Analyse des propos de M. Malek Boutih à propos d’Internet.

Lors de l’audition de M. Pierre Lescure à l’assemblée nationale, ce mercredi 12 juin 2013, le député socialiste Malek Boutih s’est montré favorable à une régulation d’Internet par le CSA. Il a également souhaité que la France « reprenne le contrôle d’Internet ».

Parce que de tels propos doivent être compris de différentes façons, je vous propose un « bref » retour sur le sujet.

Pour commencer, M. Boutih ne croit pas en « la légende des pirates du Net, au geeks qui diffusent gratuitement la culture. »

M. Boutih, si c’est votre droit le plus strict de croire ou non en quelque chose, sachez que ce sont souvent ces « pirates du Net, ces geeks » qui forgent et construisent Internet tel que vous le connaissez.

Nier le rôle de ces personnes revient à considérer qu’ils ne sont d’aucune utilité et en ce sens, M. Boutih est dans l’erreur la plus totale.

Celles et ceux qui ont fait d’Internet ce qu’il est, ce sont bel et bien ces geeks, barbus ou non, qui échangent des informations, apprennent, transmettent le savoir et la connaissance au plus grand nombre possible.

Dans ces personnes, nous pouvons par exemple parler de M. Stallman, je doute fortement que le rôle de M. Stallman puisse-t-être remis en question dans le monde technologique que nous connaissons.

Il faut également remarquer que M. Boutih n’est pas connaisseur des Internets, le mot pirate n’étant sans doute pas le plus adapté ici.

Comme d’autres députés, M. Boutih tombe dans l’amalgame du hacker pirate, sous-entendant que ces choses-là sont mauvaises. Pour le bien de tous et pour être un peu plus crédible, M. Boutih, vous devriez éviter l’amalgame fait par tant de vos collègues des bancs de l’assemblée nationale.

Attardons-nous sur la libre diffusion de la culture si vous le voulez bien.

La culture est universelle, tout le monde devrait pouvoir y accéder, quel que soit son pays d’origine, son âge, son appartenance à un groupe ou à une classe socio professionnelle.

La culture est un bien universel car elle élève les personnes, de nombreuses études soutiennent que l’accès à la culture entraine un effet positif pour sa population. L’illettrisme régresse, la santé également, le niveau général de l’éducation d’autant plus.

Si nous parlons de la culture comme nous parlons d’un bien matériel, c’est une autre paire de manche.

Depuis les moines copistes, ceux qui détiennent le savoir et maintenant l’argent qui va avec ce dernier ne semblent avoir qu’une idée en tête : garder de savoir et le monétiser.

Depuis ce temps, beaucoup cherchent à maintenir l’équilibre des choses : il faut faire de la culture un bien précieux, rare, il faut montrer que l’obtenir n’est pas une chose aisée bref, il faut la verrouiller.

Internet change la donne et permet de remettre la culture à sa place, à savoir celle d’un bien universel.

La question qui se pose maintenant est la suivante : doit-on aider à verrouiller cette culture comme les moines copistes et M. Boutih le souhaitent ?

Ou doit-on croire en la possibilité d’un accès universel ?

La question qui se pose est celle de l’intérêt général face à l’intérêt privé et, dans ce genre de situation, mon choix est déjà fait : si le choix porte entre l’intérêt de tous et un intérêt privé, c’est alors l’intérêt de tous qui primera.

C’est une vision idéaliste, j’en conviens, mais c’est une vision en laquelle je crois. Il semble que M. Boutih et moi ne soyons pas spécialement d’accord sur ce point.

M. Boutih a ensuite déclaré que la reprise du contrôle d’Internet était « une question plus large de souveraineté ».

J’estime que ces propos-là sont dangereux, vraiment. Je m’interroge également sur la définition du mot souveraineté pour M. Boutih. La souveraineté sous-entend le contrôle sans partage.

La souveraineté, c’est un droit exclusif d’exercer une autorité sur quelque chose. Nous parlons donc bel et bien d’exclusivité de contrôle.

Le contrôle d’Internet est donc une question de souveraineté pourrait s’interpréter de la manière suivante : « la France doit avoir un contrôle exclusif et total sur l’Internet. »

Que ça soit clair : exercer un contrôle exclusif et total sur Internet aurait des conséquences, forcément… et une conséquence directe serait la censure.

Si le gouvernement contrôle de façon exclusive et totale Internet, comment lui faire confiance ? Comment être certain que ce que je suis en train de lire est bien ce que le site affiche, et pas un message modifié à la volée ? Comment être certain que, si je n’ai pas accès à un site, ce n’est pas à cause d’une censure dudit site, en France ?

