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L’ARMÉE “ACCRO” À MICROSOFT ?

Tue, 18 Oct 2016 11:44:08 +0000 - (source)

Cash Investigation diffusera ce soir une enquête sur le contrat, qualifié d’« open bar », passé entre Microsoft et le ministère de la défense, et basé sur des documents que j’avais rendu publics en 2013 sur le site du Vinvinteur, une émission de télévision quelque peu déjantée qui m’avait recruté, mais dont le site web a disparu. Je me permets donc de republier ladite enquête, consultable sur archive.org, qui archive le web, mais qui n’est pas indexé par Google (& Cie). Il eut été dommage de laisser cette enquête disparaître… Ceux qui voudraient en savoir plus peuvent aussi consulter le site de l’association April de promotion des logiciel libres, qui suit et documente ce contrat depuis des années.

« L’armée capitule face à Microsoft » : confirmant une information du site PCInpact -qui avait levé le lièvre dès 2008-, le Canard Enchaîné a révélé mercredi dernier que l’armée française était sur le point de reconduire un contrat, sans appel d’offres, avec Microsoft. Problèmes : il « coûte cher, augmente les risques d’espionnage et se négocie… dans un paradis fiscal » .

L'armée capitule face à Microsoft

L’association April de défense des logiciels libres, qui dénonce depuis des années l’opacité de ce contrat, et aujourd’hui le fait que l’OTAN imposerait Microsoft et les backdoors de la NSA au ministère de la Défense, vient de recevoir une version censurée de certains des documents évoqués par le Canard Enchaîné. Le Vinvinteur, qui avait ces documents depuis des mois, et qui avait déjà évoqué cet étrange pacte de l’armée française avec Microsoft, a donc décidé de les rendre publics.

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En 2007, Microsoft proposait au ministère de la Défense de centraliser les multiples contrats passés entre l’éditeur de logiciels américain et l’armée française. En 2008, un groupe de travail constitué d’une quinzaine d’experts militaires était chargé d’analyser la « valeur du projet » de Microsoft.

Leur rapport, intitulé « Analyse de la valeur du projet de contrat-cadre avec la société Microsoft » et que le Vinvinteur a décidé de rendre public, déplorait que la procédure, passée sans appel d’offres, écartait de facto tout autre concurrent, contrairement à l’esprit et à la lettre du code des marchés publics. Les experts pointaient également du doigt le risque d’ « accoutumance » , de « dépendance » et même d’ « addiction » aux produits Microsoft.

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Ils constataient la situation de « monopole confirmé » de l’éditeur, mettant l’armée « à la merci de la politique tarifaire » de l’éditeur de logiciels, et constataient qu’en cas de non-renouvellement du contrat, le ministère de la Défense devrait s’acquitter d’un « droit de sortie équivalent à 1,5 années de contrat » .

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Les experts militaires déploraient également le risque de « perte de souveraineté nationale » et de « contrôle par une puissance étrangère » des systèmes informatiques de nos armées. Evoquant le fait que la NSA, le très puissant service de renseignement américain chargé de l’espionnage des télécommunications, « introduit systématiquement des portes dérobées ou « backdoors » dans les produits logiciels » , le rapport estimait que le système informatique de l’armée française serait dès lors « vulnérable car susceptible d’être victime d’une intrusion de la NSA dans sa totalité » …

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Les auteurs du rapport concluaient enfin que « la seule certitude » de l’offre de Microsoft était qu’elle « entraînera un accroissement de 3 M€/an des dépenses de logiciel » , sans qu’aucun gain n’ait été identifié au profit du ministère en matière de retour sur investissement. Et tout en contribuant à un « affaiblissement de l’industrie française et européenne du logiciel » …

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Pour les experts militaires, l’offre de Microsoft « est la solution qui comporte le plus de risques rédhibitoires » :

Non contents de constater que l’offre Microsoft (S2) comportait « dix risques rédhibitoires » , les experts militaires pointaient également du doigt « trois critères destructifs » , censés se caractériser par « un seuil au delà duquel le scénario est rejeté » .

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En conséquence de quoi, le groupe de travail concluait son rapport en qualifiant l’offre faite par Microsoft de « scénario le plus risqué » , avec un « ROI (retour sur investissement -NDLR) incertain » , ce pourquoi il concluait en écrivant que « ce scénario est donc fortement déconseillé » .

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L’armée française et le paradis fiscal irlandais

En dépit de cette « analyse de la valeur » particulièrement sévère de la proposition de contrat, l’armée française n’en signait pas moins un « acte d’engagement » portant sur un marché de « maintien en condition opérationnelle des systèmes informatique exploitant des produits de la société Microsoft avec option d’achat » avec… la filiale irlandaise de l’éditeur américain. Les mauvaises langues disent que cela aurait permis à l’éditeur de logiciels, qui dispose pourtant d’un siège à Paris, juste en face des studios de TF1, d’échapper à la fiscalité française.

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Vers « un parc pérenne en solutions Microsoft »

Un courrier estampillé « diffusion restreinte » , signé du général Patrick Bazin, qui commande la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI), et daté de janvier 2013, explique ce pour quoi le ministère de la Défense a décidé de renouveler le contrat.

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On y apprend ainsi que « le premier contrat cadre du ministère de la défense avec la société Microsoft a pris fin le 22 décembre 2012 » , et que le marché, arrivant à terme en mai 2013, le comité des achats du ministère de la défense mandaté la DIRISI, en février 2012, « pour négocier avec la société Microsoft un nouvel accord-cadre » .

On y découvre également que le choix de solutions Microsoft ne conduit pas « à une dépendance vis-à-vis de cet éditeur » , mais également que « les solutions dites libres n’offraient pas de gain financier notable » .

