1996, une histoire sur les Internets…

Ou si vous préférez, « les politiques ne comprennent rien aux Internets et ça ne date clairement pas d’hier. »

Aujourd’hui, un peu d’histoire…

Nous sommes en 1996, le web commence à peine à arriver dans les familles, Internet n’est pas ce que nous connaissons aujourd’hui, on surf à l’impressionnante vitesse de 14Kbits/s, révolution à l’époque.

Oublions un temps les services que nous connaissons actuellement et replongeons-nous dans l’histoire des Internets.

En 1996, une chose existait déjà et n’a pas véritablement changée depuis: les Internets dans l’esprit du monde politique.

Déjà à l’époque, le gouvernement et les politiques avaient peur de cet espace ou tout le monde peut s’exprimer, sans intermédiaires, sans potentielle censure. Ils avaient peur de cet espace ou chaque parole vaut la même chose et où l’on fonctionne au mérite et non au nom, « fils de » ou à l’argent.

Le code génétique d’Internet était déjà présent, forgé par celles et ceux qui écrivaient, codaient et pensaient que tout était possible.

Pour nos politiques de l’époque, Internet est déjà un monstre. Un repère rempli de terroristes, de pédophiles, de pirates sans règles … étrange, ce discours, je l’ai croisé pas plus tard qu’il y a quelques jours… 17 ans et toujours le même discours. Ça n’a pas changé.

Ce qui n’a pas changé non plus, c’est cette volonté de museler Internet, de le contrôler comme on contrôle tout autre organe d’expression, de le réguler et d’en faire un Internet civilisé ou tout ce qui dérange est caché. Un Internet civilisé, cette expression n’est pas sans rappeler les propos tenus par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était encore président de la République.

A cette époque, un acteur est lui aussi présent, l’UEJF, l’union des étudiants juifs de France. Les mêmes qui ont assigné Twitter pour l’affaire « #UnBonJuif ».

L’affaire porte sur des intermédiaires accusés d’avoir mis à disposition des contenus contraires à la loi, et c’est l’UEJF qui attaque ces intermédiaires. Cette dernière demande à ce que les intermédiaires empêchent toute connexion à tout service ou message diffusé sur le réseau Internet si ces derniers ne respectent pas la loi. De la censure, rien que ça. De la censure préventive également, puisqu’il était question d’anticiper le blocage de ces connexions.

La demande est rejetée par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 12 juin 1996.

Quelques mois plus tard, les gérants de World-Net et Francenet sont arrêtés pour avoir permis la diffusion d’images à caractère pédophiles. Pour l’explication, des utilisateurs abonnés chez ces fournisseurs diffusaient des images à caractère pédophiles et ce sont les gérants des fournisseurs qui ont été arrêtés, pas les auteurs des méfaits.

L’instruction se terminera sur un non-lieu, quelques temps plus tard (ndlr : je n’ai plus la date précise).

Quelques mois passent, l’affaire de l’UEJF est passée. Nous sommes au mois de juin, le 18 pour être exact.

Ce 18 juin, le ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace propose une loi, adoptée par la suite.

Vous pouvez retrouver le texte de cette loi ici :

Que dit cette loi ? Tout simplement de responsabiliser les intermédiaires techniques, hébergeurs, fournisseurs d’accès à Internet de tout contenu contraire à la loi. Pour être encore plus clair, cette loi rend responsable les intermédiaires de ce qui passe dans leurs tuyaux, si un contenu illégal ou criminel circule, alors ça sera de la faute de l’intermédiaire.

Je vous laisse imaginer le problème : c’est clairement impossible. Trop d’utilisateurs, trop de contenus, sans parler du risque évident de censure et de la pression infligée aux intermédiaires, responsables de ce qu’ils n’ont pas fait.

Le 24 juin, un recours est déposé devant le conseil constitutionnel, contre cette loi dangereuse. Il est question des articles 43-1 à 43-3, qui ne respectent pas la liberté d’expression ainsi que les articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Le conseil constitutionnel décidera de retoquer les articles 43-2 et 43-3 de la loi déposée, au motif qu’ils sont contraires à la Constitution.

Ce ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace, en 1996, c’est François Fillon.

Déjà à l’époque, le principe était de censurer internet, au nom de la loi, sans avoir conscience des conséquences. Cela n’a pas changé, cela ne changera pas et c’est pour cette raison qu’il ne faut pas arrêter la veille, la lecture, le travail de décodage des textes dangereux comme celui censuré par le conseil constitutionnel en 1996.

La morale de cette histoire : nos hommes et nos femmes politiques n’ont toujours rien compris à Internet, aux réseaux et à ce qu’on peut en faire et ils ne comprendront sans doute jamais l’importance de la Neutralité du Net.

Nous pouvons également rire d’un autre jugement, celui d’un hébergeur, condamné à une amende qu’il n’était pas en mesure de payer, condamné à fermer ses services alors qu’il n’était pas responsable d’un acte fait avec ses services, par un de ses clients.

La juge n’a pas compris Internet l’hébergeur s’est retrouvé responsable de tout, alors qu’il était innocent.