La souveraineté sous-entend ceci ainsi que, bien trop souvent, une absence totale de transparence, ce qui ne changera pas spécialement de ce que nous connaissons déjà.

Si j’ai le pouvoir et que je décide comme bon me semble, pourquoi aurais-je à rendre des comptes à quelqu’un ?

Il est possible préférer le mot « nationalisation » à celui de souveraineté, puisque c’est bel et bien de ça dont il est question.

Nationaliser Internet, une idée qui n’est pas sans rappeler les propos tenus et appuyés (sic!) par le député Myard lorsqu’il demandait à nationaliser Internet.

A nouveau, il faut comprendre ce que nationaliser Internet veut dire : il s’agit de faire un Internet « national », français et de facto, de ne pas faire Internet, mais un produit fermé, verrouillé et bien français.

Les questions précédentes peuvent s’appliquer ici aussi alors pour résumer, nous retiendrons la chose suivante : un Internet « insérez-ici-le-pays-de-votre-choix » n’est pas Internet, puisque l’utilisateur d’un Internet français n’aura peut-être pas la même page qu’un utilisateur d’Internet, un réseau de réseaux.

Des pays font bel et bien un Internet national, le plus connu étant la Chine. Je n’ai pas besoin de vous expliquer que ce que donne la Chine, ce n’est pas Internet. Je ne pense pas non plus avoir besoin de rappeler que la Chine n’est pas connue pour sa défense des droits de l’Homme, ni pour la défense de la liberté d’expression.

M. Boutih déclarera ensuite que « contrôler les tuyaux c’est contrôler les contenus ».

Nous pouvons également nous demander ce que M. le député cherche à dire ici.

Si contrôler les tuyaux c’est contrôler les contenus et donc une partie d’Internet, c’est aussi assumer parfaitement un rôle de filtre, de censeur, dans la gestion de ce contrôle.

De quelles garanties disposons-nous pour être certains que ce contrôle n’engendrera pas une censure ?

Qu’est-ce qui garantit que la censure ne s’étendra pas un jour à des propos tenus, des journalistes, des sites d’opposition, des manifestants qui dérangent ou des dissidents politiques ?

Contrôler ces tuyaux c’est également représenter une menace pour la liberté d’expression. Il suffit de regarder les pays qui contrôlent et font de « l’Internet nationalisé » pour s’en rendre compte.

Regardez du côté de la Chine à nouveau, vous pouvez également observer la Syrie, la Turquie, le Maroc et bien d’autres encore – aidés par le gouvernement français au passage – qui censurent à différents niveaux, à différentes échelles.

Pour terminer, allons plus loin : être souverain d’Internet, c’est chercher à être souverain d’un outil qui n’a pas de frontière, qui est censé être le même partout. Encore que ces points sont discutables car il existe de fortes restrictions selon le pays d’origine de votre adresse IP .

Un état ne peut pas se déclarer souverain d’Internet, c’est un non-sens total.

C’est au moins aussi absurde que de chercher à nationaliser l’air d’un pays, pour reprendre le contrôle de l’oxygène français.

Qu’un gouvernement légifère en national ou à l’international sur Internet, c’est un fait. Même si je suis perplexe à ce sujet, il me semble normal qu’un ou plusieurs gouvernements puissent légiférer sur Internet.

De là à vouloir en être souverain, non.

On peut, pour terminer, se dire que le discours de M. Boutih est très cohérent avec ce que souhaite faire le CSA, en appliquant ce qu’il fait déjà aux autres médias. Seulement voilà, Internet n’est pas qu’un média et il ne se gère pas de la même façon, il n’est pas figé et se transforme chaque jour, il est même capable de s’autoréguler.

M. Boutih cherche peut-être un poste au CSA, qui sait… où alors cette déclaration annonce en filigrane les prochaines orientations du CSA et si c’est le cas, c’est assez inquiétant.

Enfin, M. Boutih, permettez-moi donc de donner un conseil: arrêtez de raconter n’importe quoi, bossez vos sujets et vos interventions avant de sortir des inepties, dangereuses de surcroit.

4 réflexions au sujet de « Analyse des propos de M. Malek Boutih à propos d’Internet. »

  1. je suis tout à fait d’accord. Je préfère cependant parler de savoir plutôt de que culture, car le savoir est plus général et englobe beaucoup plus de choses. le savoir c’est aussi les idées, les réflexions, l’art, …

    1. C’est vrai que le mot semble plus adapté que culture, du fait qu’il englobe plus de choses qui ne font pas forcément partie de la culture, je le garde comme mot de référence pour les prochains billets.

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