation de ces soi-disant « mineurs artisanaux », parmi lesquels se trouvent aussi des enfants, en ces termes : « À la base de la chaîne d’approvisionnement, là d’où provient presque tout le cobalt du monde, c’est un véritable cauchemar. »

Que vous évoque le mot « artisanal » ? Probablement pas des travailleurs informels creusant dans des conditions dangereuses, souvent toxiques, gagnant à peine de quoi faire vivre leur famille ou travaillant en petits groupes pour extraire des minerais destinés à la vente. Le terme « artisanal » renvoie à une production à petite échelle et faite à la main, ce qui, en un sens, correspond au travail des « mineurs artisanaux ». Mais ce mot évoque plutôt l’image d’un marché local, d’un fromage ou d’un savon traditionnel fait main — et non celle d’enfants et d’adultes contraints de sortir à mains nues des pierres toxiques du sol, parfois sous la menace des armes.

Le terme découle en partie du caractère peu technologique de cette activité, puisqu’elle consiste pour des individus à exploiter des gisements jugés non rentables, dangereux ou inadaptés aux grandes compagnies minières. Pourtant, l’exploitation artisanale est loin d’être marginale : plus de 100 millions de personnes dans le monde y participent directement ou dépendent des revenus qu’elle génère.
Bien qu’elle puisse sembler plus vertueuse que l’exploitation industrielle, un secteur tristement célèbre pour ses violations des droits humains, l’exploitation artisanale souffre souvent d’un manque total de mesures de protection environnementales et sociales, ainsi que de garanties pour les droits des femmes et des enfants.

Cette forme d’exploitation minière est courante à Kolwezi, notamment dans les zones où les habitants ont été déplacés par de grands projets miniers. Malgré les tentatives de formalisation du secteur, l’exploitation informelle persiste. Des témoignages rapportent que les « Creuseurs » (comme on les appelle localement) continuent de creuser sous leurs maisons ou sur de nouveaux « sites illégaux » situés en dehors des concessions minières officielles. Comme l’a expliqué un mineur, Edmond Kalenga : « Les minerais sont comme un serpent qui traverse le village. Il suffit de suivre le serpent. »

Le « cobalt de sang »

Un rapport d’Amnesty International publié en 2022 a présenté plusieurs études de cas documentant des violations des droits humains sur trois sites. Grâce à des preuves documentaires, des images satellites et des entretiens avec d’anciens habitants, l’organisation a établi que des populations avaient été expulsées de force de leurs foyers, au nom de l’exploitation minière liée à la transition énergétique. Ces expulsions forcées constituent une violation fondamentale des droits humains : elles entraînent la perte des moyens de subsistance, mais aussi celle d’autres droits essentiels tels que l’accès aux services de base, notamment la santé et l’éducation. Elles ont été menées dans le cadre des efforts du gouvernement congolais pour formaliser le secteur minier, en collaboration avec les entreprises minières. Les habitants vivant à proximité de mines polluées sont exposés à de graves risques sanitaires. La région minière de la RDC figure parmi les dix zones les plus polluées au monde. Des recherches ont mis en évidence une corrélation entre l’exposition à des métaux lourds tels que le cobalt et certaines malformations congénitales ; des enfants y ont d’ailleurs été retrouvés avec une concentration élevée de cobalt dans leurs urines.

En plus des violations des droits humains déjà évoquées, les innombrables coûts environnementaux et sanitaires sont profondément liés entre eux : perte de biodiversité, pollution de l’air, des sols et de l’eau, sans oublier les conséquences socio-économiques telles que la précarité de l’emploi, la violence et la perte des moyens de subsistance. Ces impacts entraînent à leur tour d’autres problèmes, notamment les déplacements forcés, les violences fondées sur le genre et l’érosion des savoirs culturels. Les diamants ne sont pas les seuls « minerais de conflit » : comme on peut le constater, le cobalt fait partie de ces nombreuses ressources extraites par des moyens dégradants, aux conséquences dévastatrices.

