[Nouvelle] 2084, une vie normale, #PJLRenseignement.

Jeudi 23 Mars 2084,

Cher journal,

Aujourd’hui, j’ai passé une bonne journée. Comme les autres mais un peu plus libre : j’ai enfin trouvé un coin, loin de la ville, pour être tranquille.

Il faut dire que la vie n’est pas forcément simple depuis l’arrivée de Martin Le Guen, notre nouveau président, lors des élections de 2060. Le pire c’est qu’il a été élu « démocratiquement », comme ils disent… enfin depuis, il y a eu un coup d’Etat, tout ça… et il est là pour encore très longtemps…

Moi, je ne voulais pas voter pour lui mais, mon ami, faut bien avouer que la déception était tellement grande à l’époque… nous étions tous perdus, certains plus que d’autres. Ils pensaient que ça allait changer des choses, que ça allait bien avancer, enfin…

On a effectivement avancé, mais pas forcément dans le bon sens.

Toi, mon journal, mon ami, mon seul confident, la seule chose où je peux encore écrire sans que quelqu’un vienne me lire, si seulement tu savais…

Mon père m’en parlait la dernière fois… au début, il y avait un réseau Internet « normal », comme y dit : neutre, pas trop censuré et tout… Bon j’avoue, ça semble fou, mais quand il m’en parle, il a vraiment l’air de penser que c’est vrai.

Ça semblait sympa, il parlait de « blogs », c’est abstrait pour moi mais je crois que c’est un truc ou des citoyens pouvaient parler, quelque chose comme ça.

J’ai jamais su s’il me racontait des bêtises ou si c’était vrai, mais quand il m’en parle, j’ai des étoiles dans les yeux tellement ça semble beau.

Enfin, quand il m’en parlait, en fait.

Mon père m’avait prévenu, il utilisait un nom de code pour m’en parler : la Volte. Je sais que ça vient d’un livre mais la dernière fois que j’ai fait des recherches dessus, la police était là une heure plus tard.

C’est flou, mais à son époque, ils ont voté un truc sur le renseignement, je crois que tout est parti de là. Ils voulaient lutter contre le terrorisme et tout, mon père me disait qu’ils étaient plein de bonnes intentions mais que ce qu’ils allaient faire c’était dangereux.

Il disait que ce truc-là allait créer un outil qui, entre de mauvaises mains, pouvait être dangereux. Que l’orientation du gouvernement de l’époque était très stricte et se tournait vers la sécurité sans se soucier du reste.

Déjà à l’époque, comme il disait « c’était pas glorieux, on était un peu comme en Chine, mais en France ».

Mais avec l’arrivée de Le Guen, tout a changé. Il a fait avancer ce truc de surveillance pour l’étendre encore plus, et maintenant, chaque acte, parole, qu’elle soit privée ou publique, est captée.

C’est pour ça que mon père n’est plus là. C’est pour ça que tu es mon ami, mon seul ami… caché, en sécurité.

Tu sais, ça m’arrive de rêver que nous visons dans un pays libre, un pays où je peux dire ce que je veux, aller voir qui je veux, manger ce que je veux ou regarder ce dont j’ai envie sans craindre qu’on vienne frapper à ma porte..

Je dois te laisser, mon cher ami, on frappe à la porte, je pense que c’est pour l’accès à Wikipedia, hier.

Quelques observations sur La CNCTR…

Attention : je ne suis pas expert du droit, ce qui suit est potentielle une lecture erronée du projet de loi sur le renseignement.

Je remercie par avance les juristes qui passeront sur ce billet de corriger, si besoin est.

Le projet de loi sur le renseignement tuera la CNCIS pour créer la CNCTR, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Qu’est-ce que ça sera ?

La CNCTR sera composée de 9 membres :

  1. Deux députés et deux sénateurs
  2. Deux membres ou anciens membres du Conseil d’Etat
  3. Deux magistrats ou anciens magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, nommés sur proposition conjointe du Premier président et du Procureur générale de la Cour de cassation.
  4. Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques, nommés sur proposition du président de l’ARCEP.

