Fiction ? Episode II

Paris, 28 décembre 2018

[…]
Au même instant, dans le salon de Paul …

« Mais, pourquoi il me fait un écran noir ce téléphone encore ? »

Il faut avouer que depuis l’avènement des smartphones, coller quelqu’un sous écoute c’est simple et presque invisible. Les constructeurs de ces petits objets ainsi que les systèmes d’exploitation qui tournent dessus embarquent déjà des solutions d’écoute et de géolocalisation, c’est à peine visible, le temps d’un écran noir ou d’un sms fantôme et le tour est joué.

Il y a quelques années, ça passait assez mal ces trucs-là, la surveillance, l’écoute… Alors pour faire taire les critiques, des logiciels à destination des utilisateurs avaient vu le jour, ils permettaient de retrouver son téléphone perdu ou volé, de l’écouter, de le bloquer à distance, de récupérer les messages et même de le reformater à distance.

Il avait suffi de donner ces outils de surveillance à des citoyens lambdas, de remplacer « surveillance » par « protection » et le tour était joué.

Depuis, une autre révolution était arrivée : celle des objets connectés. Paul en était fan. Dans son appartement, on comptait deux ordinateurs, un téléphone, une console, des cadres photos connectés qui faisaient défiler des photos facebouc, une webcam, le système de reconnaissance de la console, une ligne internet et bien d’autres choses, de petits objets de rien du tout ça et là, des poubelles connectées pour faire des concours de tri avec ses amis, un frigo connecté pour faire des commandes de courses depuis le frigo, un cendrier pour afficher sur Internet la fierté de Paul : troisième jour sans tabac. Enfin, nous pouvons parler de ses vêtements connectés, de la machine à café et d’à peu près tout dans son appartement.

L’avènement de ces objets connectés était une aubaine pour les membres d’AYBABTU, le réseau de surveillance du gouvernement. Afin de protéger l’opinion publique, le peuple et la nation contre toute menace intérieure ou extérieure, le gouvernement avait opté pour une surveillance généralisée de tout objet connecté à Internet. Dans un climat de menaces terroristes, cette nouvelle fut assez bien accueillie.

Depuis cet instant, le temps d’un clic et le tour est joué.

Sans parler des mails, des sites que Paul consulte, de ses transactions bancaires, des caméras de surveillance qui ont maintenant ordre de transmettre chaque image de Paul, où qu’il se trouve et d’alerter le réseau en cas d’absence …

« Ah, bah c’est pas trop tôt ! », déclara Paul à son téléphone qui venait enfin de lui redonner la main.

De l’autre côté de Paris

«  – Agent 12 au rapport, monsieur.
– Tout est bon ?
– Procédure classique, comme vous l’avez demandé. Tout est bon, du téléphone aux poubelles écologiques en passant par le compteur Linky. On va savoir à quelle heure il se lève, quand il prend sa douche, quand il déjeune et même quand il sera aux toilettes, et…
– C’est merveilleux la technologie, n’est-ce pas ?
– Tout à fait monsieur. Son linky va nous envoyer toutes les informations du réseau électrique, c’est un petit bijou de technologie française.
– J’n’aurais pas mieux dit !
– Monsieur ? Rajouta l’agent 12 d’un ton un peu hésitant, quand même, c’est vraiment nécessaire toute cette surveillance ?
– Oseriez-vous remettre en doute l’existence même d’AYBABTU ? La nation, c’est AYBABTU, AYBABTU c’est la nation, elle nous protège, il nous protège. Des autres. De nous même, de votre voisin et peut-être de vous !
– Je sais, monsieur, mais il se trompe parfois, souvenez-vous de …
– Agent 12, qu’est-ce qu’une ou deux erreurs face à des millions d’éventuelles réussites ? La réponse est simple : des dommages collatéraux. C’est tellement efficace que les citoyens ne s’en soucient même plus, ils vivent avec, grandissent avec et savent ce qu’ils ont le droit de dire ou non, de qu’ils ont le droit de faire ou non et ce qu’ils sont en droit de penser. C’est l’avenir.
– Oui, monsieur. Le dossier Paul Colog sera sur votre bureau demain, à la clôture en fin de journée. »

De l’autre côté de la capitale, Paul, l’oreille collée à son téléphone, désespère d’avoir Frank au téléphone.

« – Ouais ?
– Ah bah enfin, putain t’es long à décrocher !
– Pardon, on a des brouilleurs à la maison, fallait que je bouge.
– Bon bref, qu’est-ce que tu voulais me dire tout à l’heure ?
– De faire attention…
– A quoi ? Aux vilains renseignements généraux qui sont en train de m’écouter parce que j’ai osé dire que la présidente c’est qu’une vilaine méchante et que t’as répondu que tu voulais la buter ? Bon sang Frank on est en démocratie la France c’est pas l’Angleterre !
– Plaisante pas avec ça, vraiment, j’ai vu des mecs avoir des ennuis et d’autres qui ont fait d’la GAV pour moins que ça.
– T’es vraiment parano mec, ça te réussit pas d’être coupé du réseau.
– Bon, laisse tomber, t’es con ce soir, on en reparlera plus tard.
– Ouais, si les hommes en noir m’ont pas flashouillé la tête avec leur truc pour effacer la mémoire.
– T’es con.
– Non mais ça va, j’plaisante c’est bon t’énerve pas.
– Non mais laisse, bonne nuit. »

P’tain, autant il est adorable, autant il est parano parfois. Pensa Paul, convaincu d’avoir un ami un peu fou.

« Ah là là, ce Frank, c’est qu’il va finir par me rendre parano un jour. »

Avant d’éteindre son écran, le capitaine du groupe d’intervention d’AYBABTU affichait un grand sourire. Ravi de la conversation écoutée, il n’avait plus qu’une seule chose en tête : le rapport de demain soir.

« Je sens qu’il va me plaire, ce Paul. »

3 réflexions au sujet de « Fiction ? Episode II »

  1. Tiens, c’est drôle à quel point ça me fait penser au Meilleur des mondes, de Huxley.

    Les références étaient-elle voulues ?

    En tous cas, très bonne description de ce vers quoi j’ai l’impression que l’on avance.
    Je ne sais même pas si l’on peut parler de caricature…

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