Cette juge est maintenant l’actuelle présidente de la HADOPI. Mais ceci est une autre histoire…

Moralité : en plus de 17 ans, rien n’a changé. L’article retoqué par le conseil constitutionnel est présent dans LOPPSI, le discours est le même qu’avant et les politiques ont toujours le chic pour faire peur, Internet étant ce repère de terroristes ultra dangereux.

Ce billet est tiré d’un passage du reportage « Une contre histoire de l’Internet », diffusé sur Arte le mardi 14 mai 2013 à 22h40, disponible en replay à l’adresse suivante … et déjà sur vos torrents /-)

9 réflexions au sujet de « 1996, une histoire sur les Internets… »

  1. Au contraire, je pense que les politiques ont tout compris d’internet : un espace dangereux pour eux, où comme tu le dis, tout le monde à le droit à la même parole.

    Ils ont toujours compris que ça allait leur poser des problèmes, qu’ils leur sera impossible de faire pression sur la ligne éditorial d’un blog d’info comme d’un journal papier.

    C’est triste, c’est énervant, mais oui, ils ont compris que ce formidable outil libertaire était trop dangereux, et c’est vrai, c’est dangereux : pour eux.

    1. En fait, c’est un peu ça et c’est sans doute ce qui fait peur, du coup. Le fait qu’une partie du pouvoir (et on peut en parler au niveau européen ou mondial) cherche à reprendre la main.

  2. +1 slevin
    Il est également dangereux de faire preuve de naïveté. Dans un premier temps l’internet a été libéré (probablement parce qu’il représentait une opportunité financière gigantesque). On en est encore là – plus ou moins. Mais il s’agit maintenant de « l’épurer » de tout « contenu dangereux » pour ne garder que sa facette comerciale (minitel 2.0). Cette phase a déjà commencé: diabolisation auprès du grand public (les pédo-nazis!), enquètez autour de vous si vous connaissez autre choses que des geeks:c’est un succès.
    Maintenant répression et cadenassage du réseau (ACTA, Hadopi, DPI, etc.), phase en cours qui ne s’achèvera que par la mort de ce magnifique espace de liberté que nous avons eu la chance de vivre…
    À moins que ?…

    1. A moins que nous restions éveillés et que nous prenions le temps d’expliquer à celles et ceux qui arrivent sur les Internets l’importance de ce combat.

      Le reportage « une contre-histoire de l’Internet » va dans ce sens et est très clair et il va sans dire qu’il laisse un bon message d’espoir 🙂

  3. Merci pour ce billet, mais je ne suis pas tout à fait d’accord. Les choses ont changé, la preuve : Arte nous a offert la possibilité de faire cette « Contre-histoire de l’Internet »… ce qui aurait été impensable à la fin des années 90.

    Certes, le nombre de parlementaires qui comprennent vraiment ce dont il est question est encore sur les doigts d’une main (du temps de Nicolas Sarkozy, le Parlement actuel n’ayant pas encore eu à légiférer sur le Net), mais il y en a.

    Quant aux médias, ils continuent certes majoritairement à caricaturer le Net, et ce que l’on y fait, ou à ne le présenter que sous l’angle des gros sous, et des petits gadgets, mais pour l’article über-caricatural d’Amaury, la semaine passée, est devenue l’exception, alors que c’était un peu la norme, dans les 90’s.

    Cela dit, bien d’accord pour dire qu’il faut continuer à être vigilant, à pas lâcher l’affaire. Encore merci.

    1. Certes les choses changent et la situation n’est pas tout à fait la même que dans les années 90, Arte et la diffusion de ce reportage en sont la preuve (j’en profite au passage pour te remercier et te féliciter à nouveau).

      Ce n’est pas tant la prise de décision sur Internet qui n’a pas changé, mais la vision qu’ont celles et ceux qui décident et, tu as raison, ceux qui comprennent se comptent sur les doigts d’une main, tous partis confondus.

      Je note tout de même que l’écart de Frédéric Lefebvre à été critiqué à l’époque, et c’était bien.

      Pour les médias, je pense que le reportage est assez précis sur le sujet, beaucoup ne comprennent pas, ou du moins, ne ratent pas la moindre occasion pour dire « c’est de la faute à Internet ».

      Le « truc » d’Amaury est critiqué par les Internets, comme il l’aurait été en 1996 mais je suis d’accord, c’est de plus en plus l’exception et ce n’est pas plus mal, pour tout le monde.

      Cependant et malgré ces changements, j’ai parfois l’impression qu’on stagne. Après le travail et la pédagogie fournie, lorsqu’un média en revient à l’éternel « c’est de la faute d’Internet » ou qu’un député invoque des choses infondées pour justifier les pires projets de cyber surveillance, j’ai parfois l’impression que c’est peine perdue.

  4.  » Les choses ont changé, la preuve : Arte nous a offert la possibilité de faire cette « Contre-histoire de l’Internet »… ce qui aurait été impensable à la fin des années 90. »

    C’est pas à Arte que les choses se décident, ni dans le salon de ceux qui regardent des docus en croyant que les choses avancent…

    https://www.laquadrature.net/fr/le-parlement-europeen-va-t-il-donner-le-feu-vert-au-prochain-acta

    Combien de projets de lois depuis 15 ans pour museler le net?
    Ça pour avancer, ça avance!

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