Les entreprises qui produisent des batteries au lithium, comme Tesla, répondent parfois aux appels publics en faveur d’une plus grande transparence de leur chaîne d’approvisionnement. Cependant, à mesure que la demande de cobalt augmente, les acteurs de la fabrication de batteries doivent accorder une attention accrue aux questions éthiques et aux droits humains tout au long de cette chaîne.
Alphabet (la maison mère de Google), Apple, Dell, Microsoft et Tesla ont toutes été accusées d’avoir acheté du cobalt extrait par le biais du travail forcé, tout en dissimulant délibérément leur dépendance au travail des enfants y compris ceux vivant dans une pauvreté extrême.

Bien que la justice américaine ait estimé que les entreprises achetant auprès de fournisseurs n’étaient pas responsables des pratiques de ces derniers, de nouveaux soupçons ont déjà été formulés à l’encontre d’Apple. « C’est l’un des grands paradoxes de l’ère numérique : certaines des entreprises les plus riches et les plus innovantes du monde parviennent à commercialiser des appareils d’une sophistication incroyable sans être tenues de démontrer l’origine des matières premières entrant dans leur fabrication », a déclaré Emmanuel Umpula, directeur exécutif d’Afrewatch (Africa Resources Watch).

Le Parlement européen a adopté une loi obligeant les grandes entreprises à mener des contrôles de diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement ; une avancée importante vers la responsabilisation des sociétés pour les violations commises par leurs fournisseurs. Cependant, les chaînes d’approvisionnement ne sont pas toujours des narrateurs fiables. Dans le cas du cobalt, les fournisseurs peuvent mélanger dans les raffineries le cobalt extrait par des enfants avec celui issu de filières « sans travail des enfants », rendant la traçabilité difficile, voire impossible. De plus, l’absence de travail des enfants ne signifie pas nécessairement que le cobalt est exempt d’exploitation humaine ou de conditions de travail dégradantes. Pour une analyse plus approfondie sur la diligence raisonnable et la responsabilité dans le secteur minier de la RDC, le Carter Center formule plusieurs recommandations clés.

Notre consommation d’énergie ne cessera d’augmenter avec le développement de technologies comme ChatGPT, les cryptomonnaies ou encore l’Internet à très haut débit. Un chercheur a montré que générer une seule image à l’aide d’une intelligence artificielle consomme autant d’énergie que de recharger un smartphone.
Un rapport de Goldman Sachs, société d’investissement multinationale, a révélé qu’une recherche alimentée par l’IA utilise dix fois plus d’électricité qu’une recherche classique. Google et Microsoft ont eux-mêmes reconnu que leurs émissions de carbone avaient augmenté en raison de l’intelligence artificielle. Alors que la pénurie d’eau et de nourriture constitue déjà une menace bien réelle et que le climat se réchauffe toujours davantage, combien de temps notre planète pourra-t-elle encore soutenir de tels systèmes ? En portant enfin un regard critique sur la nature qui alimente nos écrans, nous pourrions découvrir les effets toxiques qu’elle fait peser sur les êtres humains et sur la Terre.


Washington sanctionne Ouagadougou qui refuse l'accueil de migrants illégaux venant des États-Unis

Tue, 14 Oct 2025 09:28:50 +0000 - (source)

De nombreux pays du Sahel rejettent l'influence occidentale

Initialement publié le Global Voices en Français

En image, à gauche, Donald Trump (Président des Etats-Unis) et à droite, Ibrahim Traoré (Président du Burkina-Faso) ; capture d'écrande de la chaîne YouTube Smr Foot

Suite à un refus de Ouagadougou d'accueillir les migrants expulsés par les Etats-Unis, Washington décide de renvoyer les Burkinabé demandeurs de visas vers le Togo.

Depuis son retour à la maison Blanche en janvier 2025, Donald Trump, mène une politique migratoire visant au renvoi systématique des ressortissants “illégaux” vers leur pays d'origine, ou vers d'autres pays.

Sur le continent africain, plusieurs pays ont accepté de servir de point d'accueil pour les personnes expulsées: le Rwanda, l'Eswatini, le Ghana et le Soudan du Sud ont signé avec Washington des accords d'expulsion. L'administration Trump continue de multiplier ses tentatives pour élargir cette liste de pays, et semble dans ce cadre s'intéresser au Burkina Faso.