Point positif : la CNCTR dispose de plus de membres que la CNCIS actuelle, composée de trois membres.

Le rôle de la CNCTR sera identique à celui de la CNCIS : vérifier que les différents services de renseignement ne dépassent pas le cadre de la (future) loi, ni n’utilisent des moyens inappropriés à la situation. La CNCTR peut se voir saisie par « toute personne ayant un intérêt direct et personnel » dans une affaire.

Elle peut aussi s’autosaisir de dossiers afin de procéder elle-même à un contrôle des moyens mis en œuvre pour arriver à une certaine finalité, définie elle aussi par la loi sur le renseignement.

Point positif à nouveau : la CNCTR peut être saisie et peut s’autosaisir d’un dossier.

Pour pouvoir prendre une décision, il faudra au moins quatre membres présents sur les neufs prévus, Article L. 832-3. Première fausse note pour moi : quatre, sur neuf, ce n’est pas la majorité absolue. La CNCTR pourra donc prendre un avis et ce même si plus de la moitié de ses membres sont absents.

Si ce choix s’explique facilement (il faut que la CNCTR puisse avancer et ce même si elle n’est pas complète), je regrette qu’il ne faille que quatre membres sur les neuf pour pouvoir prendre une décision.

En cas de réclamation formulée à la CNCTR, et après analyse de la réclamation par cette dernière, si elle constate une irrégularité elle « procède conformément aux dispositions de l’article L. 821-6. »

Que dit cet article ?

Actuellement, voici la proposition faite pour cet article :

« Si la commission estime qu’une autorisation a été accordée en méconnaissance des dispositions du présent livre ou qu’une technique de renseignement a été mise en œuvre en méconnaissance des mêmes dispositions, elle adresse au service concerné ainsi qu’au Premier ministre une recommandation tendant à ce que la mise en œuvre de la technique concernée soit interrompue et les renseignements collectés détruits.

« Le Premier ministre informe sans délai la commission des suites données à ses recommandations.

« Lorsque le Premier ministre ne donne pas suite à ses recommandations ou lorsqu’elle estime que les suites qui y sont données sont insuffisantes, la commission peut, à la majorité absolue de ses membres, décider de saisir le Conseil d’Etat.

Pour traduire : si la CNCTR est saisie afin de vérifier la bonne application de la loi et que cette CNCTR se rend compte que la loi n’est pas respectée, elle n’adresse qu’une recommandation pour que cela cesse. Par la suite, si les réponses ne sont pas satisfaisantes, elle sera en capacité de saisir le Conseil d’Etat, reconnu comme compétent pour la suite… mais ça prend du temps, beaucoup de temps.

Une recommandation n’a « aucun poids », la personne à qui la recommandation est faite n’est pas tenue de la suivre.

Si la CNCTR constate une irrégularité dans les techniques de renseignement, pourquoi ne pas faire une obligation d’arrêt des techniques utilisées ?

Ce trouve ce passage assez léger, une simple recommandation ne me semble pas appropriée. N’étant pas spécialiste du droit je me trompe peut-être, mais je trouve que c’est assez important comme point : les moyens mis en œuvre pour faire un recours ne me semblent pas adaptés, face aux moyens disproportionnés de la surveillance.

La problématique est d’autant plus importante que le projet de loi fait référence à cet article L. 821-6 à chaque réclamation ou chaque observation de la CNCTR.

La surveillance face à une petite recommandation.

Pour finir, bien que la CNCTR soit composée de neuf membres, soit six de plus que la CNCIS, les moyens mis en œuvre pour qu’elle puisse faire son travail ne me semblent pas appropriés également.

Est-ce que ces personnes seront compétences pour remplir leurs missions ?

Est-ce que les moyens mis à la disposition de la CNCTR seront suffisants ?

N’y-a-t-il pas un risque de débordement de la CNCTR ? Qu’elle ne soit qu’une excuse pour se défausser, un « cache sexe », un peu comme avec la CNCIS ?

Si des députés me lisent (et je sais que certains me lisent…), je suis ouvert à toute forme d’échange et de débat constructif autour du sujet, ici, par mail ou au téléphone en cas de besoin.