Dit autrement : le contrat avec Microsoft coûte quand même plus cher que si l’armée avait opté pour des logiciels libres, mais la différence n’est pas suffisamment notable pour que le ministère de la Défense fasse le choix de ne pas renouveler le contrat avec l’éditeur américain.

La DIRISI explique en effet que « les contraintes opérationnelles et d’interopérabilité avec nos alliés imposent des choix Microsoft » , dans la mesure où « l’OTAN a fait le choix des solutions Microsoft pour ses postes de travail » . Et c’est, de même, « dans un souci d’interopérabilité et d’économie » , que la DIRISI demande « d’utiliser les applications de l’OTAN » , ce pour quoi les nouveaux Systèmes d’Information Opérationnels et de Communication (SIOC) français « sont développés et sont en cours de déploiement sur des technologies Microsoft » .

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L’argument est pour le moins étonnant, l’interopérabilité désignant précisément la capacité que possède un système informatique à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes informatiques, existants ou futurs, et quels que soient les systèmes d’exploitation et logiciels utilisés.

On imagine sans peine les cris d’orfraie que pousseraient militaires, marchands d’arme, sans parler des politiques, des médias et de l’opinion publique, si d’aventure le responsable des achats de l’armée française décidaient de ne plus acheter que des armes made in USA, au motif que la France fait désormais partie de l’OTAN.

Dans le même temps, la DIRISI révèle également dans ce document que plusieurs ministères ou organismes ont « affiché leur volonté d’adhérer au contrat en préparation » , à savoir les ministères du travail et de la santé, ainsi que le Commissariat à l’énergie atomique, la Cour des Comptes et la Direction générale des finances publiques.

Après avoir vérifié auprès de la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) « que les conditions d’exclusivité de la société Microsoft étaient toujours réunies, la DIRISI a conduit une négociation en gré à gré » avec Microsoft, ce qui lui permet de nouveau de ne pas procéder à un appel d’offres public.

L’article 35-II-8 du Code des Marchés Publics précise en effet que « les marchés et les accords-cadres qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité » peuvent en effet être négociés « sans publicité préalable et sans mise en concurrence » .

Evoquant des « raisons de confidentialité industrielle et de finalisation des négociations« , le document ne fournit pas d’éléments chiffrés, mais précise néanmoins qu’ « après quatre tours de négociation, la DIRISI est sur le point d’obtenir une réduction des prix de 49% par rapport au tarif SELECT D (en tenant compte d’une remise additionnelle de 20% sur ce dernier, ce qui reste actuellement la meilleure offre constatée pour l’administration) » , ce qui permettra au ministère de disposer d’ « un parc pérenne en solutions Microsoft » .

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La transparence de la « grande muette »

Signes supplémentaires de l’opacité de ce contrat, le cabinet du ministre de la Défense a expliqué au Canard Enchaîné n’avoir jamais entendu parler du rapport du groupe d’experts militaires qui avaient « fortement déconseillé » l’offre de Microsoft.

L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), l’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information, en charge des questions de cyberdéfense, n’a quant à elle pas été sollicitée pour émettre un avis concernant la pertinence de ce contrat.

La Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication (DISIC), chargée de coordonner les actions des administrations en matière de systèmes d’information (notamment en matière d’interopérabilité, et de sécurité), mais également d’encourager les ministères à l’adoption des logiciels libres, nous a expliqué n’avoir elle non plus pas été sollicitée.

Enfin, la gendarmerie nationale, que nous avions sollicité pour expliquer, devant les caméras du Vinvinteur, ce pour quoi elle avait décidé de migrer son parc informatique sur des logiciels libres, entraînant une réduction du budget de 70%, tout en garantissant son indépendance vis-à-vis de tout éditeur, a préféré décliné notre invitation, évoquant un contexte « un peu trop sensible » …

Nous avons tenté de comprendre ce pour quoi un tel contrat, si vertement critiqué par les experts militaires, a pourtant été signé. Pourquoi il a été signé avec Microsoft Irlande, et pas avec sa filiale française. Pourquoi il va être renouvelé, alors que sous couvert d’anonymat, de nombreux militaires le qualifient de « scandale » . Pourquoi le ministère de la défense s’enferre à acheter des logiciels propriétaires, alors que Jean-Marc Ayrault a signé, en septembre dernier, une circulaire (.pdf) dressant les orientations en matière d’usage des logiciels libres dans l’administration. Pourquoi l’armée française, dont le budget, sur fond de crise et de politique d’austérité, est le seul à avoir été sanctuarisé, préfère enrichir une société américaine plutôt que de faire des économies budgétaires, tout en contribuant au développement d’une industrie française des logiciels libres.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette affaire soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses…

Jean-Marc Manach (@manhack sur Twitter).

Voir aussi le Vinvinteur 25 consacré à cette question, les interviews de l’ancien député Bernard Carayon, de Jeanne Tadeusz, de l’APRIL, et tous les liens du Vinvinteur 25.

Les documents

Plusieurs documents avaient déjà été mis en ligne, en 2011, sur un site créé pour analyser la politique de Microsoft en matière d’interopérabilité (cf French Defense IT system under US company control & MS and Public Procurement – Files). A l’exception de PCInpact, qui avait rendu public le rapport (très critique) de la Commission des marchés publics, ils avaient jusque là été injustement ignorés :

Analyse de la valeur du projet de contrat-cadre avec la société Microsoft

Maintien en condition opérationnelle des systèmes informatique exploitant des produits de la société Micros…

Projet de contrat cadre avec la société Microsoft


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