En effet, ce pays a insturé, depuis 11 septembre 2025, une politique de gratuité de visa pour tous ressortissants africains désireux de s'y rendre. En effet, cette gratuité des visas vise à contribuer à promouvoir le tourisme, la culture burkinabè et à améliorer la visibilité du Burkina Faso à l’étranger.

Come l’explique Mahamadou Sana, ministre burkinabé de la Sécurité et Commissaire divisionnaire de Police, cette politique n'est en aucun cas une porte ouverte aux déportations:

(…) la gratuité n’est pas l’exemption. Quand on parle de gratuité, cela veut dire que les demandes sont toujours formulées en ligne, font l’objet d’un examen et, si la demande est acceptée, alors tout ressortissant africain qui passe par ce canal obtiendra gratuitement ce visa pour venir au Burkina Faso.

Non aux déportations venant des États-Unis

Voulant probablement profiter de ce créneau pour faire du Burkina-Faso une nouvelle terre de déportation, l'administration Trump avait formulé, selon Karamoko Jean-Marie Traoré, Ministre des affaires étrangères burkinabé, une demande qui n'est pas du goût des autorités de Ouagadougou. Le 9 octobre 2025, Karamoko Jean-Marie Traoré, cité par le journal Le Monde déclare à la télévision nationale :

La question était de voir si le Burkina Faso, en dehors de nos propres ressortissants, était prêt à recevoir d’autres personnes qui seraient expulsées par les Etats-unis.

Karamoko Jean-Marie Traoré annonce que son pays refuse cette proposition américaine. Il ajoute :

Naturellement, cette proposition que nous avions jugée en son temps indécente est totalement contraire à la valeur de dignité qui fait partie de l’essence même de la vision du capitaine Ibrahim Traoré.

Un non qui passe très mal du côté de Washington qui décide alors de suspendre la délivrance de visas dans le “pays des hommes intègres”.

Passage obligatoire au Togo

Face à la position inflexible des autorités burkinabé, l'ambassade états-unienne annonce la suspension temporaire des services de délivrance régulière de visas pour la plupart des Burkinabè, renvoyant ainsi toutes les demandes vers le Togo voisin. Désormais, tout demandeur doit faire le déplacement à Lomé, la capitale togolaise. Karamoko Jean Marie Traoré explique :

Cette décision ferait suite à une note verbale américaine évoquant un non-respect des consignes d’usage des visas par certains ressortissants du Burkina Faso « S’agit-il d’une mesure de pression ? D’un chantage ? Dans tous les cas, le Burkina Faso est une terre de dignité, une destination et non pas une terre de déportation.

La décision prend de court les Burkinabé qui ne s'attendaient pas à une telle mesure d'autant plus que leur pays entretenait de bonnes relations avec Washington avant l'annonce de cette décision.

Reconfiguration diplomatique?

La politique de Donald Trump sur le continent connaît de profonds changements: des suspensions de partenariats à l'instar de la “Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique” - African Growth and Opportunity Act (AGOA) ainsi que la fermeture d'ambassades dans certains sur le continent. Cette nouvelle orientation diplomatique risque de causer un refroidissement sur les relations qu'entretiennent les deux pays dans les mois à venir.

Dans ce contexte, il semble que Washington risque de perdre encore plus de potentiels alliés. Ainsi, tout en réitérant que le Burkina-Faso reste en bonnes relations avec tous les États qui le respectent, Karamoko Jean-Marie Traoré souligne que le Burkina-Faso prendra des mesures en conséquence :

Naturellement, la mesure qui a été prise ne saurait nous laisser indifférents. En diplomatie, on parle de réciprocité. Nous prendrons les mesures qu’il faut, à la limite des mesures qui ont été prises par les autorités américaines, sans pour autant compromettre l’amitié, la solidarité, la fraternité entre les peuples du Burkina Faso et les peuples américains.

La fermeté des autorités burkinabés à cet égard est un signal fort, à tous les pays occidentaux, qui indique une volonté renouvelée de maintenir la souveraineté nationale assurée depuis la prise de pouvoir, le 30 septembre 2022 par le régime militaire d’Ibrahim Traoré.

Lire : Revirement géostratégique: le Burkina-Faso, le Mali et le Niger se retirent de la CEDEAO

En effet, les derniers coups d'Etats qui ont survenus dans les pays du  Sahel central : Burkina-Faso (septembre 2022), Mali (mai 2021) et Niger (juillet 2023) ont remodelé la composition politique de ces pays réunis aujourd'hui au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), et menés par des régimes militaires qui ont affiché leur envi de se dégager de l'emprise occidentale.

Le Burkina-Faso n'est pas le premier pays à refuser la proposition d'accueillir des ressortissants illégaux venant des États-Unis. En juillet 2025, lors d'une visite à Washington, Yusuf Tuggar, Ministre des Affaires étrangères du Nigeria indique à BBC Afrique :

Le Nigeria ne cédera pas aux pressions de l'administration Trump pour accepter des déportés vénézuéliens ou des prisonniers de pays tiers en provenance des États-Unis. (…) Il sera difficile pour un pays comme le Nigeria d'accepter des prisonniers vénézuéliens sur son territoire. Nous avons suffisamment de problèmes propres, nous ne pouvons pas accepter de déportés vénézuéliens au Nigeria, pour l'amour du ciel.

Cet article de la BBC Afrique mentionne que selon des informations du Wall Street Journal, d'autres pays africains seraient sur la liste de Donald Trump pour servir de terre de déportation. Le dirigeant américain serait en train de pousser les présidents du Liberia, du Sénégal, de la Mauritanie, du Gabon et de la Guinée-Bissau pour l'obtention dudit accord.

Lire notre cahier spécial : 


La mendicité infantile au Sahel, symbole de la précarité de sociétés faisant face à de multiple crises

Mon, 13 Oct 2025 17:17:58 +0000 - (source)

La pauvreté est aggravée par des défis sécuritaires et climatiques

Initialement publié le Global Voices en Français

Photo d’enfants talibés. Image de Soumaila Aya, utilisée avec autorisation.

Dans les grandes villes des pays du Sahel central comme Niamey (Niger), Bamako (Mali) et Ouagadougou (Burkina-Faso), un phénomène alarmant se transforme en réalité quotidienne: la mendicité des enfants.

Souvent vêtus de haillons, un bol à la main, ces enfants ne sont pas seulement un spectacle de rue. Ils sont le visage le plus visible d'un phénomène social profond, mal géré ou ignoré par les politiques mais normalisé par la population. Cette situation reflète les failles du système socio-politique des pays de la région du Sahel central où le taux de pauvreté est élevé: selon les données nationales les plus récentes, environ 43% de la population du Burkina Faso vit sous le seuil de pauvreté en 2021, 45,5% au Mali  et 47,4% en 2023 pour le Niger. Ces chiffres soulignent la persistance d'une pauvreté aggravée par des défis sécuritaires et climatiques dans cette région.

Les trois pays du Sahel central ont une population combinée de 77 millions d’habitants: plus de 28 millions au Niger, plus 25 millions au Mali et plus 24 millions au Burkina Faso. Au Mali, selon la Coalition malienne des droits de l'enfant (COMADE), plus de 20 000 enfants en situation de rue sont exposés à la mendicité –  dont 43% sont des filles. Au Niger, une enquête d’Anti Slavery (ONG basée à Londres) a recensé dans 1 543 écoles coraniques, 86 824 élèves dont 76 080 d'entre eux étaient en mendicité forcée. Au Burkina Faso, des organisations reconnaissent la mendicité forcée des enfants comme un problème majeur, mais il n'existe pas de données chiffrées.

Les enfants talibés, encadrement ou exploitation?

Dans ces trois pays du Sahel, l'islam est la religion majoritaire pratiquée par les populations: plus de 60% au Burkina-Faso, plus de 95% au Mali, 99% au Niger.

Un enfant talibé est un enfant confié par ses parents à un maître coranique pour recevoir une éducation religieuse musulmane. Les États n'ont aucun contrôle sur ces écoles coraniques.

Dans de nombreux cas, les enfants censés recevoir une éducation coranique sont souvent exploités et transformés en sources de revenus au détriment de la vocation spirituelle initiale.

Ainsi, en 2017, ​un rapport de Human Rights Watch estime que plus de 50 000 enfants talibés au Sénégal seraient forcés à mendier quotidiennement, souvent sous des menaces physiques. Ces enfants sont exposés à des risques multiples : violences, exploitations, abus et marginalisation sociale.

Ce phénomène reflète une violation flagrante des droits de l’enfant en les privant de leur droit fondamental à l’éducation, à la protection et à une enfance épanouie. Un jeune enfant talibé témoigne à Global Voices:

Chaque jour, mon maître m’envoie mendier dans les rues de San (ville située au centre du Mali à 422 Km de Bamako) et, si je ne rapporte pas la somme demandée, je suis menacé ou battu. Je marche longtemps, souvent pieds nus et sans manger, avec la peur de rentrer les mains vides. Je ne vais pas à l’école, même si je rêve d’apprendre à lire et écrire pour devenir fonctionnaire. Ce qui me rend le plus triste, c’est la faim, la violence et le mépris des passants, mais parfois un sourire, un morceau de pain ou un moment de jeu me redonnent un peu de joie.

​Une vulnérabilité exacerbée par un appareil étatique souvent absent

​Le Sahel subit depuis des années une confluence de facteurs qui poussent les familles à l'extrême précarité. La mendicité infantile y trouve un terrain fertile, nourrie par une combinaison de facteurs économiques, sociaux et familiaux selon le rapport SOS enfance en péril au Sahel (2023) de L'UNICEF. L’absence ou la perte de soutien familial, due aux conflits ou aux déplacements forcés, oblige de nombreux enfants, livrés à eux-mêmes, à chercher seuls leurs moyens de subsistance.

Des initiatives citoyennes émergent, comme au Burkina Faso où l’association Suudu Baaba, par exemple vise à améliorer la qualité de vie des enfants à travers des actions durables au niveau communautaire. Au Mali, l'association Samusocial offre un soutien psychosocial et médical. Des campagnes de sensibilisation et des campagnes numériques tentent de briser le silence et d'attirer l'attention des autorités.

​Dans ce domaine, les actions des gouvernements de la région restent largement insuffisantes. Au Niger, par exemple, les autorités ont interdit la mendicité des enfants dans la capitale Niamey. Une mesure certes saluée mais difficile à appliquer face à l’ampleur du phénomène et au manque de solutions alternatives pour les familles et les écoles coraniques. Le sujet est souvent relégué au second plan, perçu comme culturellement sensible ou politiquement non prioritaire. Un rapport de l'ONG Save the Children confirme que des milliers d'enfants dans la rue de ces pays sont souvent enrôlés par les groupes armés, Le rapport indique à la page 9 :

Dans ces pays, où 60% à 90% de la population est musulmane, le discours religieux y est utilisé comme un moyen efficace de ralliement des adolescents. Ce discours idéalise le rôle du combattant en mettant en exergue des promesses soit pour le bonheur ici-bas soit pour une récompense dans l’au-delà.

Les enfants mendiants sont confrontés à des conditions de vie difficiles qui compromettent leur développement. Gédéon Sangare, entrepreneur malien dans le bâtiment, interviewé par Global Voices, témoigne:

 Je croise des dizaines d’enfants livrés à eux-mêmes dans les rues. Ils mendient pour survivre, mais derrière cette réalité se cache une violence silencieuse : beaucoup sont exploités et battus. Ce qui est inadmissible, c’est le silence des autorités face à ce drame. La mendicité infantile est trop souvent considérée comme une fatalité culturelle, alors qu’elle représente une véritable urgence sociale et sécuritaire. Certains anciens talibés devenus ouvriers racontent qu’ils n’ont appris aucun métier qui puisse leur garantir un avenir digne à l’âge adulte.

Une génération en danger

La banalisation de la mendicité infantile constitue une bombe à retardement pour l’avenir du Sahel. Cette génération, privée d’opportunités, risque de considérer la pauvreté et la survie par la mendicité comme une destinée normale. Cela menace non seulement leur développement personnel, mais aussi la stabilité sociale et économique de toute la région. Au Niger, l'association nigérienne  pour le traitement de la délinquance et de la prévention du crime indique dans son rapport de mars 2020 que l’exploitation des talibés dépasse le cadre local, et doit donc être comprise comme un phénomène régional. Ledit rapport présente à la page 5 :

Les logiques de trafic et d’exploitation des talibés s’inscrivent dans des dynamiques migratoires locales et régionales (pays limitrophes mais aussi du plus large bassin Sahélien et de l’Afrique Centrale), et doivent donc être analysées en vue de ces interactions.

Alassane Maiga, spécialiste protection, cohésion sociale et résilience communautaire et membre de la société civile malienne, déclare à Global Voices que:

La mendicité infantile au Sahel s’inscrit souvent dans un contexte religieux où les enfants (Talibés) confiés à des maîtres coraniques mendient sous prétexte de se forger une résilience spirituelle. Toutefois, cette apparence masque la précarité profonde des familles, dont la pauvreté pousse les enfants à mendier pour survivre.

Face à l'ampleur du problème, il est urgent que les gouvernements s'associent à la société civile et aux organisations internationales pour harmoniser les efforts. En effet, plus le nombre d'enfants qui n'ont pas accès à un système éducatif professionnel augmente, il y a plus de risques de dérive vers la délinquance et les groupes armés non étatiques qui menacent la stabilité même du Sahel.


Au Togo, les autorités brandissent la menace d'une plus grande censure du discours en ligne

Thu, 09 Oct 2025 09:38:12 +0000 - (source)

La liberté d'expression au Togo est extrêmement limitée.

Initialement publié le Global Voices en Français

Centre administratif des Services économiques et financiers, situé à Lomé, capitale du Togo. Image de Jean Sovon, utilisée avec permission

Au Togo, les autorités réitèrent leur désir de contrôler le discours en ligne pour restreindre l'usage des réseaux sociaux dans un contexte de confrontation politique intense dans ce pays de plus de 9,5 millions d'habitants.

Début juin 2025, des manifestations éclatent dans le pays face à un régime qui se maintient au pouvoir depuis plus d'un demi-siècle. L'internet et les plateformes de messageries jouent un grand rôle dans cette mobilisation déclenchée par les Togolais de la diaspora. Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, TikTok, Snapchat, X – toutes ces plateformes numériques sont le lieu où se retrouvent les citoyens togolais vivant à l'étranger et ceux qui sont au Togo pour exprimer leur frustration par rapport au régime de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005.

Depuis juin, l'internet connaît des perturbations régulières et de nombreux médias en ligne ne fonctionnent plus, ou ne sont plus accessibles sur le territoire togolais, sauf si les citoyens font usage d'un Virtual private network (VPN).

Lire : Au Togo, restriction de l'internet durant les manifestations des 26, 27, et 28 juin

Crispation politique du pouvoir en place

Fin septembre, alors que les perturbations cessent, une autre surprise attend les internautes togolais: un embargo est imposé sur les différents canaux de diffusions de messages des cyberactivistes.

Ainsi, le 3 octobre 2025, lors d'une conférence presse, Talaka Mawana, procureur de la République annonce la décision des autorités de renforcer la lutte contre l’utilisation abusive des réseaux sociaux. Il dit :

« Quiconque produira, reproduira, diffusera, publiera, partagera à travers une plateforme numérique, un fait qui sort du cadre légal en vigueur, sera l’objet de poursuites pénales sans compromis et sans complaisance.

Le procureur va plus loin en indexant également les internautes qui cliquent pour ‘liker’ ou pour placer des commentaires, approuvant ou validant tel contenu:

Il en sera de même pour quiconque publiera un commentaire validant une publication illicite. La complicité par approbation expose également à des poursuites, car la loi nous impose à tous de dénoncer tout crime ou délit dont nous avons connaissance »,

Talaka Mawana évoque ensuite un cadre légal existant avec des textes et des lois applicables en cas du non respect des nouveaux principes établies par les autorités:

Lorsque dans l’utilisation de ces plateformes numériques, l’on en vient à commettre des faits qualifiables d’infractions, le cadre légal togolais permet d’y apporter une réponse appropriée. Ce cadre légal est donc principalement constitué de textes de loi que sont: le nouveau code pénal, le code de l’enfant, la loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité, le code de la presse et de la communication, la loi relative à la protection des données à caractère personnel. Ces différents textes prévoient des agissements pouvant être qualifiés d’infractions.

Dans la fièvre de ce rappel à l'ordre de l'autorité judiciaire, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), organe de régulation des médias souligne que l'avertissement du procureur de la République est également destiné aux professionnels des médias. Le communiqué publié ce 7 octobre note :

…Ils (les professionnels de médias) doivent notamment veiller à la vérification rigoureuse des faits par un recoupement professionnel de l’information avant toute publication ou diffusion; la vérification des informations véhiculées par les réseaux sociaux s’ils veulent les exploiter comme sources d’information: la préservation de la dignité et de l’honneur des citoyens ainsi que de l’ordre public dans le traitement de l’information. Ils doivent en outre proscrire: l’atteinte à la vie privée et à l’image d’autrui; l’incitation à la haine raciale, ethnique, religieuse, l’apologie des crimes ou du terrorisme: la diffusion des propos injurieux ou outrageants ou du secret de défense.

Lire aussi notre cahier spécial : 

Coup de massue régional sur la liberté d'expression

Les rapports 2024 et 2025 de Freedom House confirment que la liberté d'expression au Togo est extrêmement limitée.  Suite aux manifestations récentes et à la repression, ce droit est encore plus menacé. Cet état de fait projette le pays dans une zone où la liberté d'expression risque de disparaitre, comme le souligne le titre de cet article du média local IciLomé – Au Togo, la liberté après l’expression n’existe plus.

Le Togo n'est pas le seul pays dans cette situation. En juillet 2025, la justice ivoirienne hausse le ton face aux internautes qui font usage des réseaux sociaux pour discréditer, diffamer et injurier non seulement leurs concitoyens mais aussi les autorités du pays. Le premier qui subit cette loi est Topkah Jean Japhet, infirmier diplômé d’État âgé de 43 ans. Sous une publication officielle de Alassane Dramane Ouattara, président de la République de Côte d'Ivoire, Topkah Jean Japhet écrit ce commentaire :

Si la mère du président l’avait avorté, elle aurait rendu un grand service à l’Afrique.

Le 18 juillet 2025, Topkah Jean Japhet est condamné à trois ans de prison ferme et à une amende de 5 millions de FCFA (8 887 dollars américains), même après avoir présenté des excuses publiques. Koné Braman, procureur de la République de Côte d'Ivoire soutient que la tolérance est désormais révolue en matière de dérives en ligne. Il notifie :

Ni le repentir, du reste toujours tardif, ni la demande de pardon n’ont un effet sur la réalité des infractions, et ne sauraient, en conséquence, soustraire leurs auteurs de la rigueur de la loi.

De vives inquiétudes chez les internautes

Le durcissement du ton des autorités togolaises est vécu comme une nouvelle forme de censure par les acteurs de la société civile togolaise.

Comme en témoigne Emmanuel Elolo Agbenonwossi, Président du Chapitre Togolais d'Internet Society (branche togolaise de l'organisation mondiale qui milite pour un accès sans restriction de l'internet dans le monde). Interviewé par Africa24, il craint que ces déclarations occasionnent la multiplication des faux comptes:

Aujourd’hui, une approche purement punitive ne ferait qu’accentuer la défiance des citoyens et multiplier les faux comptes sur les réseaux sociaux. Et nous devons, chacun dans son rôle, faire œuvre de pédagogie plutôt, renforcer la formation des citoyens.

Etant donné le taux de pénétration de l'internet au Togo plus de 66,56%, le nombre important d'utilisateurs mobiles, et le besoin essentiel de communiquer sur les plateformes numériques, il est en effet peu probable que les internautes togolais réduisent leurs activités en ligne.

Lire également notre cahier spécial :


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